Lorsqu’on a un gros, un énorme déficit budgétaire chronique
et une dette abyssale, babylonesque, voire une hippopodette, il est
difficile d’appréhender l’ampleur du désastre. Cependant, celui-ci
devient évident lorsqu’on ramène l’exercice budgétaire du pays à
l’échelle d’un ménage.
Baptiste Créteur.
Le droit français a longtemps fait du comportement d’un bon père de
famille la norme comportementale de bon usage et de saine gestion ; le
bon père de famille est soucieux des biens et intérêts qui lui sont
confiés comme s’ils étaient les siens propres. Pour connaître le statut
de nos chers dirigeants, ramenons la politique budgétaire de la France à
l’échelle d’un ménage.
L’État français disposait, dans le budget 2013, de 240 milliards d’euros de ressources pour302 milliards d’euros de charges. La dette publique, elle, se montait à 1 912 milliards d’euros.
Ces chiffres, pleins de zéros difficiles à lire et dans des unités de
mesure, la dizaine ou la centaine de milliards, assez difficiles à
appréhender, sont des chiffres prévisionnels ; ils ont été votés par les
parlementaires, en toute décontraction. Comme chaque année, il est
parfaitement raisonnable d’attendre que la réalité sera encore pire.
Oui.
Comparons cela à un ménage moyen. Avec ses 2 410 euros de revenu net mensuel, notre ménage moyen, s’il se comportait comme l’État français, dépenserait 3 032 euros chaque mois–
avec un découvert mensuel de 622 euros. Ramené à l’année, les 28 920
euros de revenus sont loin de suffire pour dépenser 36 391 euros, et le
ménage doit donc emprunter 7 471 euros – alimentant un total d’endettement de 230 396 euros.
Oui, 8 fois son revenu annuel. C’est un ménage qui sait vivre, que
voulez-vous : on ne vit qu’une fois, autant le faire bien surtout si
c’est avec l’argent du banquier.
On comprend mieux, au regard de ces chiffres, la gestion que font les hommes politiques de leur propre patrimoine et
leur incapacité à épargner – si tant est que leurs déclarations
puissent être crues. Compte tenu du respect qu’ils ont pour la parole
publique et les engagements qu’ils prennent, rien n’est moins sûr ;
entre Jérôme Cahuzac qui, lui, a su épargner, et la pause fiscale dont
tout le monde, meurtri, attend l’arrêt aussitôt que possible,
l’honnêteté de nos dirigeants pose question.
Et à bien y réfléchir, la lucidité des créanciers également.
Aucun ménage ne parviendrait à faire accepter un découvert de 25% de
ses revenus chaque mois, surtout compte-tenu de son profil
d’endettement. Les ménages français sont, en moyenne, endettés à hauteur
de 80% de leurs revenus, pas 800%, comme l’État actuellement (230 396
euros de dettes pour 28 920 de revenus). Mais il est vrai qu’aucun
ménage n’a la bombe atomique, une armée d’inspecteurs du fisc secondée
par une armée de policiers, de gendarmes et de soldats outillés et
entraînés pour éviter toute confusion maladroite entre « contribuable »
(qui paye et se tait) et « citoyen » (qui est armé et entend se défendre
tout seul comme un grand).
Au passage, cette dette génère un coût important pour la famille
France ; elle paye chaque mois 563 euros pour éponger les intérêts de sa
dette, sans même songer à rembourser (rappelons que la famille France
s’endette chaque mois, et qu’il lui est impossible, par on ne sait
quelle misère, de mettre le moindre sou de côté – le prix du caviar
s’envole, dirait-on).
Sur 3 033 euros de dépenses au total, cette hypothétique (mais
dépensière) famille France consacre 382 euros à l’achat d’armes
diverses, dont des drones dépassés qui font un peu pitié, en plus de 177
euros pour sa sécurité pure, ce qui fait déjà 559 euros. S’y ajoutent
641 euros pour l’enseignement scolaire et 260 pour l’enseignement
supérieur et la recherche, avec un résultat qu’on qualifiera pudiquement de mitigé,
pour un total atteignant déjà 1 460 euros sur ces seuls trois postes.
Avec les 563 euros de la dette, c’est déjà plus des 2/3 que la famille
France aurait déjà dépensée.
Les autres petits postes de dépense sont aussi édifiants : 26 euros
pour la culture (sachons vivre), plus 12 pour les médias, le livre et
l’industrie culturelle (sachons vivre) ; 5 euros pour le sport, la
jeunesse et la vie associative (sachons vivre, que diable !) ; à côté,
13 euros pour la santé (sachons tomber malade ?) paraissent
bien insignifiants à la famille France, qui dépense 103 euros pour
favoriser l’emploi. Sans grand succès.
Si la famille France était notée par des agences de notation, le
ménage « État français » serait vraisemblablement assez loin du triple
A. Heureusement, rassurez-vous : l’État français n’est pas vraiment un
ménage, et personne n’entend considérer que le gouvernement français
pourrait se rapprocher d’une gestion de « bon père de famille ». Faut
pas déconner. Car le ménage « État français » dispose d’une arme secrète
pour se renflouer : le patrimoine de tous les ménages français. Si le
ménage France n’existe pas et fait à peu près n’importe quoi de l’argent
qui lui est confié, ce n’est heureusement pas le cas de l’écrasante
majorité des ménages français, ménages politiciens inclus. Et ça, l’État
l’a bien compris : non content de leur prélever pas loin de la moitié
de leurs revenus, il peut à tout moment leur confisquer tout ou partie
de leur patrimoine. Ça s’est déjà vu, dans le passé en France, et
récemment en Europe ; les Chypriotes s’en souviennent.
Non, décidément, la gestion que font les hommes politiques du budget
ne correspond pas à celle qu’en ferait un bon père de famille. Ou alors,
« bon père de famille » comprend l’homme bourru et alcoolique, vivant
d’expédients et de petits larcins minables d’une journée à l’autre,
frappant femme et enfants lorsque l’argent ne rentre pas assez – ce qui
étend la notion très au-delà de ce qu’elle pourrait signifier
intuitivement…
Les politiciens comptent sur vous pour, un jour ou l’autre, éponger
les dettes, leurs dettes, celles qu’ils ont contractées en votre nom
pour non pas vous aider, vous servir, mais pour rester au pouvoir. Et ce
jour approche plus que vous ne le croyez.
À vous de voir si vous êtes d’accord, mais sachez qu’il faut agir vite : ils ne vous demanderont pas votre avis.