La France souffre d’une attente 
millénariste : elle espère le retour de la croissance. Le discrédit de 
la parole politique et le pessimisme français se enforceront tant que 
les promesses des responsables politiques reposeront sur cette 
mythologie. C’est pourtant un présupposé qui n’a plus de fondement : il 
est illusoire d’attendre d’un retour de la croissance la résolution de 
nos équations budgétaires.
Or en s’obstinant à croire qu’on ne pourra répondre au malaise social tant que la croissance n’aura pas retrouvé un bon niveau, on s’enferme dans une impuissance fatale. On prend pour une période temporaire ce qui est en réalité la donnée structurante à partir de laquelle notre stratégie doit se réorganiser.
En effet, dans une économie avancée 
comme la France, la croissance économique ne retrouvera jamais les taux 
de progression qui étaient ceux des Trente Glorieuses et restera de 
manière stable, dans le meilleur des cas, aux alentours de 1 % à 1,5 %. 
C’est ce qui ressort de l’analyse économique de longue durée, qui montre
 que les taux qu’a connus la France dans la période d’après-guerre ou 
ceux que connaissent actuellement les pays « émergents » ne sont que des
 parenthèses dans une tendance longue où la croissance de l’économie est
 modérée, liée avant tout à la progression de la productivité, laquelle,
 malgré les annonces euphoriques de la « nouvelle économie », ne peut 
pas s’emballer.
Dans les pays qui ont achevé leur transition démographique ainsi que leur rattrapage technologique, la croissance forte ne peut donc plus constituer le présupposé central des scénarios d’avenir (1).
Il faut dès lors inverser le 
raisonnement politique qui s’est installé depuis la fin des Trente 
Glorieuses et qui consiste à gager le maintien de notre modèle social 
sur une « reprise » qui ne vient jamais. Comment le discours de la 
réforme pourrait-il ne pas être déconsidéré ? C’est à partir de cette 
donnée objective – l’installation dans une croissance faible sur la 
longue durée – qu’on pourra repenser nos stratégies collectives. Mais ce
 retournement des priorités est difficile à opérer. En effet, si cette 
évidence est si compliquée à accepter, c’est que notre système de 
solidarité s’est élaboré dans un contexte où la croissance et 
l’inflation rendaient moins douloureuse la progression des prélèvements 
obligatoires. Le report sur des efforts à venir et un lissage des 
contributions par l’accroissement général de la prospérité ont facilité 
dans l’après-guerre des sacrifices qui sont désormais beaucoup plus 
coûteux.
Comment organiser aujourd’hui la solidarité dans un contexte radicalement différent, où l’effort du partage est plus sensible ? L’endettement, justifié au nom d’une amélioration toujours reportée, qui se révèle finalement inaccessible, n’est plus une solution. Mais la lutte contre les inégalités est plus impérative que jamais car la reproduction des richesses, notamment patrimoniales, est plus forte en période de faible croissance.
Une croissance de bas niveau ne signifie
 pas que l’impact des activités humaines sur les équilibres 
environnementaux va s’atténuer de lui-même. Car le chiffre moyen de la 
croissance est trompeur : il ne dit rien de la nécessité de faire 
diverger le niveau d’activité et la consommation d’énergie, qui ont, 
jusqu’à présent, toujours progressé de pair. Là aussi, l’ordre de la 
réflexion doit être formulé autrement : comment réduire l’empreinte 
écologique de nos activités sans renoncer à accroître la prospérité ?
On ne peut se résoudre à l’impuissance politique, il faut seulement se réveiller d’un rêve, celui d’un chiffre magique qui résout les contradictions de la vie sociale. Rien ne sert de renouer avec l’optimisme déphasé du productivisme et du consumérisme. Il faut faire preuve de réalisme et comprendre la nouvelle équation des questions sociale et environnementale, désormais d’ailleurs inséparables : vivre mieux dans une société qui croît moins vite. Mais quel parti politique est prêt à ouvrir ce chantier ?
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Notes :
1. Voir Thomas Piketty, le Capital au 
XXIe siècle, Paris, Le Seuil, 2013, chap. II, « La croissance : 
illusions et réalités », p. 125-179, ainsi que l’entretien dans notre 
numéro de novembre 2013 : « Le retour du capital et la dynamique des 
inégalités ».
