Charles Maurras (1868-1952) fut pendant des décennies à la fois un écrivain, un poète, un théoricien, un chef d’école et l’animateur d’un mouvement politique dont l’influence s’est révélée remarquablement durable. C’est là un cas extrêmement rare. Les chefs politiques ont rarement été de véritables théoriciens, et les idéologues ont rarement eu la capacité (ou le désir) d’animer des mouvements politiques. S’y ajoute un magistère intellectuel qui, avec des fortunes diverses, et non sans avoir suscité bien des dissidences, s’exerce encore aujourd’hui sur bon nombre de ceux qui veulent « penser clair et marcher droit ». Maurras et l’Action française, enfin, sont indissociables, et c’est pourquoi le parcours individuel de l’auteur d’Anthinéa ne peut être séparé d’une aventure collective. Toutes ces caractéristiques justifient à elles seules l’intérêt qu’on doit lui porter. (…) À partir d’une vision assez idéalisée de l’Ancien Régime, Maurras, convaincu que la monarchie se démontre à la façon d’un théorème, tendait à tout ramener au problème des institutions. Ce faisant, il ne voyait pas que des institutions différentes peuvent aller de pair avec un état social identique, et qu’à l’inverse, d’une époque à l’autre, ou d’un pays à l’autre, des institutions identiques peuvent fonctionner de manière toute différente – surtout quand ce sont les mœurs qui déterminent les lois (et non l’inverse). Les paradoxes de la pensée de cet apologiste de la culture catholique qui fut de 1926 à 1939 condamné par le Vatican, de ce royaliste finalement désavoué par le prétendant au trône, ont été maintes fois relevés. (…) Il fait gloire à la France d’avoir constamment lutté contre l’Empire mais fait en même temps l’éloge de la romanité, dont le principe impérial était exactement le contraire de celui de l’État national. Il affirme hautement son souci de l’« universel », mais ne conçoit d’application de ses principes qu’au niveau hexagonal. Sa conception même du politique est pour le moins équivoque, ce dont témoignent les contresens dont n’a cessé de faire l’objet le fameux « politique d’abord ! » (…) Quoi que l’on pense de sa doctrine, on ne peut avoir que de l’admiration pour ce vieux lutteur qui a consacré toute son existence à ses idées, et qui a su les servir avec autant de courage, de passion et de désintéressement. Au-delà de ses erreurs et de ses jugements parfois si injustes, ce courage, ce désintéressement, cette exigeante passion, sa sincérité extrême, sa ténacité et la somme incroyable d’efforts qu’il a su déployer au cours de sa vie, commandent le respect. Il y a chez Maurras, ce Don Quichotte dont Léon Daudet fut le Sancho Pança, quelque chose de très proprement héroïque. Il n’y a pas beaucoup d’hommes publics dont on puisse en dire autant.
Au sommaire du n°66 de Nouvelle Ecole :
- Un portrait de Charles Maurras (Olivier Dard)
- Le jeune Maurras, félibre et fédéraliste (Rémi Soulié)
- Maurras et l’abbé Penon (Axel Tisserand)
- Heidegger et Maurras à Athènes (Baptiste Rappin)
- La République, la bourgeoisie et la question ouvrière (Charles Maurras)
- Kiel et Tanger ou la géopolitique maurrassienne (Martin Motte)
- Entretien avec Gérard Leclerc
- Maurras et le romantisme (Alain de Benoist)
- Charles Maurras et le positivisme d’Auguste Comte (Francis Moury)
- Maurras en Amérique latine (Michel Lhomme)
- Antigone (Charles Maurras)
- Pierre Boutang ex cathedra (Francis Moury)
- Bibliographie maurrassienne : 2004-2016 (Alain de Benoist)
- Le slavophilisme, une utopie conservatrice russe (Vassily Leskov)
- Siva et Dionysos (Jean Haudry)
- Dépendance des États et globalisation (Teodoro Klitsche de la Grange)
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