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dimanche 6 avril 2014

La doctrine réaliste d’Aymeric Chauprade




Connu du grand public depuis sa nomination à la tête de liste pour l’Île-de-France aux élections européennes sous la bannière Front national, Aymeric Chauprade possède un curriculum vitae fourni : Sciences-Po, docteur en science politique et ancien chercheur pour l’université Paris Descartes, ancien enseignant au Collège interarmées de défense (ex-École de guerre), responsable du site realpolitik.tv et auteur de nombreux ouvrages sur la géopolitique. Soutien d’antan de Philippe de Villiers, il n’est guère étonnant de le voir actuellement au Front national, lui qui conseille officieusement Marine Le Pen depuis trois ans [1] sur les questions géopolitiques.


Il se définissait auparavant comme un souverainiste de droite aux idées libérales en matière économique. Ses positions actuelles sont plus en phase avec le discours contemporain du Front :

« De manière simple, d’un côté le programme individualiste et matérialiste occidental poussé à l’extrême (comme le droit des minorités sexuelles, par exemple), de l’autre la résistance des civilisations et leur tradition (christianisme, islam, sagesses d’Asie,…) à ce projet occidental. Il me semble que la bipolarité idéologique qui se dessine est là. Elle ne tient pas dans l’opposition libéralisme/communisme, l’opposition de deux matérialismes (dont un est tombé en partie grâce à la résistance forte opposée en Europe par le christianisme) ; elle est bien plus dans l’opposition entre matérialisme et traditionalisme que l’on peut résumer à la fracture du monde entre d’un côté ceux qui croient que l’individu est la valeur suprême, de l’autre côté ceux qui pensent que la transcendance ou le bien commun sont supérieurs à la personne. Mon engagement se situe clairement dans le deuxième camp. L’ennemi c’est le matérialisme qui, sous des formes diverses, ronge nos sociétés et explique une grande partie de leurs maux [2]. »
Chauprade a été très influencé par la doctrine réaliste de son maître François Thual. Ce dernier s’attachait à ne pas tomber dans l’amoncellement de concepts obscurs pour préférer une analyse en phase avec la réalité des États. Il ne versait pas dans le déterminisme géographique (géopolitique comme conséquence de la géographie seule) ou dans le monisme causal en général (géopolitique produit d’une seule cause). D’après lui , la géopolitique est plutôt un rapport de forces au sein duquel la géographie et l’identité jouent un rôle important. Contre la géopolitique civilisationnelle de Samuel Huntington, célèbre auteur du Choc des civilisations, qui voit les relations internationales comme des luttes entre ensembles cohérents, Thual préfère étudier les constantes historiques et les logiques étatiques. À ce sujet, il serait en effet absurde de parler de bloc chrétien ou de bloc islamique, tant ces supposées collectivités n’ont aucune cohérence politique.

Notons également qu’Aymeric Chauprade s’est récemment illustré par une position courageuse sur les attentats du 11 Septembre [3] ; la presse alignée, allant de 20 Minutes au Figaro, l’a qualifié de « complotiste » pour avoir simplement douté de la version officielle [4].

Il sera ici question de réaliser un bref tour d’horizon des relations internationales et principaux enjeux géopolitiques selon le paradigme réaliste d’Aymeric Chauprade (toutes les régions du monde ne pourront être étudiées ; les problématiques africaines et arctiques, notamment, ne seront pas évoquées).

Pays musulmans : entre tentation atlantiste et résistance nationale

L’Irak

En 1990, Bush père décide l’embargo de l’Irak et bombarde le pays. Son fils George, l’ex-alcoolique, l’envahit pour des raisons pétrolières, l’Irak étant à l’époque titulaire des quatrièmes réserves au monde. Il faut ajouter à ces raisons le danger pour Israël d’avoir près de ses frontières un fort nationalisme, qui finance divers groupes pro-palestiniens.

Afin de déstabiliser le pays, la partition est programmée en jouant sur les tensions ethniques. Le résultat est sans appel : mort de la moitié des chrétiens du pays, division chiites/sunnites/kurdes et destruction de toutes les infrastructures. Les firmes pétrolières américaines, chinoises et russes s’en tirent avec des contrats plein les poches et les compagnies de sécurité pullulent, cherchant à justifier leur existence par le manque de sécurité dans le pays.



La Turquie

Les relations entre l’Europe et la Turquie ne datent pas d’hier. Dès 451, Attila sème la terreur au sein de l’Empire romain. Au VIIIème siècle, l’Islam naissait. L’Empire byzantin s’effondre en 1457. Du XVIème au début du XVIIème siècle, la Turquie est la première puissance du monde dotée d’une position géographique confortable pour les affaires commerciales. Un certain progrès technique et scientifique ainsi qu’une importante natalité sont à noter.

La Turquie a aujourd’hui une position conservatrice sur les valeurs, elle est libérale sur le plan économique et atlantiste, malgré l’échec de son intégration dans l’Union européenne.



Le Moyen-Orient

Dès 1945, Les USA et l’Arabie Saoudite scellent une alliance pétrolière. La Chine perdait déjà l’avantage. Parallèlement, l’oncle Sam s’est toujours préoccupé de la sécurité d’Israël. En vertu de la doctrine israélienne, ce pays doit rester la seule puissance nucléaire de la région.

Un aperçu des plans américains de dislocation du Moyen-Orient :






Afin de combattre les Russes et le nationalisme de l’OLP (Organisation de libération de la Palestine), les Américains et les Israéliens ont respectivement soutenu les islamistes en Afghanistan et le Hamas en Palestine.



L’Afghanistan

Pays infesté par les guerres tribales autour de la maîtrise de l’opium, ce qui a intégralement détruit l’agriculture traditionnelle, l’Afghanistan a été le théâtre de la lutte entre les USA et l’URSS. Sur proposition du Pakistan, les américains décident de financer les talibans afin de déstabiliser les russes. La solution est moins chère et permet d’alimenter les fonds secrets de la CIA. La suite est connue, l’ennemi était créé.

Depuis le départ des talibans, qui voyaient dans l’opium l’arme de l’abrutissement des mécréants occidentaux, le pays est devenu le premier producteur d’opium – à partir duquel est fabriquée l’héroïne –, le Kosovo étant la plaque tournante de la distribution.



L’Iran

L’Iran est un obstacle récurrent à la politique expansionniste américaine. En 1950 était conclu le pacte de Bagdad, regroupant la Turquie, l’Iran, l’Irak et le Pakistan. Ces pays se mettaient alors sous la tutelle de l’OTAN. L’Irak dénonce l’accord en 1960 avec la création du parti Baas. Coté iranien, les Américains sont effrayés par la politique d’indépendance nationale du Shah et facilitent l’accès au pouvoir des chiites, qui renieront par la suite le grand-frère américain. Dans l’esprit étatsunien, il fallait laisser s’affronter l’impérialisme chiite et l’athéisme matérialiste soviétique.

Placé au troisième rang en matière de réserves pétrolières après l’Arabie Saoudite et le Venezuela, au deuxième rang derrière la Russie en matière de gaz, l’Iran constitue un élément unifié et gênant pour les intérêts impériaux. Les États-Unis, qui disposent déjà de 50 % des réserves pétrolières du Moyen-Orient, adoptent une stratégie d’encerclement du pays.

Composé à 90 % de chiites et d’1 % de juifs et de chrétiens, l’Iran est un pays persanophone (langue indo-européenne) disposant d’un certain nombre d’atouts : nationalisme, pouvoir élastique et non pyramidal, culture chiite du martyre.



La Libye

Pays tribal, la Libye est constituée de cent quarante tribus dont trente puissantes. Elle possède un pétrole d’excellente qualité facile à extraire. Le nationalisme pétrolier de Kadhafi dérangeait profondément les majors occidentales. Les Américains et les Européens ont largement soutenu les islamistes de la région de Cyrénaïque. Sous la férule du ridicule Bernard-Henri Lévy, la France a contribué à la destruction du régime et à la mise à mort du colonel Kadhafi. Les islamistes que les occidentaux ont mis au pouvoir sont descendus au Mali pour déstabiliser le pays et obliger ainsi le pouvoir français à intervenir dans la région. La soumission de la France aux intérêts siono-atlantistes explique l’absurdité de sa politique étrangère depuis la présidence de Nicolas Sarkozy.



Le monde musulman, un bloc non-cohérent

Le chiisme refuse de reconnaître les dynasties omeyyades et abbassides. Selon cette religion, les vrais musulmans sont les alides, les descendants d’Ali, cousin et gendre de Mohamed. Les chiites regroupent 15 % des musulmans.

Anciennement dominé par la minorité sunnite (20 % de la population), l’Irak est aujourd’hui un pays divisé dont se méfient les Saoudiens, par crainte de son retour sur la scène pétrolière, mais aussi les Iraniens, en raison de l’insensibilité du clergé irakien aux intérêts de la République islamique d’Iran. Les Américains maintiennent en Irak un climat de tension afin de justifier leur présence. Les services secrets pakistanais ont de leur côté sponsorisé l’islamisme afin de combattre les chiites du Pakistan.

L’actuelle persécution de la Syrie par les Occidentaux s’explique par la crainte américaine et israélienne des nationalismes arabes sur le modèle baasiste irakien. La Syrie a été unifiée par Hafez El-Assad, arrivé au pouvoir en 1970, et appartenant à la minorité alaouite (variante du chiisme). À noter une tâche d’ombre pour ce pays très stable : la répression des Frères musulmans, qui a fait 20 000 morts.



Le rôle contestable d’Israël dans la région


L’État juif s’est depuis sa création largement étendu. Afin de miner la tentative d’unification nationale d’Arafat et son organisation très corrompue pour la libération de la Palestine, Israël participe à l’avènement du Hamas, qui devient maître de Gaza. Cette organisation très sociale a été ensuite soutenue par l’Arabie Saoudite et l’Iran.

Allié des Américains depuis sa création en 1948, les relations d’Israël avec les États-Unis s’intensifient sous Reagan avec l’accession au pouvoir des néoconservateurs, qui terrassent la coterie purement pétrolière.

La résistance eurasiatique et sud-américaine à la domination étatsunienne

Le problème russe des États-Unis

En 1941, l’OTAN était en gestation. Roosevelt envisageait alors déjà la création d’un gouvernement mondial. Ce rêve devint possible avec l’effondrement de l’URSS. Cette organisation a deux buts principaux : éviter que la Chine devienne la première puissance mondiale et tempérer la montée en puissance de la Russie.

Le général De Gaulle retire la France du commandement intégré de l’OTAN en 1966 afin de développer l’arme nucléaire. Sarkozy est revenu sur cette sage décision. En Europe, l’Ukraine est un des rares pays à soutenir la Russie. Les évènements contemporains illustrent la volonté occidentale de semer le chaos dans cette région d’influence russe.

Des années plus tôt, derrière la destruction du Kosovo se cachait déjà la main de l’Oncle Sam. Cœur historique de la Serbie et siège du patriarcat orthodoxe, pays frère de la Russie, le pays a été le théâtre de luttes sanguinaires entre les islamistes financés par la CIA et l’Arabie Saoudite et les Serbes orthodoxes. L’idée sous-jacente était de diviser pour régner et d’encourager le séparatisme afin de diminuer l’influence russe. Le Kosovo est aussi un pays très riche en ressources minières. Dans la région du Nord-Caucase (sud-est de la Russie), les Tchétchènes sont largement soutenus par les islamistes arabes et pakistanais ainsi que par les Américains, qui auraient néanmoins cessé ce soutien depuis le 11 septembre 2001, dans une volonté prétendue de lutter contre le terrorisme.

Les révolutions colorées en Europe de l’Est incarnent une nouvelle fois cette volonté américaine de diminuer la puissance de la Russie. En Géorgie, Saakachvili, mis en place par les Américains, n’a pas réussi à installer des missiles grâce à la finesse diplomatique des Russes. En Ukraine, la Révolution orange, soutenue par des mondialistes comme George Soros, met au pouvoir des hommes de paille favorables aux Occidentaux. Finalement, Ianoukovitch, pro-russe, est élu en 2010. La question actuelle est de savoir si les néonazis ukrainiens vont être manipulés par les Américains par haine des Russes ou s’ils vont réussir à maintenir un nationalisme indépendant, ce qui semble peu probable. Les Russes ne lâcheront jamais ce pays, qui est le point de départ de leur histoire.

De manière générale, la stratégie du chaos des Américains comporte les éléments suivants : financement des ONG droits-de-l’hommistes, description du pouvoir en place comme étant anti-démocratique et intervention en amont d’organismes comme le CFR (Council on Foreign Relations) ou l’Open Society de Soros.

Les Américains font tout pour éviter l’alliance de l’Allemagne, de la Russie et de la Chine. La Russie est détentrice de 24 % des réserves prouvées de gaz et de 5 % des réserves prouvées de pétrole. Les pays qui lui sont proches sont l’Iran, la Chine, l’Allemagne et l’Inde. Son influence augmente en Afrique et en Amérique du Sud. Depuis l’arrivée de Poutine au pouvoir, la Russie a adopté une position d’équilibre des forces dans une optique multipolaire.



La défiance chinoise

La Chine est un pays très unifié, à la fois ethniquement et d’un point de vue linguistique. Le Royaume-Uni comme les États-Unis ont soutenu le séparatisme tibétain, qui est vu en France comme une source de spiritualité à travers la figure du Dalaï-lama. Le soi-disant « Tibet libre » est en réalité une théocratie féodale très divisée.

La Chine a toujours privilégié la terre à la mer. Elle a fini par récupérer Hong-Kong et Macao. La principale problématique de la Chine réside dans sa forte dépendance au pétrole. Elle s’est alliée pour cela avec la Russie, le Venezuela et des pays africains. À l’inverse du terrorisme moral américain, qui souhaite imposer son mode de vie et sa démocratie de marché à tout le monde, la Chine exporte sa population et investit largement dans les pays ciblés.

Une fois la maîtrise de son territoire et des alentours accomplie, la Chine a commencé à exercer son influence plus loin dans des pays comme la Corée, le Japon, l’Indochine, le Vietnam et la Thaïlande. Au-delà, il n’y a selon les Chinois que des barbares. La grande muraille a d’ailleurs été construite pour s’en protéger. À l’instar des Russes, les Chinois refusent la stratégie d’endiguement des Américains et plaident pour une vision multipolaire du monde. Le voisin japonais, toujours sous la chape de plomb culpabilisatrice post-Seconde Guerre mondiale, est très dépendant énergétiquement de l’étranger. La sécurité de son espace maritime est assurée par les Américains.  



Le populisme sud-américain

Le gouvernement américain est confronté en Amérique du Sud à des régimes populistes très sociaux. Que ce soit le mouvement péroniste, qui a cherché en Argentine une troisième voie entre le libéralisme et le communisme, le bolivarisme (populisme impliquant la distribution des revenus du pétrole), le bonapartisme péruvien et son culte des Incas, le zapatisme mexicain plaidant pour la reconnaissance des droits des Indiens et la résistance vénézuélienne à l’impérialisme américain, l’Amérique du Sud est parsemée d’îlots de résistance à la globalisation libérale-libertaire voulue par l’Oncle Sam. Seul le Brésil parvient à s’entendre avec tout le monde. Le Mexique reste quant à lui le supplétif des Américains.



À travers ce bref tour d’horizon « chaupradien », on découvre un point de vue multipolaire opposé à l’unilatéralisme atlantiste de la politique étrangère française depuis Nicolas Sarkozy. Contrairement à ce que veulent nous faire croire les Américains, ni l’Islam, ni la Russie ni la Chine ne sont en cause dans le nouveau désordre mondial. La faute serait plutôt à chercher du côté américano-sioniste. Le gouvernement actuel aurait fort intérêt à reprendre les analyses de celui qui conseille Marine Le Pen et dont certains collaborateurs sont bien implantés en Russie – notamment Xavier Moreau, du site realpolitik.tv –, car s’il y a bien aujourd’hui un pays qui peut se targuer d’une grande sagacité diplomatique, c’est bien la Russie. Le gouvernement américain, trop sûr de sa puissance, a commis de nombreuses erreurs, notamment sur la question syrienne. La France ne manque pas de fins analystes, dans bien des domaines, qui doivent souvent subir le silence médiatique. C’est d’ailleurs souvent à cela qu’on reconnaît la pertinence de leurs propos.