Gustin Sintaud ♦
Universitaire.
C’est en forêt que Romulus et Remus purent se soustraire à la haine de leur oncle et se développer en toute quiétude. C’est sur des monts sauvages et boisés que les enfants Zeus et Dionysos se garantirent et grandirent à l’abri. Cette notion de forêt salvatrice, au cœur de laquelle se trouvent refuge et quiétude, transparaît comme générale et constante dans toute l’Europe. Sa dense frondaison, ses entrelacements abritent, dissimulent. On y trouve paix, réconfort, on s’y régénère ; s’y forge l’âme, s’y renforce la volonté. Communion avec les origines, ressourcement, elle revitalise, énergétise.
S’y recherche tout ce qui se refuse en zone rase et nue ou bien tout ce qui ne peut s’y trouver, tout ce qui n’est plus. Ainsi, dès lors que la loi des villes et des États pèse trop ou devient inique, le contestataire, le juste, mais aussi le brigand s’y plongent : l’un pour s’opposer à l’iniquité de la loi tyrannique, l’autre pour quitter un monde corrompu par la civilisation, acculturé, en recherche de pureté, loin du tumulte, du profit, du vulgaire, de l’impie, le troisième pour échapper aux poursuites et condamnations.
Longtemps, en Europe, le brigand, le hors-la-loi, occupèrent les forêts. La traversée de celles-ci resta du Moyen-âge au XVIIème siècle peu sûre : les contes et romans n’en parlent qu’à travers guet-apens et activités de détrousseurs de grands chemins : de véritables bandes de proscrits y établirent même, ici ou là, des sociétés parallèles, du crime, organisées, hiérarchisées. Rien de cela n’est particulièrement digne d’intérêt, même si le souvenir d’un archaïque droit d’impunité, attaché aux bois sacrés peut s’y retrouver. Ce brigandage à l’univers de la forêt, domaine du loup et du sanglier, associa l’idée de l’homme sans foi ni loi, sauvage, bestial, au loup-garou. Cette volonté de mise au ban, de dénigrement systématique et véhément, initiée par l’Église contre la forêt non conforme à l’univers mental judéo-chrétien, s’est ainsi vu renforcée politiquement.
Il est honnête de s’interroger sur les motivations profondes des ermites qui partaient vivre seuls au fond des bois. Était-ce pour se reclure, s’extraire du siècle et, en même temps, coloniser les forêts ? L’Église avait pourtant généré des ordres monastiques pour tous les goûts, même les plus isolationnistes; et des moutiers et abbayes adaptés quadrillaient toute l’Europe ! Quelle sorte de justes étaient-ils ? Quand ces saints hommes étaient béatifiés, n’étaient-ce pas récupérations chrétiennes de profonds païens retournés dans le creuset de sagesse des forêts ? Ces sages inattaquables avaient bien choisi la forêt que l’Église abominait tant, rêvant de la raser à l’instar de Moïse qui dans le Deutérone, ordonne de brûler les bois sacrés ! N’allaient-ils pas plutôt, comme les druides jadis, y trouver l’antique sagesse, ou, comme les chevaliers, rechercher la pureté absolue que la fée Viviane avait voulue pour Lancelot et qu’elle ne pouvait lui offrir que par une éducation en forêt ?
La légende de Robin des bois, pour le justicier en rupture avec la loi, n’est qu’une expression charmante, d’un mythe vieux comme la culture de l’Europe. C’est dans la forêt que l’esprit de résistance culturelle se cristallise contre l’envahisseur ; et Robin, dans sa forêt de Sherwood, n’est que l’esprit saxon qui s’oppose aux menées normandes, ce qui avait déjà dû se passer pour les Celtes et les Angles lors de l’installation des Saxons conquérants. C’est l’esprit de la forêt, plein de vérité, signifiant le juste combat identitaire que matérialise Robin tout vêtu de vert, l’homme tout vert, l’homme arbre.
Ce réflexe de justice, magnifié par le besoin de valorisation communautaire, identitaire, patriotique a fini par se traduire au XXe siècle par « prendre le maquis » pour entrer dans la clandestinité politique. Et, si rarement, alors, la sacralité de la forêt comme lieu de fuite, de recours, de protection, de retour dans les bras protecteurs arborescents de la mère initiale, est perçue ; la systématique de partir en forêt pour protéger ce que l’on est, renvoie à l’atavisme, occupe le subconscient de l’homme européen. Il se met « au vert » pour se faire oublier ou part dans « la verte » pour se soustraire aux recherches.
Les rebelles saxons hostiles au christianisme du massacreur Charlemagne rejoignirent leurs bois et leurs arbres sacrés ; les Chouans de Jean Cottereau se fondirent dans le hallier vendéen pour faire le coup de feu contre les républicains ; le paganisme se maintint contre les durables exactions du christianisme, partout en Europe , grâce aux forêts de ses sourciers et sourcières, y préservant le fond de l’âme européenne avec ses fées, ses elfes, ses lutins, ses nains .
Ils restent les survivances de cette tradition orale qui s’enfonce dans la nuit des temps. Ils se sont élaborés par sédimentation progressive sur des siècles, des millénaires de vécu, mélangeant tout, véritable mémoire mythique. Sans aucune structure logique, étrangers à toute volonté rationnelle, ils s’offrent eux-mêmes, comme les forêts qu’ils évoquent, forêts de signes, touffues, labyrinthes secrets où se mêlent et s’entrecroisent racines et branches.
Dans ces contes, la forêt n’apparaît jamais absolument sombre ni exclusivement source de terreurs, comme l’aurait voulue le christianisme. Parfois sombre avec le loup mangeur de la petite fille aux couleurs de l’aurore dans « le Petit Chaperon rouge » ou avec l’ogre croqueur de petit garçon dans « Le Petit Poucet », il faut, pour la pénétrer sans appréhension et en sortir sain et sauf, en posséder les clefs, comme les petits cailloux blancs, repères de Poucet, ou avoir la pureté initiale de Blanche neige. Alors s’éclaire ce monde ténébreux, comme est la clairière de la maison des sept nains. La voilà pleine de vie, accueillante, source de survie. Havre de paix dans la tourmente, s’y attendent des lendemains radieux qui peuvent prendre des allures de princes charmants, princes solaires, réveillant les belles princesses endormies par un mauvais charme.
Aucun de ces contes merveilleux qui peignent tous l’éternel recommencement de toutes choses, avec l’éternel retour de la sève sylvestre, ne peut mal finir. La forêt s’inscrit en-deçà et au-delà d’un bien et d’un mal ; voilà pourquoi le grand méchant loup rend le Petit chaperon rouge et mère-grand qu’il a pourtant avalés comme le loup Fenn’rir vomit le soleil englouti ; l’ogresse dans « Le Petit Poucet » garde un soupçon d’humanité en recueillant les sept garçons perdus la nuit dans la forêt, les sept nains s’apitoient, et sauvent Blanche neige de sa sorcière de marâtre …
On apprécie la forêt comme une mère nourricière, sur le sein de qui on peut se réfugier, se blottir, se reposer, auprès de qui on s’assure de ses origines, de son identité. On s’y rassure, on s’y conforte, on y trouve la quiétude, le bonheur simple et naturel des choses adaptées et enracinées. Sous le soleil qu’elle filtre féeriquement, tout s’irise, le charme est envoûtant, et le chaos évident devient presque harmonieux.
Mais dans l’ombre crépusculaire ou plus encore dans les ténèbres nocturnes, la même forêt reste enchevêtrement inextricable, univers obscur difficile à percer, impossible à comprendre, trop mystérieuse, jalouse de ses secrets de mère originelle, matrice aux pouvoirs incommensurables.
Ces deux aspects de la forêt sont indissociables. Ils expriment la complémentarité des contraires, caractéristique de la pensée européenne. Comme la louve, son fauve, la forêt sait recueillir et sauver, mais, en même temps, elle peut engloutir. De même, les nains qui recueillent et adoptent, ici, sont les mêmes que l’on rencontre dans certains contes germaniques magiciens, farouches gardiens, sorciers impitoyables : ils gardent les mêmes secrets trésors de la même forêt européenne.
En savoir plus , lire :
La forêt sous la vindicte de l’église 3/4
La civilisation européenne entre culture et sacré : forêts et dieux gréco-romains 2/4
Les forêts : la civilisation européenne entre culture et sacré 1/4
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Universitaire.
C’est en forêt que Romulus et Remus purent se soustraire à la haine de leur oncle et se développer en toute quiétude. C’est sur des monts sauvages et boisés que les enfants Zeus et Dionysos se garantirent et grandirent à l’abri. Cette notion de forêt salvatrice, au cœur de laquelle se trouvent refuge et quiétude, transparaît comme générale et constante dans toute l’Europe. Sa dense frondaison, ses entrelacements abritent, dissimulent. On y trouve paix, réconfort, on s’y régénère ; s’y forge l’âme, s’y renforce la volonté. Communion avec les origines, ressourcement, elle revitalise, énergétise.
S’y recherche tout ce qui se refuse en zone rase et nue ou bien tout ce qui ne peut s’y trouver, tout ce qui n’est plus. Ainsi, dès lors que la loi des villes et des États pèse trop ou devient inique, le contestataire, le juste, mais aussi le brigand s’y plongent : l’un pour s’opposer à l’iniquité de la loi tyrannique, l’autre pour quitter un monde corrompu par la civilisation, acculturé, en recherche de pureté, loin du tumulte, du profit, du vulgaire, de l’impie, le troisième pour échapper aux poursuites et condamnations.
Longtemps, en Europe, le brigand, le hors-la-loi, occupèrent les forêts. La traversée de celles-ci resta du Moyen-âge au XVIIème siècle peu sûre : les contes et romans n’en parlent qu’à travers guet-apens et activités de détrousseurs de grands chemins : de véritables bandes de proscrits y établirent même, ici ou là, des sociétés parallèles, du crime, organisées, hiérarchisées. Rien de cela n’est particulièrement digne d’intérêt, même si le souvenir d’un archaïque droit d’impunité, attaché aux bois sacrés peut s’y retrouver. Ce brigandage à l’univers de la forêt, domaine du loup et du sanglier, associa l’idée de l’homme sans foi ni loi, sauvage, bestial, au loup-garou. Cette volonté de mise au ban, de dénigrement systématique et véhément, initiée par l’Église contre la forêt non conforme à l’univers mental judéo-chrétien, s’est ainsi vu renforcée politiquement.
Il est honnête de s’interroger sur les motivations profondes des ermites qui partaient vivre seuls au fond des bois. Était-ce pour se reclure, s’extraire du siècle et, en même temps, coloniser les forêts ? L’Église avait pourtant généré des ordres monastiques pour tous les goûts, même les plus isolationnistes; et des moutiers et abbayes adaptés quadrillaient toute l’Europe ! Quelle sorte de justes étaient-ils ? Quand ces saints hommes étaient béatifiés, n’étaient-ce pas récupérations chrétiennes de profonds païens retournés dans le creuset de sagesse des forêts ? Ces sages inattaquables avaient bien choisi la forêt que l’Église abominait tant, rêvant de la raser à l’instar de Moïse qui dans le Deutérone, ordonne de brûler les bois sacrés ! N’allaient-ils pas plutôt, comme les druides jadis, y trouver l’antique sagesse, ou, comme les chevaliers, rechercher la pureté absolue que la fée Viviane avait voulue pour Lancelot et qu’elle ne pouvait lui offrir que par une éducation en forêt ?
La légende de Robin des bois, pour le justicier en rupture avec la loi, n’est qu’une expression charmante, d’un mythe vieux comme la culture de l’Europe. C’est dans la forêt que l’esprit de résistance culturelle se cristallise contre l’envahisseur ; et Robin, dans sa forêt de Sherwood, n’est que l’esprit saxon qui s’oppose aux menées normandes, ce qui avait déjà dû se passer pour les Celtes et les Angles lors de l’installation des Saxons conquérants. C’est l’esprit de la forêt, plein de vérité, signifiant le juste combat identitaire que matérialise Robin tout vêtu de vert, l’homme tout vert, l’homme arbre.
Ce réflexe de justice, magnifié par le besoin de valorisation communautaire, identitaire, patriotique a fini par se traduire au XXe siècle par « prendre le maquis » pour entrer dans la clandestinité politique. Et, si rarement, alors, la sacralité de la forêt comme lieu de fuite, de recours, de protection, de retour dans les bras protecteurs arborescents de la mère initiale, est perçue ; la systématique de partir en forêt pour protéger ce que l’on est, renvoie à l’atavisme, occupe le subconscient de l’homme européen. Il se met « au vert » pour se faire oublier ou part dans « la verte » pour se soustraire aux recherches.
Les rebelles saxons hostiles au christianisme du massacreur Charlemagne rejoignirent leurs bois et leurs arbres sacrés ; les Chouans de Jean Cottereau se fondirent dans le hallier vendéen pour faire le coup de feu contre les républicains ; le paganisme se maintint contre les durables exactions du christianisme, partout en Europe , grâce aux forêts de ses sourciers et sourcières, y préservant le fond de l’âme européenne avec ses fées, ses elfes, ses lutins, ses nains .
La Forêt dans les contes populaires
Dans toute l’Europe, les contes populaires situent bien des actions dans des forêts. « La Belle au bois dormant », « Blanche neige », « Le Petit poucet », « Le Petit chaperon rouge » sont parmi les plus connus. Ils utilisent assez fréquemment des êtres sylvestres fabuleux, restes paganisés des vieilles mythologies : fées, nains, ogres, elfes, lutins, sorcières, gnomes… Ils jouent du rapport de l’homme de l’enfant, de la fillette, de la jeune fille et du complexe univers forestier qui apparaît comme un monde fantastique ou merveilleux, une sorte d’autre monde. Ils se veulent enseignement et transmettent le merveilleux des bois. Ils conservent et protègent le fond initiatique de cet univers dont s’est nourrie la culture européenne.Ils restent les survivances de cette tradition orale qui s’enfonce dans la nuit des temps. Ils se sont élaborés par sédimentation progressive sur des siècles, des millénaires de vécu, mélangeant tout, véritable mémoire mythique. Sans aucune structure logique, étrangers à toute volonté rationnelle, ils s’offrent eux-mêmes, comme les forêts qu’ils évoquent, forêts de signes, touffues, labyrinthes secrets où se mêlent et s’entrecroisent racines et branches.
Dans ces contes, la forêt n’apparaît jamais absolument sombre ni exclusivement source de terreurs, comme l’aurait voulue le christianisme. Parfois sombre avec le loup mangeur de la petite fille aux couleurs de l’aurore dans « le Petit Chaperon rouge » ou avec l’ogre croqueur de petit garçon dans « Le Petit Poucet », il faut, pour la pénétrer sans appréhension et en sortir sain et sauf, en posséder les clefs, comme les petits cailloux blancs, repères de Poucet, ou avoir la pureté initiale de Blanche neige. Alors s’éclaire ce monde ténébreux, comme est la clairière de la maison des sept nains. La voilà pleine de vie, accueillante, source de survie. Havre de paix dans la tourmente, s’y attendent des lendemains radieux qui peuvent prendre des allures de princes charmants, princes solaires, réveillant les belles princesses endormies par un mauvais charme.
Aucun de ces contes merveilleux qui peignent tous l’éternel recommencement de toutes choses, avec l’éternel retour de la sève sylvestre, ne peut mal finir. La forêt s’inscrit en-deçà et au-delà d’un bien et d’un mal ; voilà pourquoi le grand méchant loup rend le Petit chaperon rouge et mère-grand qu’il a pourtant avalés comme le loup Fenn’rir vomit le soleil englouti ; l’ogresse dans « Le Petit Poucet » garde un soupçon d’humanité en recueillant les sept garçons perdus la nuit dans la forêt, les sept nains s’apitoient, et sauvent Blanche neige de sa sorcière de marâtre …
On apprécie la forêt comme une mère nourricière, sur le sein de qui on peut se réfugier, se blottir, se reposer, auprès de qui on s’assure de ses origines, de son identité. On s’y rassure, on s’y conforte, on y trouve la quiétude, le bonheur simple et naturel des choses adaptées et enracinées. Sous le soleil qu’elle filtre féeriquement, tout s’irise, le charme est envoûtant, et le chaos évident devient presque harmonieux.
Mais dans l’ombre crépusculaire ou plus encore dans les ténèbres nocturnes, la même forêt reste enchevêtrement inextricable, univers obscur difficile à percer, impossible à comprendre, trop mystérieuse, jalouse de ses secrets de mère originelle, matrice aux pouvoirs incommensurables.
Ces deux aspects de la forêt sont indissociables. Ils expriment la complémentarité des contraires, caractéristique de la pensée européenne. Comme la louve, son fauve, la forêt sait recueillir et sauver, mais, en même temps, elle peut engloutir. De même, les nains qui recueillent et adoptent, ici, sont les mêmes que l’on rencontre dans certains contes germaniques magiciens, farouches gardiens, sorciers impitoyables : ils gardent les mêmes secrets trésors de la même forêt européenne.
En savoir plus , lire :
La forêt sous la vindicte de l’église 3/4
La civilisation européenne entre culture et sacré : forêts et dieux gréco-romains 2/4
Les forêts : la civilisation européenne entre culture et sacré 1/4
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