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samedi 7 janvier 2017

François Fillon (2017) et Pierre Laval (1935)



Henri Guaino utilise abondamment les matières premières de son excellent ouvrage[1] pour critiquer le programme de François Fillon dans le monde du 21 Décembre 2016[2].

Cherchant à en souligner les défauts récessionnistes que nous avons-nous-mêmes mis en évidence[3], il se livre à quelques comparaisons historiques intéressantes notamment le plan Laval de 1935. Le contexte des années 30 est certes différent de celui d’aujourd’hui. Il existe toutefois des points de rapprochement tels que la compétitivité et le déficit budgétaire. Ainsi la France se trouve- t-elle exposée dans le contexte de la crise planétaire à une question d’équilibre extérieur aussi aggravée par les fortes dévaluations de la Livre en 1931 et du dollar en 1933. Une situation qui, dans un environnement de baisse du PIB de 10% entre 1929 et 1935, fera passer les exportations de 15 à seulement 6 points de PIB entre 1929 et 1935. Autre point de rapprochement, la question du déficit budgétaire qui représente environ 5 point de PIB en 1932[4].

A l’époque, le système monétaire est encore celui du « bloc-or » et le Franc est évidemment attaqué en raison de la compétitivité trop faible et surtout un déficit budgétaire menaçant, de par son poids, le système financier. Le raisonnement est simple : si le Trésor fait appel trop lourdement au marché financier, dans un contexte où l’épargne se dirige plus volontiers vers la terre et la pierre, le risque de taux se manifeste. Pour les fonctionnaires du « Mouvement Général des Fonds » (le Bercy de l’époque) et déjà Jacques Rueff, la solution passait par l’austérité et donc la tentative d’une politique déflationniste permettant une baisse du niveau général des prix. Une telle baisse serait de nature à rétablir la compétitivité. Cette déflation passait bien sûr par une diminution de la dépense publique.

Dans le cadre d’un panel de décrets-lois qui va se développer par un premier ensemble de 29 textes publiés le 14 juillet 1935, la totalité des services de l’Etat réduit son flux de dépenses de 10%, et ceci quelle que soit la nature de la dépense. En particulier le service de la dette est lui-même concerné et donc la rente sur titres publics est écrémée de 10%. Compte tenu du poids de l’Etat à cette époque, cette baisse représentait environ 2 points de PIB, soit un choc plus important que celui prévu dans le programme Fillon[5].Ultérieurement d’autres textes interviendront (près de 400 au total) pour obtenir une baisse générale de tous les prix y compris celui des loyers. Chaque prix ayant pour contrepartie un revenu, on comprend la puissance de l’effet déflationniste, et donc en principe récessionniste, comme nous l’avons déjà montré dans le blog. Et à priori, une puissance austéritaire beaucoup plus importante que celle prévue par le plan Fillon qui, lui, ne peut  dans le cadre de la réglementation européenne intervenir sur l’ensemble des prix de marché. En revanche, nous n’avons aucune idée de la valeur du multiplicateur budgétaire de l’époque[6].

Outre qu’il soit techniquement difficile d’effectuer des comparaisons, le travail doit s’arrêter sur le paysage monétaire complètement différent entre la France des années 30 et celle d’aujourd’hui.

De fait, la déflation Laval est devenue dans la réalité concrète une « inflation Laval » car loin de voir les dépenses publiques se réduire, ces dernières se sont accrues malgré les décrets-lois. Bien sûr il était logique de constater qu’un déficit budgétaire nouveau se manifeste par le biais de moins -values sur recettes : les décrets portant sur les prix ont eu des effets revenus source de réduction des assiettes fiscales. Par contre et sans doute assez curieusement les dépenses, mal évaluées vont augmenter sur un certain nombre de postes très lourds dont celles liées à l’interventionnisme en matière agricole, aux travaux civils engagés et plus encore l’abondement du « Fonds spécial d’outillage et d’armement » de l’époque. Cet alourdissement de la dette fût très largement monétisé. Une monétisation d’abord directe, avec l’achat de bons du trésor par la banque de France, mais aussi de façon plus indirecte en plaçant en position intermédiaire ces acteurs dévoués qu’étaient les banques de second degré et la Caisse de Dépôts et Consignation. Très clairement les bons achetés étaient escomptables dans un délai de trente jours directement auprès de la Banque de France. Des outils bien commodes qui vont faire naitre ce qu’on a appelé la « croissance paradoxale ». Bien évidemment la compétitivité n’était guère rétablie et il appartiendra au Front Populaire, l’année suivante, de tenter le retour à la compétitivité par un franche dévaluation, d’abord en octobre (35%) puis en décembre (25%).

Monsieur Fillon peut tenter une austérité Laval telle qu’enseignée dans les universités. Hélas il ne fera qu’imposer de nouveaux malheurs au pays car, Président de la République, il restera complètement sous équipé en matière de souveraineté monétaire. L’étau de l’euro se refermera sur lui et le pays.

Notes

[1] « En finir avec l’économie du sacrifice », Odile Jacob, 2016. [2] « Non,M.Fillon, l’austérité n’est pas la solution » , Feuillet « Débats et analyses », page 23. [3] http://www.lacrisedesannees2010.com/2016/12/programme-fillon-une-economie-de-l-offre-embourbee-dans-l-euro.html [4] Nous extrayons ces chiffres et ceux de la suite du présent texte de la thèse de Michel Margairaz : « L’Etat, les finances et l’économie, Histoire d’une conversion 1932-1952 », thèse publiée par l’Institut de la gestion publique et du développement en 1991. [5] Moins de 1 point de PIB, mais répété tout au long du sptennat. [6] Rappelons qu’il est estimé à environ 2,6 pour la France d’aujourd’hui. (Cf article déjà cité sur le blog).

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