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mercredi 17 janvier 2018

De Poitiers aux prières de rue : « La France et l’islam au fil de l’histoire »

L’historien Gerbert Rambaud a publié un essai d’une grande utilité : La France et l’islam au fil de l’histoire. Quinze siècles de relations tumultueuses (Le Rocher, 2017).

L’Histoire est tragique, dit-on. Et sans doute celle des relations entre la France et l’islam l’est-elle d’autant plus. Une narration de ces quinze siècles de « relations tumultueuses » nous faisait défaut ; voilà que l’ouvrage indispensable de Gerbert Rambaud vient combler ce manque. Plus d’excuses donc : nous pouvons inscrire nos défis actuels dans le temps long.

De Poitiers aux prières de rue : « La France et l’islam au fil de l’histoire »Un essai courageux

L’un des grands mérites de l’auteur est d’éclaircir cette dynamique en distinguant trois grandes périodes : d’abord celle de la confrontation première qui s’ouvre par le premier contact entre l’islam et la France, contact qui fut naturellement une invasion et dont l’auteur décrit les stigmates dans le Sud du pays, puis s’enchaîne sur la riposte européenne à l’hégémonie islamique que furent les croisades. Vint ensuite une phase de jeux d’alliance, à la fois économiques et militaires, variant au fil du temps. La Reconquista dans la péninsule ibérique provoqua en effet la disparition d’une frontière commune avec l’islam et, le danger islamique s’éloignant, François Ier scellera l’alliance du croissant ottoman et du lys de France face à l’étau de l’Empire Habsbourg – alliance par ailleurs justifiée par la protection des Chrétiens d’Orient. Cette période de cinq siècles, celle de la modernité occidentale, est sans doute la plus complexe, tant se croisent les exigences d’une realpolitik ou les méfiances – comme celles des hommes des Lumières. Enfin, le XIXe siècle vit l’émergence d’une « cohabitation progressive », selon les termes de l’auteur : c’est-à-dire cohabitation entre la France et l’islam en terre d’islam, précédant la décolonisation qui ouvrit la période actuelle, celle d’une « cohabitation » en terre de France.
Essai éclairant donc, d’autant plus que Gerbert Rambaud contrecarre courageusement de nombreuses réécritures historiques : sur la bataille de Poitiers, « escarmouche sans importance » selon les manipulateurs de la mémoire qui sévissent aujourd’hui dans les Universités et les manuels scolaires, ou encore sur la transmission des savoirs des Anciens par les monastères – et non via l’islam, thèse qui valut à l’historien Sylvain Gouguenheim une campagne médiatique calomniatrice.

Un besoin de « méditation historique »

L’ouvrage de Gerbert Rambaud n’est cependant pas exempt de défauts, car au fond, face à l’islam, l’Histoire nous suffit-elle ? Dominique Venner aurait sans doute souhaité une approche plus « méditative » de ces relations. L’essai se heurte en définitive aux limites de l’approche historique. « On ne saurait expliquer totalement par l’histoire ni la société ni ses manifestations », nous rappelle Julien Freund : « interpréter par l’histoire ne signifie pas encore comprendre l’histoire elle-même ». Nombre d’historiens expliquent l’histoire par l’histoire et échouent à cerner les phénomènes, voire les essences, qu’ils devraient éclaircir autrement, entre autres par la théologie-politique, ou par le fait que le culte nourrit la culture – et inversement.
Peut-être ce travers conduit-il l’auteur à une trop grande indulgence vers la fin de son ouvrage, celle de notre modernité tardive et de cette « cohabitation ». Relativisant la colonisation de manière compréhensible, Gerbert Rambaud se trouve cependant amené à relativiser la colonisation inverse que la France subit aujourd’hui, et à espérer que l’islam pourrait, ou devrait, « passer sous les fourches caudines de la République » – comme le firent les différents monothéismes. Bien sûr, l’auteur évoque les perspectives d’une guerre civile et de la « hijra », c’est-à-dire le retour en terre d’islam des musulmans en cas d’échec de l’assimilation. Et certes, l’historien Rambaud a l’élégance et la modestie de ne pas se faire prophète… mais par excès de prudence, les dernières pages de l’essai posent davantage de questions qu’elles n’apportent de réponses.

E.C.