Le déclenchement d’un conflit est souvent la conséquence d’un dialogue de sourds. Pour Trump, une Corée du Nord dotée de l’arme nucléaire est inacceptable. Pour Kim Jong-un, avoir sa bombe est une garantie de survie.
Au moment où la tension continue de
s'accroître dans la péninsule coréenne, il est opportun de se demander
comment les guerres commencent. Certaines peuvent être le produit de la
volonté délibérée d'un acteur. Ce fut clairement le cas de la Seconde
Guerre mondiale. Hitler, conscient qu'il ne disposait que d'un temps
limité pour réaliser son rêve de créer un « Nouvel Ordre européen »,
voulait la guerre. La guerre peut aussi être la résultante d'un système
d'alliances, souvent secret, qui agit comme pourrait le faire un jeu de
dominos. Ce fut le cas de la Première Guerre mondiale.
Mais,
le plus souvent, la guerre est la conséquence d'erreurs
d'interprétation sur les intentions et la conduite probable de l'autre.
Ni l'Egypte ni Israël ne désiraient délibérément la guerre en juin 1967,
mais aucun ne recula devant le risque d'un engagement militaire.
L'exemple de la guerre de Corée, qui dura de 1950 à 1953 et fit
plusieurs millions de victimes civiles et militaires, est, de ce point
de vue, particulièrement intéressant, et pas seulement en raison de son
actualité brûlante et des parallèles qui peuvent exister entre le
présent le plus immédiat et le passé.
Lorsque les troupes nord-coréennes, équipées par l'URSS, traversèrent le 38e parallèle
(qui marquait depuis 1945 la division entre les deux Corées), aucun
dirigeant à Pyongyang ou à Moscou ne s'attendait à autre chose qu'à de
vives protestations diplomatiques de la part de Washington. Dans un
discours entré dans l'histoire, en date du 12 janvier 1950, le
secrétaire d'Etat de l'époque, Dean Acheson, un très grand diplomate par
ailleurs, avait omis de placer la Corée du Sud dans la liste des pays
bénéficiant de la garantie de protection américaine. Les Etats-Unis
n'avaient pas réagi à la prise de pouvoir des communistes en Chine,
pourquoi se seraient-ils préoccupés du sort de la Corée du Sud ? Ce
n'était pas un enjeu vital pour la sécurité de l'Amérique. L'initiative
de l'attaque venait peut-être exclusivement de Kim Il-sung, le dictateur
nord-coréen, il n'en fut pas moins soutenu par Staline, qui était
convaincu que son offensive se conclurait par un succès sans risque. Il
en fut bien sûr tout autrement, le président Harry Truman ayant décidé
qu'il était dans l'intérêt des Etats-Unis de mettre un coup d'arrêt à
l'usage de la force comme moteur principal des relations
internationales, et accessoirement à l'expansion communiste dans le
monde. Trop, c'était trop.
Ce bref rappel
historique n'est pas inutile si l'on veut comprendre les risques et les
enjeux d'une crise qui a la potentialité de devenir la plus grave que le
monde ait connue depuis au moins la fin de la guerre froide. Tout comme
en 1950, les parties au conflit, ne semblent pas bien comprendre la
position de l'autre. Ainsi, lorsque Donald Trump déclare que « si la Chine ne règle pas le problème nord-coréen, l'Amérique s'en occupera »,
est-il réellement audible par Pékin ? Certes, la pensée chinoise sur la
situation dans la péninsule coréenne est peut-être en train d'évoluer.
Un historien chinois, spécialiste de la guerre de Corée, le professeur
Shen Zhihua, ne déclarait-il pas récemment que « la Corée du Sud
pouvait devenir l'amie de la Chine, alors que la Corée du Nord était en
train de devenir un ennemi potentiel ».
Pékin peut trouver le régime nord-coréen
insupportable - tout comme Moscou peut juger le régime syrien
incontrôlable -, mais la Chine pas plus que la Russie ne sont sans doute
prêtes à changer d'alliés. La Chine pourrait exercer des pressions
économiques décisives sur une Corée du Nord qui dépend d'elle pour sa
survie économique. Mais le veut-elle vraiment ? Pour Pékin, la Corée du
Nord reste avant tout un « Etat tampon » entre elle et la présence
militaire américaine en Asie. Le régime de Pyongyang peut être une secte
baroque et suicidaire, il n'en demeure pas moins comme une alternative
préférable à l'existence d'une péninsule coréenne réunifiée sous la
bannière de la Corée du Sud.
Le choix pour
les Chinois est inconfortable : soutenir un allié insupportable ou
renforcer les Etats-Unis dans ce qui devient toujours davantage comme
une compétition entre les deux plus grandes puissances mondiales. Mais
ce qui est radicalement nouveau dans la crise actuelle, c'est, bien sûr,
la personnalité des acteurs principaux eux-mêmes. Washington évoque
désormais ouvertement des scénarios d'élimination physique des
dirigeants nord-coréens, au moment où Pyongyang parle de l'utilisation
immédiate de l'arme nucléaire en cas d'attaques contre son régime.
Pour
les dirigeants nord-coréens, la bombe atomique constitue la garantie de
leur survie, ce qui les distingue de l'Irak de Saddam Hussein. Pour les
Américains, l'existence d'une Corée du Nord irresponsable, imprévisible
et dotée de l'arme nucléaire, est tout simplement inacceptable, tant
pour l'équilibre de la région asiatique que pour l'image des Etats-Unis
dans le monde.
En poussant les Chinois à
exercer leurs responsabilités régionales et mondiales, Washington fait
passer à Beijing un message complexe : « Vous prétendez devenir mon
égale, et bien prouvez-le ! » Mais, dans cette dernière phrase, il y a
désormais un ton impérieux qui s'apparenterait presque à un
avertissement et qui pourrait se traduire ainsi : « N'oubliez pas que
nous ne sommes pas encore égales. »
Le
problème est que Washington et Pékin semblent faire du leader d'une
secte au pouvoir depuis plus de soixante-dix ans l'arbitre de leur
rivalité. Et depuis l'arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche, car
l'Amérique est, elle aussi, une puissance asiatique, dans cette partie
du monde l'imprévisibilité et l'irrationalité ne sont plus l'apanage des
dirigeants nord-coréens. C'est pour toutes ces raisons que le précédent
de la guerre de Corée doit être médité. Il y a des guerres qui
commencent presque sans y penser, produit de la légèreté des uns et des
erreurs de calcul des autres.