Rédigé par un moine de Triors le
Pour la fête de
l’Annonciation le 25 mars, le Pape s’est rendu à Milan, l’un des plus
grands et des plus illustres évêchés de la chrétienté. Qu’il suffise d’évoquer les deux grands saints Ambroise et Charles Borromée ou de rappeler que pour le seul XXe
siècle deux archevêques de cette ville furent élus papes et trois (sur
sept) sont déjà sur les autels. Dans son homélie, le Pape commente tout
naturellement l’Évangile de l’annonce faite à Marie qu’il rapproche de
celle de Jean-Baptiste faite à Zacharie. La seconde s’est faite au
Temple durant le sacrifice, la première eut lieu dans l’une des
bourgades les plus obscures de la Galilée, Nazareth d’où rien,
semble-t-il, ne pouvait sortir de bon. C’était une périphérie
existentielle de l’époque alors que Jérusalem était pour les juifs la
ville sainte par excellence où se dressait le Temple, lieu de
l’adoration du vrai Dieu. Lisons le début du Livre de Tobie pour
comprendre l’importance de cette grande réalité religieuse pour un juif
contemporain de Jésus. Pourtant les voies de Dieu ne sont pas celles des
hommes et c’est à Nazareth que le messager de Dieu vint annoncer à
Marie qu’elle serait la Mère de Dieu et que, pour cela, elle devait non
pas craindre mais se réjouir, mais d’une joie toute surnaturelle qui
engendre la vie. Marie doit être pour nous tous un exemple, nous qui,
bien souvent, devant les vicissitudes d’ici-bas, sommes comme tourmentés
et saisis par l’effroi, le désarroi et même le désespoir. Au contraire,
dans toutes nos vicissitudes tournons-nous vers Dieu et gardons la joie
de l’espérance. Comme Marie aussi, sachons « perdre du temps », du moins en apparence, pour Dieu, pour la famille, pour notre communauté, nos amis etc.
Pour comprendre et surtout résoudre nos
effrois en faisant comme Marie face à l’ange Gabriel, le Pape nous
propose trois directives. D’abord faire appel à cette notion biblique
élémentaire dont nous avons souvent parlé : la mémoire. En présence de
Marie, l’ange rappelle rapidement à travers les promesses divines toute
l’histoire du salut. La mémoire doit nous aider à dépasser toutes les
divisions et toutes les exclusions, en se référant constamment aux
grandes et belles choses accomplies par Dieu pour l’humanité. Et l’on
touche ici le deuxième point développé par le Pape : l’annonce du salut
s’est faite progressivement. Dieu s’est d’abord choisi un peuple, son
peuple auquel appartenait Marie. Puis, dans une parfaite continuité,
l’Église nouvel Israël est devenue l’unique peuple de Dieu dont nous
sommes les membres ; ces membres doivent être bien unis tout en gardant
leurs richesses propres. Ainsi l’Église milanaise ou ambroisienne garde
les traditions, la mémoire, venues de Saint Ambroise. Cette pluralité
dans l’unité constitue une vraie richesse pour l’Église. Enfin troisième
point, la mémoire permet de nous rappeler que rien n’est impossible à
Dieu comme le montre la réponse de l’ange à Marie. Cela doit nous faire
dépasser nos horizons souvent aveuglés par une myopie égoïste. Par
contre quand nous exerçons la charité, tout devient possible, le cœur
devenant liquide et disponible. Et le Pape demande à l’Église de Milan
de croire en son avenir précisément en remémorant son passé. L’Église
ambrosienne ne doit pas s’arrêter avec orgueil sur son passé glorieux,
elle doit rester féconde pour l’avenir en devenant une terre
accueillante pour que le bon grain puisse pousser. Elle doit continuer à
demander à Dieu de lui envoyer des cœurs disposés comme Marie prêts à
l’impossible pour faire extraordinairement les choses les plus
ordinaires, c’est-à-dire finalement imiter Marie dans sa foi et son
espérance.
L'homélie du Pape
Nous venons d’écouter l’annonce la plus
importante de notre histoire : l’annonciation à Marie (cf. Lc 1, 26-38).
Un passage dense, plein de vie, et que j’aime lire à la lumière d’une
autre annonce : celle de la naissance de Jean Baptiste (cf. Lc 1, 5-20).
Deux annonces qui se succèdent et qui sont unies ; deux annonces qui,
comparées l’une à l’autre, nous montrent ce que Dieu nous donne en son
Fils.
L’annonciation de Jean Baptiste advient
quand Zacharie, prêtre, qui s’apprête à initier l’action liturgique,
entre dans le Sanctuaire du Temple, tandis que toute l’assemblée est
dehors en attente.
L’annonciation de Jésus, en revanche,
advient dans un lieu perdu de la Galilée, dans une ville périphérique et
avec une renommée qui n’est pas particulièrement bonne (cf. Jn 1, 46),
dans l’anonymat de la maison d’une jeune fille appelée Marie.
Un contraste non négligeable, qui nous
indique que le nouveau Temple de Dieu, la nouvelle rencontre de Dieu
avec son peuple aura lieu en des lieux où l’on ne l’attend pas
normalement, aux marges, dans les périphéries. C’est là qu’ils se
donneront rendez-vous, là qu’ils se rencontreront ; c’est là que Dieu se
fera chair pour marcher avec nous, jusque dans le sein de sa Mère.
Désormais ce ne sera plus dans un lieu réservé à quelques-uns tandis que
la majorité reste dehors en attente. Rien ni personne ne lui sera
indifférent, aucune situation ne sera privée de sa présence : la joie du
salut a commencé dans la vie quotidienne de la maison d’une jeune de
Nazareth.
Dieu lui-même est Celui qui prend
l’initiative et qui choisit de s’insérer, comme il l’a fait en Marie,
dans nos maisons, dans nos luttes quotidiennes, pleines d’anxiété et de
désirs. Et c’est justement à l’intérieur de nos villes, de nos écoles et
de nos universités, des places et des hôpitaux, que s’accomplit
l’annonce la plus belle que nous puissions écouter : « Réjouis-toi, le Seigneur est avec toi !».
Une joie qui génère la vie, qui génère l’espérance, qui se fait chair
dans la façon dont nous regardons le lendemain, dans l’attitude avec
laquelle nous regardons les autres. Une joie qui devient solidarité,
hospitalité, miséricorde envers tous.
L'interrogation de Marie
Comme Marie, nous pouvons nous aussi être pris de désarroi. « Comment cela va-t-il se faire »
en des temps si pleins de spéculation ? On spécule sur la vie, sur le
travail, sur la famille. On spécule sur les pauvres et sur les migrants ;
on spécule sur les jeunes et sur leur avenir. Tout semble réduit à des
chiffres, laissant par ailleurs la vie quotidienne de nombreuses
familles se teinter de précarité et d’insécurité. Alors que la
souffrance frappe à de nombreuses portes, alors qu’en beaucoup de jeunes
grandit l’insatisfaction faute de réelles opportunités, la spéculation
abonde partout.
Certainement, le rythme vertigineux
auquel nous sommes soumis semblerait nous voler l’espérance et la joie.
Les pressions et l’impuissance face à tant de situations sembleraient
nous dessécher l’âme et nous rendre insensibles face aux innombrables
défis. Et paradoxalement quand tout s’accélère pour construire – en
théorie – une société meilleure, finalement on n’a de temps pour rien ni
pour personne. Nous perdons le temps pour la famille, le temps pour la
communauté, nous perdons le temps pour l’amitié, pour la solidarité et
pour la mémoire.
Cela nous fera du bien de nous demander :
comment est-il possible de vivre la joie de l’Evangile aujourd’hui au
sein de nos villes ? L’espérance chrétienne est-elle possible dans cette
situation, ici et maintenant ?
Ces deux questions touchent notre
identité, la vie de nos familles, de nos villages et de nos villes.
Elles touchent la vie de nos enfants, de nos jeunes et exigent de notre
part une nouvelle façon de nous situer dans l’histoire. Si la joie et
l’espérance chrétienne continuent à être possibles, nous ne pouvons pas,
nous ne voulons pas, face à tant de situations douloureuses, rester
comme de simples spectateurs qui regardent le ciel en attendant qu’il
« s’arrête de pleuvoir ». Tout ce qui arrive exige de nous que nous
regardions le présent avec audace, avec l’audace de celui qui sait que
la joie du salut prend forme dans la vie quotidienne de la maison d’une
jeune de Nazareth.
Face au bouleversement de Marie, face à
nos bouleversements, l’Ange nous offre trois clés pour nous aider à
accepter la mission qui nous est confiée.
1. Evoquer la Mémoire
La première chose que l’Ange fait est
d’évoquer la mémoire, en ouvrant ainsi le présent de Marie à toute
l’histoire du Salut. Il évoque la promesse faite à David comme fruit de
l’alliance avec Jacob. Marie est fille de l’Alliance. Nous aussi
aujourd’hui nous sommes invités à faire mémoire, à regarder notre passé
pour ne pas oublier d’où nous venons. Pour ne pas oublier nos ancêtres,
nos grands-parents et tous ce qu’ils ont vécu pour arriver où nous
sommes aujourd’hui. Cette terre et son peuple ont connu la souffrance
des deux guerres mondiales ; et parfois il ont vu leur renommée méritée
d’ardeur au travail et de civilisation, polluée par des ambitions
déréglées. La mémoire nous aide à ne pas rester prisonniers des discours
qui sèment fractures et divisions comme unique façon de résoudre les
conflits. Evoquer la mémoire est le meilleur antidote à notre
disposition aux solutions magiques de la division et de l’éloignement.
2. L’appartenance au Peuple de Dieu
La mémoire permet à Marie de
s’approprier son appartenance au Peuple de Dieu. Il est bon de nous
rappeler que nous sommes membres du Peuple de Dieu ! Milanais, oui,
Ambrosiens, certes, mais faisant partie du grand Peuple de Dieu. Un
peuple formé de mille visages, histoires et provenances, un peuple
multiculturel et multiethnique. C’est une de nos richesses. C’est un
peuple appelé à accueillir les différences, à les intégrer avec respect
et créativité et à célébrer la nouveauté qui vient des autres ; c’est un
peuple qui n’a pas peur d’embrasser les limites, les frontières ; c’est
un peuple qui n’a pas peur d’accueillir celui qui en a besoin parce
qu’il sait que c’est là que son Seigneur est présent.
3. La possibilité de l’impossible
« Rien n’est impossible à Dieu »
(Lc 1, 37): ainsi se termine la réponse de l’Ange à Marie. Quand nous
croyons que tout dépend exclusivement de nous, nous restons prisonniers
de nos capacités, de nos forces, de nos horizons étriqués. Quand au
contraire nous sommes disposés à nous laisser aider, à nous laisser
conseiller, quand nous nous ouvrons à la grâce, il semble que
l’impossible commence à devenir réalité. Ces terres qui, au cours de
leur histoire, ont généré tant de charismes, tant de missionnaires, tant
de richesses pour la vie de l’Eglise, le savent bien ! Tant de visages
qui, dépassant le pessimisme stérile et diviseur, se sont ouverts à
l’initiative de Dieu et sont devenus signes qu’une terre qui ne laisse
pas enfermer dans ses idées, dans ses limites et dans ses capacités et
qui s’ouvre aux autres, peut être féconde.
Comme hier, Dieu continue à chercher des
alliés, il continue à chercher des hommes et des femmes capables de
croire, capables de faire mémoire, de se sentir comme faisant partie de
son peuple pour coopérer avec la créativité de l’Esprit.
Dieu continue à parcourir nos quartiers
et nos routes, à aller en tout lieu en recherche de cœurs capables
d’écouter son invitation et de l’incarner ici et maintenant. En
paraphrasant saint Ambroise dans son commentaire de ce passage, nous
pouvons dire: Dieu continue à chercher des cœurs comme celui de Marie,
disposés à croire même dans des conditions complètement extraordinaires
(cf. Exposition de l’Evangile selon saint Luc II, 17: PL 15, 1559). Que le Seigneur fasse grandir en nous cette foi et cette espérance.