René Naba
Ancien responsable du monde arabo-musulman au
service diplomatique de l’AFP, René Naba vient de publier un ouvrage sur
l’Arabie saoudite. Il y décrypte les enjeux du déplacement de Barack
Obama au « royaume des ténèbres », dans un contexte tendu par les crises
syrienne et ukrainienne.
HD. Dans quel contexte Barack Obama effectue-t-il sa visite en Arabie saoudite ?
RENÉ NABA. Ces dernières semaines, la conjoncture internationale s’est considérablement modifiée au détriment de ce que j’appelle « l’islamoatlantisme », c’est-à-dire l’alliance de l’islam wahhabite et des pays de l’OTAN. La rébellion syrienne, soutenue par l’Arabie saoudite, a subi d’importants revers en perdant, par exemple, la ville de Yabroud. Toute la région côtière va être sécurisée au profit du gouvernement syrien. S’y ajoutent le camouflet diplomatique en Crimée et la guerre qui couve entre les Saoudiens et les Qataris.
HD. La Russie joue-t-elle un rôle plus important au Moyen-Orient ?
R.N. Mahmoud Abbas, président de I’Autorité palestinienne, a déclaré récemment : « Ne faites jamais confiance aux Américains. Si vous voulez récupérer vos droits, adressez-vous aux Russes. En moins d’un an, il y a eu une modification de la perception de la Russie au Moyen-Orient. En Égypte, le général Al Sissi renoue actuellement avec Moscou, et les États-Unis n’y peuvent rien. Souvenez-vous que les Saoudiens, via l’ex-patron des services de renseignements, Bandar Ben Sultan, avaient proposé, entre autres et en vain, 14 milliards de dollars (10,15 milliards d’euros) d’achat d’armes russes pour que Poutine lâche Bachar Al Assad. Le soutien indéfectible que la Russie a apporté à la Syrie porte en quelque sorte ses fruits.
HD. Cette visite intervient dans un climat de grande tension entre le Qatar et l’Arabie saoudite...
R. N. L’Arabie saoudite n’a pas supporté de voir des États arabes, comme l’Égypte, porter au pouvoir par les urnes des mouvements islamistes comme les Frères musulmans. C’est contraire aux principes héréditaires qui régissent la transmission du pouvoir à Riyad. Vous avez eu le même phénomène en Turquie, pays non arabe mais sunnite. Le Qatar a encouragé partout ce processus, que ce soit en Libye ou en Tunisie. Ensuite, il y a un problème de légitimité. Pour les Saoudiens, un dirigeant arrivé au pouvoir par un coup d’État, comme ce fut le cas de l’ex-émir du Qatar, Hamad Al Thani, n’est pas légitime. Pour Barack Obama, cette guerre entre les deux monarchies est un désastre absolu : de fait, la seule instance régionale de coopération interarabe (la Ligue arabe – NDLR) est neutralisée.
HD. La question énergétique est étrangement absente des analyses des crises qui secouent la région...
R. N. La guerre en Syrie a débuté en partie pour des raisons énergétiques. En prévision du bombardement de l’Iran, initiative soutenue par l’Arabie saoudite, le Qatar avait tenté de convaincre Bachar Al Assad de laisser passer un pipeline pour que le gaz qatari puisse contourner le détroit d’Orrnuz, contrôlé par l’Iran, et alimenter l’Europe via la Turquie. La Syrie avait refusé, entre autres parce que cela allait à l’encontre des intérêts de deux de ses plus fidèles alliés, l’Algérie et la Russie. Le grand problème de l’Europe actuellement, et la crise en Ukraine en fait la démonstration, c’est que son ravitaillement en gaz dépend fortement de l’Algérie et de la Russie, qui ne sont pas dans la sphère d’influence de l’OTAN.
HD. L’Arabie saoudite se rapproche d’Israël. Les États-Unis vont-ils demander aux Saoudiens une reconnaissance officielle de l’État hébreu ?
R. N. Les Saoudiens ne reconnaîtront pas Israël dans l’immédiat, mais les signes se multiplient. Ils ont, par exemple, toléré que la protection des frontières des Émirats arabes unis soit confiée à une société israélienne. C’est aussi des Israéliens qui s’occupent de la sécurité à l’aéroport de Djedda, via une filiale de la société étrangère, G4S. Potentiellement, les Israéliens peuvent avoir accès aux empreintes digitales et aux données biométriques de la plupart des fidèles qui se rendent en pèlerinage à La Mecque. Les Saoudiens vont vouloir négocier leur éventuelle reconnaissance d’Israël avec les États-Unis, parexempleen trouvant une porte de sortie honorable au conflit syrien et des garanties à la suite du rapprochement en cours avec l’Iran.
HD. Dans quel contexte Barack Obama effectue-t-il sa visite en Arabie saoudite ?
RENÉ NABA. Ces dernières semaines, la conjoncture internationale s’est considérablement modifiée au détriment de ce que j’appelle « l’islamoatlantisme », c’est-à-dire l’alliance de l’islam wahhabite et des pays de l’OTAN. La rébellion syrienne, soutenue par l’Arabie saoudite, a subi d’importants revers en perdant, par exemple, la ville de Yabroud. Toute la région côtière va être sécurisée au profit du gouvernement syrien. S’y ajoutent le camouflet diplomatique en Crimée et la guerre qui couve entre les Saoudiens et les Qataris.
HD. La Russie joue-t-elle un rôle plus important au Moyen-Orient ?
R.N. Mahmoud Abbas, président de I’Autorité palestinienne, a déclaré récemment : « Ne faites jamais confiance aux Américains. Si vous voulez récupérer vos droits, adressez-vous aux Russes. En moins d’un an, il y a eu une modification de la perception de la Russie au Moyen-Orient. En Égypte, le général Al Sissi renoue actuellement avec Moscou, et les États-Unis n’y peuvent rien. Souvenez-vous que les Saoudiens, via l’ex-patron des services de renseignements, Bandar Ben Sultan, avaient proposé, entre autres et en vain, 14 milliards de dollars (10,15 milliards d’euros) d’achat d’armes russes pour que Poutine lâche Bachar Al Assad. Le soutien indéfectible que la Russie a apporté à la Syrie porte en quelque sorte ses fruits.
HD. Cette visite intervient dans un climat de grande tension entre le Qatar et l’Arabie saoudite...
R. N. L’Arabie saoudite n’a pas supporté de voir des États arabes, comme l’Égypte, porter au pouvoir par les urnes des mouvements islamistes comme les Frères musulmans. C’est contraire aux principes héréditaires qui régissent la transmission du pouvoir à Riyad. Vous avez eu le même phénomène en Turquie, pays non arabe mais sunnite. Le Qatar a encouragé partout ce processus, que ce soit en Libye ou en Tunisie. Ensuite, il y a un problème de légitimité. Pour les Saoudiens, un dirigeant arrivé au pouvoir par un coup d’État, comme ce fut le cas de l’ex-émir du Qatar, Hamad Al Thani, n’est pas légitime. Pour Barack Obama, cette guerre entre les deux monarchies est un désastre absolu : de fait, la seule instance régionale de coopération interarabe (la Ligue arabe – NDLR) est neutralisée.
HD. La question énergétique est étrangement absente des analyses des crises qui secouent la région...
R. N. La guerre en Syrie a débuté en partie pour des raisons énergétiques. En prévision du bombardement de l’Iran, initiative soutenue par l’Arabie saoudite, le Qatar avait tenté de convaincre Bachar Al Assad de laisser passer un pipeline pour que le gaz qatari puisse contourner le détroit d’Orrnuz, contrôlé par l’Iran, et alimenter l’Europe via la Turquie. La Syrie avait refusé, entre autres parce que cela allait à l’encontre des intérêts de deux de ses plus fidèles alliés, l’Algérie et la Russie. Le grand problème de l’Europe actuellement, et la crise en Ukraine en fait la démonstration, c’est que son ravitaillement en gaz dépend fortement de l’Algérie et de la Russie, qui ne sont pas dans la sphère d’influence de l’OTAN.
HD. L’Arabie saoudite se rapproche d’Israël. Les États-Unis vont-ils demander aux Saoudiens une reconnaissance officielle de l’État hébreu ?
R. N. Les Saoudiens ne reconnaîtront pas Israël dans l’immédiat, mais les signes se multiplient. Ils ont, par exemple, toléré que la protection des frontières des Émirats arabes unis soit confiée à une société israélienne. C’est aussi des Israéliens qui s’occupent de la sécurité à l’aéroport de Djedda, via une filiale de la société étrangère, G4S. Potentiellement, les Israéliens peuvent avoir accès aux empreintes digitales et aux données biométriques de la plupart des fidèles qui se rendent en pèlerinage à La Mecque. Les Saoudiens vont vouloir négocier leur éventuelle reconnaissance d’Israël avec les États-Unis, parexempleen trouvant une porte de sortie honorable au conflit syrien et des garanties à la suite du rapprochement en cours avec l’Iran.
Notes
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Entretien réalisé par Marc de Miramon |
Source
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L'Humanité