Tribune de Max Falque, membre de l’Institut Turgot.
♦ Les institutions et l’organisation d’un pays sont une ressource rare. Vouloir les ouvrir au monde entier ne peut aboutir qu’à leur destruction. La métaphore de la chaloupe est particulièrement pertinente. Une condamnation sans appel de l’immigration actuelle
« Nous ne pouvons pas héberger toute la misère du monde. La France
doit rester ce qu’elle est : une terre d’asile… mais pas plus »,
déclarait Michel Rocard dans l’émission 7/7 du 3 décembre 1989.
A l’époque, cette déclaration de l’ancien premier ministre socialiste
a semé le trouble au sein de la bien-pensance française (de Gauche mais
aussi de Droite). En fait elle s’inscrit dans la théorie générale de la tragédie du libre accès rendue célèbre par l’américain Garrett Hardin dans un article paru sous le titre de Tragedy of the Commons publiée quelque vingt ans plus tôt dans la revue Science (1968).
La thèse est désormais bien connue, notamment par les environnementalistes (1)
du monde entier : le libre accès de tous à une ressource limitée, en
l’occurrence un pâturage communal (ou vaine pâture), conduit
inévitablement à sa surexploitation (surpâturage) et à terme à sa
destruction.
Cette « tragédie » est généralisable à toute ressource mal ou pas
appropriée telle que l’eau, l’air, la mer, la biodiversité… mais aussi à
toutes celles dont les droits de propriété sont mal définis et/ou mal
protégés en raison de leurs caractéristiques physiques, ou de lacunes
institutionnelles.
La théorie de Hardin a révolutionné la problématique environnementale
à partir de la fin des années 1970 en plaçant au centre du débat les
rôles respectifs des droits de propriété et de la réglementation. Si Elinor Ostrom,
prix Nobel d’Economie 2009, a su mettre en évidence le rôle de la
propriété en commun (à ne pas confondre avec la propriété collective)
pour la gestion à long terme de nombreuses ressources, il n’en demeure
pas moins que le libre accès, souvent sous-produit de la propriété
collective, est au cœur de la destruction des ressources lorsque se
manifeste la rareté.
Mais Hardin a étendu son analyse à la gestion des flux migratoires
qui, depuis une trentaine d’années, font l’objet de débats idéologiques
et, désormais, politiques. Les derniers événements tragiques de
Lampedusa auront à nouveau bouleversé l’opinion sans apporter la moindre
solution.
Dans un autre article datant de 1974 (Living on a lifeboat)
Hardin s’est efforcé de clarifier le débat entre répression et
compassion. Les responsables ne veulent pas regarder la réalité en face
(celle de Michel Rocard) alors que l’opinion perçoit le caractère
suicidaire et insoutenable de laisser le libre accès en Europe à des
dizaines de millions de pauvres. Dans la mesure où il s’agit précisément
de navires surchargés, la métaphore de Hardin de la chaloupe est
particulièrement pertinente : « tout se passe comme si chaque nation
riche est représentée par une chaloupe de sauvetage occupée par des
personnes relativement riches. A proximité, une centaine de pauvres, à
bord d’une chaloupe surchargée qui a fait naufrage, surnagent quelques
heures dans l’espoir d’être recueillis par une chaloupe de riches
c’est-à-dire bénéficier de la bonté des belles âmes qui sont à bord. Que
vont faire les passagers de la chaloupe riche ? »
Hardin décrit les trois attitudes possibles :
- • Se conformant au précepte chrétien « d’aider son prochain » ou à l’impératif marxiste « à chacun selon ses besoins », ils doivent recueillir les quelques cents naufragés. Résultat inévitable : la chaloupe coule et 150 personnes meurent noyées.
- • Si la chaloupe dispose d’une dizaine de places supplémentaires (facteur de sécurité) il est possible de recueillir au maximum dix passagers mais alors apparaît le problème de la règle à établir pour le choix des naufragés à sauver: tirage au sort, priorité aux enfants, aux femmes enceintes, aux travailleurs qualifiés et vigoureux ? Mais alors quelle justification morale pour l’abandon des 90 autres naufragés ?
- • Afin de préserver toutes les chances de survie de l’embarcation les passagers de la chaloupe riche refusent de porter secours. Cette situation apparaît immorale mais rationnelle dans la mesure où il est toujours possible aux passagers riches, et, menés par des sentiments de compassion, de sauter à l’eau (2) pour laisser leurs places aux pauvres. On notera qu’un un tel comportement altruiste a peu de chances de se produire au sein des multiples groupes prêchant l’immigration pour tous, mais dont les bons sentiments masquent parfois des intérêts moins nobles : main-d’œuvre bon marché, subventions aux multiples associations d’aide aux immigrés, sinon politique politicienne, satisfaction morale…
L’absence de choix politiques est désastreuse, sinon criminelle, car elle comporte trois séries de conséquences :
- • les milliers de victimes qui chaque année périssent en tentant d’accéder à la terre promise ;
- • les couts d’accueil très élevés et de contrôle peu efficace des frontières ;
- • l’incapacité de régler le problème de la pauvreté et le risque de déstabilisation sociale et politique des pays d’accueil.
Que faire ?
D’abord bien poser le problème et ses enjeux économiques, politiques
et sociaux. Ensuite se demander pourquoi des pays potentiellement riches
poussent de facto à l’exil les excédents les plus dynamiques de leur
population. Rien, sinon leur propre impéritie (mauvaises institutions,
guerre, corruption), ne justifie cet exode qui, cerise sur le gâteau,
conforte la survie des autocrates et leurs comportements incompétents
voire criminels.
Sur le plan pratique est-il cohérent d’accueillir ces malheureux
alors que l’on déploie des moyens de surveillance pour les sauver mais
aussi les décourager, voire les repousser ?
Il est grand temps que la France, et au-delà les pays européens,
tiennent compte de la constatation de Michel Rocard car les intentions,
pour nobles et pures qu’elles soient, ne peuvent servir d’excuse et/ou
de justification à une politique (ou absence de politique) incohérente,
voire hypocrite, qui, poussée à ses extrêmes, sera suicidaire pour la
société dans son ensemble, et plus particulièrement pour les malheureux
de la planète… à l’exception des quelques passagers d’une chaloupe
chanceuse.
France , terre d’asile… mais pas plus !
Enfin constatons qu’au-delà de l’immigration, la tragédie du libre
accès, de fait, menace de nombreuses institutions, dont par exemple
celles qui concernent la santé, le chômage, l’éducation… La simplicité
du diagnostic n’a d’égal que la complexité de mise en œuvre des
solutions !
Max Falque
Institut Turgot
Institut Turgot
NOTES :
(1) Je pense avoir été le premier à la présenter en France dans « Libéralisme et environnement » in « Futuribles », mars 1986, suivi de commentaires critiques de B. Lalonde, J. Theys, V. Renard
(2) A ma connaissance, et sauf exception, les belles âmes se contente de sauter dans leur piscines !