Depuis plusieurs
années les tentatives pour légaliser l’euthanasie reviennent, de
législature en législature, sans grand succès, mais dans le but
d’habituer l’opinion. Cette fois-ci, il est bien possible que
l’offensive décisive soit décidée. Président de la commission des
affaires sociales, Jean-Louis Touraine est un militant acharné de ce qui
restera, même légalisé, le fait de donner la mort. Sa tribune a reçu le
soutien de 156 députés, autant dire qu’un vote favorable est désormais
très probable. Pourquoi un tel acharnement ? Officiellement, on fait
pleurer dans les chaumières sur le droit à mourir dans la dignité. La
première question est donc de savoir de quelle dignité parlons-nous ? On
s’aperçoit très vite qu’il s’agit d’une dignité humaine très
utilitariste (ce que partagent libertarien et marxistes, pour des
raisons diverses). A partir du moment où vous n’êtes plus utile ou
capable de vous débrouiller seul, vous perdez votre dignité. En creusant
on se rend compte qu’on perd sa dignité dans le regard de ses proches,
parce qu’un vieux ça dérange. Ça dérange parce qu’il faut s’en occuper
et s’occuper des vieux, comme avoir des enfants, est perçu comme une
restriction à sa liberté (entendons à sa capacité de profiter de la
vie). Ça dérange parce que ça coute cher pour rien. Ça dérange enfin
parce qu’ils sont le rappel de notre finitude et de l’absurdité d’une
vie sans au-delà. Alors, il faut éradiquer l’image de la dégénérescence
et pour ce faire, envoyer ad patres cette image d’un futur personnel qu’on refuse. Bref « cachez moi cette mort que je ne saurais voir ».
Dans le même temps, le
transhumanisme affiche sa volonté de créer un surhomme, infaillible et
immortel. Cherchez l’erreur ! Ainsi le patron de Google, personnellement
terrifié à l’idée de mourir, investit milliards sur milliards pour
« tuer la mort ». Bref, d’un côté on tue la mort et de l’autre on tue la
vie. Mais une telle contradiction procède bien d’un même mouvement,
jouir sans fin et sans obstacle de la vie. Refusant l’éternité
bienheureuse, l’homme d’aujourd’hui refuse le passage qui conduit à la
vie éternelle en sortant de son champ de vision la vieillesse et la
souffrance, les confiant à des maisons spécialisées en attendant de les
éradiquer tout simplement, comme on éradique les trisomiques, rappels
insultants de la finitude humaine. Mais l’homme ne peut tromper que son
quotidien, car, au fond de lui, il sait sa finitude, il sait que « tout
s’arrêtera » et cet abyme le terrifie au point de tout miser sur
l’éternité du fini en « augmentant l’homme ». L’euthanasie n’est qu’une
étape dans le processus, puisque l’homme immortel est à venir. Mais
l’euthanasie ainsi définie, demeurera alors le moyen d’expurger les
éventuelles tares du système transhumaniste. L’un comme l’autre ne sont
en fait que le fruit amer de la perte de transcendance et de l’hédonisme
qui confond jouissance et bonheur. M’est avis que nous ne remporterons
la victoire contre ces deux fléaux qu’en réintroduisant dans le cœur de
nos contemporains la conscience de la transcendance et l’amour de Dieu.
Tout le reste, au mieux retardera la date fatidique (et pour nous donner
du temps ce n’est pas inutile), au pire ne sera que pansement sur jambe
de bois.
Cyril Brun, rédacteur en chef