Gustin Saintaud ♦
Universitaire.
Dans la Grèce antique, la forêt est le domaine privilégié de la sauvage et secrète Artémis, jalousement chasseresse, comme le sera plus tard, au Moyen-âge, le roi dans ses forêts exclusives. Elle vit au fond des bois, particulièrement honorée dans les parties de l’Hellade les plus forestières et sauvages : Arcadie, Laconie, sur le Taygète … Dans ses sanctuaires les plus célèbres, à Brauron et surtout à Ephèse, elle apparaît plus comme expression de Gaïa que comme sœur jumelle du lumineux Apollon ; elle est vierge sombre, farouche, sanglante, impitoyable, déesse possessive des nymphes, des naïades, des loups, cerfs, biches, sangliers et ours, de tout ce qui est de la forêt. Plus que pour tout autre dieu du panthéon hellénique, des bois sacrés lui sont réservés, partout.
La romaine Diane ne doit pas être réduite à une image latine d’Artémis, même si elles se ressemblent beaucoup et si elles furent toutes deux confondues depuis le VIème siècle av JC. Elle est nommée par Ovide « dea silvarum », déesse des forêts. C’est une déesse italique indigène qu’on ne peut ni approcher ni regarder car elle garde les cruels mystères des origines où tout se perd et se confond, comme en forêt où les espèces se mélangent, s’entrecroisent, s’indéfinissent, labyrinthe végétal. Ses sanctuaires les plus anciens et célèbres sont à Capoue et surtout à Aricie, près du lac de Nemi où elle est expressément nommée : « Diana Nemorensis », Diane des bois. Son prêtre y est appelé : « Roi des bois » et pouvait être tué par celui qui aspirait à sa succession, rite sanglant qui sera rappelé par celui du chevalier noir, protecteur de la Dame de la fontaine, dans la légende celtique des forêts sacrées.
Avec Artémis, les Grecs conservaient Dionysos comme divinité sylvestre importante. Était-ce parce qu’il semble avoir été un dieu arbre à l’origine ? Il resta un dieu méditerranéen autochtone et, même indo-européanisé comme greffon de Zeus, il garda bien des caractéristiques femelles de la mater primordia. Dieu des bienfaits de la terre pour la vie de l’homme, de la sève et des sucs, il resta dieu des espaces incultes, de la nature luxuriante, des forêts comme l’affirme clairement un hymne homérique : « ne cessa depuis lors de parcourir les vallons boisés tout couronné de lierre et de laurier ; les nymphes le suivaient et il était à leur tête ; une rumeur possédait la forêt immense. » D’ailleurs, outre cette cohorte de nymphes qu’il semble partager avec Artémis, elle et lui ont des cultes assez similaires, d’identiques caractéristiques, de semblables pouvoirs métaphoriques qui, comme les forêts, peuvent faire s’évanouir les frontières du réel, de l’évident, et peuvent se jouer de la forme, de ce qui paraît être.
A côté de ces deux grands dieux honorant la forêt, les Grecs et les Romains comme tous les Européens, panthéistes et polythéistes, pour représenter la richesse des forêts et évoquer leur diversité, eurent, ici et là, des divinités secondaires qui souvent se mêlèrent et se confondirent. L’arcadien Pan, divinité des bergers et des troupeaux comme initialement intime de ces clairières à pâture au cœur de la forêt, aimait particulièrement la fraîcheur reposante des sources sylvestres et l’ombre des bois, quand il ne guettait, lubrique, leurs nymphes. Le latin Faunus, rapidement devenu pluriel, tant chaque îlot boisé avait besoin de son Faune attitré, fut vite confondu avec l’hellénique Pan, tous deux étant représentés pareillement : visage barbu, œil bestial, front cornu, pattes sèches et nerveuses de bouc avec sabots fendus. On confondit de la même manière Faunes et Satyres, à l’heureuse notoriété chez les chrétiens puisqu’ils furent transformés en démons de l’Enfer. On les mélange tous dans l’aréopage de Dionysos-Bacchos – Bacchus, avec cette image monstrueuse de Pan, demi-homme, demi-animal. Sylvain qui demeura plus exclusivement latin comme dieu des bocages et des bois se multipliera par identique besoin pour habiter les nombreux bois sacrés du Latium et, si, parfois, on le confondit avec Pan lui aussi, il ne prit jamais sa forme ; on le représentait en vieillard mais doué d’une force très juvénile.
Dans la guerre légendaire entre Romains et Étrusques qui s’acheva avec l’expulsion des Tarquins et l’avènement de la République romaine, guerre identitaire de libération, après une bataille épique désastreuse pour les deux camps, tant le massacre avait marqué les deux armées, la victoire ne pouvait être attribuée clairement.
Il est dit qu’une voix se fit entendre et affirma la victoire des Romains car ceux-ci avaient eu un seul mort de moins. Les Étrusques impressionnés s’enfuirent. Au décompte des cadavres, la voix de Silvain avait dit vrai. Encore une légende qui dit la relation des Romains et de Rome avec la forêt.
Dans chaque forêt, chaque arbre, chaque source, chaque cascade avait sa nymphe. Sur cette population de jeunes vierges régnait Artémis-Diane. Certaines pouvaient accompagner l’efféminé et chaste Dionysos ou, moins fréquemment, son sosie partiel latin Bacchus, pas toujours si chaste. Elles craignaient Pan, les Faunes et les Satyres à l’activité sexuelle débordante car elles devaient protéger leur virginité surveillée férocement par leur maîtresse. Les naïades animaient sources et cascades, les dryades ,bois et arbres.
En Gaule, on n’enfermait pas plus les dieux que les hommes dans des constructions de pierre et peu souvent dans des enclos de bois, avant les conquêtes romaines. Dans toute l’aire celtique, la forêt, ses clairières naturelles suffisaient comme lieux de culte. Elles étaient considérées comme sanctuaires, comme « téménos » dut les signifier archaïquement en Grèce.
Sur les bois sacrés celtiques, les auteurs latins s’attardent et témoignent de leur intense sacralité, avec des jugements déjà assez sévères pour des cultes disparus depuis longtemps chez eux où l’on avait composé entre les besoins économiques en bois d’œuvre, surtout pour les flottes, et le respect des forêts et de leurs divinités. Ainsi peut se lire, traduit de la Pharsale de Lucain : « Il y avait là un bois sacré, qui, depuis un âge reculé, n’avait jamais été profané et entourait de ses rameaux entrelacés un air ténébreux et des ombres glacées, impénétrables au soleil. Il n’est point occupé par les Pans, habitants des campagnes, ni par les Silvains, maîtres des forêts ni par des nymphes, mais par les sanctuaires de dieux aux cultes barbares ». Ailleurs, Tacite parle des Bretons insulaires de l’île de Mona avec leurs « bois consacrés à d’atroces superstitions », Annales XIV. Encore, dans son Histoire romaine, Dion Cassius cite la reine Budicea qui, dans l’actuel Norfolk, se rendit dans le bois sacré de la déesse Andrasta pour demander protection divine avant son attaque des légions romaines, en 61.
C’est dans ces forêts immenses que les druides se réunissaient en grand secret. Elles étaient pour eux les lieux de la connaissance et de la sagesse, des écrins initiatiques. Dans ces forêts, le druide cherchait aussi le chêne rare, exceptionnellement parasité par le gui, pour sa religieuse cueillette à la serpette d’or pendant la période solsticiale d’hiver.
Le dieu de troisième fonction Esus, dieu de la végétation sauvage, de la forêt, épouse de la Grande déesse mère, devient Cernunnos le dieu aux bois de cerf, dieu anthropomorphe portant l’attribut de l’animal, ou dieu à moitié anthropomorphe à moitié animal. Cernunnos, par le sacrifice rituel du cerf, redevient Esus, complètement anthropomorphe. C’est le cerf qui perd ses bois, c’est la nature qui explose après l’hiver. Le cycle bien intégré dans la mythologie celtique qui associe ramure du cerf et arborescence dénudée de l’arbre, prouve cette communion profonde des Celtes avec leur forêt jusqu’à la déification d’un de ses animaux.
Le sanglier, cet animal des forêts, est lui aussi fort honoré dans la fonction sacerdotale des Celtes. Il se retrouve auprès d’Arduina, la déesse de la forêt de l’Ardenne, mais aussi sous le nom de Twth Trwyth que seul le géant Gwnarch peut tuer et après lequel le roi Arthur, symbole de seconde fonction, court en vain. Sanglier magique aussi, celui de Ben Bubain, blesse mortellement Diarmaid O’ Duibhne, le frère d’un autre sanglier dans la mythologie celtique irlandaise. Cet animal sacré des forêts celtiques fut encore un des trois aspects, trois cents ans durant, de Tuan Mac Cairill, dernier survivant de la race de Partholon.
On ne peut aborder la relation intime, quasi-viscérale des Celtes et de la forêt sans se replonger dans les sources celtiques du cycle arthurien qui resurgit en plein Moyen-âge, époque où la forêt avait regagné du terrain, tant sur les espaces défrichés que dans les esprits résistant à la totale et totalitaire christianisation.
Déjà Brocéliande, forêt sacrée s’il en est, mais aussi la forêt des Carnutes tout aussi enchanteresse, dans laquelle, une fois l’an, les druides de Gaule tenaient leur convent, et la fée Viviane, déesse de la forêt sacrée avec son corps serpentueux et ses charmes contre lesquels le puissant enchanteur Merlin ne peut rien, tout renvoie à la forêt sanctuaire, creuset de civilisation et de culture, forêt magique, forêt cage des secrets fondamentaux, comme celle de Dardanante en petite Bretagne.
Les chevaliers de la Table ronde, en constante quête de connaissance et de pureté, quittent le monde pour s’enfoncer seuls en forêt, en traverser toujours et encore, rencontrant dragons et autres monstres à vaincre, nains et fées dont ils doivent déjouer les sortilèges car les secrets sylvestres se méritent. Merlin, lui-même, avec les mêmes caractères que Myrddin en forêt écossaise, peut représenter le fou celtique aux immenses pouvoirs magiques, qui exilé en forêt, peut voler et vivre dans les arbres ; ainsi doivent se comprendre les deux épisodes de ses relations avec Viviane : une fois, elle enferme Merlin dans une grotte de la forêt de Dardanante, la seconde, dans une cage suspendue en forêt de Brocéliande où il demeure encore, toujours invisible.
La divinité de la forêt celtique se révèle auprès de ses sources et fontaines, sous forme de Dame de la fontaine, un des personnages clefs de l’enseignement druidique. Elle est souveraine de son royaume ; et, comme Artémis à Trézène ou Diane à Aricie ont, auprès d’elles, Hippolyte ou Vibrius, la Dame de la fontaine a son chevalier noir qui sera son servant, son prêtre, son disciple ; elle l’initie tant qu’il n’est point supplanté par son vainqueur.
Les rapports des Germains et de la forêt sont comparables aux celtiques, avec identiques comportements, similaires croyances, mythes fort proches : point de temples bâtis. L’essentiel de leurs cultes, comme bien de leurs rites communautaires se pratiquent en forêts sacrées.
Les saxons qui résisteront jusqu’au IXe siècle à la christianisation et que combattra sans merci Charlemagne, continueront, longtemps après, à se réunir en forêts pour sacrifier à leurs dieux de la nature, pratiquer leurs cultes, sacralisant forêts, arbres sylvestres ou troncs d’arbres écorcés. Comme dans toute l’Europe, l’Église victorieuse s’acharnera contre leurs bois et forêts sacrés, les incendiant haineusement pour tenter d’expurger les vieux réflexes et les croyances naturelles.
Le culte des forêts si ancré en pays germaniques ressuscitera régulièrement : il signifie trop l’appartenance, l’enracinement, le rapport de la culture et de la nature, du sang à la terre ; il se ravive chaque fois qu’un besoin de se retrouver, de se restructurer, se fait sentir. La forêt sera alors ressentie comme mémoire germanique commune ; et le romantisme allemand chérira la forêt comme sujet privilégié de sa quête des origines.
Lire également : Les forêts , la civilisation européenne entre culture et sacré 1/4
A paraître prochainement :
La civilisation européenne entre culture et sacré : la forêt sous la vindicte de l’église 3/4 La civilisation européenne entre culture et sacré : la forêt, lieux de sécurité et vérité 4/4
Source
Universitaire.
Pour l’âme européenne, la forêt a toujours conservé son caractère d’espace initial, de matrice originelle. Malgré l’exercice de sa volonté de puissance caractéristique, l’Européen n’a jamais pu totalement s’en affranchir.
Avant l’homme européen, était la forêt européenne, comme s’il en était sorti. Dans l’Enéide, Evandre dit à Enée : « Ces bois avaient jadis pour habitants ceux qui en étaient issus, faunes, nymphes et une race d’hommes sortis des troncs des chênes durs … ». L’homme européen sait et dit qu’il vient de la forêt, qu’il est issu de ses arbres ou, sinon lui, ses ancêtres. Selon Hésiode dans la Théogonie, la célèbre race de bronze qui précède celle des héros et celles des hommes, est née des frênes. Même si l’homme européen n’a eu de cesse que de s’extraire de cette forêt originelle, mu par des choix uraniens, il y a fondé ses origines généalogiques et celles de beaucoup de ses divinités, même parmi les plus célestes.
Cette forêt est associée à la Terre
Très tôt, en contrées de l’Europe méditerranéenne, s’est évalué le
coût de la déforestation. Le culte archaïque récupéré de la Terre mère,
nourricière naturelle, englobe la forêt, aspect chevelu, exubérant de
celle-ci. C’est pourquoi, le vieux culte de la nature primordiale,
sauvage, opulente, s’est conservé spécialement pour la forêt, cet espace
de diversité et richesse d’avant tout ordre, d’avant les lois,
parallèle à l’affirmation du choix de Zeus Pater et des espérances
uraniennes ; Voilà ce qu’évoque Pline : « Les forêts étaient
autrefois les temples des divinités ; aujourd’hui encore, les simples
habitants des campagnes consacrent un bel arbre à un dieu avec le rituel
des anciens temps, et nous adorons les bois sacrés et jusqu’au silence
religieux qui y règne avec autant de dévotion que les statues où
resplendissent l’or et l’ivoire », Histoire naturelle XII, 3. C’est ce que révèle autrement Sénèque par une approche plus émotionnelle : « S’il
vous arrive d’entrer dans un bosquet d’arbres vénérables qui se
dressent, majestueux, au-dessus des autres et dont les sombres rameaux
entrelacés vous dérobent la vue du ciel, vous sentez la présence d’un
esprit en ce lieu, telle est la noblesse du bois .. » Esprit IV, 12, 3.Dans la Grèce antique, la forêt est le domaine privilégié de la sauvage et secrète Artémis, jalousement chasseresse, comme le sera plus tard, au Moyen-âge, le roi dans ses forêts exclusives. Elle vit au fond des bois, particulièrement honorée dans les parties de l’Hellade les plus forestières et sauvages : Arcadie, Laconie, sur le Taygète … Dans ses sanctuaires les plus célèbres, à Brauron et surtout à Ephèse, elle apparaît plus comme expression de Gaïa que comme sœur jumelle du lumineux Apollon ; elle est vierge sombre, farouche, sanglante, impitoyable, déesse possessive des nymphes, des naïades, des loups, cerfs, biches, sangliers et ours, de tout ce qui est de la forêt. Plus que pour tout autre dieu du panthéon hellénique, des bois sacrés lui sont réservés, partout.
La romaine Diane ne doit pas être réduite à une image latine d’Artémis, même si elles se ressemblent beaucoup et si elles furent toutes deux confondues depuis le VIème siècle av JC. Elle est nommée par Ovide « dea silvarum », déesse des forêts. C’est une déesse italique indigène qu’on ne peut ni approcher ni regarder car elle garde les cruels mystères des origines où tout se perd et se confond, comme en forêt où les espèces se mélangent, s’entrecroisent, s’indéfinissent, labyrinthe végétal. Ses sanctuaires les plus anciens et célèbres sont à Capoue et surtout à Aricie, près du lac de Nemi où elle est expressément nommée : « Diana Nemorensis », Diane des bois. Son prêtre y est appelé : « Roi des bois » et pouvait être tué par celui qui aspirait à sa succession, rite sanglant qui sera rappelé par celui du chevalier noir, protecteur de la Dame de la fontaine, dans la légende celtique des forêts sacrées.
Avec Artémis, les Grecs conservaient Dionysos comme divinité sylvestre importante. Était-ce parce qu’il semble avoir été un dieu arbre à l’origine ? Il resta un dieu méditerranéen autochtone et, même indo-européanisé comme greffon de Zeus, il garda bien des caractéristiques femelles de la mater primordia. Dieu des bienfaits de la terre pour la vie de l’homme, de la sève et des sucs, il resta dieu des espaces incultes, de la nature luxuriante, des forêts comme l’affirme clairement un hymne homérique : « ne cessa depuis lors de parcourir les vallons boisés tout couronné de lierre et de laurier ; les nymphes le suivaient et il était à leur tête ; une rumeur possédait la forêt immense. » D’ailleurs, outre cette cohorte de nymphes qu’il semble partager avec Artémis, elle et lui ont des cultes assez similaires, d’identiques caractéristiques, de semblables pouvoirs métaphoriques qui, comme les forêts, peuvent faire s’évanouir les frontières du réel, de l’évident, et peuvent se jouer de la forme, de ce qui paraît être.
A côté de ces deux grands dieux honorant la forêt, les Grecs et les Romains comme tous les Européens, panthéistes et polythéistes, pour représenter la richesse des forêts et évoquer leur diversité, eurent, ici et là, des divinités secondaires qui souvent se mêlèrent et se confondirent. L’arcadien Pan, divinité des bergers et des troupeaux comme initialement intime de ces clairières à pâture au cœur de la forêt, aimait particulièrement la fraîcheur reposante des sources sylvestres et l’ombre des bois, quand il ne guettait, lubrique, leurs nymphes. Le latin Faunus, rapidement devenu pluriel, tant chaque îlot boisé avait besoin de son Faune attitré, fut vite confondu avec l’hellénique Pan, tous deux étant représentés pareillement : visage barbu, œil bestial, front cornu, pattes sèches et nerveuses de bouc avec sabots fendus. On confondit de la même manière Faunes et Satyres, à l’heureuse notoriété chez les chrétiens puisqu’ils furent transformés en démons de l’Enfer. On les mélange tous dans l’aréopage de Dionysos-Bacchos – Bacchus, avec cette image monstrueuse de Pan, demi-homme, demi-animal. Sylvain qui demeura plus exclusivement latin comme dieu des bocages et des bois se multipliera par identique besoin pour habiter les nombreux bois sacrés du Latium et, si, parfois, on le confondit avec Pan lui aussi, il ne prit jamais sa forme ; on le représentait en vieillard mais doué d’une force très juvénile.
Dans la guerre légendaire entre Romains et Étrusques qui s’acheva avec l’expulsion des Tarquins et l’avènement de la République romaine, guerre identitaire de libération, après une bataille épique désastreuse pour les deux camps, tant le massacre avait marqué les deux armées, la victoire ne pouvait être attribuée clairement.
Il est dit qu’une voix se fit entendre et affirma la victoire des Romains car ceux-ci avaient eu un seul mort de moins. Les Étrusques impressionnés s’enfuirent. Au décompte des cadavres, la voix de Silvain avait dit vrai. Encore une légende qui dit la relation des Romains et de Rome avec la forêt.
Dans chaque forêt, chaque arbre, chaque source, chaque cascade avait sa nymphe. Sur cette population de jeunes vierges régnait Artémis-Diane. Certaines pouvaient accompagner l’efféminé et chaste Dionysos ou, moins fréquemment, son sosie partiel latin Bacchus, pas toujours si chaste. Elles craignaient Pan, les Faunes et les Satyres à l’activité sexuelle débordante car elles devaient protéger leur virginité surveillée férocement par leur maîtresse. Les naïades animaient sources et cascades, les dryades ,bois et arbres.
Forêts des celtes et des germains
L’étonnement des soldats romains devant la taille et la profondeur
des forêts hercyniennes des pays celtes et germaniques montre bien que
ces civilisations s’étaient moins développées sur les forêts primaires
européennes qu’autour de la Méditerranée. L’appellation de « Gaule
chevelue » non romanisée à laquelle s’en prit Jules César, pour dire
cette zone gauloise couverte de forêts est intéressante. Là, les rares
agglomérations ne furent pas des centres politiques ; au contraire, ce
n’étaient que carrefours d’échange entre communautés dispersées par les
forêts. Aucun des villages ne se protégeait, la forêt y suffisait. C’est
assurément une semblable conception initiale qu’avaient conservée
étonnamment en Hellade, les Doriens lacédémoniens qui refusèrent
longtemps d’emmurer Sparte.En Gaule, on n’enfermait pas plus les dieux que les hommes dans des constructions de pierre et peu souvent dans des enclos de bois, avant les conquêtes romaines. Dans toute l’aire celtique, la forêt, ses clairières naturelles suffisaient comme lieux de culte. Elles étaient considérées comme sanctuaires, comme « téménos » dut les signifier archaïquement en Grèce.
Sur les bois sacrés celtiques, les auteurs latins s’attardent et témoignent de leur intense sacralité, avec des jugements déjà assez sévères pour des cultes disparus depuis longtemps chez eux où l’on avait composé entre les besoins économiques en bois d’œuvre, surtout pour les flottes, et le respect des forêts et de leurs divinités. Ainsi peut se lire, traduit de la Pharsale de Lucain : « Il y avait là un bois sacré, qui, depuis un âge reculé, n’avait jamais été profané et entourait de ses rameaux entrelacés un air ténébreux et des ombres glacées, impénétrables au soleil. Il n’est point occupé par les Pans, habitants des campagnes, ni par les Silvains, maîtres des forêts ni par des nymphes, mais par les sanctuaires de dieux aux cultes barbares ». Ailleurs, Tacite parle des Bretons insulaires de l’île de Mona avec leurs « bois consacrés à d’atroces superstitions », Annales XIV. Encore, dans son Histoire romaine, Dion Cassius cite la reine Budicea qui, dans l’actuel Norfolk, se rendit dans le bois sacré de la déesse Andrasta pour demander protection divine avant son attaque des légions romaines, en 61.
C’est dans ces forêts immenses que les druides se réunissaient en grand secret. Elles étaient pour eux les lieux de la connaissance et de la sagesse, des écrins initiatiques. Dans ces forêts, le druide cherchait aussi le chêne rare, exceptionnellement parasité par le gui, pour sa religieuse cueillette à la serpette d’or pendant la période solsticiale d’hiver.
Le dieu de troisième fonction Esus, dieu de la végétation sauvage, de la forêt, épouse de la Grande déesse mère, devient Cernunnos le dieu aux bois de cerf, dieu anthropomorphe portant l’attribut de l’animal, ou dieu à moitié anthropomorphe à moitié animal. Cernunnos, par le sacrifice rituel du cerf, redevient Esus, complètement anthropomorphe. C’est le cerf qui perd ses bois, c’est la nature qui explose après l’hiver. Le cycle bien intégré dans la mythologie celtique qui associe ramure du cerf et arborescence dénudée de l’arbre, prouve cette communion profonde des Celtes avec leur forêt jusqu’à la déification d’un de ses animaux.
Le sanglier, cet animal des forêts, est lui aussi fort honoré dans la fonction sacerdotale des Celtes. Il se retrouve auprès d’Arduina, la déesse de la forêt de l’Ardenne, mais aussi sous le nom de Twth Trwyth que seul le géant Gwnarch peut tuer et après lequel le roi Arthur, symbole de seconde fonction, court en vain. Sanglier magique aussi, celui de Ben Bubain, blesse mortellement Diarmaid O’ Duibhne, le frère d’un autre sanglier dans la mythologie celtique irlandaise. Cet animal sacré des forêts celtiques fut encore un des trois aspects, trois cents ans durant, de Tuan Mac Cairill, dernier survivant de la race de Partholon.
On ne peut aborder la relation intime, quasi-viscérale des Celtes et de la forêt sans se replonger dans les sources celtiques du cycle arthurien qui resurgit en plein Moyen-âge, époque où la forêt avait regagné du terrain, tant sur les espaces défrichés que dans les esprits résistant à la totale et totalitaire christianisation.
Déjà Brocéliande, forêt sacrée s’il en est, mais aussi la forêt des Carnutes tout aussi enchanteresse, dans laquelle, une fois l’an, les druides de Gaule tenaient leur convent, et la fée Viviane, déesse de la forêt sacrée avec son corps serpentueux et ses charmes contre lesquels le puissant enchanteur Merlin ne peut rien, tout renvoie à la forêt sanctuaire, creuset de civilisation et de culture, forêt magique, forêt cage des secrets fondamentaux, comme celle de Dardanante en petite Bretagne.
Les chevaliers de la Table ronde, en constante quête de connaissance et de pureté, quittent le monde pour s’enfoncer seuls en forêt, en traverser toujours et encore, rencontrant dragons et autres monstres à vaincre, nains et fées dont ils doivent déjouer les sortilèges car les secrets sylvestres se méritent. Merlin, lui-même, avec les mêmes caractères que Myrddin en forêt écossaise, peut représenter le fou celtique aux immenses pouvoirs magiques, qui exilé en forêt, peut voler et vivre dans les arbres ; ainsi doivent se comprendre les deux épisodes de ses relations avec Viviane : une fois, elle enferme Merlin dans une grotte de la forêt de Dardanante, la seconde, dans une cage suspendue en forêt de Brocéliande où il demeure encore, toujours invisible.
La divinité de la forêt celtique se révèle auprès de ses sources et fontaines, sous forme de Dame de la fontaine, un des personnages clefs de l’enseignement druidique. Elle est souveraine de son royaume ; et, comme Artémis à Trézène ou Diane à Aricie ont, auprès d’elles, Hippolyte ou Vibrius, la Dame de la fontaine a son chevalier noir qui sera son servant, son prêtre, son disciple ; elle l’initie tant qu’il n’est point supplanté par son vainqueur.
Les rapports des Germains et de la forêt sont comparables aux celtiques, avec identiques comportements, similaires croyances, mythes fort proches : point de temples bâtis. L’essentiel de leurs cultes, comme bien de leurs rites communautaires se pratiquent en forêts sacrées.
Les saxons qui résisteront jusqu’au IXe siècle à la christianisation et que combattra sans merci Charlemagne, continueront, longtemps après, à se réunir en forêts pour sacrifier à leurs dieux de la nature, pratiquer leurs cultes, sacralisant forêts, arbres sylvestres ou troncs d’arbres écorcés. Comme dans toute l’Europe, l’Église victorieuse s’acharnera contre leurs bois et forêts sacrés, les incendiant haineusement pour tenter d’expurger les vieux réflexes et les croyances naturelles.
Le culte des forêts si ancré en pays germaniques ressuscitera régulièrement : il signifie trop l’appartenance, l’enracinement, le rapport de la culture et de la nature, du sang à la terre ; il se ravive chaque fois qu’un besoin de se retrouver, de se restructurer, se fait sentir. La forêt sera alors ressentie comme mémoire germanique commune ; et le romantisme allemand chérira la forêt comme sujet privilégié de sa quête des origines.
Lire également : Les forêts , la civilisation européenne entre culture et sacré 1/4
A paraître prochainement :
La civilisation européenne entre culture et sacré : la forêt sous la vindicte de l’église 3/4 La civilisation européenne entre culture et sacré : la forêt, lieux de sécurité et vérité 4/4
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