François Duprat, un visionnaire à redécouvrir
par Georges FELTIN-TRACOL
C’était
un samedi matin, ce 18 mars 1978 sur une route normande, près de
Caudebec-en-Caux. À la veille du second tour des législatives, François
Duprat décédait dans l’explosion de sa voiture. La conductrice, son
épouse, y fut gravement blessée. Quarante ans plus tard, les auteurs
n’ont jamais été retrouvé et son motif demeure toujours aussi
mystérieux. La justice souvent si rapide à se saisir d’affaires
secondaires a fait preuve d’une incroyable lenteur et avant de prononcer
un non-lieu en 1982. Il faut dire que la victime n’était qu’un «
fasciste ».
Dans les années 1970, François Duprat n’est autre que la tête pensante du jeune Front national fondé six ans plus tôt à l’initiative d’Ordre Nouveau.
Si le mouvement de Jean-Marie Le Pen alors en pleine traversée du
désert n’obtient que des résultats dérisoires, François Duprat apporte
au FN des concepts et des mots d’ordre qui prendront toute leur valeur
au lendemain du « Tonnerre de Dreux » en 1983. Il n’est pas anodin que
sa seule biographie ait pour sous-titre « L’homme qui inventa le Front
national (1) ».
Actualité du nationalisme-révolutionnaire
Quatre décennies après sa disparition violente, le public intéressé redécouvre François Duprat. En 2014 paraissait le n° 2 des Cahiers d’histoire du nationalisme
réalisé par Alain Renault sur « François Duprat et le
Nationalisme-Révolutionnaire (2) ». Outre plusieurs émissions
radiophoniques, hertziennes ou internautiques (3), les éditions Ars
Magna viennent de publier un gros recueil d’éditoriaux des Cahiers européens au titre explicite de François Duprat, le prophète du nationalisme-révolutionnaire (4).
François
Duprat traîne la réputation d’être un des tout premiers historiens «
négationnistes ». Or Alain Renault rappelle « qu’hormis un bref article
dans Défense de l’Occident, il n’a jamais rien écrit sur le sujet de la Shoah
ou des chambres à gaz… » Son bras droit et ami explique que Duprat n’a
jamais édité l’ouvrage de Thies Christophersen, ni traduit celui de
Richard Hardwood. Il raille les nombreux universitaires spécialistes qui
propagent et reprennent sans vérifier ces inexactitudes.
Nationalisme-révolutionnaire
? Le terme suscite la perplexité de l’interlocuteur peu au faîte des
subtilités « idéologiques » de la « mouvance ». « Le
nationalisme-révolutionnaire est une tentative d’actualisation et de
rénovation du nationalisme du XXe siècle. » C’est donc une
synthèse politique originale. « C’est en unissant le Noir de la
Tradition et le Rouge de la Révolution que nous avons fait notre
drapeau. » En s’inspirant des précédents historiques, en particulier du «
facteur le plus génial du fascisme [qui] fut d’unir le conservatisme et
l’esprit révolutionnaire dans un même mouvement », « le
Nationalisme-Révolutionnaire représente une tentative de prise en charge
de la crise actuelle de l’Occident, sur le plan d’une remise en cause
radicale des valeurs de la dite Société. Ce Nationalisme-Révolutionnaire
propose comme noyau central de l’action humaine, l’idée de Nation,
conçue comme un rassemblement organique d’éléments qui, sans elle, ne
représenteraient qu’un agrégat sans consistance et traversé de tensions
destructrices ». Cela implique d’être « pour un “ SOCIALISME
NATIONALISTE ”, qui n’est que l’expression de notre opposition radicale
et absolue au capitalisme sous toutes ses formes. Le capitalisme n’est
que l’excroissance malsaine, dans le domaine économique, du libéralisme
politique et de l’idéologie sioniste ».
Guère
connue, la fibre sociale de François Duprat est incontestable. Elle
reste d’actualité à l’heure où un « conservatisme » de salon tend à
rejoindre le marigot du libéralisme le plus rétrograde. Très tôt,
François Duprat comprit aussi la force subversive de l’immigration
extra-européenne sans pour autant verser dans le racisme ou dans le «
réalisme biologique ». Certes, il avoue volontiers que « la France doit
retrouver son substrat biologique, qui est le seul moyen de sauver
l’unité nationale », mais il défend à sa manière le concept porteur
d’État souverain, organique et national-populaire.
Dès
1977, François Duprat voit dans « l’immigration, une excellente arme de
propagande ». Il parle même bien avant le « Grand Remplacement » humain
de « remigration » et ce, dès 1976 ! « Au problème crucial de
l’immigration, prophétise-t-il, les nationalistes apportent une solution
rationnelle et efficace : rapatriement des immigrants, en aidant
financièrement ce retour et en favorisant l’implantation de nouvelles
entreprises dans les pays les plus pauvres du tiers monde. » Outre
l’enjeu démographique, François Duprat a compris que le jeune FN doit
non seulement attirer son électorat habituel (les commerçants, les
artisans, la petite bourgeoisie en voie de déclassement), mais aussi les
couches populaires salariées. Il invite par conséquent les Groupes nationalistes-révolutionnaires de base (GNR) (5) et des Cercles nationalistes ouvriers
de permettre aux candidats frontistes de « prendre des voix à la gauche
». Souvent discuté, le transfert des suffrages venus des gauches
communiste et socialiste vers le FN dans les années 1990 a donné la
thèse politologique du « gaucho-lepénisme ». Bien plus tard, un autre n°
2 du FN, Florian Philippot, élaborera en accord avec Marine Le Pen une
ligne sociale-souverainiste sans l’approfondir réellement. Alain Renault
note toutefois que « le FN “ dédiabolisé ” a aligné son programme
économique sur celui des NR de l’époque… Il y a donc parfois des
victoires idéologiques ».
Formation intellectuelle et écologie politique
François
Duprat ne cachait pas qu’« il est clair aujourd’hui que la campagne de
lutte contre l’immigration représentait la seule méthode utilisable ».
En sortant le FN de ses thématiques classiques anti-communiste et
anti-gaulliste, il avouait volontiers que « nous sommes des relativistes
et que nous croyons à l’obligation pour les formulations idéologiques
de s’adapter aux situations changeantes ». Sinon, « rester sur les
vieilles positions, surannées et condamnées par les faits, c’est vouer
notre camp à une défaite éternelle ». Ses préoccupations ne se limitent
pas à la question sociale. Ainsi s’intéresse-t-il à l’écologie ! « Nous
combattons pour que notre Terre ne soit pas ravagée et détruite par une “
civilisation ” qui anéantit rapidement ses richesses naturelles pour le
seul profit final d’une petite clique d’exploiteurs. Les programmes de “
modernisation ” de notre espace territorial, le développement de
l’énergie nucléaire, sont en train de détruire les bases mêmes de la vie
de notre Peuple. » Parce que « l’hyper-capitalisme, comme le marxisme,
sont issus, tous les deux, du monstrueux développement industriel du XIXe
siècle et ils ont comme idée maîtresse la croyance en un progrès
économique indéfini », « nous avons à lutter contre ceux qui ont
transformé de vastes parties de notre planète en un dépotoir, pour
augmenter qui la puissance politique d’une bureaucratie tyrannique, qui
le taux de profit de certaines puissantes sociétés » avant d’affirmer
que « l’écologie n’est qu’une projection de l’idéologie
nationaliste-révolutionnaire ».
Il insiste aussi et à diverses reprises sur la nécessité impérative de former les adhérents, les militants et les responsables. Sa présence dans plusieurs périodiques, de Rivarol à Défense de l’Occident, d’Année Zéro aux Cahiers d’histoire du fascisme,
montre que cette formation passe par la lecture. Elle se complète
ensuite par des cours donnés au sein d’ « écoles de cadres », activité
que pratiquait bien ce professeur d’histoire-géographie de lycée. Avec
Internet et malgré la fragilité du tout numérique, il est possible qu’il
aurait donné des cours en ligne et accepté la mise en ligne de ses
conférences… Il utilisait tous les moyens techniques possibles afin de
faire connaître ses orientations révolutionnaires. « Préparer la
révolution, c’est chercher sans trêve à créer les conditions qui la
rendront possible. »
François
Duprat suivait l’évolution politique de l’Italie et observait avec
attention les résultats électoraux du néo-fascisme. Il publia en 1972
aux Sept Couleurs, la maison d’édition de Maurice Bardèche, L’Ascension du MSI. Il se sentait en 1977 proche de la ligne nationaliste-révolutionnaire du MSI, Linea futura,
entraînée par Pino Rauti. Dans la perspective des premières élections
européennes de 1979, le MSI commençait à développer un «
euronationalisme ».
Défense de l’Occident… européen ?
Dans
cette période de Guerre froide et de menaces communistes, outre un
anti-sionisme radical qui le rapprochait des groupes de résistance
palestiniens, François Duprat approuvait l’alliance avec les États-Unis
dans le cadre – ou non – de l’OTAN. Pour lui, l’impérialisme yankee
n’existait pas. « Il s’agit d’un impérialisme sioniste et non point
américain, qui va d’ailleurs à contre-courant des intérêts du peuple
américain qui n’a pas plus envie de mourir pour Israël que les peuples
européens. » Il doutait des propositions de troisième voie
nationale-européenne au nom du réalisme géopolitique. « Quelles sont les
défenses de l’Europe ? La triste vérité est qu’elles n’existent pas et
qu’il n’y a toujours pas de substitut à la présence militaire
américaine. »
Cela
ne l’empêchait pas de se pencher sur l’idée européenne à un moment où
sa construction déjà pervertie n’en était qu’à ses balbutiements. « La
France… mettons isolée (pour ne pas écorcher certaines oreilles) n’a
jamais été un idéal admissible pour les militants de notre bord ayant le
sens de l’Europe. » La nation française « peut et […] doit jouer un
grand rôle au sein d’un rassemblement des nations européennes. Mais, là
encore, la France, ne pourra participer à une union de l’Europe que si
sa personnalité existe encore ». À propos du « fait français », il
reconnaît que « nous sommes des ethnies diverses rassemblées en une
seule nation et nous devons continuer ensemble notre chemin, en
respectant scrupuleusement l’originalité de chacune des composantes de
notre Entité historique ». La vocation du nationalisme-révolutionnaire
n’est pas seulement d’envisager « la France comme une nation colonisée,
qu’il est urgent de décoloniser. Les Français se croient libres alors
qu’ils ne sont en vérité que les jouets de lobbies étrangers, qui les grugent et les exploitent, grâce à la complicité d’une fraction des classes dirigeantes, à qui ces lobbies
jettent quelques morceaux de leur festin », mais aussi et surtout de
considérer que « le Nationalisme est la défense de toutes les ethnies
constituant le Peuple français, au sein de leur cadre historique, la
Nation française, une Nation enfin délibérée et rendue à son destin ».
Le nationalisme-révolutionnaire agit « pour la libération de tous les
peuples d’Europe, soumis les uns au colonialisme sioniste, les autres au
colonialisme marxiste ». Toutefois, attention !, « on ne construira pas
l’Europe sur une éruption de micro-nationalismes, prévient-il, qui
auraient toutes les chances de tourner très vite en chauvinisme et en
racisme hostiles aux autres ethnies de notre nation ». Il en découle que
« le nationalisme croît dans les régions, il ne prend pas appui sur des
individus désincarnés, anonymes, mais sur des citoyens intégrés dans
leurs régions d’origine. Il fait sienne la doctrine de l’enracinement et
ne prêche pas un quelconque “ sous-jacobinisme ” centralisateur,
destructeur des petites unités régionales ».
François
Duprat encourage dès lors le « co-nationalisme », « à savoir l’accord
de chaque État Nationaliste pour édifier une PLUS GRANDE EUROPE,
nouvelle Communauté de Destin des Peuples européens ». « L’union des
Nations européennes, insiste-t-il, doit conduire à la création d’un
Nouvel Empire d’Occident, regroupant toutes les nations justifiées
devant l’Histoire. » Il ne néglige pas le cadre européen, car « la
France (et bien d’autres pays) va être confrontée à une crise d’ampleur
inégalée depuis des dizaines d’années, ce qui entraînera la nécessité de
solutions radicales ». Il soulignait aussi que « nous sommes de nouveau
dans la “ Zone des Tempêtes ”, et dès lors, tout redevient possible
pour les nationalistes-révolutionnaires ». Extralucidité ? Pas du tout.
Seulement « être révolutionnaire, ce n’est pas se vouer à la destruction
de l’Ordre ancien, mais bien préparer l’avènement de l’Ordre nouveau
(qui passe par la destruction, évidemment, des structures anciennes) ».
Redécouvrons donc les écrits de François Duprat, visionnaire d’un Ordre nouveau français et européen, trop tôt foudroyé…
Georges Feltin-Tracol
Notes
1 : Nicolas Lebourg et Joseph Beauregard, François Duprat. L’homme qui inventa le Front national, Denoël, coll. « Impacts », 2012.
2 : François Duprat et le Nationalisme-Révolutionnaire, Cahiers d’histoire du nationalisme, n° 2, Synthèse nationale, juin – juillet 2014, 20 €. Des citations proviennent de ce numéro.
3
: Mentionnons en respectant la chronologie, l’émission n° 96 de «
Méridien Zéro » du 13 mai 2012, « Un homme – un destin. François Duprat.
Le révolutionnaire controversé », animée par le Lieutenant Sturm et
Jean-Louis Roumégace avec Emmanuel Ratier et Julien X; l’émission «
Affaires sensibles » présentée par Fabrice Drouelle, « François Duprat.
Aux origines du Front national », avec Nicolas Lebourg, diffusée par France Inter,
le 5 mars 2018, et l’émission « Synthèse » de Roland Hélie et Philippe
Randa, « François Duprat » avec Françoise Monestier, disponible sur le
site de Radio Libertés, le 8 mars 2018.
4 : François Duprat, le prophète du nationalisme-révolutionnaire, Ars Magna, coll. « Le devoir de mémoire », 2018, 493 p., 32 €. Des citations proviennent aussi de ce recueil.
5 : Aux GNR militèrent un futur collaborateur actif d’Europe Maxima, Daniel Cologne, et Frédéric Julien, auteur plus tard de trois ouvrages remarquables passés bien inaperçus à leur parution, Pour en finir avec la droite (L’avenir du nationalisme. Le nationalisme de l’avenir), La Librairie Française, 1981; Pour une autre modernité. Relever le défi américain, Les Éditions du Trident – La Librairie Française, « Études solidaristes – Cercle Louis-Rossel », 1985; et Les États-Unis contre l’Europe. L’impossible alliance, Le Livre-Club du Labyrinthe, 1987.