Ce texte est paru sur le site de Rebellion/OSRE le 27 avril 2017 :
Macron, ou le sacre de l'individu différencié
Autrefois
de ce que furent les communautés de travail en France, rivées à
l'industrie de la première puis de la deuxième révolution industrielle,
tout comme à l'intense activité agricole du temps du maillage dense des
petites exploitations dans nos campagnes, il ne reste que le
mélancolique souvenir des temps glorieux des fiertés passées et des
batailles sociales. Non pas bien sûr que les ouvriers et employés de
France aient disparus de notre réalité nationale, mais comme beaucoup
d'entre nous ne le savent que trop, nous vivons aujourd'hui un temps où
nous avons de plus en plus le sentiment d'en être... de trop. Depuis
déjà des décennies la France est en proie à la désindustrialisation,
parallèlement à l'hyper-industrialisation de l'agriculture qui a fait
des campagnes françaises un « désert vert ». L'emploi, pour une frange
de plus en plus large de la classe populaire, s'est par conséquent
raréfié au fil de l'ouverture des marchés à la concurrence
internationale et au jeu du dumping social privilégiant les pays
européens, ou non, possédant les coûts du travail les plus bas.
La
destruction de l'emploi en France, comme dans l'ensemble des anciens
pays industrialisés, est donc un fait acté par le système oligarchique
mondialiste. Il l'est de par sa propre logique. Il l'est de par le fait
que le besoin de valorisation des capitaux demande expressément une
réorganisation totale et mondiale de la production. Dans ce cadre,
l'ouvrier français devient inutile en tant qu'ouvrier, en tant
qu'employé s'identifiant par rapport à son travail, à sa communauté de
travail qui lui apportait encore un tant soit peu de dignité et de sens
commun. Nous ressentons aujourd'hui nettement que ces communautés
n'existent plus que comme simulacres, comme virtualités appelées à
donner aux salariés l'impression qu'il subsiste des cadres intégrateurs
pour l'évolution personnelle du « collaborateur » (perte de sens,
glissement de signification... !). L'individualisation du
travailleur-collaborateur est de nos jours ce qui devient la réalité
quotidienne au travers de l'individualisation des objectifs, des
résultats, et ce par l'outil funeste des statistiques qui amplifie ce
sentiment, et le désarroi qui va avec de la désocialisation et de la
perte de sens.
Mais
surtout, ce qu'enseigne cette méthode moderne de management
individualisante, c'est qu'il ne serait être dans l'air du temps de
vouloir se raccrocher à une quelconque forme de communauté, ni de
travail, ni nationale. Il devient donc urgent, du point de vue du
« système », d'intégrer la nécessité d'absolument s'adapter à un
changement majeur : une modification profonde de notre rapport au
travail et à son lien à toute forme de communautés qui
traditionnellement le portait à en faire un instrument de réalisation de
la personne humaine, malgré son intégration forcée dans la « logique »
capitaliste. Eh oui ! Nous ne serions plus indispensables mais en
surnombre, cela va de soi, encore faut-il pour nos « maîtres » nous
l'inculquer en intégrant à nos logiciels la démonstration de cette
« logique » et les moyens calculatoires d'en faire notre seul secours en
ces temps incertains.
Les
rapports de production ont évolué de rapports hiérarchiques de
domination directe par l'entremise de cadres et agents de maîtrise, à
une pratique collaborative « horizontale » au cœur de laquelle se
concentrent les notions de compétences et de compétitivité. Tout comme
les entreprises actuelles, surtout les plus importantes, qui sont
désormais plus cotées par rapport à leur potentiel de retour sur
investissement et donc de compétitivité globale (facteurs de motivation,
compétences, « gestion rationnelle » du social, adaptabilité aux
nouvelles technologies, etc)1
- ce qui est coextensif à la financiarisation de l'économie réelle dans
le seul but de la spéculation -, les individus-collaborateurs se
doivent de la même façon faire de plus en plus preuve de leurs capacités
à « entreprendre » et surtout s'adapter continuellement aux nouvelles
donnes du « progrès » économique. Ce nouveau paradigme inaugure une
atomisation accrue des individus dans le monde du travail et la fin
programmée de ce qui subsistait jusque là des anciennes communautés de
travail.
Et
pourquoi programmée ? Parce que cette forme d' « économie »
financiarisée a tout autant besoin qu'avant d'un centre de décision ;
autrefois l'État bourgeois, ce centre est aujourd'hui l'étroit réseau
international occidental comportant le monde de la grande finance et ce
que l' « on » nous sert en guise de relance de l'économie et de création
de nouveaux emplois : la « nouvelle économie numérique ». Ainsi le sort
de l'Occident en est jeté : se lancer à bride abattue dans la vision
frénétique de l'avenir technologique et, au travers des capacités de
valorisation que celle-ci peut offrir – surtout à une élite de bobos
mondialisés et connectés –, tâcher de devenir les précurseurs et
dirigeants du monde post-humain de demain.
Deux types de « travailleurs » atomisés se dégagent d'une telle dynamique folle et irresponsable : les « gagnants » (winners)
qui auront su s'adapter et pleinement profiter de leurs capacités à
d'une part se soumettre à la loi des statistiques et des objectifs, et
d'autre part aux méthodes hyper-rationalisées et hyper-technologisées de
travail ; et puis tous les autres : les perdants (loosers) qui
seront invités à acquérir néanmoins la capacité de se vendre par
eux-mêmes directement à ceux qui ne seront plus leurs employeurs mais
leurs clients (ubérisation, auto-entreprenariat, etc). Voici le type de
société que Macron, mais surtout tous ceux qui sont derrière, veut
approfondir et développer en France, une société dans laquelle chaque
travailleur devra intégrer profondément en lui le phantasme du jeune
loup d'entrepreneur que cet ancien cadre bancaire dynamique de chez
Rothschild personnifie parfaitement. Un phantasme où, est-il utile de le
rappeler, l'individu ainsi reformaté n'a plus aucune nécessité
d'appartenance, tant culturelle ou nationale que liée à un métier ou à
une certaine éthique. Ce délire ne vient pas de rien ; il est la suite
d'une certaine logique : celle d'une vision capitaliste hyper-moderne du
monde !
Y.S. (le 27 avril 2017)
1D'où
l'extrême importance des statistiques et résultats périodiques diffusés
au sein des boîtes, avec primes à la clef, qui sont aptes à mesurer
« en temps réel » le niveau de rentabilité à l'investissement en regard
par conséquent d'une aptitude qu'il s'avère nécessaire de maintenir
valide pour les investissements en capitaux issu de la finance
mondialisée.