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vendredi 27 décembre 2013

Et si une famille vivait comme l’État …


Lorsqu’on a un gros, un énorme déficit budgétaire chronique et une dette abyssale, babylonesque, voire une hippopodette, il est difficile d’appréhender l’ampleur du désastre. Cependant, celui-ci devient évident lorsqu’on ramène l’exercice budgétaire du pays à l’échelle d’un ménage.

Baptiste Créteur.

Le droit français a longtemps fait du comportement d’un bon père de famille la norme comportementale de bon usage et de saine gestion ; le bon père de famille est soucieux des biens et intérêts qui lui sont confiés comme s’ils étaient les siens propres. Pour connaître le statut de nos chers dirigeants, ramenons la politique budgétaire de la France à l’échelle d’un ménage.

L’État français disposait, dans le budget 2013, de 240 milliards d’euros de ressources pour302 milliards d’euros de charges. La dette publique, elle, se montait à 1 912 milliards d’euros. Ces chiffres, pleins de zéros difficiles à lire et dans des unités de mesure, la dizaine ou la centaine de milliards, assez difficiles à appréhender, sont des chiffres prévisionnels ; ils ont été votés par les parlementaires, en toute décontraction. Comme chaque année, il est parfaitement raisonnable d’attendre que la réalité sera encore pire. Oui.

Comparons cela à un ménage moyen. Avec ses 2 410 euros de revenu net mensuel, notre ménage moyen, s’il se comportait comme l’État français, dépenserait 3 032 euros chaque mois– avec un découvert mensuel de 622 euros. Ramené à l’année, les 28 920 euros de revenus sont loin de suffire pour dépenser 36 391 euros, et le ménage doit donc emprunter 7 471 euros – alimentant un total d’endettement de 230 396 euros. Oui, 8 fois son revenu annuel. C’est un ménage qui sait vivre, que voulez-vous : on ne vit qu’une fois, autant le faire bien surtout si c’est avec l’argent du banquier.

On comprend mieux, au regard de ces chiffres, la gestion que font les hommes politiques de leur propre patrimoine et leur incapacité à épargner – si tant est que leurs déclarations puissent être crues. Compte tenu du respect qu’ils ont pour la parole publique et les engagements qu’ils prennent, rien n’est moins sûr ; entre Jérôme Cahuzac qui, lui, a su épargner, et la pause fiscale dont tout le monde, meurtri, attend l’arrêt aussitôt que possible, l’honnêteté de nos dirigeants pose question.

Et à bien y réfléchir, la lucidité des créanciers également.

Aucun ménage ne parviendrait à faire accepter un découvert de 25% de ses revenus chaque mois, surtout compte-tenu de son profil d’endettement. Les ménages français sont, en moyenne, endettés à hauteur de 80% de leurs revenus, pas 800%, comme l’État actuellement (230 396 euros de dettes pour 28 920 de revenus). Mais il est vrai qu’aucun ménage n’a la bombe atomique, une armée d’inspecteurs du fisc secondée par une armée de policiers, de gendarmes et de soldats outillés et entraînés pour éviter toute confusion maladroite entre « contribuable » (qui paye et se tait) et « citoyen » (qui est armé et entend se défendre tout seul comme un grand).

Au passage, cette dette génère un coût important pour la famille France ; elle paye chaque mois 563 euros pour éponger les intérêts de sa dette, sans même songer à rembourser (rappelons que la famille France s’endette chaque mois, et qu’il lui est impossible, par on ne sait quelle misère, de mettre le moindre sou de côté – le prix du caviar s’envole, dirait-on).

Sur 3 033 euros de dépenses au total, cette hypothétique (mais dépensière) famille France consacre 382 euros à l’achat d’armes diverses, dont des drones dépassés qui font un peu pitié, en plus de 177 euros pour sa sécurité pure, ce qui fait déjà 559 euros. S’y ajoutent 641 euros pour l’enseignement scolaire et 260 pour l’enseignement supérieur et la recherche, avec un résultat qu’on qualifiera pudiquement de mitigé, pour un total atteignant déjà 1 460 euros sur ces seuls trois postes. Avec les 563 euros de la dette, c’est déjà plus des 2/3 que la famille France aurait déjà dépensée.
Les autres petits postes de dépense sont aussi édifiants : 26 euros pour la culture (sachons vivre), plus 12 pour les médias, le livre et l’industrie culturelle (sachons vivre) ; 5 euros pour le sport, la jeunesse et la vie associative (sachons vivre, que diable !) ; à côté, 13 euros pour la santé (sachons tomber malade ?) paraissent bien insignifiants à la famille France, qui dépense 103 euros pour favoriser l’emploi. Sans grand succès.

Si la famille France était notée par des agences de notation, le ménage « État français » serait vraisemblablement assez loin du triple A. Heureusement, rassurez-vous : l’État français n’est pas vraiment un ménage, et personne n’entend considérer que le gouvernement français pourrait se rapprocher d’une gestion de « bon père de famille ». Faut pas déconner. Car le ménage « État français » dispose d’une arme secrète pour se renflouer : le patrimoine de tous les ménages français. Si le ménage France n’existe pas et fait à peu près n’importe quoi de l’argent qui lui est confié, ce n’est heureusement pas le cas de l’écrasante majorité des ménages français, ménages politiciens inclus. Et ça, l’État l’a bien compris : non content de leur prélever pas loin de la moitié de leurs revenus, il peut à tout moment leur confisquer tout ou partie de leur patrimoine. Ça s’est déjà vu, dans le passé en France, et récemment en Europe ; les Chypriotes s’en souviennent.

Non, décidément, la gestion que font les hommes politiques du budget ne correspond pas à celle qu’en ferait un bon père de famille. Ou alors, « bon père de famille » comprend l’homme bourru et alcoolique, vivant d’expédients et de petits larcins minables d’une journée à l’autre, frappant femme et enfants lorsque l’argent ne rentre pas assez – ce qui étend la notion très au-delà de ce qu’elle pourrait signifier intuitivement…

Les politiciens comptent sur vous pour, un jour ou l’autre, éponger les dettes, leurs dettes, celles qu’ils ont contractées en votre nom pour non pas vous aider, vous servir, mais pour rester au pouvoir. Et ce jour approche plus que vous ne le croyez.

À vous de voir si vous êtes d’accord, mais sachez qu’il faut agir vite : ils ne vous demanderont pas votre avis.