Ce 4 avril était rendue publique la lettre de la commission Ecclesia Dei aux ordinaires des conférences épiscopales relatives au mariage des fidèles de la FSSPX. Cette lettre, du fait qu’elle ait été approuvée par le souverain pontife qui en a ordonné la publication, revêt une autorité toute particulière.
Elle prévoit que,
« dans la mesure du possible, la délégation de l’Ordinaire pour assister au mariage [des fidèles de la FSSPX] sera donnée à un prêtre du diocèse (ou du moins à un prêtre pleinement régulier) pour qu’il reçoive le consentement des parties dans le rite du sacrement qui, dans la liturgie du Vetus ordo, a lieu au début de la Sainte Messe ; suivra alors la célébration de la Sainte Messe votive par un prêtre de la Fraternité. » Elle dispose également que, « en cas d’impossibilité ou s’il n’existe pas de prêtre du diocèse qui puisse recevoir le consentement des parties, l’Ordinaire peut concéder directement les facultés nécessaires au prêtre de la Fraternité qui célébrera aussi la Sainte Messe, en lui rappelant qu’il a le devoir de faire parvenir au plus vite à la Curie diocésaine la documentation qui atteste la célébration du sacrement. »
Le double contexte
Mesurer la portée de ce document réclame d’abord de le replacer dans son double contexte. Au sens large, la Commission Ecclesia Dei
situe sa décision « dans le cadre différents types de rencontres et
d’initiatives sont en cours depuis longtemps pour ramener la FSSPX dans
la pleine communion. » Aux yeux du grand public, elle apparaît donc
comme une nouvelle concession majeure de Rome à l’endroit de la FSSPX,
qui n’aurait qu’à s’en réjouir. C’est d’ailleurs ce que semble faire la
Maison Générale de ladite Fraternité, lorsque dans son communiqué de presse du même jour, elle « remercie profondément le Saint-Père pour sa sollicitude pastorale, telle qu’elle s’exprime à travers la lettre de la Commission Ecclesia Dei. »
En est-il
véritablement ainsi ? Il importe d’aller à la réalité des faits. Depuis
longtemps et de plus en plus ces derniers temps, il arrivait à des
curés de paroisse de donner délégation à des prêtres de la FSSPX pour
recevoir les consentements des époux en leur église. L’un ou l’autre de
ces mariages est remonté jusqu’à Rome, qui en avait déclaré la nullité,
sous prétexte de défaut de ministre : les prêtres de la FSSPX, parce que
non reconnus par Rome, étaient estimés inaptes à recevoir délégation.
C’est ce point précis que la décision présente, que l’on pourrait
appeler pontificale, vient modifier. Tout en déniant au curé de paroisse
le droit de donner délégation à un prêtre de la FSSPX pour un mariage –
auquel cas le mariage resterait nul aux yeux de la Rome moderniste –
elle permet à l’évêque du lieu de la donner, mais seulement et exclusivement « en cas d’impossibilité ou s’il n’existe pas de prêtre du diocèse qui puisse recevoir le consentement des parties. »
La véritable portée du texte romain
Ceci
étant posé, nous sommes en mesure d’estimer la véritable portée du texte
romain, ses zones d’ambiguïté et de clarté, comme son manque de
nouveauté canonique.
Ambigües, les conditions sine qua non
posées par Rome le sont on ne peut plus. Quelle est la nature de
l’impossibilité ici évoquée ? Faut-il penser à un blocage psychologique
des prêtres diocésains se refusant à une telle “compromission”, ou
encore à celui qu’éprouveraient des fidèles de la FSSPX à l’idée d’être
marié par un prêtre non traditionnel ? Ou bien faut-il plutôt penser à
une impossibilité objective ? Rien n’est dit, et le plus grand flou demeure.
Il ne fait d’ailleurs qu’augmenter avec la précision suivante : « s’il
n’existe pas de prêtre du diocèse qui puisse recevoir le consentement
des parties. » Faut-il attendre qu’un diocèse soit en un tel manque
sacerdotal qu’il ne puisse assurer la présence d’un prêtre à chaque
échange de consentement ?
Quoiqu’il en soit de ces ambiguïtés, une chose demeure très claire dans la décision romaine : tout
échange de consentement reçu par un prêtre de la FSSPX sans délégation
explicite de l’Ordinaire et aux conditions susdites demeure invalide aux
yeux de la Rome d’aujourd’hui. Le pape François, comme ses
prédécesseurs immédiats, refuse de prendre en compte l’état de nécessité
dans l’Eglise : tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes, et
d’autant plus que désormais une solution nouvelle semble accordée aux
fidèles de la FSSPX !
Est-ce vraiment une solution nouvelle ? La simple lecture du droit canon, celui de 1917 (can. 1098) comme celui de 1983 (can. 1116)
montre que non. Depuis un siècle et plus, le droit de l’Eglise prévoit
en effet que, dans l’impossibilité de recourir au ministre ordinaire du
mariage (le prêtre diocésain) les futurs peuvent échanger leurs
consentements devant les seuls témoins laïcs pourvu que cette
impossibilité dure trente jours ; ils doivent cependant faire appel si
c’est possible, pour la licéité de l’acte, à n’importe quel prêtre ou
diacre, même s’il ne possède pas de juridiction déléguée. Dans la
logique de la Rome moderne, même un prêtre de la FSSPX. Tant que la
Commission Ecclesia Dei n’a pas précisé ce qu’elle entend par
« impossibilité », rien de nouveau donc sous le soleil romain. Nous
sommes ici devant un non événement sinon médiatique, à qui immense
ampleur est donnée tant par la Commission Ecclesia Dei que par la Maison
Générale de la FSSPX, en son communiqué.
Quand la Maison Générale doute de la FSSPX
L’analyse
du document romain ainsi posée, on ne peut qu’être extrêmement surpris
devant le communiqué que la Maison Générale de la FSSPX dans la foulée
de cette intervention romaine. Ses quelques lignes y sont un concentré d’erreurs, tant tactiques que de principes.
Alors que
le document romain continue à affirmer l’invalidité des consentements
matrimoniaux devant les prêtres de la FSSPX n’ayant pas délégation
explicite de l’évêque diocésain, le communiqué garde un silence retentissant
sur ce qui est son droit et son devoir en la matière, de par l’état de
nécessité toujours plus patent pour un catholique désireux de garder la
foi catholique. Plus que jamais, la validité absolument certaine des
mariages célébrés dans les prieurés ou églises de la FSSPX aurait dû
être défendue. Loin de le faire, ce communiqué semble faire siens les doutes romains sur la validité de nos mariages tels qu’ils sont actuellement célébrés,
lorsqu’il « remercie profondément le Saint-Père pour sa sollicitude
pastorale… dans le but de lever “les doutes quant à la validité du
sacrement de mariage”. »
Détournant
la portée objective de l’intervention romaine, le communiqué se réfugie
encore – tactique habituelle de la Maison Générale – dans une intention
subjective gratuitement prêtée au pape François : « Le pape François
veut manifestement que, comme pour les confessions, tous les fidèles qui
souhaitent se marier en présence d’un prêtre de la Fraternité Saint-Pie
X, puissent le faire sans aucune inquiétude sur la validité du
sacrement. » Notons au passage que doute est insinué sur la validité des
mariages de la FSSPX…
Ce communiqué laisse enfin tous les prêtres de la FSSPX dans le plus grand flou.
La Maison Générale estime-t-elle que ses prêtres devront désormais se
plier à ces dictats de la Rome moderne ? Il semblerait, puisqu’aucune
restriction n’est apportée par ce communiqué qui, après avoir
profondément remercié le Saint Père, souhaite encore que « tous les
évêques partagent la même sollicitude pastorale. » Pourtant, dans le
même temps, ce communiqué s’achève dans le flou le plus total sur ce
point. S’il est dit que les prêtres de la FSSPX continueront à
« recevoir les consentements dans le rite traditionnel de la Sainte
Eglise », rien n’est dit quant à la juridiction dont ils devront user pour cela :
celle que leur reconnaît le droit de l’Eglise et que leur impose la
situation présente, à savoir la juridiction de suppléance découlant de
l’état de nécessité dans l’Eglise, ou la juridiction déléguée de
l’évêque du lieu « en cas d’impossibilité ou s’il n’existe pas de prêtre
du diocèse qui puisse recevoir le consentement des parties » ? Rien
n’est dit, le flou le plus total demeure.
Jeu de dupes
On comprend la colère de moins en moins sourde qui envahit nombre de prêtres de la FSSPX devant ces arrangements d’apothicaire faits au dépend des véritables problèmes qui détruisent l’Eglise de jour en jour, à savoir les reniements doctrinaux chaque jour plus nombreux de la Rome moderne.
Apparaît également l’isolement toujours plus profond dans lequel se place la Maison Générale de la FSSPX, lorsque l’on sait que celle-ci ne communique plus avec ses prêtres, mais seulement avec la presse.
C’est par elle et elle seule que les membres de la FSSPX ont pu prendre
connaissance tant de l’intervention romaine que du communiqué réponse
de la FSSPX, comme c’est par la presse seule qu’ils ont appris la
rencontre de Mgr Pozzo avec Mgr Fellay en janvier dernier – où il y
était entre autres question des mariages de la FSSPX, tiens tiens…
Ce nouvel épisode des relations entre Rome et la FSSPX n’est qu’un épiphénomène de plus montrant toute l’ambiguïté
desdites relations, véritable jeu de dupes dont les grands perdants
sont la foi catholique et tous les fidèles, prêtres ou laïcs, qui y sont
attachés. De la part de la Maison Générale, une telle politique s’apparente à un véritable suicide,
à moins que, doutant tellement d’eux-mêmes, ses occupants aient perdu
l’âme du combat de la foi qui a fait la force de cette société
religieuse.
Christian LASSALE