Jacques-Yves Rossignol
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Durant quelque temps, j’ai adhéré, du bout des dents, à l’hypothèse d’une l’instauration discrète et progressive, relativement consciente, d’une superstructure politique mondiale par l’usage de forces subversives. Un beau jour, j’ai cessé entièrement d’adhérer à ce genres d’idées.
Je me suis aperçu que les partisans de cette vision complotiste mondialiste ne posent pas de limites raisonnables à leur accumulation de soi-disant preuves. Ils finissent par vendre eux même la mèche de leur manque de sérieux en faisant de leur théorie un bric à brac dans lequel ils fourrent tout ce qui peut être transformé en élément d’une conspiration mondialiste. Ce qui finit par faire de la théorie du complot, non point une théorie plus belle, mais une théorie poubelle. On ne construit pas une théorie explicative par bourrage de faits désordonnés dans un cadre des plus sommaires : on obtient seulement un gros tas de faits inexpliqués, gros tas de faits totalement parasitaire pour la pensée politique. On bouche l’horizon nécessaire pour une véritable pensée. La conspiration mondialiste, telle qu’elle est présentée par les partisans de cette optique, est donc en grande partie, et sans doute totalement, imaginaire.
Lorsqu’il y a cinq cents trente conspirations, dont la moitié abracadabrantes, en cours contre la chrétienté, on en vient inévitablement à penser que l’idée de conspiration est à soumettre sérieusement à la critique, et qu’en fait il n’y a peut-être jamais eu la moindre conspiration contre la chrétienté !
A un moment donc, toutes ces élucubrations s’écroulent, l’esprit engourdi se réveille, considère qu’une critique méthodique de cette optique conspirationniste s’impose, et se souvient qu’il y a d’autres conceptions de l’histoire.
C’est le délire, assez récent, de certains soi-disant contre-révolutionnaires autour des questions de la nature et de l’écologie qui m’a alerté. Je dis soi-disant contre-révolutionnaires parce que passer son temps à inventer des complots délirants parasitant et encombrant le terrain politique ne me semble pas constituer du tout une preuve de lucidité et de probité dans le militantisme politique.
Il se trouve que je connais bien le monde de la biologie et de l’écologie scientifique : j’ai vu de suite que cet anti-écologisme bilieux, vindicatif et bancal qui est apparu dans le petit monde contre-révolutionnaire a été inventé par quelques illuminés qui sont devenus, parmi bien d’autres, des idiots utiles et confusionnistes servant les véritables pouvoirs. J’ajoute qu’il se trouve toujours des demi-scientifiques mal placés, aux abois, pour pondre et lancer ce genre d’élucubrations. Si vous avez besoin d’un délire de ce genre, inutile de passer commande : ils émergent seuls.
En effet, contrairement à ce que l’on pourrait penser, les grands habiles n’ont généralement pas à favoriser d’une manière quelconque l’émergence de délires politiques les mettant à l’abri de toute investigation : ils émergent à leur heure dans certains milieux. Disons que les grands habiles « agissent » cependant, mais d’une manière totalement inconsciente, pour assurer l’élaboration permanente de théories-écrans. Je préciserai cela.
C’est donc l’escalade dans la hargne et la mesquinerie (envers la nature maintenant, il faut le faire !) et, il faut le dire, dans le délire, de certains contre-révolutionnaires, ou plus exactement pseudo-contre-révolutionnaires qui rend indispensable une critique du principe même du complotisme.
Il est certes plus facile de délirer sur un complot d’associations de protection des animaux que de s’attaquer à l’étude des mécanismes économiques, idéologiques ou sociaux profondément enfouis et d’étude très difficile . Dans le premier cas, en une heure de cogitation grincheuse et acariâtre, on ficèle le scénario d’un complot imaginaire, dans le second cas, il faut déchiffrer quelques milliers de pages ardues en philosophie, en épistémologie, en économie, en psychiatrie pour commencer à comprendre ces mécanismes.
Il est un moment où il faut rappeler froidement et sans complaisance la différence entre délirer et penser.
2
Le mode de fonctionnement mental des fabricants de complots est très typique.
Les conspirationnistes sont persuadés qu’ils ont à faire avec des ennemis humains identifiables. Ils personnalisent le combat, ils citent en permanence des tas de noms : tel ou tel financier, telle ou telle organisation internationale. Mais les publications conspirationnistes ne pêchent pas par leur rigueur, c’est le moins que l’on puisse dire, et tout cela est toujours très bizarre et très branlant. On a plutôt l’impression de lire des commérages ou des ragots que des études. Et effectivement l’on s’aperçoit très vite qu’une petite quantité de ragots, d’idées fixes bizarres, de constructions saugrenues circulent d’un écrit à l’autre sans jamais être soumis à la critique.
Le manque de courage théorique des complotistes est flagrant. L’esprit fonctionne paresseusement, mécaniquement. On répète, on rabâche des bruits, des rumeurs. On se croit très malin : on stagne dans des fantasmes éculés. Cela est aux antipodes d’un travail d’élaboration doctrinal.
Les conspirationnistes ne sont pas dans une logique de recherche historique, ils sont dans une logique policière : ils partent à la recherche des coupables dans l’histoire, ils tournent en rond avec leurs listings de malfaiteurs et n’en sortent pas.
Ils délirent soit, c’est très classique, sur des ennemis imaginaires inaccessibles (des grands classiques : les financiers de Wall Street !) soit, et ça, c’est nouveau, des ennemis imaginaires sans défense (des nouveaux venus : les amis des animaux !) : ainsi ils sont absolument certains de n’avoir jamais à engager un combat politique véritable. Mais pour maintenir la tension, ils renouvellent, ou complètent de temps en temps leur cher stock d’ennemis, devenu une part essentielle de leur être et de leur vie. Cas psychiatriques classiques.
Les complotistes semblent constamment à la recherche d’explications à propos de la disparition de leur civilisation, ce qui est très bien, mais ils semblent incapables de penser des explications cohérentes en raison de limites mentales qu’ils ne semblent pas pouvoir franchir. Ils persistent à ignorer des pans entiers de la culture politique et historique, ceux qui sont les plus essentiels. Ils semblent incapables de s’initier à la pensée politique du XXe siècle. Persuadés d’être très intelligents, ils se meuvent dans une sorte de scolastique politique mort-née.
Ainsi, ils se heurtent très vite à des murs, ils ne comprennent rien à la réalité politique et ils se vengent sur tous les ennemis imaginaires qui passent à leur portée. Les complotistes font inévitablement penser à ces petits employés qui doivent encaisser toute la journée des humiliations sans broncher et qui passent leurs nerfs sur leur femme ou leur chien en rentrant chez eux.
Parfois, au beau milieu de règlements de compte dans le petit milieu conspirationniste catholique, émergent des ragots inhabituels qui devraient faire réfléchir : on apprend qu’un tel serait un sous-marin du patronat catholique moderniste, chargé d’entrainer les catholiques intransigeants dans des impasses, vers des doctrines confusionnistes.
Enfin du point de vue politique pratique, il faut bien dire que les théories du complot produisent essentiellement des geignardises interminables et des constats d’impuissance et pas tellement de victoires sur la machinerie mondialiste. Il est vrai qu’avec tous ces juifs ces francs-maçons et ces amis des bêtes, on est cerné !
Le conspirationnisme peut donc être interprété comme une forme de pseudo-politique, de paresse politique, d’immobilisme politique, ou, au contraire, d’agitation politique totalement stérile. Celui qui extravague devant son ordinateur sur des ennemis enfermés dans des bunkers de l’autre côté de l’Atlantique est mentalement et politiquement mort.
Internet a évidemment multiplié le nombre de ces cadavres mentaux qui sont persuadés de mener un combat politique et, pire, de mener un combat politique difficile et subtil ! De très nombreux jeunes garçons de milieux modestes sans formation politique et historique, mais plein de bonne volonté se trouvent ainsi happés et hypnotisés par les sites conspirationnistes les plus délirants. En quelques mois, ils deviennent des demi-fous politiques luttant avec leur clavier contre beaucoup de méchants ennemis lointains qui veulent accaparer le monde, mais sans la moindre idée de ce que peut être une pensée historique cohérente et fondée. Les conspirationnistes old school, avec leurs éternels ragots et leurs idées fixes, ont ici une responsabilité certaine dans cette dépolitisation, j’irai jusqu’à dire cette crétinisation.
Crétinisation qui n’a pas que des inconvénients : tant que des dizaines de millions de gogos lutteront avec acharnement devant leur écran contre des « sociétés secrètes », des « clubs » ou le « sionisme », le vrai pouvoir sera assuré d’une tranquillité absolue. Ainsi va le monde.
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Toute l’histoire du complotisme, et surtout de l’antisémitisme, montre que le conspirationniste ne fait pas du tout la politique qu’il croit faire : il crée, et exploite compulsivement, spontanément ou sur suggestion, des dérivatifs. Les grandes causes historiques réellement responsables de la déclension de la chrétienté ne sont pas même égratignées par le travail des conspirationnistes : elles sont bien au contraire dissimulées par ce travail, elles restent totalement insoupçonnées !
Par exemple, l’anti-écologisme est un nouveau dérivatif bizarroïde lancé par quelques délirants, que le gros argent n’a pas inventé, mais qu’il n’avait aucune raison de décourager : « Ça fait toujours un jouet de plus pour les gogos d’extrême droite qui gobent tout ce qu’ils inventent. »
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C’est donc le principe même des théories conspirationnistes qui est à mettre en cause. Pour une raison profonde : le mode de pensée conspirationniste lui-même apparait comme un obstacle à l’élaboration d’une pensée politique logique et cohérente. Je suis persuadé désormais que le mode de pensée conspirationniste lui-même est une fabrication historique, d’ailleurs totalement inconsciente, ayant pour fonction de s’opposer à la constitution de théories politiques sérieuses, une structure idéologique en quelque sorte.
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On pourrait alors se demander si les ennemis politiques vrais ne sont pas ceux qui ne sont jamais désignés par les conspirationnistes, qui se trouvent précisément, pour des raisons à identifier, à l’abri définitif de tout repérage et de toute désignation par le conspirationnisme. Ceux que le conspirationnisme, que le mode de pensée conspirationniste ne pourra jamais désigner parce que le conspirationnisme est un mode de pensée qui s’oppose à l’identification de la vérité.
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Quel est alors le seul et véritable ennemi du conspirationniste, le seul qu’il ne peut pas désigner ? Mais c’est très simple : le seul et véritable ennemi du conspirationniste, c’est précisément celui qui l’a transformé en conspirationniste hargneux, mesquin, illogique et sans méthode, incapable de désigner son véritable ennemi et qui le maintient dans les imites mentales du conspirationnisme, dans un état mental anté-politique ou pseudo-politique.
Le conspirationniste n’a qu’un ennemi : celui qui l’a transformé en conspirationniste mécanique et stérile.
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On sait que le conspirationniste a une vision policière simpliste de l’histoire, il ne pense jamais en termes de processus historique surplombant la volonté et la conscience des individus. Souvent, il ne comprend pas même que ce mode de pensée historique puisse exister.
Or, il y a longtemps, bientôt deux siècles, que l’histoire n’est plus une enquête policière avec distribution de bons ou de mauvais points à des « personnages historiques », mais l’identification de processus dominant et surplombant la conscience et la volonté des hommes. Ce qui, on me l’accordera, est un peu plus compliqué.
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L’ennemi qui a rongé et tué la chrétienté n’est pas un groupe humain ou un ensemble de groupes humains ayant fomenté un « complot ». Je maintiens que cette hypothèse est spécieuse et inopérante, paresseuse et idéologique : elle dissimule la complexité de la réalité historique et n’aboutit qu’à désigner des dérivatifs inventés à la chaine.
L’ennemi qui a rongé et tué la chrétienté est un processus historique impersonnel.
Et le conspirationnisme est forgé par ce même processus impersonnel pour qu’on ne puisse pas raisonner en termes de processus historique impersonnel, de processus capitaliste en l’occurrence.
Ce n’est pas un ensemble de personnes qui a rongé et continue à ronger la civilisation chrétienne, mais un immense processus impersonnel et glacé : le capitalisme.
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Lorsque l’on évoque, avec beaucoup de précautions car c’est s’attaquer au divin, une critique du capitalisme, les interlocuteurs pensent généralement que l’on va parler d’injustices sociales. C’est un aspect des choses. S’il n’y avait que ça !
Ce qui est occulté, dénié, oublié, enfoui, enterré, c’est que le capitalisme est avant tout une immense machine à pétrifier, à glacer, à mécaniser le cerveau des hommes.
Techniquement et rigoureusement, on doit dire que le capitalisme est avant tout un immense processus de réification du vivant par l’argent.
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Ainsi, dès que l’on change de point de vue et que l’on commence à raisonner en termes de processus historiques, on perçoit que l’idéologie complotiste a une fonction sociale évidente : interdire l’identification et l’étude du processus qui ronge réellement la chrétienté : le libéralisme économique. Le capitalisme si l’on préfère.
Ce ne sont pas les juifs ou les écologistes qui nous mènent à la catastrophe, c’est l’ensemble de ceux qui acceptent peu ou prou de participer du processus libéral, (ou capitaliste, si l’on préfère), y compris donc de très nombreux bons catholiques modernistes bien hypocrites. Hélas le capitalisme est le plus mécanique et le plus impersonnel des processus historique et l’une de ses caractéristiques, c’est qu’il produit évidemment les mêmes effets quels que soient les agents qui y adhérent, qu’ils soient par exemple protestants, juifs catholiques ou athées. Voilà bien ce que l’on voudrait dissimuler, la raison profonde de tant de délires : l’argent « catholique » participa largement à l’effondrement spirituel des populations et à la dissolution de la chrétienté. Voilà le « secret » que le délire conspirationniste a pour fonction de dissimuler dans le milieu contre-révolutionnaire : une foule d’excellents « catholiques » a enfourché dès le XIXe siècle et tout au cours du XXe siècle les pires pratiques de l’accaparement capitaliste, pratiques qui devaient in fine mécaniser l’esprit humain, réduire les hommes à de simples mécaniques mentales.
Au XIXe siècle, il y aura trois catholicismes en France : le catholicisme rural, le catholicisme intransigeant et savant des « blancs », le catholicisme cagot moraliste, scolastique et hypocrite de la bourgeoisie d’argent, (quant au prolétariat urbain, il est né hors du catholicisme et n’a jamais été christianisé). C’est bien sûr le catholicisme moraliste qui va « gagner » c’est-à-dire ronger et adapter l’Eglise à ses besoins, pour en faire peu à peu ce qu’elle est aujourd’hui : une boîte de com et de pub bobo parmi les autres. Aucune trace de conspiration là-dedans. Mais une parfaite maîtrise de l’hypocrisie distanciée par une classe fortement soudée. Ce qui est très différent et plus difficile à identifier.
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Qu’y-t-il donc de choquant et d’irrecevable dans cette explication totalement cohérente de la déchristianisation par le processus capitaliste, explication que l’actualité confirme d’une manière dramatique ? Uniquement ceci, je le répète : dès les débuts du capitalisme industriel, une foule de « bons catholiques » vont se précipiter vers la recherche compulsive du profit et donc participer discrètement toute la semaine à l’assèchement spirituel de l’Eglise qu’ils prétendront servir le dimanche. Et participer plus généralement au processus général de desséchement, de réification de l’esprit humain. C’est un fait, une réalité massive.
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Face à l’explication de la catastrophe spirituelle contemporaine par la réification capitaliste, il faut bien dire que les « théories » complotistes, conspirationnistes ou « géopolitiques » font pâle figure et apparaissent comme de simples dérivatifs pour petits bourgeois demi-cultivés toujours prêts à tout gober.
Ainsi tout fonctionne en apparence complétement à l’envers puisque ce sont les auteurs les plus détestés et les plus révulsants pour les catholiques intransigeants, des marxistes, qui ont élaboré la théorie la plus aboutie et la plus intelligente de la déchristianisation. Horreur : des marxistes qui expliquent parfaitement et logiquement la déchristianisation sans délirer sur des complots ! C’est en effet le monde à l’envers !
C’est ainsi : un seul concept marxiste, la réification capitaliste, suffit pour comprendre le processus historique de dessèchement mental et de déspiritualisation des populations occidentales, désormais entièrement mécanisées par deux siècles de procès capitaliste.
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On pourrait aller beaucoup plus et devenir beaucoup plus précis et beaucoup plus technique. Je me limiterai à souligner quelques points.
L’une des caractéristiques essentielles de la mentalité réifiée telle qu’elle a été définie et étudié par les grands auteurs du marxisme consiste précisément en une incapacité à penser la dimension historique, en une incapacité à avoir un rapport fluide et dialectique à l’histoire. L’homme réifié par le capitalisme importe dans l’histoire la pensée mécanique qui lui a été inculquée implicitement par le monde de l’argent : il transporte sa manière mécanique, froide, automatique de penser (il faudrait plutôt dire « de fonctionner ») dans tous les domaines, y compris bien entendu dans sa conception de l’histoire. Il immobilise, il glace la réalité complexe et nuancée de l’histoire. On a sans doute ici l’explication profonde de l’apparition de la pensée complotiste vulgaire en capitalisme vieillissant.
Le réifié partage cette vision plate et glacée du temps avec le schizophrène. On peut aller jusqu’à dire que la réification et la schizophrénie sont des types d’aliénation identiques, caractéristique d’une société d’argent vieillissante et indurée : une incapacité à avoir un bon rapport au temps, une immobilisation et une fixation de l’histoire et du temps. Techniquement, on doit dire qu’il y a schrizophrénisation de l’esprit par le fétichisme de la marchandise.
Dans une société capitaliste dans laquelle tous les vivants, hommes et animaux (voir l’horreur de l’élevage industriel) sont mécanisés et réifiés, les derniers vivants proprement dits sont sans aucun doute les animaux sauvages. On comprend alors mieux la hargne et la méchanceté développées contre la nature et les animaux par des complotistes réifiés, momifiés par l’argent, incapables de comprendre l’histoire et donc d’agir efficacement dans le monde, et donc inconsciemment ombrageux et envieux vis-à-vis des derniers vrais vivants. On comprend que les petits hommes à l’esprit ensablé et mécanisé par l’argent puissent avoir quelque peine à affronter en face ce que fut la vie, la vraie vie, la vie belle et altière, avant la mécanisation généralisée des consciences et des corps.
Enfin, on ne peut que rappeler très brièvement que les religions se dégradent et meurent précisément par réification, ensablement mental et mécanisation. Généralement, une religion prophétique, inspirée et vivante devient peu à peu une scolastique fossilisée, une casuistique, puis un simple moralisme mécanique sans spiritualité ni mystique. Ensuite, on peut tenter de se battre les flancs, mais tout n’est plus qu’illusion tardive. Ce qui reste après induration de l’esprit par l’hypocrisie n’a pas grand-chose à voir avec une religion, sauf à étendre ce concept à ce que deviennent les religions après leur mort en milieu urbain pétrifié : leur contraire, pharisaïsme et sottise, sophistique et hypocrisie, moralisme et aigreur.
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Faut-il donc persister encore longtemps à mignarder autour de la vérité historique pour ménager de bons bourgeois hypocrites et s’interdire ainsi à jamais d’atteindre à une vision enfin adulte de l’histoire ? Au XIXe siècle, le catholicisme a été largement dissous et déspiritualisé par la bourgeoisie « catholique mondaine ». Comme il est aujourd’hui achevé par la même classe hypocrite devenue « catho bobo ». Est-ce donc une réalité historique insupportable et indicible ? Et à quoi sert-il donc de tenter d’introduire une histoire mythologique-complotiste en place de cette réalité ? A protéger le gros argent « catholique » contemporain, qui achève de transformer les églises en galeries d’art ou saunas pour LGBT ? A laisser couler un peu plus vite le peu de chrétienté et de spiritualité qui reste en maugréant machinalement contre les juifs jusqu’à plus soif ? Naïveté, paresse, lassitude ou hypocrisie ?
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On peut maintenant préciser la manière dont les grands habiles « agissent ». Ils « agissent » en maintenant les populations dans un état d’atrophie mentale ne leur permettant pas d’accéder à une pensée politique conséquente et cohérente. Mais prenons garde de ne pas interpréter ceci de nouveau dans un sens complotiste ! Ce maintien des populations en état d’atrophie mentale est, de la part des propriétaires du monde, totalement inconscient, involontaire et automatique. Les grands habiles agissent en laissant les choses se faire seules ! Tout s’ajuste très bien sans la moindre trace d’intervention consciente. Seuls ceux qui ne comprennent pas le monde social pensent que l’essentiel se fait d’une manière volontariste.
La grande bourgeoisie mondialiste maintient simplement toute une population en état de demi-culture, de fausse culture, d’aliénation culturelle par une sorte de ségrégation culturelle implicite : accès réservé au monde de l’art par exemple. Combinée avec une certaine prétention sociale, cette population se trouve en état de fermentation culturelle et politique aussi névrotique et pédante que vaine et stérile. Elle produit ainsi elle-même les idéologies politiques plus ou moins délirantes dans lesquelles elle s’enferre. Elle travaille ainsi « spontanément » contre ses intérêts et pour la sauvegarde du capitalisme.
Les complotistes sont des petits bourgeois réifiés et mécanisés, incapables d’accéder à une pensée complexe de l’histoire, se heurtant à leur incompréhension de l’histoire, inventant alors des théories courtes et créant ainsi des dérivatifs occultant en permanence la réalité du procès de réification par le libéralisme économique.
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Il se trouve que c’est le ridicule et la méchanceté atrabilaire et mesquine des attaques de certains complotistes contre l’écologie et la nature, qui m’a conduit pour ma part à m’interroger sérieusement sur l’idée de « complot mondialiste » et aussi sur le concept de complot en général. J’ai seulement évoqué ici très brièvement les problèmes de l’écologie et du rapport avec la nature et l’animal, sujets sur lesquels il y aurait beaucoup à dire. Mais j’ai tenu à expliciter complétement l’invention historique, les fonctions sociales et l’impasse mentale et politique de l’optique complotiste.
Durant quelque temps, j’ai adhéré, du bout des dents, à l’hypothèse d’une l’instauration discrète et progressive, relativement consciente, d’une superstructure politique mondiale par l’usage de forces subversives. Un beau jour, j’ai cessé entièrement d’adhérer à ce genres d’idées.
Je me suis aperçu que les partisans de cette vision complotiste mondialiste ne posent pas de limites raisonnables à leur accumulation de soi-disant preuves. Ils finissent par vendre eux même la mèche de leur manque de sérieux en faisant de leur théorie un bric à brac dans lequel ils fourrent tout ce qui peut être transformé en élément d’une conspiration mondialiste. Ce qui finit par faire de la théorie du complot, non point une théorie plus belle, mais une théorie poubelle. On ne construit pas une théorie explicative par bourrage de faits désordonnés dans un cadre des plus sommaires : on obtient seulement un gros tas de faits inexpliqués, gros tas de faits totalement parasitaire pour la pensée politique. On bouche l’horizon nécessaire pour une véritable pensée. La conspiration mondialiste, telle qu’elle est présentée par les partisans de cette optique, est donc en grande partie, et sans doute totalement, imaginaire.
Lorsqu’il y a cinq cents trente conspirations, dont la moitié abracadabrantes, en cours contre la chrétienté, on en vient inévitablement à penser que l’idée de conspiration est à soumettre sérieusement à la critique, et qu’en fait il n’y a peut-être jamais eu la moindre conspiration contre la chrétienté !
A un moment donc, toutes ces élucubrations s’écroulent, l’esprit engourdi se réveille, considère qu’une critique méthodique de cette optique conspirationniste s’impose, et se souvient qu’il y a d’autres conceptions de l’histoire.
C’est le délire, assez récent, de certains soi-disant contre-révolutionnaires autour des questions de la nature et de l’écologie qui m’a alerté. Je dis soi-disant contre-révolutionnaires parce que passer son temps à inventer des complots délirants parasitant et encombrant le terrain politique ne me semble pas constituer du tout une preuve de lucidité et de probité dans le militantisme politique.
Il se trouve que je connais bien le monde de la biologie et de l’écologie scientifique : j’ai vu de suite que cet anti-écologisme bilieux, vindicatif et bancal qui est apparu dans le petit monde contre-révolutionnaire a été inventé par quelques illuminés qui sont devenus, parmi bien d’autres, des idiots utiles et confusionnistes servant les véritables pouvoirs. J’ajoute qu’il se trouve toujours des demi-scientifiques mal placés, aux abois, pour pondre et lancer ce genre d’élucubrations. Si vous avez besoin d’un délire de ce genre, inutile de passer commande : ils émergent seuls.
En effet, contrairement à ce que l’on pourrait penser, les grands habiles n’ont généralement pas à favoriser d’une manière quelconque l’émergence de délires politiques les mettant à l’abri de toute investigation : ils émergent à leur heure dans certains milieux. Disons que les grands habiles « agissent » cependant, mais d’une manière totalement inconsciente, pour assurer l’élaboration permanente de théories-écrans. Je préciserai cela.
C’est donc l’escalade dans la hargne et la mesquinerie (envers la nature maintenant, il faut le faire !) et, il faut le dire, dans le délire, de certains contre-révolutionnaires, ou plus exactement pseudo-contre-révolutionnaires qui rend indispensable une critique du principe même du complotisme.
Il est certes plus facile de délirer sur un complot d’associations de protection des animaux que de s’attaquer à l’étude des mécanismes économiques, idéologiques ou sociaux profondément enfouis et d’étude très difficile . Dans le premier cas, en une heure de cogitation grincheuse et acariâtre, on ficèle le scénario d’un complot imaginaire, dans le second cas, il faut déchiffrer quelques milliers de pages ardues en philosophie, en épistémologie, en économie, en psychiatrie pour commencer à comprendre ces mécanismes.
Il est un moment où il faut rappeler froidement et sans complaisance la différence entre délirer et penser.
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Le mode de fonctionnement mental des fabricants de complots est très typique.
Les conspirationnistes sont persuadés qu’ils ont à faire avec des ennemis humains identifiables. Ils personnalisent le combat, ils citent en permanence des tas de noms : tel ou tel financier, telle ou telle organisation internationale. Mais les publications conspirationnistes ne pêchent pas par leur rigueur, c’est le moins que l’on puisse dire, et tout cela est toujours très bizarre et très branlant. On a plutôt l’impression de lire des commérages ou des ragots que des études. Et effectivement l’on s’aperçoit très vite qu’une petite quantité de ragots, d’idées fixes bizarres, de constructions saugrenues circulent d’un écrit à l’autre sans jamais être soumis à la critique.
Le manque de courage théorique des complotistes est flagrant. L’esprit fonctionne paresseusement, mécaniquement. On répète, on rabâche des bruits, des rumeurs. On se croit très malin : on stagne dans des fantasmes éculés. Cela est aux antipodes d’un travail d’élaboration doctrinal.
Les conspirationnistes ne sont pas dans une logique de recherche historique, ils sont dans une logique policière : ils partent à la recherche des coupables dans l’histoire, ils tournent en rond avec leurs listings de malfaiteurs et n’en sortent pas.
Ils délirent soit, c’est très classique, sur des ennemis imaginaires inaccessibles (des grands classiques : les financiers de Wall Street !) soit, et ça, c’est nouveau, des ennemis imaginaires sans défense (des nouveaux venus : les amis des animaux !) : ainsi ils sont absolument certains de n’avoir jamais à engager un combat politique véritable. Mais pour maintenir la tension, ils renouvellent, ou complètent de temps en temps leur cher stock d’ennemis, devenu une part essentielle de leur être et de leur vie. Cas psychiatriques classiques.
Les complotistes semblent constamment à la recherche d’explications à propos de la disparition de leur civilisation, ce qui est très bien, mais ils semblent incapables de penser des explications cohérentes en raison de limites mentales qu’ils ne semblent pas pouvoir franchir. Ils persistent à ignorer des pans entiers de la culture politique et historique, ceux qui sont les plus essentiels. Ils semblent incapables de s’initier à la pensée politique du XXe siècle. Persuadés d’être très intelligents, ils se meuvent dans une sorte de scolastique politique mort-née.
Ainsi, ils se heurtent très vite à des murs, ils ne comprennent rien à la réalité politique et ils se vengent sur tous les ennemis imaginaires qui passent à leur portée. Les complotistes font inévitablement penser à ces petits employés qui doivent encaisser toute la journée des humiliations sans broncher et qui passent leurs nerfs sur leur femme ou leur chien en rentrant chez eux.
Parfois, au beau milieu de règlements de compte dans le petit milieu conspirationniste catholique, émergent des ragots inhabituels qui devraient faire réfléchir : on apprend qu’un tel serait un sous-marin du patronat catholique moderniste, chargé d’entrainer les catholiques intransigeants dans des impasses, vers des doctrines confusionnistes.
Enfin du point de vue politique pratique, il faut bien dire que les théories du complot produisent essentiellement des geignardises interminables et des constats d’impuissance et pas tellement de victoires sur la machinerie mondialiste. Il est vrai qu’avec tous ces juifs ces francs-maçons et ces amis des bêtes, on est cerné !
Le conspirationnisme peut donc être interprété comme une forme de pseudo-politique, de paresse politique, d’immobilisme politique, ou, au contraire, d’agitation politique totalement stérile. Celui qui extravague devant son ordinateur sur des ennemis enfermés dans des bunkers de l’autre côté de l’Atlantique est mentalement et politiquement mort.
Internet a évidemment multiplié le nombre de ces cadavres mentaux qui sont persuadés de mener un combat politique et, pire, de mener un combat politique difficile et subtil ! De très nombreux jeunes garçons de milieux modestes sans formation politique et historique, mais plein de bonne volonté se trouvent ainsi happés et hypnotisés par les sites conspirationnistes les plus délirants. En quelques mois, ils deviennent des demi-fous politiques luttant avec leur clavier contre beaucoup de méchants ennemis lointains qui veulent accaparer le monde, mais sans la moindre idée de ce que peut être une pensée historique cohérente et fondée. Les conspirationnistes old school, avec leurs éternels ragots et leurs idées fixes, ont ici une responsabilité certaine dans cette dépolitisation, j’irai jusqu’à dire cette crétinisation.
Crétinisation qui n’a pas que des inconvénients : tant que des dizaines de millions de gogos lutteront avec acharnement devant leur écran contre des « sociétés secrètes », des « clubs » ou le « sionisme », le vrai pouvoir sera assuré d’une tranquillité absolue. Ainsi va le monde.
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Toute l’histoire du complotisme, et surtout de l’antisémitisme, montre que le conspirationniste ne fait pas du tout la politique qu’il croit faire : il crée, et exploite compulsivement, spontanément ou sur suggestion, des dérivatifs. Les grandes causes historiques réellement responsables de la déclension de la chrétienté ne sont pas même égratignées par le travail des conspirationnistes : elles sont bien au contraire dissimulées par ce travail, elles restent totalement insoupçonnées !
Par exemple, l’anti-écologisme est un nouveau dérivatif bizarroïde lancé par quelques délirants, que le gros argent n’a pas inventé, mais qu’il n’avait aucune raison de décourager : « Ça fait toujours un jouet de plus pour les gogos d’extrême droite qui gobent tout ce qu’ils inventent. »
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C’est donc le principe même des théories conspirationnistes qui est à mettre en cause. Pour une raison profonde : le mode de pensée conspirationniste lui-même apparait comme un obstacle à l’élaboration d’une pensée politique logique et cohérente. Je suis persuadé désormais que le mode de pensée conspirationniste lui-même est une fabrication historique, d’ailleurs totalement inconsciente, ayant pour fonction de s’opposer à la constitution de théories politiques sérieuses, une structure idéologique en quelque sorte.
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On pourrait alors se demander si les ennemis politiques vrais ne sont pas ceux qui ne sont jamais désignés par les conspirationnistes, qui se trouvent précisément, pour des raisons à identifier, à l’abri définitif de tout repérage et de toute désignation par le conspirationnisme. Ceux que le conspirationnisme, que le mode de pensée conspirationniste ne pourra jamais désigner parce que le conspirationnisme est un mode de pensée qui s’oppose à l’identification de la vérité.
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Quel est alors le seul et véritable ennemi du conspirationniste, le seul qu’il ne peut pas désigner ? Mais c’est très simple : le seul et véritable ennemi du conspirationniste, c’est précisément celui qui l’a transformé en conspirationniste hargneux, mesquin, illogique et sans méthode, incapable de désigner son véritable ennemi et qui le maintient dans les imites mentales du conspirationnisme, dans un état mental anté-politique ou pseudo-politique.
Le conspirationniste n’a qu’un ennemi : celui qui l’a transformé en conspirationniste mécanique et stérile.
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On sait que le conspirationniste a une vision policière simpliste de l’histoire, il ne pense jamais en termes de processus historique surplombant la volonté et la conscience des individus. Souvent, il ne comprend pas même que ce mode de pensée historique puisse exister.
Or, il y a longtemps, bientôt deux siècles, que l’histoire n’est plus une enquête policière avec distribution de bons ou de mauvais points à des « personnages historiques », mais l’identification de processus dominant et surplombant la conscience et la volonté des hommes. Ce qui, on me l’accordera, est un peu plus compliqué.
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L’ennemi qui a rongé et tué la chrétienté n’est pas un groupe humain ou un ensemble de groupes humains ayant fomenté un « complot ». Je maintiens que cette hypothèse est spécieuse et inopérante, paresseuse et idéologique : elle dissimule la complexité de la réalité historique et n’aboutit qu’à désigner des dérivatifs inventés à la chaine.
L’ennemi qui a rongé et tué la chrétienté est un processus historique impersonnel.
Et le conspirationnisme est forgé par ce même processus impersonnel pour qu’on ne puisse pas raisonner en termes de processus historique impersonnel, de processus capitaliste en l’occurrence.
Ce n’est pas un ensemble de personnes qui a rongé et continue à ronger la civilisation chrétienne, mais un immense processus impersonnel et glacé : le capitalisme.
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Lorsque l’on évoque, avec beaucoup de précautions car c’est s’attaquer au divin, une critique du capitalisme, les interlocuteurs pensent généralement que l’on va parler d’injustices sociales. C’est un aspect des choses. S’il n’y avait que ça !
Ce qui est occulté, dénié, oublié, enfoui, enterré, c’est que le capitalisme est avant tout une immense machine à pétrifier, à glacer, à mécaniser le cerveau des hommes.
Techniquement et rigoureusement, on doit dire que le capitalisme est avant tout un immense processus de réification du vivant par l’argent.
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Ainsi, dès que l’on change de point de vue et que l’on commence à raisonner en termes de processus historiques, on perçoit que l’idéologie complotiste a une fonction sociale évidente : interdire l’identification et l’étude du processus qui ronge réellement la chrétienté : le libéralisme économique. Le capitalisme si l’on préfère.
Ce ne sont pas les juifs ou les écologistes qui nous mènent à la catastrophe, c’est l’ensemble de ceux qui acceptent peu ou prou de participer du processus libéral, (ou capitaliste, si l’on préfère), y compris donc de très nombreux bons catholiques modernistes bien hypocrites. Hélas le capitalisme est le plus mécanique et le plus impersonnel des processus historique et l’une de ses caractéristiques, c’est qu’il produit évidemment les mêmes effets quels que soient les agents qui y adhérent, qu’ils soient par exemple protestants, juifs catholiques ou athées. Voilà bien ce que l’on voudrait dissimuler, la raison profonde de tant de délires : l’argent « catholique » participa largement à l’effondrement spirituel des populations et à la dissolution de la chrétienté. Voilà le « secret » que le délire conspirationniste a pour fonction de dissimuler dans le milieu contre-révolutionnaire : une foule d’excellents « catholiques » a enfourché dès le XIXe siècle et tout au cours du XXe siècle les pires pratiques de l’accaparement capitaliste, pratiques qui devaient in fine mécaniser l’esprit humain, réduire les hommes à de simples mécaniques mentales.
Au XIXe siècle, il y aura trois catholicismes en France : le catholicisme rural, le catholicisme intransigeant et savant des « blancs », le catholicisme cagot moraliste, scolastique et hypocrite de la bourgeoisie d’argent, (quant au prolétariat urbain, il est né hors du catholicisme et n’a jamais été christianisé). C’est bien sûr le catholicisme moraliste qui va « gagner » c’est-à-dire ronger et adapter l’Eglise à ses besoins, pour en faire peu à peu ce qu’elle est aujourd’hui : une boîte de com et de pub bobo parmi les autres. Aucune trace de conspiration là-dedans. Mais une parfaite maîtrise de l’hypocrisie distanciée par une classe fortement soudée. Ce qui est très différent et plus difficile à identifier.
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Qu’y-t-il donc de choquant et d’irrecevable dans cette explication totalement cohérente de la déchristianisation par le processus capitaliste, explication que l’actualité confirme d’une manière dramatique ? Uniquement ceci, je le répète : dès les débuts du capitalisme industriel, une foule de « bons catholiques » vont se précipiter vers la recherche compulsive du profit et donc participer discrètement toute la semaine à l’assèchement spirituel de l’Eglise qu’ils prétendront servir le dimanche. Et participer plus généralement au processus général de desséchement, de réification de l’esprit humain. C’est un fait, une réalité massive.
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Face à l’explication de la catastrophe spirituelle contemporaine par la réification capitaliste, il faut bien dire que les « théories » complotistes, conspirationnistes ou « géopolitiques » font pâle figure et apparaissent comme de simples dérivatifs pour petits bourgeois demi-cultivés toujours prêts à tout gober.
Ainsi tout fonctionne en apparence complétement à l’envers puisque ce sont les auteurs les plus détestés et les plus révulsants pour les catholiques intransigeants, des marxistes, qui ont élaboré la théorie la plus aboutie et la plus intelligente de la déchristianisation. Horreur : des marxistes qui expliquent parfaitement et logiquement la déchristianisation sans délirer sur des complots ! C’est en effet le monde à l’envers !
C’est ainsi : un seul concept marxiste, la réification capitaliste, suffit pour comprendre le processus historique de dessèchement mental et de déspiritualisation des populations occidentales, désormais entièrement mécanisées par deux siècles de procès capitaliste.
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On pourrait aller beaucoup plus et devenir beaucoup plus précis et beaucoup plus technique. Je me limiterai à souligner quelques points.
L’une des caractéristiques essentielles de la mentalité réifiée telle qu’elle a été définie et étudié par les grands auteurs du marxisme consiste précisément en une incapacité à penser la dimension historique, en une incapacité à avoir un rapport fluide et dialectique à l’histoire. L’homme réifié par le capitalisme importe dans l’histoire la pensée mécanique qui lui a été inculquée implicitement par le monde de l’argent : il transporte sa manière mécanique, froide, automatique de penser (il faudrait plutôt dire « de fonctionner ») dans tous les domaines, y compris bien entendu dans sa conception de l’histoire. Il immobilise, il glace la réalité complexe et nuancée de l’histoire. On a sans doute ici l’explication profonde de l’apparition de la pensée complotiste vulgaire en capitalisme vieillissant.
Le réifié partage cette vision plate et glacée du temps avec le schizophrène. On peut aller jusqu’à dire que la réification et la schizophrénie sont des types d’aliénation identiques, caractéristique d’une société d’argent vieillissante et indurée : une incapacité à avoir un bon rapport au temps, une immobilisation et une fixation de l’histoire et du temps. Techniquement, on doit dire qu’il y a schrizophrénisation de l’esprit par le fétichisme de la marchandise.
Dans une société capitaliste dans laquelle tous les vivants, hommes et animaux (voir l’horreur de l’élevage industriel) sont mécanisés et réifiés, les derniers vivants proprement dits sont sans aucun doute les animaux sauvages. On comprend alors mieux la hargne et la méchanceté développées contre la nature et les animaux par des complotistes réifiés, momifiés par l’argent, incapables de comprendre l’histoire et donc d’agir efficacement dans le monde, et donc inconsciemment ombrageux et envieux vis-à-vis des derniers vrais vivants. On comprend que les petits hommes à l’esprit ensablé et mécanisé par l’argent puissent avoir quelque peine à affronter en face ce que fut la vie, la vraie vie, la vie belle et altière, avant la mécanisation généralisée des consciences et des corps.
Enfin, on ne peut que rappeler très brièvement que les religions se dégradent et meurent précisément par réification, ensablement mental et mécanisation. Généralement, une religion prophétique, inspirée et vivante devient peu à peu une scolastique fossilisée, une casuistique, puis un simple moralisme mécanique sans spiritualité ni mystique. Ensuite, on peut tenter de se battre les flancs, mais tout n’est plus qu’illusion tardive. Ce qui reste après induration de l’esprit par l’hypocrisie n’a pas grand-chose à voir avec une religion, sauf à étendre ce concept à ce que deviennent les religions après leur mort en milieu urbain pétrifié : leur contraire, pharisaïsme et sottise, sophistique et hypocrisie, moralisme et aigreur.
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Faut-il donc persister encore longtemps à mignarder autour de la vérité historique pour ménager de bons bourgeois hypocrites et s’interdire ainsi à jamais d’atteindre à une vision enfin adulte de l’histoire ? Au XIXe siècle, le catholicisme a été largement dissous et déspiritualisé par la bourgeoisie « catholique mondaine ». Comme il est aujourd’hui achevé par la même classe hypocrite devenue « catho bobo ». Est-ce donc une réalité historique insupportable et indicible ? Et à quoi sert-il donc de tenter d’introduire une histoire mythologique-complotiste en place de cette réalité ? A protéger le gros argent « catholique » contemporain, qui achève de transformer les églises en galeries d’art ou saunas pour LGBT ? A laisser couler un peu plus vite le peu de chrétienté et de spiritualité qui reste en maugréant machinalement contre les juifs jusqu’à plus soif ? Naïveté, paresse, lassitude ou hypocrisie ?
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On peut maintenant préciser la manière dont les grands habiles « agissent ». Ils « agissent » en maintenant les populations dans un état d’atrophie mentale ne leur permettant pas d’accéder à une pensée politique conséquente et cohérente. Mais prenons garde de ne pas interpréter ceci de nouveau dans un sens complotiste ! Ce maintien des populations en état d’atrophie mentale est, de la part des propriétaires du monde, totalement inconscient, involontaire et automatique. Les grands habiles agissent en laissant les choses se faire seules ! Tout s’ajuste très bien sans la moindre trace d’intervention consciente. Seuls ceux qui ne comprennent pas le monde social pensent que l’essentiel se fait d’une manière volontariste.
La grande bourgeoisie mondialiste maintient simplement toute une population en état de demi-culture, de fausse culture, d’aliénation culturelle par une sorte de ségrégation culturelle implicite : accès réservé au monde de l’art par exemple. Combinée avec une certaine prétention sociale, cette population se trouve en état de fermentation culturelle et politique aussi névrotique et pédante que vaine et stérile. Elle produit ainsi elle-même les idéologies politiques plus ou moins délirantes dans lesquelles elle s’enferre. Elle travaille ainsi « spontanément » contre ses intérêts et pour la sauvegarde du capitalisme.
Les complotistes sont des petits bourgeois réifiés et mécanisés, incapables d’accéder à une pensée complexe de l’histoire, se heurtant à leur incompréhension de l’histoire, inventant alors des théories courtes et créant ainsi des dérivatifs occultant en permanence la réalité du procès de réification par le libéralisme économique.
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Il se trouve que c’est le ridicule et la méchanceté atrabilaire et mesquine des attaques de certains complotistes contre l’écologie et la nature, qui m’a conduit pour ma part à m’interroger sérieusement sur l’idée de « complot mondialiste » et aussi sur le concept de complot en général. J’ai seulement évoqué ici très brièvement les problèmes de l’écologie et du rapport avec la nature et l’animal, sujets sur lesquels il y aurait beaucoup à dire. Mais j’ai tenu à expliciter complétement l’invention historique, les fonctions sociales et l’impasse mentale et politique de l’optique complotiste.
Notes
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