Dans le diocèse de Laval la congrégation des Petites
Sœurs de Marie Mère du Rédempteur est victime de persécutions.
Jean-Pierre Maugendre réagit en rappelant le parallèle avec
l’histoire récente des dominicaines du Saint-Nom de Jésus.
En date du 21 septembre 2017, la
Congrégation pour les Instituts de vie consacrée et les Sociétés de vie apostolique
a décidé de suspendre le gouvernement général des Petites Sœurs
de Marie Mère du Rédempteur. La mère générale et la maîtresse des
novices sont déplacées.
Que reprochent les instances romaines à cette communauté de 37
religieuses, fondée en 1963 par sœur Marie de la Croix, dont le
charisme propre est d’être à la fois centrée sur l’imitation de la
Mère de Dieu (adoration, réparation, etc.) et attentive à la
souffrance des plus démunis, en particulier les personnes âgées ?
Cette communauté, dont le siège est à Laval, dirige quatre maisons :
deux en Mayenne, deux dans la région toulousaine et plusieurs
maisons de retraite (EHPAD).
Dans une lettre collective datée du 3 avril 2018 les sœurs
identifient deux causes de leurs difficultés. Tout d’abord un
conflit avec l’ordinaire du lieu, évêque de Laval, Mgr Scherrer à
propos de la gestion de deux EHPAD en Mayenne. Mgr Scherrer exige une
scission entre deux établissements, gérés par les sœurs, après une
fusion très onéreuse qui s’est mal passée. Il n’est un secret pour
personne que le diocèse de Laval, comme un grand nombre de diocèses
en France, est financièrement aux abois, ne survivant que par la
vente régulière de ses actifs : maisons religieuses, presbytères,
etc. La situation est encore aggravée par la construction récente
d’une fort dispendieuse Maison diocésaine. Cette scission
permettrait sans doute au diocèse de récupérer un des deux
établissements. Initiée par Mgr Scherrer, une visite canonique a
eu lieu en novembre 2016. Les conclusions de la visite ont été
communiquées aux sœurs en juin 2017. Manifestement il n’y avait
pas urgence… Les sœurs dénoncent : «
Ce rapport de visite tient
plus du pré-jugement à charge que d’une énonciation objective de la
situation… l’imprécision du document est d’ailleurs des plus
éloquentes ». En fait, concluent les sœurs : «
Notre style de
vie est trop classique pour plaire, à l’heure où nombreux sont ceux
qui sacrifient leur idéal et l’idéal religieux à l’esprit du monde ».
Une commissaire apostolique, Sœur Geneviève Médevielle, issue de
la communauté des Sœurs Auxiliatrices des Âmes du Purgatoire, est
nommée en lieu et place de la supérieure générale Mère Marie de
Saint-Michel. Les sœurs dénoncent l’absence de «
connaissance du charisme spécifique de notre fondatrice » de la commissaire et logiquement «
toute la congrégation refuse ces mesures ».
Un parallèle possible ?
Ces mésaventures ne sont pas sans rappeler celles vécues par une
autre communauté de religieuses, il y a un demi-siècle : les
dominicaines du Saint-Nom de Jésus. Fondée en 1801 par l’abbé
Vincent, prêtre du diocèse de Toulouse, cette congrégation,
affiliée à l’ordre dominicain en 1885, est une communauté
enseignante qui comptait en 1950 deux cents sœurs et quatorze écoles
de Bordeaux à Grasse. En 1953, les constitutions sont modifiées dans
le sens d’une plus grande pauvreté et simplicité mais aussi d’une
plus grande disponibilité auprès des enfants. La supérieure
générale, mère Hélène Jamet, assistée d’un dominicain, le Père
Calmel, est l’âme de cette réforme.
En 1961, l’élection d’une nouvelle supérieure générale a lieu
selon un processus un peu étonnant. En effet, alors que tout le monde
s’attendait à ce que mère Marie-Angélique, supérieure sortante, fût
réélue, le jour du vote, le délégué du Saint-Siège, Mgr Garrone,
archevêque de Toulouse, annonça qu’il allait recueillir les
bulletins, avant même que quiconque en ait pris connaissance, afin
de les envoyer à Rome et de soumettre l’élection au Saint-Siège. Le 11
juillet, il communiquait que la nouvelle supérieure de la
congrégation devenait mère Marie-Rose Tassy. C’est à elle que revint
la mission de procéder à
l’aggiornamento de la congrégation en application du décret conciliaire sur la vie religieuse
Perfectæ Caritatis
(28 octobre 1965). Une forte résistance à ces réformes se manifesta,
cependant, dans la congrégation, ce dont témoignent les rapports
préparatoires au chapitre de 1967 traitant du port de l’habit, de
l’utilisation des téléviseurs, etc. Le chapitre de 1967 devait être
celui de
l’aggiornamento. Ce fut celui de l’élection de mère
Anne-Marie Simoulin comme mère générale. Les grands axes de son
généralat furent le refus de la carte scolaire, le maintien du
catéchisme romain et la fidélité à la messe traditionnelle.
Cependant la communauté était divisée. Un visiteur apostolique
fut nommé, en 1972, qui souhaita « démocratiser » la direction de
la congrégation. En 1973, mère Anne-Marie Simoulin autorisa le
regroupement à Brignoles, dans le Var, de vingt-six sœurs qui,
sentant l’impossibilité de retrouver l’unité perdue et craignant
pour leur fidélité aux Constitutions, souhaitaient vivre
paisiblement leurs observances traditionnelles. Elles furent
rejointes par le Père Calmel.
En janvier 1974, la Sacrée Congrégation des religieux, en lien
avec l’épiscopat français, nomma le Père Decabooter conseiller
religieux et visiteur apostolique. Une de ses premières décisions
fut de déposer mère Anne-Marie Simoulin et de nommer mère Marie-Rose
Tassy administratrice
ad nutum (de manière arbitraire).
En
juillet 1975, mère Anne-Marie Simoulin s’installa à Fanjeaux avec
vingt religieuses. Très rapidement les sœurs des communautés
religieuses de Brignoles et de Fanjeaux furent relevées de leurs
vœux. À ce jour la situation est bien résumée par les chiffres de l’encadré ci-contre et se passe de commentaires.
Concernant l’histoire récente, et passionnante, de la
congrégation du Saint-Nom de Jésus l’ouvrage indispensable est celui
de mère Alice-Marie :
Rupture ou Fidélité.
Ce n’est malheureusement pas la première fois, dans l’histoire
récente de l’Église, que des communautés religieuses se voient dans
l’obligation, afin de rester fidèles à leur vocation propre et à leur
charisme originel, de résister aux volontés «
d’aggiornamento »
des instances romaines et de certains membres de l’épiscopat
français. Sans doute une leçon à méditer pour les Petites Sœurs de
Marie Mère du Rédempteur.
Jean-Pierre Maugendre
Tribune libre parue sur le site de L’Homme Nouveau