Dérive libérale du think tank : le cas Hannezo
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Terra Nova aux mains des financiers ? On savait déjà
que le cercle de réflexion proche du Parti socialiste était hermétique
aux critiques sur les choix économiques du gouvernement – comme nous le révélions ici
– mais on ignorait que ce think tank dit progressiste était un repaire
de banquiers influents. Dans une enquête parue dans Charlie Hebdo cette
semaine, le journaliste Laurent Léger révèle la mise au placard d'une
note sur les paradis fiscaux ainsi que les appétits des cols blancs qui
sévissent à Terra Nova.
L’épisode du départ de Méadel a sonné le glas de l’indépendance de Terra Nova vis-à-vis du gouvernement. Mais il est également symptomatique de la prise de pouvoir de financiers au sein du think tank comme le révèle cette semaine Charlie Hebdo. Laurent Léger, l’auteur de l’enquête disponible dans vos kiosques à journaux, raconte que le poids des financiers est devenu considérable : BNP-Paribas siège à Terra Nova, et, dans cette galaxie, après un tour sur la page des mécènes, on peut ajouter le nom d’un des principaux cabinets d'audit financier au monde, Ernst et Young. Mais c’est une autre enseigne qui intéresse Léger : selon le journaliste, la banque Rothschild est aussi présente par le biais de l’un de ses associés, Guillaume Hannezo, lequel "est omniprésent depuis juin 2012 et se montre particulièrement interventionniste, sans commune mesure avec les autres administrateurs".
Copie écran du site Terra Nova
Hannezo est un digne représentant du pantouflage, pratique qui consiste à passer des grandes écoles publiques au secteur privé. Selon Terra Nova, cet ancien de l’ENA "a été conseiller technique au cabinet de Pierre Bérégovoy, puis conseiller économique à l’Elysée sous François Mitterrand. Directeur financier des AGF puis de la Compagnie générale des eaux/Vivendi universal, il crée en 2003 une «boutique» de conseil en fusions acquisitions intégrée depuis 2007 dans la banque Rothschild". Il est par ailleurs vice-président du conseil de surveillance de Libération. Un CV en or, et une vision très personnelle du monde de la finance qu’il tente d’instiller à Terra Nova comme le prouve le journaliste de Charlie Hebdo. En effet, Léger a pu consulter les commentaires rédigés par Hannezo sur le projet d’une note consacrée à l’évasion fiscale.
Secret bancaire mon ami
Une note pourtant peu sévère : rédigée par Guy Flury, expert-comptable associé du cabinet PricewaterhouseCoopers, elle préconisait "la transparence des multinationales" et militait pour la "connaissance des propriétaires et bénéficiaires réels des sociétés écrans". Pas de quoi fouetter un chat. Pourtant Hannezo dézingue le document qu’il considère bien documenté mais cédant "un peu à la tentation de tout mettre dans le même sac et d’en appeler à l’indignation vertueuse plutôt qu’aux solutions pratiques". Le banquier estime que "l’échange d’informations entre administrations fiscales sera un plus, mais cela ne va pas changer la donne, et s’il en reste, c’est parce qu’il y a des criminels". Le journaliste fait alors remarquer qu’Hannezo semble oublier le cas Cahuzac. Mieux : le banquier ne veut pas "jeter aux orties le secret bancaire [inventé pour protéger la vie des gens et les protéger des dictatures de leur pays d’origine], ni laisser n’importe quel lanceur d’alerte autoproclamé vendre des relevés bancaires, vrais ou faux, à la presse à scandale". Un dernier pour la route ? Que les multinationales s’installent au Luxembourg pour être moins taxées, "c’est normal" selon le banquier.
Charlie Hebdo du 24 décembre 2013
Vous vous en doutez : avec de tels commentaires, la note n’a jamais été publiée. Tout comme les autres projets de note consacrés aux class actions – les recours collectifs en justice – ou encore aux conséquences d’une sortie de l’euro. Pour Léger, "depuis que les administrateurs de Terra Nova fraient avec le pouvoir, rien ne va plus". Le "cercle de réflexion ne réfléchit plus vraiment" et fourmille "de cols blancs qui veulent se placer". Plus surprenant, même la veuve d’Olivier Ferrand, fondateur de Terra Nova et ancien directeur mort brutalement en juin 2012, semble avoir des velléités : selon le journaliste de Charlie, cette responsable du groupe Pinault "tient en réalité les rênes". N’était-ce pas le cas du temps de son mari ? Non me répond un expert proche du think tank qui préfère rester anonyme, "elle n'est apparue qu’à son décès où elle s'est désignée présidente d'honneur. Elle n'a d’ailleurs pas de formation politique ou économique". Nous n’en saurons pas davantage : en plus d’être anonyme, cet expert est peu prolixe. Mais il est le seul à avoir daigné nous parler : Guillaume Hannezo n’a pas répondu à notre message. Quant à Juliette Méadel, elle ne souhaite pas faire de commentaires.