Michel Lhomme, philosophe, politologue
La rue de Grenelle commence à être inquiète, elle qui ne parvient pas depuis longtemps à remplacer les profs manquants : les enseignants seraient de plus en plus nombreux à démissionner. Cela fausse toute la prospective du Ministère de l’Education nationale au point qu’augmenter conséquemment les horaires des professeurs comme le suggère le plan Fillon risque demain d’être nécessaire.
Selon des données publiées dans un rapport sur le budget de l’Éducation nationale déposé par Jean-Claude Carle, sénateur Les Républicains, le nombre de démissions a fortement augmenté depuis 2012, aussi bien chez les enseignants stagiaires (ils renoncent donc avant leur titularisation !) que chez les titulaires. En quatre ans, le nombre de démissions d’enseignants stagiaires a ainsi triplé dans le primaire et doublé dans le secondaire, une tendance qui se confirme chez les enseignants titulaires (+ 50% en quatre ans). Selon l’auteur du rapport rendu public le 24 novembre dernier, le ministère n’a pas fourni d’explications. En fait, il se refuse à le faire parce qu’il lui faudrait alors reconnaître son échec patent : la décrédibilisation totale du métier d’enseignant et de professeur des écoles, le manque de rémunération (1500 euros pour un débutant en région parisienne après 5 ou 6 années d’études difficiles !), la mauvaise répartition des enseignants dans les académies (les jeunes professeurs sont toujours affectés dans les établissements sensibles et les plus difficiles).
Mais, et c’est bien sûr le grand tabou du politiquement correct, les démissions sont essentiellement dues aux incivilités, aux violences et à l’indiscipline, présentes maintenant presque dans tous les établissements et même les écoles primaires et ceci faute de surveillants, d’applications fermes du règlement (la « pédagogie de la bienveillance », politique officielle de Najat-Vallaud Belkacem) mais aussi en raison de l’hétérogénéité des classes et de l’inadaptation des programmes.
Du coup, les stagiaires comme les vétérans décident effectivement de ne plus retourner en classe et d’abandonner le métier. Ceci étant, on ne plaindra pas la caste enseignante, suppôt idéologique du système et on lui rétorquera : pourquoi voudriez-vous défendre aujourd’hui (la discipline, l’autorité, la transmission) que vous n’avez jamais défendu hier ?
De fait, un autre indicateur de l’Education nationale mérite d’être commenté
C’est l’ouverture croissante d’écoles privées hors contrat (parmi elles, de nombreuses écoles musulmanes) et l’augmentation de l’enseignement à domicile. Or, cette tendance n’est pas seulement propre à la France. On la retrouve aussi aux États-Unis. Elle pourrait donc augurer d’une évolution pérenne du système éducatif occidental.À l’heure actuelle, entre 3% et 4% des enfants américains sont scolarisés à domicile – et c’est un nombre qui croît très rapidement alors que les écoles publiques ne sont pas aux États-Unis des cauchemars académiques et sociaux comme en France. C’est donc ici une autre cause qui est en jeu : la révolution informatique et l’internet. A quoi bon en effet conserver encore à l’heure des nouvelles technologies la structure »classe » et l’édifice scolaire ? Internet entraînera de fait la décentralisation de l’éducation et la destruction du monopole éducatif dans ce modèle professoral issu des vieilles «casernes » jésuitiques et sans que la qualité académique n’en soit forcément atteinte. La classe inversée ou l’enseignement par îlots que le Ministère français de l’Education nationale souhaite actuellement généraliser procède de la même logique mais ne va pas jusqu’à bout. Elle défend forcément encore le vieux modèle éducatif. Or, une décentralisation effective et à domicile de l’éducation permettrait de réduire le coût de l’éducation de plus de 10 fois par le biais d’une technologie Internet, de CD-ROM, de cours à distance. Est-ce un bien ?
Les enfants retirés de l’école publique ne seront en tout cas plus utilisés comme sujets d’endoctrinement civique ou réduits à n’être que des supports de l’ingénierie sociale par le formatage des programmes officiels. L’éducation de l’avenir risque donc d’être composée demain d’un mélange d’écoles à domicile à distance, d’éducation autodidacte et d’écoles de groupe classiques gérées par des entreprises privées à un dixième du coût actuel de l’enseignement public. La qualité académique devrait y être beaucoup plus élevée car nous croyons à un autre usage de la connexion que celle qui est faite actuellement et qui effectivement nuit à l’attention.
Financé par l’impôt, gouffre financier sans obligation de résultats, l’éducation publique socialisée devrait à terme disparaître. Rappelons d’ailleurs que l’obligation en France n’est pas de scolariser les enfants mais de les instruire. C’est un devoir des familles et ce n’est que par facilité, que les familles le délèguent à l’État mais en aucune façon, du moins pas encore, les enfants n’appartiennent en France à l’État.