Laurent Brayard:

 
Laurent Brayard,Français habitant en Russie et rédacteur pendant un moment à la Voix la Russie, raconte sur son blog une
 histoire assez étonnante qui lui est arrivée avec un journaliste 
français. Intrigué, nous avons voulu en savoir plus et il a bien voulu 
répondre à nos questions tout en nous offrant un panorama de la presse 
russe par la même occasion.
1) Laurent Brayard, pourriez-vous d’abord brièvement vous présenter aux lecteurs ?
Bonjour
 à vous, je suis un journaliste indépendant mais aussi un historien et 
un écrivain. Je vis en Russie, à Moscou depuis quatre ans, j’ai 41 ans. 
J’ai longtemps vécu en Bourgogne, ma terre de cœur mais les hasards de 
la vie et une grande histoire d’amour m’ont conduit vers la Russie.
2) 
 Sur votre blog, vous racontez une histoire vraiment étonnante. Un 
journaliste français, que vous connaissiez depuis longtemps, vous a 
avoué récemment vous avoir retiré de ses contacts twitter parce que ce 
que vous écriviez n’était pas dans ligne des rédactions françaises et 
que son rédacteur en chef lui avait fait le reproche d’être en contact 
avec vous. Pourriez-vous nous en dire plus ?
Je
 suis en France depuis quelques semaines, à cause d’un grave accident 
qui a manqué de me coûter la vie. Ce séjour forcé m’a fait penser un 
moment que je pourrais vivre à nouveau en France avec ma compagne. J’ai 
donc cherché du travail et j’ai écumé tous les médias nationaux et les 
régionaux proches de ma région. Ayant travaillé pour La Voix de la 
Russie, média public russe, je savais déjà que je porterais à vie une 
sorte d’étiquette du genre « Kremlin » sur le front ! Mais j’ai vite 
compris que cela serait pire encore que ce que j’imaginais. Je n’ai pas 
qu’un ami qui travaille dans le journalisme. J’ai été surpris de 
l’absence de solidarité, par les silences ennuyés à la fois de mes amis 
et des rédactions. L’ami dont je parle, est un ami d’enfance, il 
travaille pour un très grand journal régional, l’un des plus importants 
de notre pays. Je ne peux pas, sans lui créer des ennuis, le citer, au 
moins par fidélité à notre amitié et par principe, je peux seulement 
ajouter que le journal en question est Sud-Ouest… une très grosse 
boutique, le 2e quotidien régional français. La conversation que 
j’évoque a eu lieu dans un cadre privé, des retrouvailles entre vieux 
amis. Ma surprise fut grande d’entendre mon camarade pendant la moitié 
de notre rencontre, me marteler que je devais, supprimer mes réseaux 
sociaux, disparaître de la toile si je voulais un jour travailler dans 
le journalisme en France et vendre des livres… L’histoire que je raconte
 est vraie, il a été sermonné par sa rédaction pour m’avoir dans ses 
contacts Twitter et a dû rendre des comptes. Pendant les quelques heures
 de notre conversation, il a vainement tenté de m’expliquer qu’il 
fallait absolument que je reste dans la rédaction d’articles dans une 
ligne modérée centriste, le plus neutre possible et en évitant d’écrire 
contre la gauche et en particulier ce qui pourrait froisser les milieux 
gays, de gauche ou des pouvoirs en place.
3) 
 Mieux encore, ce journaliste explique que pour garder son poste et ne 
pas être mis au placard, il vaut mieux écrire dans l’air du temps. Quel 
regard, cela vous donne-t-il de la presse française ?
Oui
 c’est tout à fait ce qu’il m’a dit et redit, à savoir que je devais 
pour être sûr de travailler, n’écrire que dans les sillons tracés par 
les rédactions. Pour avoir travaillé un peu dans le journalisme et avoir
 écouté des amis, comme Olivier Renault, un grand journaliste ayant une 
vaste expérience, je savais déjà que le système était verrouillé. Il est
 évident que les rédactions françaises sont sous contrôle, Serge Halimi 
en parlait déjà depuis longtemps dans son ouvrage, Les Nouveaux chiens 
de garde. Depuis cette époque, le système s’est durci, je rappelle aussi
 que Coluche avait également démontré la concussion et la mise sous 
contrôle des médias dans une émission restée célèbre : http://www.youtube.com/watch?v=7JNL2OSiEZ0
 . Ma vision de la presse française est donc négative, la liberté 
d’expression n’existe que de façade et la grande majorité des médias 
français sont contrôlés, rappelons que l’Etat français est propriétaire 
de plusieurs chaînes de télévision et subventionne de nombreuses 
officines médiatiques. Les autres petit à petit ont été maîtrisés, nous 
pourrions même dire infiltrés !
4) 
 Peut-on parler d’un cas isolé pour ce journaliste français, qui après 
tout pourrait fantasmer, ou alors est-ce bien le cas de la presse 
française en général ?
 Je
 ne pense pas qu’il s’agisse d’un cas isolé, je pense que mon ami m’a 
tenu ce discours eu égard à notre longue amitié, mais qu’il ne se 
rendait pas compte lui-même de ce que cela signifiait. Avec d’autres 
camarades journalistes nous avions lancé un projet, le projet Camille 
Desmoulins qui surveillait la presse française sur le thème de la 
Russie. Nous avons rentré dans des fichiers des centaines d’articles de 
journaux nationaux et régionaux en rentrant également les auteurs, la 
signature ou non de l’AFP, une notation selon une échelle de 
russophobie. Le travail hélas colossal ne nous a pas permis faute de 
financement de tenir plus de six mois, mais les résultats ont été 
effarants. Nous avons constaté que plus le journal avait de tirage, plus
 les articles publiés étaient des copier/coller de l’agence AFP. 
Certains journaux comme Le Parisien atteignait les 86 % d’articles de 
l’AFP, des régionaux un peu moins, le bon élève était Le Bien Public 
avec un total de 50 %. Ce simple fait démontre bien, qu’il n’y a plus de
 journalistes qui écrivent, seulement quelques « autorisés » signant 
dans de grandes vitrines médiatiques tels Le Monde ou Le Figaro. Il nous
 a été impossible de déterminer qui écrit dans l’agence AFP et qui 
contrôle l’agence mais les pistes sont limpides. Dans ce projet nous 
notions aussi les propriétaires des médias, nous avons été surpris du 
nombre de banques… En discutant avec quelques collègues ostracisés comme
 moi, nous arrivions tous à la même conclusion, le système formate des 
journalistes dans les grandes écoles, ils sont formés pour évoluer dans 
le cadre donné mais rares sont ceux qui font aujourd’hui du journalisme.
 Il faut chercher dans les médias alternatifs ou francophones étrangers 
pour aujourd’hui trouver de la vraie information, une information 
traitée sans pression et librement. Toutefois à l’heure actuelle le 
Sénat et Hollande récemment durant son voyage en Israël ont parlé de 
« nettoyer » internet, c’est dire où nous en sommes, si cela devait 
arriver, nous serions clairement dans une dictature démocratique, la 
première de l’histoire.
5) 
 Alors que les médias français ne cessent de montrer Poutine comme un 
dictateur au service duquel est la presse russe. N’est-ce pas risible ?
Oui
 et je peux en parler, je me suis trouvé en février 2013 dans un 
press-tour dans la ville d’Ekaterinbourg pour la candidature à l’EXPO 
2020 avec de nombreux journalistes russes et étrangers. J’ai demandé à 
ceux de l’opposition, notamment communiste, s’ils pouvaient travailler 
librement, ils m’ont tous répondu que oui. Ceux de Komsomolskya Pravda, 
héritier de la Pravda étaient même chagrinés de voir comment la presse 
occidentale est en déliquescence, écrit sans cesse des absurdités, des 
inventions et des délires caricaturaux sur l’état de la presse russe. 
Moi-même j’ai écrit un article sans concession sur le président Poutine,
 dénommé Le syndrome de Borodino et j’ai boycotté les cérémonies de 
septembre 2012 pour le bicentenaire de 1812. Non seulement ma rédaction a
 publié mon article très sévère pour Poutine et le pouvoir en place, 
mais je n’ai pas été inquiété, loin de là. J’ajoute que le président 
Poutine se prête à un exercice de communication avec le peuple russe, 
chaque année, cela s’appelle La ligne. A l’avance les citoyens russes 
peuvent poster des questions, le jour même Poutine répond pendant des 
heures, son record étant 9 heures de suite, à des dizaines de questions,
 internet, téléphoniques, courriers… et qu’il répond à des questions 
vraiment sensibles de gens qui ne sont pas de son parti. Les questions 
ne sont pas choisies, le président doit subir cette épreuve, être 
convaincant, s’avancer sur des sujets épineux et il répond ! Toute la 
presse est invitée et participe, nous n’avons pas cela en France… nos 
journalistes et politiciens manquent de courage ! 
6)  Aujourd’hui, entre la Russie et la France, dans quel pays vous vous sentiriez le plus libre pour vous exprimer ?
Sans
 hésitation, la Russie, la liberté a changé de camp, c’est un pays qui 
est dans une situation économique similaire à nos trente glorieuses, 
c’est un pays dynamique mais qui reste ferme sur la défense de son 
identité et de son indépendance. Cette indépendance, la France 
assujettie à l’Europe et à l’OTAN ne la possède plus. Un journaliste en 
France doit servir le pouvoir, s’il ne le fait pas il est condamné à 
végéter ad vitam aeternam, voir à changer de métier. La démocratie 
française n’est déjà plus que l’ombre d’elle-même, n’oublions pas non 
plus que nous sommes dans un régime présidentiel… vendu comme 
démocratique. Monsieur Valls a parlé plusieurs fois d’ennemis de la 
République… cela démontre bien que si ces gens considèrent qu’il y a des
 ennemis dans notre pays… des ennemis du Peuple, c’est que la Nation est
 divisée. On commence par parler d’ennemis, on transgresse les lois ou 
on les façonne en conséquence et on termine par des persécutions et des 
emprisonnements. Cela ne vous rappelle rien ?