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dimanche 6 avril 2014

"L'euro oblige les peuples à une concurrence fiscale et sociale mortifère"



 Emilie Lévêque
 
Casser l'euro pour sauver l'Europe, ouvrage écrit par quatre journalistes, a suscité l'intérêt de nos internautes. Ils ont débattu lors d'un chat avec les auteurs.

Après cinq années d'une crise sans précédent, l'euro, tel qu'il existe aujourd'hui, est cliniquement mort. Pour sauver l'Europe, il faut sortir de la monnaie unique, revenir aux monnaies nationales réunies au sein d'une monnaie commune. C'est la thèse de Casser l'euro, ouvrage écrit par quatre journalistes.

Deux des auteurs, Franck Dedieu, rédacteur en chef adjoint de L'Expansion, et Benjamin Masse-Stamberger, grand reporter à L'Express, se sont prêtés au jeu des questions-réponses lors d'un chat avec les internautes. Voici leurs réponses.

Pourquoi sortir de l'euro maintenant, alors que la crise de la dette est passée?

La crise n'est pas passée. Le coup de bluff de Mario Draghi en 2012 - qui a "déclaré être prêt à tout" pour sauver l'euro - a permis de calmer les marchés, temporairement. Pour autant, les problèmes de fond ne sont pas du tout résolus: la déflation menace, le chômage des jeunes est endémique dans les pays du Sud, et des pays comme la Grèce sont plongés dans une véritable dépression, au sens psychologique du terme. Le chômage ne cesse d'augmenter en zone euro (plus de 12 %), et la France est dans la situation que l'on sait.

Pourquoi en France ne peut-on pas débattre sereinement de la sortie de l'euro ?

Nous sommes d'accord. Il s'agit d'un sujet tabou, dont beaucoup refusent de parler pour ne pas avoir à reconnaître que l'on s'est trompé depuis 20 ans. Par ailleurs, il s'agit effectivement d'un sujet en définitive démocratique: le peuple est dépossédé de sa monnaie, et donc d'une parcelle de sa souveraineté. Il ne faut pas s'étonner, dans ce contexte, que les partis contestataires aient le vent en poupe.

Pensez-vous que les Anglais sont en meilleure position avec leur monnaie actuelle ?

Oui. Toutes les zones du monde, ou presque connaissent une croissance plus forte que la zone euro. Pour une raison simple: que ce soit le Royaume-Uni, les Etats-Unis, le Japon, utilisent la monnaie comme une arme pour défendre leurs intérêts, prérogative que les pays de la zone euro ont abandonné en adoptant une monnaie pilotée par la Banque centrale européenne, indépendante, et forgée sur le modèle ordo-libéral allemand.

Marine Le Pen a-t-elle raison alors ?

Non. La sortie de l'euro que nous proposons a pour objet, non pas un repli national, mais un sursaut européen. L'euro oblige les peuples à une concurrence mortifère sur les plans fiscal et social. Il faut reconstruire une architecture plus souple et plus coopérative.

Pensez-vous être de bons Européens ?

Oui et non. Le système actuel dysfonctionne: il pousse des millions de gens, et notamment des jeunes, dans le chômage et la pauvreté. Il entraine une compétition entre les Nations, et favorise le développement des partis extrêmes. Si être un bon Européen, c'est de défendre ce système par dogmatisme et refus de se remettre en question, alors non, non ne sommes pas de bons Européens !

Comment s'assurer que la mesure ne conduirait pas à une explosion de l'endettement?

Suivant le principe juridique dit de la "Lex Monetae", dans le cadre d'une sortie de la monnaie unique, et d'un passage à la monnaie commune, il sera possible pour la France de rembourser les dettes en "euro-francs", selon la même parité de conversion. Par exemple, au lieu de verser 100 euros à ses créanciers, la France pourra leur verser 100 euros-francs. Si l'euro-franc est dévalué de 20%, notre stock de dette ne s'appréciera pas de 20 %, mais demeurera inchangé.

L'euro a été la seule vraie réussite fédératrice de l'UE, n'est-ce pas un pas en arrière que de retourner aux monnaies nationales? Et n'est- ce pas assumer que le projet européen ne fonctionne pas?

Cela peut paraître assez contre-intuitif de se séparer du seul instrument qui unit les Européens. Et pourtant, cette monnaie est un facteur de dissension (cf. question précédente). Surtout, la logique européenne était de faire l'euro d'abord, en supposant que cela susciterait par la suite un mouvement général vers le fédéralisme. Or, l'honnêteté oblige à constater que ce fédéralisme est impossible, car l'Allemagne refuse toute décision qui pourrait signifier un transfert de fonds automatique, ou même semi-automatique, vers les pays du Sud. Dans ce cadre, l'euro perd sa raison d'être, qui était d'être le catalyseur du fédéralisme. Il faut simplement en prendre acte.

Ne pensez-vous pas que sortir de l'euro pénaliserait pas les pays du Sud par rapport à ceux du nord qui ont une monnaie plus forte?

Au contraire. Dans le cadre de la sortie de l'euro que nous défendons, et la mise en place d'une monnaie commune, les pays du Sud auraient la possibilité de dévaluer, en fonction de critères précis, et donc de regagner en compétitivité sans avoir à en rajouter une couche sur le brutal ajustement par les salaires qu'ils ont mis en place jusqu'à présent, et qui nous entraine aujourd'hui dans la spirale de la déflation.

Une note émanant de la direction Europe du ministère des affaires étrangères américain, datée du 11 Juin 1965, conseille au Vice-Président de la Communauté Économique Européenne, de poursuivre de façon subreptice l'objectif d'une union monétaire...

Oui, nous expliquons qu'il y a aussi une influence américaine à l'origine du projet européen, tel qu'il s'est déployé. Attention cependant à ne pas tomber dans le complot! L'échec de l'euro est malgré tout d'abord l'échec d'une certaine technocratie européenne.

Que risque de nous coûter le retour au franc ?

Nous défendons non pas un retour pur et simple au franc, mais un retour aux monnaies nationales, sous l'égide d'une monnaie commune. Il s'agit donc non pas de substituer à une monnaie européennes une somme de monnaies nationales, mais de remplacer un système non-coopératif, par un autre système - toujours dans le cadre européen - qui le sera.

Admettons que l'on revienne au franc. Comment résolvez- vous le problème de la valeur de change puisqu' il ne peut y avoir qu'une dévaluation pour être vraiment efficace ? Au vue des permanent déficits primaire, sans garantie implicite de la BCE et de l'Allemagne , le risque sur les OAT va obligatoirement monter. Comment financer la dette ?

La "Lex Monetae" permet d'éviter un défaut et de considérer cette conversion monétaire comme une simple dévaluation (cf. question précédente). En ce qui concerne les financements futurs, il ne faut pas sous-estimer l'utilité des avances au Trésor, c'est-à-dire de la capacité de la Banque centrale à faire des prêts à l'Etat. Le quantitative easing américain correspond à 6% du PIB, soit à l'échelle française l'équivalent de 120 milliards d'euros. Il ne faut pas sous-estimer non plus l'épargne nationale (73 milliards d'euros générés par an), qui peut être mobilisée pour se refinancer.

Mais si on sort de l'euro, les taux d'intérêt de la France ne vont-ils pas grimper en flèche? Et si on se retrouve avec une monnaie dévaluée, franc ou euro franc, comme vous voulez, nos importations ne vont-elles pas nous coûter plus cher? Est-ce que les avantages sont vraiment supérieurs aux inconvénients ?

Toute dévaluation s'accompagne d'un pari économique: celui d'une politique de substitution. La valeur des importations augmenterait effectivement, mais cela serait contrebalancé par à un redressement industriel et productif. D'autant que le renchérissement des importations est une incitation à produire sur place.

Est-ce qu'il y a tromperie lorsque l'on prône la sortie de la zone euro sans envisager une maîtrise des dépenses publiques en parallèle ?

Tous les pays qui ont réalisé des réformes structurelles, et qui ont baissé leurs dépenses, ont engagé conjointement une dévaluation de leur monnaie: la Suède et le Canada dans les années 1990, plus loin le Général de Gaulle en 1958. Paradoxalement, on peut même soutenir l'idée que la sortie de l'euro n'est pas une facilité pour continuer à dépenser, mais au contraire un levier pour faire accepter les réformes de structure que certains appellent de leurs voeux.

Est-ce qu'il y a tromperie lorsque l'on prône la sortie de la zone euro sans envisager une maîtrise des dépenses publiques en parallèle?

Tous les pays qui ont réalisé des réformes structurelles, et qui ont baissé leurs dépenses, ont engagé conjointement une dévaluation de leur monnaie: la Suède et le Canada dans les années 1990, plus loin le Général de Gaulle en 1958. Paradoxalement, on peut même soutenir l'idée que la sortie de l'euro n'est pas une facilité pour continuer à dépenser, mais au contraire un levier pour faire accepter les réformes de structure que certains appellent de leurs voeux.

Ne pensez-vous pas qu'une difficulté de sortir (pour la France) de l'euro est que c'est considéré comme incongru, vu le conformisme ambiant des idées, et la mauvaise image de marque du FN qui soutient cette idée ?
C'est un vrai problème. La sortie de l'euro est un sujet économique, qui doit être débattu et non pas livré aux anathèmes. Or, bien souvent, on refuse même de discuter du sujet, sous prétexte qu'il a été préempté par le Front national. Peut-être vaudrait-il mieux se demander pourquoi les principaux partis de gouvernement refusent d'en parler ? Peut-être parce qu'il faudrait faire un bilan critique de ce qu'ils ont défendu depuis vingt ans. On peut comprendre qu'ils s'y refusent, mais pendant ce temps, la jauge du chômage continue à augmenter. Il est donc temps d'en parler !

En clair, vous prônez le retour des dévaluations compétitives en Europe ? Bref le retour du temps ou l'Italie dévaluait pour doper Fiat sur le dos des Français, ou l'Espagne dévaluait pour doper ses exportations au détriment des produits italiens, etc.
Non. La guerre dont vous parlez existe bel et bien: c'est la guerre pour être le plus compétitif, par la baisse des salaires et du coût du travail, ce qui divise beaucoup plus les Européens. Par ailleurs, le système que nous proposons dans le cadre de la monnaie commune, est un système coopératif, reposant sur des critères précis. Cela évite la course aux dévaluations compétitives.

Que pouvez-vous dire aux Français pour les rassurer sur la sortie de l'euro ?
N'ayez pas peur! La déflation actuellement à l'oeuvre est bien plus grave qu'une sortie de l'euro.

Je souhaiterais connaître les avantages et les inconvénients d'une sortie de l'euro ou d'un maintien ?
Une dévaluation couplée à un recours à la planche à billets produit de l'inflation, au détriment de l'épargne. Mais le procédé relance l'économie, l'emploi, les salaires et la demande, au bénéfice notamment des jeunes et des salariés. Il s'agit de favoriser l'activité, le travail, plutôt que la rente.


La sortie de la France de l'euro entraînera sûrement un affaiblissement de la France selon moi, qu'avez-vous à répondre pour me convaincre du contraire ?


Trouvez-vous qu'elle puisse être beaucoup plus affaiblie qu'elle ne l'est aujourd'hui?


Comment mettre en place ce que vous proposez dans le contexte actuel? Est-ce que cela peut venir de l'échelle nationale avec Hollande qui propose cela du jour au lendemain ou au niveau européen avec une prise de conscience instantanée ?

Malheureusement, le refus du débat et le conformisme intellectuel sont tels sur ce sujet qu'il faut craindre une nouvelle crise, économique, sociale ou politique, pour que les esprits murissent enfin, au sein de nos élites. Malgré la vigueur de la crise, l'augmentation du chômage, beaucoup refusent d'ouvrir le débat, ne serait-ce que de se poser la question.


Vaut-il mieux "casser l'euro" ou encourager le bitcoin ?

L'un n'empêche pas l'autre !


Pourquoi sortir de l'euro alors que la seule chose à faire est d'en assumer les conséquences: monnaie unique dit gouvernance économique unique? L'un ne peut pas fonctionner sans l'autre. C'est la supercherie absolue de laisser penser que l'on peut avoir une monnaie unique et "garder sa souveraineté", ne pensez-vous pas ?

Dans l'absolu, vous avez raison. L'objectif initial était de passer d'une souveraineté nationale à une souveraineté européenne. Mais aujourd'hui, encore plus compte-tenu de la violence de la crise, aucun Etat n'est prêt à franchir ce pas. Il faut en tirer les conséquences, et ne pas continuer à faire semblant.


Au lieu de sortir de l'euro, la solution n'est-elle pas de baisser l'euro connu comme fort ?

Non. Faire baisser l'euro signifie renforcer la compétitivité de la zone vis-à-vis des pays tiers. Ce peut être utile, bien sûr, mais cela ne répond pas au problème fondamental de l'architecture de la zone euro. Dans ce système, les Etats sont poussés à une guerre à celui qui sera le plus compétitif (en l'occurrence l'Allemagne), les pays du Sud étant dès lors voués à axer leur économie sur la consommation, et à se surendetter. Après la crise, ils ont dû compenser massivement et tous ensemble ce déficit de compétitivité, en faisant baisser les salaires et les dépenses de l'Etat. C'est comme cela que nous nous trouvons plongés aujourd'hui collectivement dans la déflation. C'est ce système qu'il faut transformer en permettant aux pays en déficit de dévaluer, en fonction de critères précis, qui viendront compléter les critères de Maastricht, qui ont uniquement une dimension punitive.

Il me semble que l'Allemagne refuse surtout de payer pour les dettes passées. Ne serait-il pas plus simple de faire en sorte de tourner cette page en mutualisant les dettes à venir en échange d'un transfert de souveraineté ? Or sur cela c'est la France qui semble bloquer...

Je ne crois pas. Depuis le début de la crise, de manière plus ou moins directe, l'Allemagne s'est toujours refusé à toute forme de mutualisation des dettes, qu'elles soient passées ou futures. La stratégie allemande est très claire et constante en la matière, comme le montre le cas de l'Union bancaire, que vous mentionnez à juste titre. Rien n'indique un changement en la matière. Il faut donc en tirer les conséquences.


Notes

Source : Reuters via http://lexpansion.lexpress.fr/actualite-economique/en-finir-avec-l-euro-pour-sauver-l-europe-quatre-journalistes-brisent-le-tabou_1502108.html