Rédigé par un moine de Triors
Lors de la Messe chrismale
du Jeudi saint 13 avril, le Pape a commenté le passage évangélique où
Jésus reprend à son compte la joyeuse annonce du salut libérateur que
fit le prophète Isaïe. Jésus est l’Oint du Seigneur venu rendre
aux captifs la liberté et aux pauvres la bonne nouvelle qu’est
l’Évangile. À sa suite, les prêtres au cours des siècles ont été oints
pour pardonner les péchés et consacrer la Sainte Eucharistie, nourriture
du pèlerin de l’éternité que nous devons tous être. Ainsi, tout prêtre
est missionnaire de l’Évangile et doit communiquer aux autres la joie de
la miséricorde. Et le Pape commente alors trois moments évangéliques de
cette joyeuse annonce qui naît de l’onction en regroupant d’ailleurs
plusieurs joies évangéliques entre elles. On mesure par là combien la
joie fait partie intégrante du message chrétien et l’on peut vraiment
dire avec saint François de Sales qu’un « saint triste est un triste saint ».
Vérité, miséricorde et joie
La première joyeuse annonce est celle de
l’Annonciation quand Jésus, le grand et unique prêtre de la nouvelle
Alliance, fut oint par l’Esprit Saint dans le sein même de Marie. Cette
joie née de l’onction conduisit Marie, sous le souffle de l’Esprit
d’Amour, chez sa cousine Élisabeth à Aïn Karim. De cette joie est né le
cantique d’action de grâces de Marie, son Magnificat. Cette même joie de
l’Esprit accompagna le Verbe Incarné jusqu’au début de sa vie publique,
à travers les événements joyeux mais aussi douloureux comme celle de la
fuite en Égypte. Cette joie de l’Évangile contient pour le Pape trois
valeurs toujours unies ensemble car indissociables : la première est la
vérité jamais négociable (on retrouve ici les fameux points non
négociables dont parlait Benoît XVI) ; la deuxième est la miséricorde
inconditionnelle, qui respecte toutefois la liberté de chacun ; la
troisième enfin, c’est bien sûr la joie. Mais ces trois valeurs ne
peuvent ni ne doivent être purement abstraites, car l’Incarnation est
réelle. Jésus n’était pas un pur marbre : il était vrai homme comme il
était vrai Dieu. Avec le Pape, on peut tirer de tout cela une importante
conséquence : vérité, miséricorde et joie doivent être vécues dans le
concret, sans pour autant tomber dans leurs faux-semblants que seraient
le relativisme, la fausse commisération ou une joie purement extérieure
et superficielle.
La deuxième icône joyeuse est celle des
noces de Cana. Les jarres d’eau changée en vin symbolisent bien l’outre
nouvelle apportée par Jésus. Cette outre neuve d’une plénitude
contagieuse est pour le Pape Marie, qui est notre mère et la mère de
tous les prêtres. Sans Marie nul ne peut avancer dans la vie religieuse
et sacerdotale et même tout simplement chrétienne. Prions Marie mère de
la promptitude informée par la charité et obéissons-lui en fils très
aimants quand elle nous conseillera : « Faites tout ce qu’il vous dira ». On
retrouve cette même icône joyeuse de Cana dans l’épisode de la
Samaritaine qui étancha la soif de Jésus plus par sa confession, son
repentir et sa foi que par l’eau qu’elle lui donna. Nous aussi, comme
les missionnaires de Mère Teresa épanchons par notre charité concrète la
soif de Jésus : Sitio. Cette joie toute souriante à l’égard
des plus petits apporte une tendresse qui guérit profondément toutes les
blessures de la vie. Et ce ne sont pas seulement les prêtres qui
doivent être remplis de cette tendresse.
Enfin la troisième icône joyeuse est
celle du Sacré Cœur de Jésus transpercé par la lance du centurion. C’est
en suivant Jésus doux et humble de cœur que nous attirerons à nous les
âmes.
L'homélie du Pape
« L’Esprit du Seigneur est sur moi
parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction. Il m’a envoyé porter
la Bonne Nouvelle aux pauvres, annoncer aux captifs leur libération, et
aux aveugles qu’ils retrouveront la vue, remettre en liberté les
opprimés » (Lc 4, 18). Le Seigneur, oint par l’Esprit, apporte la
joyeuse Annonce aux pauvres. Tout ce que Jésus annonce, et nous aussi
prêtres, est joyeuse Annonce. Joyeux de la joie évangélique : de celui
qui a été oint dans ses péchés par l’huile du pardon et oint dans son
charisme par l’huile de la mission, pour oindre les autres. Et, à
l’instar de Jésus, le prêtre rend joyeuse l’annonce par toute sa
personne. Quand il fait l’homélie, (en étant bref dans la mesure du
possible…) il le fait avec la joie qui touche le cœur de son peuple
grâce à la Parole par laquelle le Seigneur l’a touché, lui, dans sa
prière. Comme tout disciple missionnaire, le prêtre rend l’annonce
joyeuse par tout son être. Et, d’autre part, ce sont justement les
détails les plus insignifiants - nous en avons tous fait l’expérience –
qui contiennent et communiquent le mieux la joie : le détail de celui
qui fait un petit pas de plus et fait en sorte que la miséricorde
déborde dans les territoires qui n’appartiennent à personne ; le détail
de celui qui se décide à concrétiser la rencontre et en fixe le jour et
l’heure. Le détail de celui qui permet, avec une douce disponibilité,
qu’on use de son temps …
La joyeuse Annonce peut paraître
simplement une autre façon de dire « Évangile » : comme « bonne
nouvelle » ou « joyeuse nouvelle ». Cependant, elle contient quelque
chose qui résume tout le reste : la joie de l’Évangile. Elle résume
tout, parce qu’elle est joyeuse en elle-même.
La joyeuse Annonce est la perle
précieuse de l’Évangile. Ce n’est pas un objet, c’est une mission. Celui
qui fait l’expérience de « la douce et réconfortante joie d’évangéliser » (Exhort. ap. Evangelii gaudium, n. 10) le sait.
La joyeuse Annonce naît de l’Onction. La
première, la « grande onction sacerdotale » de Jésus, c’est celle qu’a
faite l’Esprit Saint dans le sein de Marie.
En ces jours-là, la joyeuse Annonciation
a conduit la Mère Vierge à chanter le Magnificat, a rempli d’un saint
silence le cœur de Joseph, son époux, et a fait tressaillir de joie Jean
dans le sein de sa mère Elisabeth.
Aujourd’hui, Jésus revient à Nazareth et
la joie de l’Esprit renouvelle l’Onction dans la petite synagogue du
village : l’Esprit se pose et se répand sur lui, en le consacrant d’une
onction de joie (cf. Ps 44, 8).
La joyeuse Annonce. Un seul mot – Évangile – qui par le fait même d’être annoncé devient une vérité joyeuse et miséricordieuse.
Que personne n’essaie de séparer ces
trois grâces de l’Évangile : sa Vérité – non négociable -, sa
Miséricorde – inconditionnelle pour tous les pécheurs – et sa Joie –
intime et inclusive. Vérité, Miséricorde et Joie : toutes les trois
ensemble.
La vérité de la joyeuse Annonce ne
pourra jamais être uniquement une vérité abstraite, de celles qui n’en
finissent pas de s’incarner pleinement dans la vie des personnes parce
qu’elles se trouvent plus à l’aise dans la lettre imprimée dans les
livres.
La miséricorde de la joyeuse Annonce ne
pourra jamais être une fausse commisération, qui laisse le pécheur dans
sa misère parce qu’elle ne lui tend pas la main pour qu’il se lève et ne
l’accompagne pas pour qu’il fasse un pas en avant dans son engagement.
L’Annonce ne pourra jamais être triste ou neutre, car elle est l’expression d’une joie entièrement personnelle : « la joie d’un Père qui ne veut pas qu’un de ses petits se perde » (Exhort. ap. Evangelii gaudium, n. 237) : la joie de Jésus lorsqu’il voit que les pauvres sont évangélisés et que les petits vont évangéliser (cf. ibid., n. 5).
Les joies de l'Évangile
Les joies de l’Évangile – j’utilise à
présent le pluriel, car elles sont nombreuses et variées, selon ce que
l’esprit veut communiquer à chaque époque, à chaque personne dans chaque
culture particulière – sont des joies spéciales. Elles doivent être
conservées dans des outres neuves, celles dont parle le Seigneur pour
exprimer la nouveauté de son message.
Je vous fais part, chers prêtres, chers
frères, de trois icônes d’outres neuves dans lesquelles la joyeuse
Annonce se conserve bien – il est nécessaire de la conserver –, ne
devient pas aigre et se déverse abondamment.
Une icône de la joyeuse Annonce est
celle des jarres de pierre des Noces de Cana (Jn 2, 6). Dans un détail,
elles reflètent bien cette Outre parfaite qu’est – Elle-même, toute
entière – Notre-Dame, la Vierge Marie. L’Évangile dit qu’« ils les remplirent jusqu’au bord »
(Jn 2, 7). J’imagine que quelque servant aura regardé Marie pour voir
si c’était suffisant ainsi et qu’il y aura eu un geste de sa part pour
leur dire d’ajouter encore un seau [d’eau]. Marie est l’outre neuve de
la plénitude contagieuse. Mais, très chers, sans la Vierge Marie nous ne
pouvons pas progresser dans notre sacerdoce ! Elle est « la petite servante du Père qui tressaille de joie dans la louange » (Exhort. ap. Evangelii gaudium,
n. 286), Notre-Dame de la promptitude, celle qui, à peine a-t-elle
conçu dans son sein immaculé le Verbe de vie, va visiter et servir sa
cousine Elisabeth. Sa plénitude contagieuse nous permet de surmonter la
tentation de la peur : ce fait de ne pas avoir le courage de nous faire
remplir jusqu’au bord et aussi au-delà, cette pusillanimité à ne pas
sortir pour communiquer la joie aux autres. Rien de tout cela, car « la joie de l’Évangile remplit le cœur et toute la vie de ceux qui rencontrent Jésus » (ibid., n. 1).
La deuxième icône de la joyeuse Annonce
que je veux partager avec vous est cette jarre que – avec sa louche de
bois – en plein soleil de midi, la Samaritaine portait sur la tête (cf.
Jn 4, 5-30). Elle exprime bien une question essentielle : celle du
concret. Le Seigneur, qui est la source d’eau vive, n’avait pas de quoi
puiser de l’eau pour en boire quelques gorgées. Et la Samaritaine a pris
de l’eau de sa jarre avec la louche et a étanché la soif du Seigneur.
Et elle l’a étanchée encore plus par la confession de ses péchés
concrets. En agitant l’outre de cette âme samaritaine, débordant de
miséricorde, l’Esprit Saint s’est répandu dans tous habitants de ce
petit village, qui ont invité le Seigneur à rester parmi eux.
L'exemple de Mère Teresa
Une outre neuve, autant concrète et
inclusive, le Seigneur nous l’a offerte dans l’âme « samaritaine » qu’a
été Mère Teresa de Calcutta. Il l’a appelée et lui a dit « J’ai
soif ». « Ma petite, viens, conduis-moi dans les trous (taudis) des
pauvres. Viens, sois ma lumière. Je ne peux pas y aller seul. Ils ne me
connaissent pas, et c’est pourquoi ils ne veulent pas de moi.
Conduis-moi chez eux ». Et elle, en commençant par quelqu’un de
concret, par son sourire et par sa façon de toucher des mains les
blessures, a apporté la joyeuse Annonce à tous. La façon de toucher des
mains les blessures : les caresses sacerdotales aux malades, aux
désespérés. Le prêtre homme de la tendresse. Du concret et de la
tendresse !
La troisième icône de la joyeuse Annonce
est l’immense Outre du Cœur transpercé du Seigneur : intégrité douce,
humble et pauvre, qui attire chacun à lui. Nous devons apprendre de lui
qu’annoncer une grande joie à ceux qui sont très pauvres ne peut se
faire que d’une manière respectueuse et humble jusqu’à l’humiliation.
Concrète, tendre et humble : ainsi l’évangélisation sera joyeuse.
L’évangélisation ne peut pas être présomptueuse, l’intégrité de la
vérité ne peut pas être rigide parce que la vérité s’est faite chair,
s’est faite tendresse, s’est faite enfant, s’est faite homme, s’est
faite péché sur la croix (cf. 2 Co 5, 21). L’Esprit annonce et enseigne «
toute la vérité » (Jn 16, 13) et ne craint pas de la faire boire par
gorgées. L’Esprit nous inspire à tout moment ce que nous devons dire à
nos adversaires (cf. Mt 10, 19) et éclaire le petit pas en avant qu’en
ce moment nous pouvons faire. Cette douce intégrité donne de la joie aux
pauvres, redonne du courage aux pécheurs, fait respirer ceux qui sont
opprimés par le démon.
Chers prêtres, en contemplant et en
buvant à ces trois outres neuves, que la joyeuse Annonce ait en nous la
plénitude contagieuse que la Vierge transmet de tout son être, le
caractère concret et inclusif de l’annonce de la Samaritaine et la douce
intégrité par laquelle l’Esprit jaillit et se répand, continuellement,
du Cœur transpercé de Jésus notre Seigneur.