Le premier penseur de la guérilla est
probablement Salluste (86-35 av. J.C.), avec sa Guerre de Jugurtha, qui
raconte l’histoire du conflit entre la république romaine et le roi
numide Jugurtha entre 112 et 105 av. J.C. Dans son histoire, Salluste
évoque déjà l’intégralité du répertoire tactique de la guérilla
pratiquée par le Numide. Ainsi, la tactique consistant à faire traîner
en longueur des pourparlers afin de négocier en position d’avantage est
rapportée en ces termes : « Jugurtha, au contraire, tirait les choses en
longueur, faisait naître une cause de retard, puis une autre,
promettait de se rendre, puis feignait d’avoir peur, cédait du terrain
devant les attaques, et, peu après, pour ne pas exciter la défiance des
siens, attaquait à son tour ; et ainsi, différant tantôt les hostilités,
tantôt les négociations, il se jouait du consul ». Il décrit les raids
sur les colonnes romaines et même l’assaut nocturne sur le camp d’Aulus
qui se termine en débâcle pour l’armée romaine. Salluste ne cherche pas à
systématiser les tactiques qu’il décrit comme dans un manuel militaire,
mais on peut déjà percevoir chez lui une ébauche de discussion sur
l’utilité pour celui qui est en infériorité militaire d’adopter une
tactique de guérilla.
Mamertin, un panégyriste du milieu du IV°
siècle donne également une description saisissante de l’insurrection de
284 dans le nord-est des Gaules qui sera matée en 286, en particulier
du guérillero antique : « quand des paysans ignorant tout de l’état
militaire se prirent de goût pour lui ; quand le laboureur se fit
fantassin et le berger, cavalier, quand l’homme des champs profitant des
dévastations dans ses propres cultures prit exemple sur l’ennemi
barbare » (Panégyriques latins, II, 4, 3). Comme avec Salluste, il ne
s’agit pas d’un traité militaire, mais on observe une description
frappante d’une figure désormais familière : le rebelle est un homme du
commun qui prend les armes.
A ma connaissance, le premier grand
traité théorique est celui de l’empereur byzantin Nicéphore Phocas
(913-969), intitulé Peri Paradromes en grec ou de vellitatione bellica
en latin, traduit en français sous le titre Traité sur la Guérilla. Le
traité marque en fait une forme de codification d’un savoir militaire
déjà pratiqué par les Byzantins. Au moment de l’écriture, la reconquête
byzantine a déjà eu lieu, et l’empereur a lui-même défait les arabes en
Crête, et reprit Antioche et la Mésopotamie. Le traité est composé de 25
chapitres décrivant des procédés tactiques classiques des guérillas, en
particulier les surveillances, les raids et embuscades, ainsi que les
mouvements de troupes. L’auteur discute également de la valeur relative
de chacune des composantes de l’armée, et rappelle la valeur des troupes
montées légères sans cacher son mépris pour la piétaille. Nicéphore
considérait les fantassins comme le tout-venant, c’est-à-dire à la fois
de basse extraction et d’une valeur militaire douteuse. C’est à eux que
le général réserve une harangue de belle, mais creuse rhétorique.
Il développe également des considérations
que l’on pourrait aujourd’hui qualifier comme relevant de la sociologie
militaire, notamment en évoquant les conditions de vie des soldats dans
un chapitre complet, en particulier le statut, l’équipement et
l’entraînement de l’armée. Selon Dagron et Mihaescu, qui ont récemment
dirigé une nouvelle édition du traité, la hiérarchie des grades et des
fonctions, « sans être abolie, compte sans doute moins ici que dans les
ouvrages ordinaires de stratégie et de tactique; mais elle est doublée
ou compensée par une autre hiérarchie fondée plus souplement et plus
personnellement sur la confiance et l’excellence; les rapports de
l’officier à ses soldats deviennent ceux du « chef » à ses « hommes » ».
Cet aspect social se retrouve évidemment dans les guérillas
contemporaines, et Nicéphore cherche à institutionnaliser cette relation
entre les soldats et les chefs de guerre, afin d’éviter que la
communauté des combattants ne se dissolve dans la société civile (vieux
débat sur l’ethos guerrier). Par la systématisation et la réflexion
qu’il propose sur la conduite de la guerre irrégulière, le traité de
Nicéphore Phocas est un classique incontournable.
Après Phocas, l’on peut effectuer un saut
temporel de près de 900 ans et passer directement à l’analyse des
guérillas par Clausewitz. L’auteur de De la Guerre a accordé une
attention soutenue aux guerres irrégulières durant sa carrière,
contrairement aux lectures caricaturales des Van Creveld, Keegan ou
Kaldor qui font de Clausewitz l’auteur exclusif et dépassé de la guerre
interétatique. Clausewitz a vécu à une époque marquée par le renouveau
de la guérilla, puisqu’il est né quatre ans après la fin de la guerre
d’indépendance américaine, et a pu observer les combats de Vendée,
d’Espagne ou le soulèvement du Tyrol en 1809. Il donne un cours sur le
thème des « petites guerres » à l’école de guerre prussienne en 1810 et
1811, ce qui marque le début de la systématisation de ses réflexions sur
le sujet.
Les cours de l’école de guerre doivent
être compris dans le contexte des réformateurs prussiens de l’époque, où
la guerre révolutionnaire était vue comme étant le moyen de se libérer
de l’oppression napoléonienne. Ainsi, dans les cours, Clausewitz
conserve une approche tactique de la guérilla, qu’il définit comme la
guerre conduite par les petites unités, discutant et commentant les
embuscades, la reconnaissance, l’attaque, la défense, les avant-postes,
etc. Il se fonde sur des exemples récents, telle que la défense de la
Flandre et des Pays-Bas organisée par son mentor Scharnhorst en 1795, ou
la lecture d’auteurs du XVIII° siècle tels que Johann von Ewald ou
Andreas Emmerich.
Clausewitz ne discute pas encore les
préconditions sociales ou politiques nécessaires à la conduite de la
guérilla, mais ces cours servent de base à ses réflexions ultérieures. A
partir de 1812 et l’écriture de ses « manifestes»
(bekenntnisdenkschrift), Clausewitz intègre la dimension politique dans
son analyse de la guérilla, et considère le contexte comme l’élément le
plus important de cette forme de combat. Il considère que la volonté
prussienne de se libérer du joug français est la condition nécessaire à
un soulèvement populaire (volkskrieg) adoptant des tactiques de guérilla
(Klein krieg). Clausewitz discute en détails un certain nombre de
questions tactiques précédemment abordées dans les cours de l’école de
guerre, mais intègre désormais à son analyse des questions théoriques
sur la nature de la défense et de l’attaque dans une guérilla. De plus,
la notion de volonté est désormais très présente, puisqu’il considère le
soulèvement populaire comme « un moyen du salut », et discute la notion
de la violence d’une guerre révolutionnaire en avançant que les
atrocités commises par l’occupant doivent être vengées par les atrocités
commises par les insurgés, afin de ne pas démoraliser ces derniers et
de ramener l’occupant dans « les limites du contrôle de soi et de
l’humanité ».
Ainsi, avant l’écriture de De la Guerre,
Clausewitz avait déjà articulé les principaux éléments de sa réflexion
sur la guérilla, qu’il voit comme une manifestation complète et efficace
de la résistance populaire. Dans le De la Guerre, Clausewitz consacre
un court chapitre, intitulé « l’armement du peuple» (Volksbewaffnung) à
la guérilla. Le chapitre est placé dans la partie VI du traité,
consacrée à la défense. Clausewitz considère que le soulèvement
populaire est la conséquence logique de la transformation de l’art de la
guerre qui s’opère à son époque et qui se traduit de la croissance
exponentielle de la taille des armées sous l’influence de la
conscription. Logique avec sa propre conception de la guerre, il avance
que l’impulsion morale est nécessaire au déclenchement de
l’insurrection. Il pense également que la guérilla doit être divisée,
afin de couvrir un territoire aussi large que possible, et doit se
coordonner avec les forces régulières dans un plan de campagne intégré.
Il liste cinq conditions nécessaires à l’efficacité militaire de la guérilla :
– Il faut que la guerre se livre à l’intérieur du pays.
– L’issue de la guerre ne doit pas dépendre d’une seule bataille qui serait perdue.
– Le théâtre des opérations doit couvrir un vaste espace.
– Le peuple qui mène cette forme de guerre doit pouvoir soutenir sur le long terme le caractère extrême de ce type de lutte.
– Le terrain doit être propice : coupé, difficile d’accès, montagneux, etc.
Au final, pour Clausewitz, la guérilla est l’un des moyens de la défense
stratégique : il s’agit soit du dernier recours après une défaite, soit
d’un auxiliaire naturel avant une bataille décisive, et il rappelle que
quelle que soit la violence de la défaite subie par un gouvernement,
armer la population reste toujours un moyen de salut, comme le montrent
les exemples de la résistance française ou des partisans soviétiques
durant la Seconde Guerre Mondiale.
La première conceptualisation de la
guérilla au XX° siècle est due à l’officier britannique Thomas Edward
Lawrence, célèbre sous le surnom de Lawrence d’Arabie obtenu suite à son
rôle dans la révolte arabe contre l’empire Ottoman entre 1916 et 1918.
Dans les Sept Piliers de la Sagesse, Lawrence théorise le paradoxe qu’il
observe dans les opérations. En effet, le corpus militaire de la
première guerre mondiale avec lequel il était familier (en particulier
une lecture sélective de Clausewitz) prédisait qu’une troupe incapable
de détruire les forces ennemies dans une bataille ne pourrait remporter
de victoire stratégique.
Or Lawrence observe l’inverse : les
Arabes sont incapables de détruire les Turcs dans une bataille, mais ils
sont en train de remporter la victoire. Lawrence observe alors que
puisque les Arabes se battent pour leur liberté, les Turcs ont
simplement besoin d’être expulsés, et non pas détruits. Une fois
l’objectif stratégique défini, Lawrence examine les moyens de
l’atteindre, et il déploie un cadre d’analyse fondé sur trois facteurs :
physiques, biologiques et psychologiques. Le facteur physique est un
calcul effectué par Lawrence selon lequel les Turcs auraient besoin de
600.000 hommes pour mater la révolte arabe.
Lawrence fonde ce calcul sur le
présupposé que l’intégralité de la population arabe est favorable aux
insurgés, ce qui est douteux, mais ce calcul l’amène à considérer que
les Turcs n’occuperont jamais l’intégralité du territoire. Le facteur
« biologique » est l’observation selon laquelle les Arabes placent la
vie de leurs combattants avant toute autre considération (puisque
ceux-ci sont en nombre limités) tandis que les Turcs privilégient les
transferts de matériels par rapport à la protection des soldats.
Attaquer les matériels et équipements de valeur est donc une tactique
très efficace. Enfin, le facteur « psychologique » relève des motifs
idéologiques au conflit : les Arabes mènent une guerre de libération
nationale, forcément plus sympathique pour les populations et aux
potentielles nations alliées.
La conclusion que Lawrence tire de cette
analyse multi-factorielle est que les Arabes doivent adopter des
tactiques de guérilla conduites par de petites unités en refusant le
contact avec les larges formations turques. L’ironie de l’œuvre de
Lawrence est l’écart radical entre ses conceptions
litéraro-philosophiques de la guérilla et la conduite réelle de la
révolte arabe, dont le succès a en fait été acquis grâce à la campagne
traditionnelle du Field Marshall Edmund Allenby en Palestine. Nous ne
saurons donc jamais si les conceptions de Lawrence auraient fonctionné
sur le long terme, mais on peut observer que les Arabes ont plusieurs
fois ignoré superbement ses principes en massant des unités et
conduisant des actions de destruction traditionnelles, par exemple lors
de la prise du port d’Akaba, ou en servant de cavalerie légère
protégeant le flanc droit d’Allenby lors de la prise de Damas.
Au final, les conceptions de Lawrence
sont assez verbeuses, très classiques et sur-intellectualisées. Lawrence
décrit comment des forces légères bénéficiant du soutien de la
population parviennent à paralyser un ennemi qui, pour une raison
quelconque, refuse d’être proactif contre la rébellion et, comme le
résume cruellement Walter Laqueur : « rarement dans l’histoire de la
guerre moderne, on a écrit autant à propos de si peu de choses ».
Lawrence mérite néanmoins d’être mentionné principalement car il a rendu
populaire les guérillas, et son analyse des facteurs physiques,
biologiques et psychologiques, même si elle doit être reformulée, est
une bonne base de départ pour l’analyse des guérillas.
Le grand théoricien du XX° siècle est
évidemment Mao Tsé-Toung, dont l’expérience militaire s’est forgée lors
de la lutte contre le Kuomintang, qui s’est initialement traduite par
une défaite suite à la décision des communistes, en accord avec les
principes marxistes-léninistes traditionnels, de se concentrer sur les
villes. Après les premiers échecs de l’armée rouge dans les années 1930,
Mao intègre les éléments socio-politiques de la Chine de l’époque dans
son analyse, notamment en observant la structure mi-coloniale,
mi-féodale de son pays. En bon stratège, il étudie également
l’importance du terrain, notamment en relevant sa complexité et la
difficulté d’établir des communications, et tire de ses observations une
théorie quasi organiciste de la guérilla, qui se divise en trois
phases.
Dans la première, la guérilla établit des
bases loin du pouvoir central permettant aux communistes d’abord de
survivre, puis de prospérer au sein d’une population de plus en plus
favorable. Les bases servent de point de repli, mais aussi de centres de
recrutement et de formations pour les nouveaux combattants. La deuxième
phase est caractérisée par un relatif équilibre des forces rebelles et
des forces loyalistes, mais la confrontation directe serait trop
dangereuse pour la guérilla. Cette phase se caractérise par les actions
subversives déstabilisantes pour le régime tels que les sabotages,
assassinats ciblés de dignitaires, embuscades contre des avant-postes ou
des colonnes isolées, etc.
Le but principal est d’obtenir des armes
et des munitions (ainsi que d’autres biens de première nécessité), tout
en montrant la faiblesse du régime. En parallèle, l’endoctrinement de la
population continue, afin que les combattants évoluent au sein d’un
environnement socio-politique favorable, tout en contribuant à la
décrédibilisation du régime. Enfin, la troisième phase est décisive,
puisque la guérilla est maintenant suffisamment forte pour se regrouper
et défier les forces gouvernementales dans des combats traditionnels.
Les insurgés prennent l’initiative, et la campagne se termine par
l’élimination des forces ennemies au cours d’une bataille ouverte. En
d’autres termes, la guérilla abandonne les tactiques de guérilla.
L’intérêt de Mao est de ne pas être naïf face aux vertus de la guerre
irrégulière : il rappelle explicitement que la guérilla est l’arme du
faible, mais que celle-ci est nécessairement limitée, la victoire étant
acquise par la destruction des capacités ennemies. La guérilla est,
selon ses propres termes « une étape dans la guerre totale ».
Contrairement à Lawrence, qui fait de la
guérilla une stratégie devant conduire à la victoire politique, Mao en
fait un mode opératoire limité dans le temps : le but est bien de
conduire à la formation d’unités régulières « révolutionnaires ».
L’approche maoïste est également intrinsèquement politique, puisque les
révolutionnaires doivent être suffisamment motivés pour conduire une
campagne qui sera nécessairement longue, ce qui rappelle évidemment
l’analyse Clausewitzienne des forces morales. Mao a réussi le tour de
force de créer une théorie de la guerre irrégulière systématisée, allant
de la tactique à la stratégie, dont l’application a été couronnée de
succès en de multiples occasions. Il est à ce titre un penseur
incontournable.
L’autre auteur marxiste ayant eu une
influence considérable sur les doctrines révolutionnaires, cette fois-ci
en Amérique du Sud, est Che Guevara, dont l’ouvrage majeur a été publié
en 1961. Le livre est lui-même un manuel tactique recensant les
principales actions traditionnelles de guérilla et le meilleur moyen de
les conduire, la partie théorique sur la guerre irrégulière étant
réduite à la portion congrue.
Suite à son expérience de la révolution cubaine, Guévara identifie trois éléments formant le cœur de sa théorie :
– les forces populaires peuvent l’emporter face à une armée
– il n’est pas forcément nécessaire d’attendre que les conditions révolutionnaires soient remplies. Le groupe insurrectionnel (ou foco) peut développer des conditions subjectives basées sur les conditions objectives.
– les campagnes et montagnes (en fait, les espaces non-urbains) sont les lieux où l’action armée doit être concentrée.
Le deuxième point est évidemment en
contradiction complète avec l’approche maoïste, qui nécessite un patient
travail de concentration et de mobilisation des forces. Au contraire,
selon Guévara, les focos peuvent permettre de remporter une victoire
rapide grâce à quelques actions violentes judicieusement choisies
servant d’étincelle à l’insurrection populaire. Evidemment, cette
approche était séduisante pour un certain nombre de groupes
insurrectionnels puisqu’elle était censée permettre une victoire rapide.
Cette différence importante mise à part, Guévara a une approche
similaire à celle de Mao (qu’il n’a probablement pas lu) : le
révolutionnaire doit d’abord survivre, avant de se consolider par la
mise en place de focos puis détruire les forces loyalistes dans une
série de batailles régulières conduisant l’ennemi à accepter sa défaite.
Guévara va encore plus loin que Mao dans son insistance sur la
destruction, qui n’est plus simplement une nécessité militaire mais
désormais un devoir révolutionnaire.
Comme avec Lawrence, la conception
théorique de Guévara est en fait complètement déconnectée de la réalité
de la révolution cubaine, durant laquelle les forces loyalistes n’ont
pas été détruites, le régime de Batista s’effondrant sur lui-même. De
même, le concept de focos avancé par Guévara est problématique, comme il
l’a appris lui-même à ses dépends en tentant de mener une insurrection
en Bolivie rejetée par les paysans qu’elle était censée libérer. Mao et
Giap auraient certainement pu dire à Guévara que la violence des focos,
au lieu de catalyser la révolution, mettait en fait inutilement en
danger ses éléments les plus motivés, qui se retrouvaient de fait les
cibles privilégiées du régime. La contribution théorique de Guévara est
donc ambivalente : le concept de focos, malgré sa popularité, est
profondément problématique. En revanche, tout comme Mao, Guévara insiste
sur la combinaison de la guérilla et de la destruction comme condition
du succès de la guerre révolutionnaire.
La question des moyens tactiques et de la
destruction est au cœur des travaux d’un courant depuis appelé
« défense non-offensive », regroupant des travaux français, allemands,
scandinaves ou indiens. Je veux ici me concentrer sur Pierre Brossolet,
auteur du Traité sur la Non-Bataille publié en 1975, qui aura une forte
influence sur les travaux d’ Horst Afheldt (inventeur du concept de
« techno-guerrilla ») ou du groupe SAS (Studiengruppe Alternative
Sicherheitspolitik). Dans cette vision, la frontière et la profondeur
qui lui est contigüe (120 km pour Brossolet) doit accueillir un maillage
de « modules » d’infanterie – variable, d’une vingtaine d’hommes pour
une superficie d’une vingtaine de km² – puissamment dotés d’armes
antichars et antiaériennes. Afin de respecter les principes d’une
défense non-offensive, ils ne seraient pas dotés de véhicules lourds
mais conduiraient des raids cherchant à « engluer » l’adversaire dans un
combat d’attrition dégradant peu à peu ses forces. Et ce, sans que et
ennemi ne soit en mesure de cibler efficacement ces groupes tactiques
très autonomes.
A ce dispositif humain s’ajoutait
l’emploi massif d’obstacles et de mines antichars, la conception
permettant l’usage éventuel d’armes nucléaires tactiques. Ces
conceptions ont connu un regain d’intérêt après la guerre de 2006 entre
le Liban et le Hezbollah, que beaucoup de commentateurs ont décrit comme
le premier véritable exemple de techno-guérilla. L’analyste américain
Franck Hoffman a pour sa part publié en 2007 une étude décrivant les
futures guerres hybrides, dont il fait une description proche de celles
de la techno-guérilla.
Même si plusieurs historiens ont
relativisé la prétendue nouveauté des guerres hybrides, la description
qu’en fait Hoffman mérite d’être résumée ici tant elle irrigue les
débats stratégiques américains, et a maintenant fait son entrée dans le
dernier Livre Blanc sur la Défense et la Sécurité Nationale. Les guerres
hybrides sont celles au cours desquelles un groupe non-étatique utilise
des tactiques de guérilla traditionnelles dont l’efficacité est
démultipliée par l’accès à des moyens technologiques relativement
avancés.
Encore une fois, la guerre
Hezbollah/Israël en est le meilleur exemple, puisque le Hezbollah a
combiné une défense flexible faite de retraites tactiques et de raids
judicieux avec des moyens technologiques tels que des MANPADS, des
missiles anti-chars ou des brouilleurs de communication. Les guerres
hybrides seraient donc le nouveau caractère de la guerre irrégulière, en
tout cas son caractère « probable » (pour reprendre l’expression du
Général Desportes), nécessitant de la part des Etats, en particuliers
occidentaux, de se préparer à affronter des adversaires combinant
tactiques difficiles à contrer et technologies relativement avancées.
Tous les auteurs s’attendent à ce que les conflits hybrides soient bien
plus violents et difficiles que les insurrections auxquelles les troupes
occidentales ont fait face en Irak et en Afghanistan.