Bernard Plouvier ♦
Auteur, essayiste .
À la jonction des XVIIIe et XIXe siècles, Jean-Baptiste de Lamarck avait disserté sur l’adaptation des espèces à leur environnement. En 1859, Charles Darwin et Alfred Wallace avaient démontré que le schéma réel est inverse : les mutations se produisent sous l’effet de causes diverses, nullement soumises à un quelconque dessein, et le milieu sélectionne les espèces qui sont les mieux adaptées à survivre, à proliférer, à dominer dans cet environnement. Il y a coïncidence entre un environnement donné et l’aptitude à y exercer leurs talents naturels d’espèces animales et d’essences végétales : celles dont l’attirail morphologique et métabolique est adapté à l’époque climatique vivotent ou dominent, selon leurs capacités respectives.
Toute la phraséologie lamarckienne sur l’adaptation des espèces à l’environnement doit être abandonnée du fait de son ambiguïté, fort avantageuse bien sûr pour les sociologues, éducateurs et réformateurs de la société, tous personnages se sentant capables de rééduquer petits délinquants, vilains pervers et grands criminels. En s’appuyant sur la sottise lamarckienne, on veut adapter à la société des individus génétiquement programmés pour être des asociaux.
Il est encore des scientifiques qui poursuivent la chimère de Lucien Cuénot qui évoquait « la préadaptation génétique ». Pour ce rigoureux optimiste, un insecte mute pour échapper à un ou des prédateurs (Cuénot, 1911), alors qu’une mutation aléatoire et heureuse ou une suite de mutations permettent à un type d’insecte d’échapper à tel groupe de prédateurs, ce qui lui permet de proliférer dans un milieu où ses concurrents sont dévorés.
Naturellement, l’on voulut reporter sur la société humaine ce que l’on constatait (et interprétait parfois de curieuse façon) dans le reste du monde animal.
« La société juste… est celle [où coexistent] un ordre suffisant protégeant ses membres et un désordre suffisant pour offrir à chaque individu toutes les possibilités de développer ses dons génétiques » (Ardrey, 1971). Plus exactement une société fondée sur l’éthique devrait permettre, pour chaque individu, l’expression de l’inné utile au Bien commun et réprimer fermement l’extériorisation des pulsions innées dangereuses et nuisibles à autrui comme à soi-même.
La vie en société doit tenir compte d’une donnée également innée : l’opposition irréductible, car génétiquement programmée, entre les hommes et les femmes d’ordre (les psychorigides) et les libéraux.
Le tenant de l’ordre n’est pas obligatoirement un conservateur aux plans politique et social, mais il est de personnalité obsessionnelle et généralement de caractère affirmé. Fiable, psychorigide et intransigeant, il peut être sincèrement altruiste, mais de façon méthodique, donc légaliste. Sa motivation est le sens du devoir ou le sens de l’honneur. Schématiquement, l’on peut affirmer que l’immense majorité de ces sujets dominés par le sens de l’ordre et de l’éthique sont partisans de l’innéité des facultés humaines.
Le libéral, en politique et en économie, est un enthousiaste sectaire : il croit au progrès, mais il hait toute tradition. Le libéral est par essence un égoïste, dont la motivation est le succès personnel, un homme qui n’en fait qu’à sa guise tout en se donnant bonne conscience et en voulant paraître à son avantage dans la comédie humaine. Voué à ce qu’il nomme le dynamisme et qui est, en soi, la rupture de l’Ordre économique, politique et social établi, le libéral est généralement un chaud partisan de la prépondérance de l’acquis dans les facultés humaines, avec toutes les possibilités de rééducation et de manipulation que cela permet d’espérer.
En raison de caractéristiques cérébrales différentes, l’homme, plus rationnel, est bien plus légaliste que la femme, elle-même plus sensible aux charmes d’un accommodement entre parties opposées : la très italienne combinazzione est un comportement de type féminin (Bachofen, 1887). L’opposition entre l’homme d’ordre et le libéral ne recouvre pas du tout celle que l’on observe entre le pessimiste, volontiers cynique, et l’optimiste, parfois béat au point d’en perdre tout sens commun : pessimisme ou optimisme sont des comportements induits par l’expérience, acquis et donc modifiables, à la différence des caractéristiques innées.
Depuis Platon et Aristote, les premiers théoriciens du fait politique en Europe, on ergote sans fin sur l’objectif prioritaire : l’État ou la Nation. En réalité, toutes les disputes de théoriciens ne font que refléter l’opposition irréductible, au sein des élites dirigeantes de tout pays et en toute époque, entre libéraux et hommes d’ordre.
Un libéral fera de jolis discours sur les vertus supposées de la Nation et pratiquera une politique économique efficace, favorisant les entrepreneurs, les négociants et les financiers, assez rude pour le vulgum pecus. Un homme d’ordre imposera le culte de l’État, fixant parfois de très beaux objectifs à moyen et long termes, n’hésitant pas à sacrifier une génération pour le bonheur supposé des suivantes. Et ceci s’observe en tous régimes, quelle que soit la théorie économique ou politique dominante. C’est l’esprit humain qui domine le fait politique aussi bien que l’économique, bien plus que ne le font les conditions matérielles.
Il est évident que l’idéal serait d’amalgamer les deux options, de façon à ce que les maîtres de l’État donnent forme à la matière première humaine (la Nation), sans l’exploiter, l’écraser ni la sacrifier : l’on évolue presque dans l’Utopie et l’Uchronie. Car l’étude de l’histoire démontre que les grandes civilisations naquirent toujours d’époques de fer et de sang, permettant à un État d’être bâtisseur, organisateur, mécène. En revanche, le triomphe du libéralisme économique et politique – les années 1830-1939, 1950-70, 1990-à nos jours, en Occident et dans les régions occidentalisées – génère parallèlement un grand confort matériel et un profond ennui intellectuel et spirituel, compensé par l’aventure coloniale, les guerres ou la féérie humanitaire.
Les spiritualistes ont ceci de commun avec les comportementalistes : en dépit des enseignements de l’histoire, ils espèrent assister au triomphe de l’esprit sur l’animalité, du « Bien » sur le « Mal ». Philosophes platoniciens et stoïciens, esprits religieux bouddhistes, zoroastriens, chrétiens et musulmans sont persuadés de l’amélioration possible des mentalités et des mœurs, après conversion de l’humanité à leurs dogmes et comme les missionnaires sont parfois accompagnés d’une armée, on voit survenir des guerres de religions, comme si les conflits d’impérialisme racial, économique ou politique ne suffisaient pas à l’humanité souffrante. Naïveté du « progrès moral de l’homme », que de crimes l’on a commis en ton nom, que de crimes le sont encore et le seront par la suite !
Nietzsche (in écrits de 1872) avait raison : « La bonté et la pitié sont indépendantes de l’échec ou du succès d’une religion ». Génétiquement programmés, les sentiments altruistes sont affaire de choix personnel. En cela comme pour presque tout, « On est heureusement ou malheureusement né » (Diderot, Le rêve de D’Alembert, de 1769) : heur et malheur dépendent pour l’essentiel de notre héritage génétique, véritable fatalité de l’être humain (le Fatum des Romains ou l’Anankè des Grecs antiques).
Source
Tout animal vivant possède son libre-arbitre et peut soit se conformer aux usages du groupe soit se comporter en hors-la-loi.
Sur Terre, la vie animale s’est organisée vers une optimisation au moins apparente. On n’en cite que deux exemples : l’apparition de systèmes de rétrocontrôles, voués à économiser des hormones et d’autres médiateurs faisant la liaison entre les organes ; la complexification du cerveau à mesure de l’évolution des espèces… et le croyant veut à toute force (tels un Thalès de Milet ou un Teilhard de Chardin) y voir une télé-finalité d’ordre divin. Alors qu’à l’évidence, survivent aux catastrophes climatiques et cosmiques (comme les chutes de météorites géantes), et croissent préférentiellement à d’autres, les espèces qui par l’effet du hasard sont adaptées aux nouvelles conditions d’existence : il y a phénomène d’adéquation à un milieu donné et non phénomène d’adaptation.À la jonction des XVIIIe et XIXe siècles, Jean-Baptiste de Lamarck avait disserté sur l’adaptation des espèces à leur environnement. En 1859, Charles Darwin et Alfred Wallace avaient démontré que le schéma réel est inverse : les mutations se produisent sous l’effet de causes diverses, nullement soumises à un quelconque dessein, et le milieu sélectionne les espèces qui sont les mieux adaptées à survivre, à proliférer, à dominer dans cet environnement. Il y a coïncidence entre un environnement donné et l’aptitude à y exercer leurs talents naturels d’espèces animales et d’essences végétales : celles dont l’attirail morphologique et métabolique est adapté à l’époque climatique vivotent ou dominent, selon leurs capacités respectives.
Toute la phraséologie lamarckienne sur l’adaptation des espèces à l’environnement doit être abandonnée du fait de son ambiguïté, fort avantageuse bien sûr pour les sociologues, éducateurs et réformateurs de la société, tous personnages se sentant capables de rééduquer petits délinquants, vilains pervers et grands criminels. En s’appuyant sur la sottise lamarckienne, on veut adapter à la société des individus génétiquement programmés pour être des asociaux.
Il est encore des scientifiques qui poursuivent la chimère de Lucien Cuénot qui évoquait « la préadaptation génétique ». Pour ce rigoureux optimiste, un insecte mute pour échapper à un ou des prédateurs (Cuénot, 1911), alors qu’une mutation aléatoire et heureuse ou une suite de mutations permettent à un type d’insecte d’échapper à tel groupe de prédateurs, ce qui lui permet de proliférer dans un milieu où ses concurrents sont dévorés.
Naturellement, l’on voulut reporter sur la société humaine ce que l’on constatait (et interprétait parfois de curieuse façon) dans le reste du monde animal.
« La société juste… est celle [où coexistent] un ordre suffisant protégeant ses membres et un désordre suffisant pour offrir à chaque individu toutes les possibilités de développer ses dons génétiques » (Ardrey, 1971). Plus exactement une société fondée sur l’éthique devrait permettre, pour chaque individu, l’expression de l’inné utile au Bien commun et réprimer fermement l’extériorisation des pulsions innées dangereuses et nuisibles à autrui comme à soi-même.
La vie en société doit tenir compte d’une donnée également innée : l’opposition irréductible, car génétiquement programmée, entre les hommes et les femmes d’ordre (les psychorigides) et les libéraux.
Le tenant de l’ordre n’est pas obligatoirement un conservateur aux plans politique et social, mais il est de personnalité obsessionnelle et généralement de caractère affirmé. Fiable, psychorigide et intransigeant, il peut être sincèrement altruiste, mais de façon méthodique, donc légaliste. Sa motivation est le sens du devoir ou le sens de l’honneur. Schématiquement, l’on peut affirmer que l’immense majorité de ces sujets dominés par le sens de l’ordre et de l’éthique sont partisans de l’innéité des facultés humaines.
Le libéral, en politique et en économie, est un enthousiaste sectaire : il croit au progrès, mais il hait toute tradition. Le libéral est par essence un égoïste, dont la motivation est le succès personnel, un homme qui n’en fait qu’à sa guise tout en se donnant bonne conscience et en voulant paraître à son avantage dans la comédie humaine. Voué à ce qu’il nomme le dynamisme et qui est, en soi, la rupture de l’Ordre économique, politique et social établi, le libéral est généralement un chaud partisan de la prépondérance de l’acquis dans les facultés humaines, avec toutes les possibilités de rééducation et de manipulation que cela permet d’espérer.
Les grandes périodes historiques sont écrites par les deux types ci-dessus présentés.
Les périodes de calme sont celles où dominent les autres. Il est en effet évident qu’entre ces deux types bien tranchés, prennent place une foule d’opportunistes et de suiveurs, toujours prêts à gober ce qu’a dit le plus convainquant dans l’instant présent, celui qui a parlé de la façon la plus démagogique ou simplement celui qui est intervenu le dernier dans un débat. Comme ils forment l’écrasante majorité de tout électorat, l’on comprend aisément que la démocratie, dictature du nombre, soit le régime de l’instabilité. Où gouvernent les opportunistes, l’histoire somnole.En raison de caractéristiques cérébrales différentes, l’homme, plus rationnel, est bien plus légaliste que la femme, elle-même plus sensible aux charmes d’un accommodement entre parties opposées : la très italienne combinazzione est un comportement de type féminin (Bachofen, 1887). L’opposition entre l’homme d’ordre et le libéral ne recouvre pas du tout celle que l’on observe entre le pessimiste, volontiers cynique, et l’optimiste, parfois béat au point d’en perdre tout sens commun : pessimisme ou optimisme sont des comportements induits par l’expérience, acquis et donc modifiables, à la différence des caractéristiques innées.
Depuis Platon et Aristote, les premiers théoriciens du fait politique en Europe, on ergote sans fin sur l’objectif prioritaire : l’État ou la Nation. En réalité, toutes les disputes de théoriciens ne font que refléter l’opposition irréductible, au sein des élites dirigeantes de tout pays et en toute époque, entre libéraux et hommes d’ordre.
Un libéral fera de jolis discours sur les vertus supposées de la Nation et pratiquera une politique économique efficace, favorisant les entrepreneurs, les négociants et les financiers, assez rude pour le vulgum pecus. Un homme d’ordre imposera le culte de l’État, fixant parfois de très beaux objectifs à moyen et long termes, n’hésitant pas à sacrifier une génération pour le bonheur supposé des suivantes. Et ceci s’observe en tous régimes, quelle que soit la théorie économique ou politique dominante. C’est l’esprit humain qui domine le fait politique aussi bien que l’économique, bien plus que ne le font les conditions matérielles.
Il est évident que l’idéal serait d’amalgamer les deux options, de façon à ce que les maîtres de l’État donnent forme à la matière première humaine (la Nation), sans l’exploiter, l’écraser ni la sacrifier : l’on évolue presque dans l’Utopie et l’Uchronie. Car l’étude de l’histoire démontre que les grandes civilisations naquirent toujours d’époques de fer et de sang, permettant à un État d’être bâtisseur, organisateur, mécène. En revanche, le triomphe du libéralisme économique et politique – les années 1830-1939, 1950-70, 1990-à nos jours, en Occident et dans les régions occidentalisées – génère parallèlement un grand confort matériel et un profond ennui intellectuel et spirituel, compensé par l’aventure coloniale, les guerres ou la féérie humanitaire.
Les spiritualistes ont ceci de commun avec les comportementalistes : en dépit des enseignements de l’histoire, ils espèrent assister au triomphe de l’esprit sur l’animalité, du « Bien » sur le « Mal ». Philosophes platoniciens et stoïciens, esprits religieux bouddhistes, zoroastriens, chrétiens et musulmans sont persuadés de l’amélioration possible des mentalités et des mœurs, après conversion de l’humanité à leurs dogmes et comme les missionnaires sont parfois accompagnés d’une armée, on voit survenir des guerres de religions, comme si les conflits d’impérialisme racial, économique ou politique ne suffisaient pas à l’humanité souffrante. Naïveté du « progrès moral de l’homme », que de crimes l’on a commis en ton nom, que de crimes le sont encore et le seront par la suite !
Nietzsche (in écrits de 1872) avait raison : « La bonté et la pitié sont indépendantes de l’échec ou du succès d’une religion ». Génétiquement programmés, les sentiments altruistes sont affaire de choix personnel. En cela comme pour presque tout, « On est heureusement ou malheureusement né » (Diderot, Le rêve de D’Alembert, de 1769) : heur et malheur dépendent pour l’essentiel de notre héritage génétique, véritable fatalité de l’être humain (le Fatum des Romains ou l’Anankè des Grecs antiques).
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