Extrait d'un texte de l'abbé Viot sur la laïcité :
"[...] Citons
à ce sujet deux extraits du magistral discours de Combes à Auxerre le 4
septembre 1904, parce que résumant admirablement l’état d’esprit de la
rupture de 1905, ainsi que sa signification, état d’esprit toujours à
l’œuvre au sein de la majorité de nos politiques, tous partis confondus –
il n’y a que des français catholiques pour ne pas le voir ! : « En
séparant la convention diplomatique des articles organiques qui avaient
déterminé les Chambres françaises à l’accepter, le Pape de l’époque [Pie VII qui avait refusé effectivement les articles organiques de 1802, accolés au Concordat de 1801], et après lui ses successeurs lui ont ôté son efficacité [mensonge manifeste car tout avait finalement bien fonctionné de 1801 à 1902], par cela même qu’il a annulé les règlements de police destinés à l’appliquer ».
Combes avait ainsi beau jeu d’accuser Rome de violer un concordat
qu’elle n’avait jamais accepté, taisant à dessein que, jusqu’à lui (non
inclus), on avait toujours su faire preuve de pragmatisme de chaque
côté. Combes voulait en finir : « Il est évident que la seule voie
restée libre aux deux pouvoirs en conflit, c’est la voie ouverte aux
époux mal assortis, le divorce, et de préférence, le divorce par
consentement mutuel. Je n’ajoute pas remarquez le bien par
incompatibilité d’humeur. Car il ne saurait être question dans l’espèce
d’accès d’irritation et de mauvaise humeur. Il s’agit d’une chose bien
autrement sérieuse et grave. Il s’agit d’une incompatibilité grave de
principes ».
Une nouvelle religion civile
Cette déclaration d’Emile Combes est,
j’insiste, capitale : elle est l’âme de la loi de 1905. Combes fut
certes renversé au moment du vote, et Aristide Briand, nommé rapporteur,
put alors atténuer avec talent et avec l’aide de Jaurès certaines
obscurités de la loi pouvant être utilisées contre l’Église. Mais ces
mots de Combes résonnaient et résonnent toujours : « divorce » et « incompatibilité de principes ». Il s’agissait en fait de rien de moins que de la poursuite du travail des révolutionnaires : ne
pouvant, décidément, asservir complètement l’Église à leurs vues, même
dans le régime de tutelle du concordat, il fut ainsi décidé de la
reléguer au seul espace de ses sacristies, ses églises et ses
aumôneries, et de lui interdire toute parole publique, toute
contribution à la marche de la société, pour que puisse s’épanouir la
nouvelle religion de l’État et des élites : celle-là, qui, en se
refusant le nom même de religion les dominerait toutes, celle du
progressisme libéral issu des Lumières, dans tous ses avatars, la
religion de la « Laïcité ».
J’ajoute que cette loi a aussitôt été condamnée par le Pape Pie X dans l’encyclique Vehementer Nos
de 1906, et qu’aucun Pape n’est revenu depuis sur le fond doctrinal de
cette condamnation, sinon Pie XI en 1924 pour la confirmer. La loi de
1905 est donc hérétique par la doctrine de l’Etat qu’elle suppose, un
Etat qui se veut à la fois Dieu et César. Nous en voyons plus clairement
sa malfaisance depuis que s’exerce plus fortement qu’auparavant
l’influence de personnes encore plus haineuses du catholicisme que
Monsieur Combes, mais n’ayant fort heureusement, ni sa culture, ni son
intelligence ! [...]
Quels catholiques oseraient aujourd’hui critiquer la loi de 1905 ?
Quelles objections catholiques a-t-on pu formuler, par exemple, à
l’occasion de son centenaire en 2005 ? Il est indispensable que nous
nous engagions sur ce terrain, pour, au nom du Bien Commun, aider le
politique à assumer ses responsabilités. Car, le politique, s’il veut
être crédible aujourd’hui dans son désir de mieux harmoniser les
relations entre les différentes religions pratiquées en France, en
incluant ici tous ceux qui n’en ont pas, doit commencer par regarder où
il en est lui-même sur ce sujet et procéder avec méthode. Il ne
s’agit certes pas de rétablir un concordat ou d’établir une religion
d’Etat, mais d’affirmer avec force la nécessaire neutralité du pouvoir
politique.
On commencera par considérer les religions comme des religions, et non des organisations de statut « associatif cultuel ». Pour faire clair et dépasser l’interprétation stricte des textes de 1905, l’Église
catholique en France n’a pas pour seule vocation d’organiser des
cérémonies. Elle peut et doit aussi se faire entendre sur toutes les
grandes questions concernant la vie en société. Elle possède ce
droit naturel parce qu’elle a apporté une contribution essentielle à la
construction de la France et à son rayonnement pendant des siècles.
Parce qu’elle est une autorité morale légitime. Parce que l’Etat ne
remboursera jamais la dette de sang, celle des abominables massacres et
persécutions de la Révolution, ni la dette financière des spoliations de
1789 et 1905, qu’il a contractées à son égard – et parce que l’Église,
bonne mère, ne le lui demandera pas. Parce que les deux tiers des
Français sont baptisés. Parce que, lorsque le peuple cherche le sacré,
c’est à l’Église qu’il le demande, comme lors des obsèques de Johnny
Hallyday, et non à la République. [...]"
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