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jeudi 31 mai 2018

La France divisée : la chocolatine conteste la suprématie du pain au chocolat !

Souvenez-vous, dans Gargantua de Rabelais, de ces fouaces « faictes de fine fleur de froment délayée avec beaux moyeux d’œufs et de beurre, safran, épices et eau », qui déclenchèrent la première guerre picrocholine. Sommes-nous à la veille d’un nouveau conflit entre les défenseurs, dans le Sud-Ouest, de la « chocolatine » et les partisans du « pain au chocolat » ? 

Venons-en aux faits. Lors du débat sur le projet de loi Agriculture et Alimentation, une dizaine de députés LR ont déposé un amendement visant à « valoriser l’usage courant d’appellation due à la notoriété publique du produit et de ses qualités reconnues au travers d’une appellation populaire ». L’exposé sommaire précise, pour justifier cet amendement, qu’« une telle évolution, légère, de la loi permettra de redonner ses lettres de noblesse à de nombreux produits locaux ». Et de citer le cas de la chocolatine, qui fait « la fierté de tout le sud de la France ».

Las ! Les députés ont tranché en rejetant l’amendement. Point d’appellation officielle de « chocolatine » ! C’est la victoire du « pain au chocolat ». Le ministre de l’Agriculture, Stéphane Travert, cet ancien frondeur du Parti socialiste rallié à Macron, a estimé que ce n’était pas du niveau du Parlement. Il n’a pas entièrement tort, même si on peut penser que l’objectif de l’amendement n’était pas totalement stupide et qu’il n’est pas mauvais de défendre les spécificités régionales. Mais de là à passer par une loi…

Cette nouvelle a fait le buzz dans les médias et sur les réseaux sociaux. On a émis l’hypothèse que le mot « chocolatine », particulièrement employé dans la région bordelaise, viendrait de l’époque où l’Aquitaine était anglaise : « chocolate in », auraient dit les Anglais, quand ils voulaient du chocolat dans du pain. Le problème, c’est que cette viennoiserie n’a rien à voir avec le pain, mais est composée de pâte feuilletée. Si l’appellation de « pain au chocolat » est la plus courante, on trouve aussi celle de « petit pain au chocolat » (pour ceux qui ont moins d’appétit ?) ou de « couque au chocolat », voire celle de « croissant au chocolat », venant peut-être du « Schokoladencroissant » autrichien. Saisissez l’importance de la question !

« Le pain au chocolat sort vainqueur par KO », a-t-on pu lire dans la presse. Ou encore : « L’amendement pour l’appellation “chocolatine” s’est pris un pain à l’Assemblée. » Dernière nouvelle : le débat devient international. Un photographe toulousain a relayé une image de la viennoiserie, nommée « chocolatine », au Japon. « Les anti-chocolatines se retrouvent bien chocolat dans cette histoire », ironise Le Figaro.

On apprend qu’en revanche, les députés ont voté un amendement de Delphine Batho, ex-ministre de l’Écologie, pour inscrire dans le Code rural et de la pêche maritime la volonté de « promouvoir les produits n’ayant pas contribué à la déforestation importée ». Voilà une formulation qui nous élève à un niveau supérieur, loin des basses questions de pâtisserie. Il est vrai qu’à une ancienne militante syndicale et vice-présidente de SOS Racisme – parcours classique pour devenir député de gauche –, on ne peut rien refuser.

Suggérons, pour trancher ce débat crucial entre « chocolatine » et « pain au chocolat », que la Commission européenne s’en empare. En attendant, si vous passez par Bordeaux, dégustez des cannelés : personne ne contestera leur nom – à moins qu’on n’en conteste l’orthographe…

Philippe Kerlouan 

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