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mercredi 11 janvier 2017

Qu’est-ce qui a poussé la Russie à intervenir en Syrie ?



Le décryptage des raisons de l’implication de la Russie dans le conflit en Syrie continue d’avoir de nombreuses inconnues.

La première inconnue est, que, alors que les avions russes en Syrie pourraient embarquer 8 à 24 missiles ou bombes, ils n’étaient armés que de deux bombes ou missiles, tous « intelligents » (KAB-250 S/LG, KAB-500 L/Kr, KAB-1500 L, KAB-1500 Kr, Kh-29 L/T , Kh-25 T), guidés par faisceau laser, GPS et TV/IR. L’écart de précision probable de ces armes est de 2-5 m. Une autre inconnue est que les chasseurs-bombardiers russes ont été maintenus parfois pendant une heure dans la zone de d’opération, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de zone civile syrienne au niveau de la cible. Rappelons que les bombardiers B-52 américains ont enterré sous un tapis de bombes, les combattants viêtnamiens ainsi que les zones habitées autour d’eux par les avions américains – Skyraider, F-100, F-105, F-4, F-8, A-4, A-6, A-26, B-57, et ont lancé des milliers de réservoirs de napalm sur les villages viêtnamiens. La méthode utilisée par les Russes en Syrie est celle qu’utilise l’aviation d’un État uniquement dans le cadre des opérations de défense de son propre territoire.

Une autre inconnue est la raison pour laquelle la Russie n’a décidé d’intervenir qu’en octobre 2015 après plus de quatre ans de guerre en Syrie, où 75% du territoire national avait été occupé par les islamistes. En février 2014, un coup d’État a eu lieu en Ukraine, soutenu par l’Occident, connu sous le nom Euromaïdan suivie par le rattachement de la Crimée à la Russie par un référendum en mars 2014, et le déclenchement de la guerre civile dans l’est de l’Ukraine. Les États-Unis, l’Union Européenne et les États fidèles aux États-Unis ont mis en place contre la Russie un embargo économique. En septembre 2014, au sommet du Pays de Galles, l’OTAN a décidé de développer de nouvelles capacités de Défense aux frontières de la Russie. Cela s’est concrétisé plus tard par le déploiement de la 3ème Brigade blindée de la 4ème Division de l’armée américaine dans les pays baltes et en Pologne (87 chars Abrams M1A1, 20 obusiers automoteurs M109A6 Paladin, et 136 véhicules de combat d’infanterie M2 Bradley). S’y ajoute la 10ème Brigade de l’aviation (50 hélicoptères UH-60 Black Hawk, 10 hélicoptères lourds de transport CH-47 Chinook et de 24 hélicoptères d’attaque AH-64 Apache).

Pendant les guerres du Golfe, l’armée américaine a généralisé un nouvel algorithme de reconnaissance et de frappes pour une pénétration stratégique en profondeur dans les  défenses de l’ennemi. Après que l’US Air Force ait établi la suprématie aérienne, les chasseurs-bombardiers américains ont entrepris la neutralisation, avec une grande précision, des blindés irakiens positionnés sur des lignes fortifiés de contre-attaque et des lignes de contre-offensive disposées en échelons avec de grandes unités de réserve de tactique opérationnelle. Simultanément, des hélicoptères d’attaque des troupes au sol et les Marines ont réussi, avec des batteries d’obusiers automoteurs M109A6 Paladin de calibre 155 mm, à neutraliser les groupes d’artillerie des brigades et divisions ennemies, ainsi que les moyens d’alimentation des chars adverses du premier échelon de défense de l’armée irakienne.

La localisation avec précision de cibles irakiennes a été réalisée grâce à un programme complexe de reconnaissance de l’armée américaine, basé sur, outre les satellites de surveillance, quatre niveaux ISR (Intelligence, Surveillance & Reconnaissance), destinés à l’acquisition et le traitement des données pour une image complète de situation sur le théâtre des opérations.

– Le premier niveau, stratégique, est constitué de drones à long rayon d’action RQ-4 A/B Global Hawk et, par la suite RQ-170 Sentinel, ainsi que des avions de reconnaissance avec un équipage U-2, E-8C, RC-135.
– Le deuxième niveau ISR est représenté par des drones à court et moyen rayon d’action RQ-7 Shadow, RQ-5 Hunter, MQ-1 Predator, MQ-9 Reaper.
– Le troisième niveau ISR est représenté par des avions à hélices avec un équipage du type Cessna Caravan 208B, C-23A Sherpa, C-12R Horned Owl et C-12 MARSS-II King Air.
– Le quatrième niveau ISR comprend une flotte d’hélicoptères pour 12 brigades des forces terrestres des États-Unis (OH-58D Kiowa Warrior et AH-64 Apache).


Par l’action combinée des moyens de reconnaissance et de frappe américains, la structure du dispositif de combat irakien s’est désorganisée, créant un large couloir de pénétration pour les unités mécanisées ou de chars. Pour pénétrer en profondeur dans le dispositif de défense et réussir la manœuvre d’enveloppement des flancs, ils ont utilisés très peu les chars M1A2 Abrams, les véhicules de combat d’infanterie M2 Bradley ou les véhicules de combat du Corps des Marine AAV-7A1, étant donné que tous sont sur chenille et ont une vitesse de déplacement faible. Ils ont préféré utiliser un système de transport avec les blindés LAV-25 Stryker (vitesse maximale de 100 km/h), transformés en brigades Stryker.

Une brigade modèle Stryker comporte 135 transporteurs Stryker et est structurée en trois bataillons d’infanterie (3 compagnies), un escadron de la reconnaissance (3 compagnies) avec 33 transporteurs Stryker et 12 HMMWV, un bataillon d’artillerie (3 batteries de canons autotractés de calibre 155 mm) et un bataillon de soldats pour les opérations spéciales. Depuis 2012, l’armée russe a transformé 7 à 10 brigades motorisées sur le modèle américain Stryker, se basant sur le transporteur blindé amphibie BTR-80 et BTR-82A. Dans les 2-3 prochaines années, les BTR-80/82A seront remplacé par le nouveau VPK-7829 Boomerang.

En Syrie, les chasseurs-bombardiers russes Su-25, Su-24, Su-34 et l’aviation syrienne ont créé des brèches dans les dispositifs de combat des mercenaires en menant des frappes sur les réserves de munitions et de carburant, les matériels de combat mobiles (blindés et pièces d’artillerie autotractées), et également sur les points d’appui fortifiés. Les Hélicoptères d’attaque russes Mi-24V et Mi-28N ont éliminé des dispositifs de défense des mercenaires, les camionnettes Toyota armées de mitrailleuses, de lanceurs et missiles, antichars portables (sur les lignes de contre-attaque), et les véhicules chargés d’explosifs des kamikazes. Grâce aux brèches ainsi créées, les véhicules blindés russes BTR-82A ont été introduits comme éléments avancés en raison de leur plus grande capacité de manœuvre sur terrain sans obstacles et de la puissance de feu des canons de calibre 30 mm montés sur la tourelle. Pour leur protection, les BTR-82A opèrent avec plusieurs chars russes T-90A équipés d’un système actif de protection Shotra rendant inefficaces les missiles antichars américains TOW-2. Il n’est pas exclu que la Russie envoie en Syrie ses nouveaux types de blindés (char T-14 Armata, les véhicules de combat d’infanterie T-15 et Kurganets-25) qui sont dans la phase de test, les blindés les plus avancés à l’heure actuelle.

En Syrie, l’armée russe a créé une puissante composante de la  reconnaissance, le C4I (Commandement, contrôle, communications, informatique, information & interopérabilité), un système de reconnaissance et de frappe. La collecte et le traitement de l’information ont été stratifiés à plusieurs niveaux, comme dans le cas de l’armée américaine. Ces niveaux comprennent, outre les satellite de reconnaissance, les avions de reconnaissance avec des équipage de type Il-20M1 et Tu-214R (dont les missions durent plus de 12 heures), des drones (UAV) à petit rayon d’action de type Zala, Yakovlev Pchela-1T et Orlan-10, des drones à grand rayon d’action Dozor 600 et des hélicoptères de reconnaissance et d’attaque Mi-35 et Ka-52.

Étant donné que l’espace aérien syrien est fréquenté, au nord, au centre et à l’est, par les avions de la coalition anti-État Islamique dirigée par les États-Unis (qui comprend les avions de l’OTAN et les États arabes du Golfe), selon les déclarations du général Philip Breedlove, l’ancien commandant de l’OTAN en Europe, le contingent aéroterrestre russe a créé à l’ouest de la Syrie une zone d’exclusion aérienne (A2/AD bubble), interdisant toute action de l’OTAN. Dans la zone d’exclusion, la Russie a mis en place un ensemble de mesures visant à s’assurer la suprématie dans la guerre radio-électronique (Electronic warfare -EW), menée contre les systèmes de reconnaissance terrestre, aériens et spatiaux de la coalition anti-État Islamique.

La région est devenue opaque pour les moyens de reconnaissance de l’OTAN, en raison de l’équipement russe Krasukha-4 qui brouille la surveillance des radars de satellites espions américains de la famille Lacrosse/Onyx, des radars basés au sol, des radars aériens de type AWACS, E-8C, RC135, Sentinel R1 et ceux montés sur des drones RQ-4 Global Hawk, MQ-1 Predator, MQ-9 Reaper. Les avions russes sont équipés de conteneurs de brouillage SAP-518/ SPS-171 et L-175B Hibini et des hélicoptères Mi-8AMTSh avec des systèmes de brouillage Richag-AV. La Russie a envoyé en Syrie un autre équipement qui peut brouiller et annuler les commandes de vol à distance des drones exécutant des missions de reconnaissance dans l’espace aérien dans l’ouest de la Syrie, ou générer des contre-mesures, dans le spectre visible, infrarouge ou laser, contre les moyens de surveillance optoélectroniques aériens ou spatiaux (IMINT) des Américains. Pour intercepter les avions dans la zone d’exclusion aérienne en Syrie, les Russes utilisent des Su-30 SM et Su-35 ainsi que des systèmes de missiles anti-aériens à grand rayon d’action S-400.

Le déploiement du contingent aéroterrestre russe en Syrie était donc une conséquence de l’agressivité croissante manifestée par l’OTAN près des frontières de la Russie. Il a servi non seulement à soutenir le gouvernement de Bachar el-Assad, mais à poursuivre la préparation des militaires russes en vue de rejeter une invasion de la Russie par l’OTAN. Cela lui permettait également de tester, dans des conditions réelles de combat, les fonctionnalités de certains éléments essentiels du nouveau système stratégique de reconnaissance et de frappe de l’armée russe. Le système a été copié du système américain, et adapté aux conditions spécifiques de l’armée russe, et dont le rôle est de défendre la Russie en cas d’invasion de l’OTAN.

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