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vendredi 27 décembre 2013

Lettre D'Alexandre Douguine à Jean Parvulesco (1)


 
« (318) C'est sur les épaules d'Alexandre Douguine que reposent, à l'heure actuelle, les destinées confidentielles de notre délégation grande-asiatique de Moscou, et non seulement celles-ci mais aussi et surtout le renouveau en cours de la conscience révolutionnaire, eschatologique et eurasiatique, de la Russie qui monte aujourd'hui à l'assaut de sa nouvelle grande histoire et de son nouvel avenir. Prédestination abyssale que celle d'Alexandre Douguine, engageant des responsabilités non moins abyssales.
Alexandre Douguine, lettre de Moscou, novembre 1997, lettre dans laquelle il me fait savoir ce qui suit. Je cite :

(1) « Je crois qu'il faut absolument que nous essayons d'enrichir les connaissances spéciales des groupements des nôtres actuellement en action par la révélation de quelques grands noms nouveaux, de quelques nouveaux grands sujets, jusqu'à présent tout à fait inconnus, appartenant à la culture souterraine russe (littéraire, géopolitique,occultiste) qui correspondent exactement à l’extraordinaire nébuleuse visitée, revisitée et ressuscitée par vous-même dans tous vos livres et dans certains de vos essais. Ainsi :

-Pimen Karpov, écrivain et poète du début du XXe siècle, le représentant de fait des sectes russes les plus extrémistes et les plus inentendues, les khlysty, les Scoptsy, les franges radicales des vieux-croyants, etc. Pimen Karpov a écrit aussi un grand roman initiatique, très activiste, très noir, Plamen, « Le Feu », où il exhibe les inestimables richesses cachées de la gnose russe, laissant entendre, par ses allusions pénétrantes, que dans les couches les plus basses du peuple russe se sont conservées, à l'état encore vierge, les traditions initiatiques les plus prohibées des bogomiles, des messaliens et d'autres encore, bien plus énigmatiques, étrangement proches si ce n'est identiques aux thèses fondamentales de l'occultisme occidental dont vous êtes vous-même à l'heure présente le représentant, le porte-parole le plus authentique.

Plamen doit être reconnu comme le corpus operativum du tantrisme russe, où les exploits révolutionnaires, amoureux et sexuels, meurtriers, de ses héros aboutissent au grand incendie final, à l'Incendium Amoris, dans la pure ligne impériale soutenue, propagée aujourd'hui par Jean Parvulesco.

-Nikolay Kluyev, qui est un peu plus connu. Lui-même, aussi, vieux-croyant, sectateur, farouchement hétérodoxe, ce qui signifie qu'il approchait infiniment la véritable orthodoxie, notre orthodoxie, Nikolay Kluyev a décrit, dans ses poèmes, l'ésotérisme russe, cette Russie parallèle, cette Mercaba, cet Alam al-Mital, ce pays Saint et Absolu, primordial, nordique, lumineux, paradoxal, marial, dont les arrière-fonds cachent ce que l'on a vraiment cherché ailleurs. Car la Russie est le seul vrai empire du Milieu, le heartland eurasiatique, le pont occulte entre l'Orient et l'Occident. C'est la raison de l'avortement, aussi mystérieux que tragique, de tous les essais, de toutes les tentatives - essais, tentatives dont vous avez su saisir les traces, encore brûlantes, dans votre Retour des Grands Temps – de ceux qui ont cru pouvoir rejoindre l'Inde autrement que par le passage obligé de la Russie. « Mon pays, Russie, Inde blanche », s'était écrié le grand Nikolay Kluyev. Car la Russie est l'Inde primordiale, la terre sacrée des commencements des temps d'avant les temps actuels, du commencement des temps Antérieurs. Tilak, tout comme Jacoliot, ont prouvé que les Védas avaient été composées dans certaines terres polaire extrêmes, que des fouilles archéologiques récentes montrent comme des territoires placés par le destin sous le contrôle et la protection géopolitique de la Russie. Le retour à Bénarès, le roman au propos chiffré d'Olivier Germain-Thomas, dont vous nous dévoilez les significations cachées dansLe Retour des Grands Temps, n'est-il pas précisément voué à montrer que tout ce que l'on peut encore découvrir de l'Inde, sans passer par la Russie, ce sont les « cendres de la Bien-Aimée », le « retour à l'Inde Noire » ? Car l' « Inde blanche » c'est seulement la Russie qui peut nous en donner l'accès, la Russie transcendantale, dissimulée, sainte autant que sanglante, à la fois violée et vierge, et vierge à jamais. Et Alexander Blok ne s'était-il pas écrié, lui aussi, dans une terrible envolée mystique et amoureuse, « Ma Russie, ma femme ? Nuptialement, prophétiquement ; tantriquement. »

-Gleb Bokiy, chef d'une section ultrasecrète de l'OGPU (l'ancien KGB) dans les années 20-30. Partisan farouche des doctrines synarchiques d'Alexandre Saint-Yves d'Alveydre. Il avait été initié, aussi, au martinisme. Gleb Bokiy avait pour adjoint un personnage extraordinaire, un certain Barchenko, occultiste, radiesthésiste, spécialiste de la géographie sacrée, auteur d'un roman ésotérique, Doctor Tchernyi, « Le Docteur Noir ». Ensemble, ils avaient organisés la mise sur pied d'une société à dédoublement secret, d'orientation synarchiste, « La Fraternité du travail ».

Entre autres, les services de Gleb Bokiy s'étaient occupés de la création du parti communiste au Tibet, composé, à son sommet, de certains hauts dignitaires du tantrisme tibétain noir. Le même groupe Bokiy-Barchenko s'était aussi donné la tâche d'infiltrer, dans les années 20-30, la maçonnerie française, en fondant, à Paris, une loge occultiste, La Loge Aggartha, d'orientation guénonienne et eurasiatique. Suivant des sources secrètes soviétiques, à présent émergeant à la lumière du jour, l'affaire Bavachine serait étroitement liée au projet de l'OGPU d'infiltrer la maçonnerie française supérieure.

- Les eurasianistes – Le Prince Nikolai Troubetskoy, Petr Savickiy, Nikolai Alekseev, Efron (ce dernier, mari de la poétesse Marina Zvetaeva) – constituent un groupe à part. Ce qui paraît significatif, c'est le fait que Nikolai Alekseev, par ailleurs juriste de classe européenne, citera explicitement, dans ses travaux de recherches spirituelles, René Guénon, qu'il considéra comme le « représentant de la branche française de l'eurasisme », tout en faisant des renvois, aussi, aux écrits de Moeller van den Bruck, Spengler et Carl Schmitt. Moeller van den Bruck, traducteur de Dostoïevsky en allemand était, on le sait, fort lié à Dmitry Merejkovsky (qui, lui, connaissait bien Julius Evola). Dmitry Merejkovsky avait développé la doctrine du Troisième Règne, ésotérique, eschatologique, hautement spirituel.« Moscou, Troisième Rome », prophétisait Dmitry Merejkovsky : il n'est peut-être pas impossible que Meller van den Bruck y ait puisé son concept d'un « Troisième Reich » éternel... » à suivre (2)...

extraits d'une Lettre D'Alexandre Douguine à Jean Parvulesco reproduite dans Le sentier perdu de Jean Parvulesco, p. 25 à 28