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mardi 10 janvier 2017

Vincent Peillon, l’islamophobie et l’antisémitisme



Il est évident que Vincent Peillon a dit une énorme bêtise sur les juifs, les musulmans et la laïcité[1]. Les réactions qu’elle a suscitées en témoignent. Il est vrai que dire, comme il l’a fait : «Certains veulent utiliser la laïcité – ça déjà été fait dans le passé – contre certaines catégories de population, c’était-il y a 40 ans les juifs à qui on mettait des étoiles jaunes. C’est aujourd’hui un certain nombre de nos compatriotes musulmans qu’on amalgame souvent avec les islamistes radicaux. C’est intolérable», est assez énorme. Mais, au-delà de la bêtise crasse que cela révèle, cette déclaration est assez symptomatique d’un « air du temps » où l’on cherche à tout prix à culpabiliser la population.

Laïcité et islamophobie

 

Le premier temps de cette déclaration est, bien entendu, le passage sur l’islamophobie et la laïcité. Il s’agit en réalité de deux choses bien différentes. La Laïcité, tout d’abord, est un élément essentiel de la démocratie parce qu’elle permet la constitution du « peuple » comme instance politique, au-delà des croyances religieuses. La laïcité renvoie à la sphère privée des divergences sur lesquelles il ne peut y avoir de discussions. La prise en compte de l’hétérogénéité radicale des individus implique, si l’on veut pouvoir construire une forme d’unité, qui soit reconnue comme séparée et distincte la sphère privée. En cela, la distinction entre sphère privée et sphère publique est fondamentale à l’exercice de la démocratie. Ce principe fondamental d’ailleurs est inclut dans notre Constitution : la République ne reconnaît nulle religion et nulle race. Tel est le sens de l’article premier du préambule de notre Constitution, repris du préambule de la Constitution de 1946, et écrit au sortir de la guerre contre le nazisme[2].

Venons en à l’islamophobie. On entend en effet beaucoup le discours « ne faisons pas d’amalgame, ne tombons pas dans « l’islamophobie » », et surtout à chaque nouvel attentat. Mais, qu’entend-on par là ? S’il s’agit de dire que tous les musulmans ne sont pas des terroristes, que l’islamisme n’est pas l’islam, il s’agit d’une évidence, qu’il est bon et sain de le répéter, mais qui ne fait guère avancer le débat. S’il s’agit de dire, mais c’est hélas bien plus rare, que des populations de religion musulmane sont très souvent les premières victimes de l’islamisme, c’est aussi une autre évidence. S’il s’agit, enfin, de dire que la montée de l’islamisme est le fruit de la destruction du nationalisme arabe, qui fut combattu, de Nasser à Saddam, par les Etats-Unis et les puissances occidentales, voilà qui constitue une vérité qui est largement oubliée[3]. Ces trois affirmations constituent trois éléments essentiels d’un discours non pas tant contre l’islamophobie mais affirmant des vérités qui sont aujourd’hui essentielles à dire dans les pays occidentaux.

L’abus de sens de l’islamophobie

 

Mais, le discours de l’islamophobie peut aussi avoir un autre sens, bien plus contestable. C’est le cas justement de la déclaration de Vincent Peillon, comme ce le fut dans d’autres déclarations. A vouloir combattre une soi-disant « islamophobie » on prépare en réalité le terrain à une mise hors débat de l’Islam et des autres religions. Et là, c’est faire une erreur grave, une erreur dont les conséquences pourraient être terribles. Elle signe la capitulation intellectuelle par rapport à nos principes fondateurs. Non que l’Islam soit pire ou meilleur qu’une autre religion. Mais il faut ici affirmer que toute religion relève du monde des idées et des représentations. C’est, au sens premier du terme, une idéologie. Toute religion est donc critiquable et doit donc pouvoir être soumise à la critique et à l’interprétation. Cette interprétation, de plus, n’a pas à être limitée aux seuls croyants. Le droit de dire du mal (ou du bien) du Coran comme de la Bible, de la Thora comme des Evangiles, est un droit inaliénable sans lequel il ne saurait y avoir de libre débat. Un croyant doit accepter de voir sa foi soumise à la critique s’il veut vivre au sein d’un peuple libre et s’il veut que ce peuple libre l’accepte en son sein.

Ce qui est par contre scandaleux, et même ce qui est criminel, et ce qui doit donc être justement réprimé par des lois, c’est de réduire un être humain à sa religion. C’est ce à quoi s’emploient cependant les fanatiques de tout bord et c’est cela qui nous sépare radicalement de leur mode de pensée. Ce qui est donc critiquable est donc la désignation de TOUS les musulmans comme des terroristes potentiels. Mais, c’est d’être antimusulman et non islamophobe. Il ne faut donc pas confondre les deux.

Antisémitisme et fascisme

 

Le troisième problème soulevé par la déclaration intempestive de Vincent Peillon concerne le lien entre le racisme, l’antisémitisme, et le fascisme. Non que le régime de Vichy, il y a soixante-quinze ans de cela (et non quarante ans comme dit malencontreusement par Peillon) n’ait été un régime raciste et antisémite. Le fait est établi. Mais, le fascisme n’implique nullement le racisme et l’antisémitisme (alors que ces dimensions sont consubstantielles au nazisme). Le régime de Mussolini, du moins jusqu’à son rapprochement avec Hitler, fut un régime fasciste (il est même à l’origine du mot) mais nullement antisémite. Un des hiérarques du régime, Italo Balbo, pouvait même s’afficher avec des juifs encore en 1939, devant l’ambassadeur d’Allemagne. Cela n’implique pas que le régime fasciste italien n’ait été condamnable, ni qu’il ne soit devenu antisémite quand les liens avec l’Allemagne nazie se resserrèrent.
Mais, dans les années 1930, un pays comme la Pologne, pourtant ouvertement soutenu par la France et allié militaire de cette dernière, pratiquait un antisémitisme d’Etat, certes pas au niveau de celui de l’Allemagne nazie, mais tout à fait comparable sur le fond. Pourtant, le régime du colonel Beck n’est pas considéré comme « fasciste ».


De tout cela, on en tirera deux conclusions.


La première concerne Vincent Peillon. Sa déclaration est honteuse. La comparaison qu’il fait entre la situation des juifs en France sous le régime de Vichy et la situation des musulmans (français ou étrangers) aujourd’hui est à vomir. Elle montre que cet ancien agrégé de philosophie (et non d’Histoire comme indiqué par erreur) a bien oublié ce qu’il avait appris pour passer ce prestigieux concours. Il mériterait qu’on lui retire ce grade universitaire.
La seconde porte plus généralement sur la confusion du sens qui résulte de l’usage polémique de certains mots. On le sait : quand les mots perdent leurs sens, c’est la démocratie qui meurt. Elle meurt parce qu’elle implique et nécessite que les divers éléments de la vie politique soient bien identifiables pour qu’un choix soit possible. En cela, la déclaration de Vincent Peillon révèle quelque chose de bien plus grave que le « simple » dérapage, aussi scandaleux soit-il, d’un homme politique.


Notes


[1] www.lefigaro.fr [2] Le texte est le suivant : « Au lendemain de la victoire remportée par les peuples libres sur les régimes qui ont tenté d’asservir et de dégrader la personne humaine, le peuple français proclame à nouveau que tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés. Il réaffirme solennellement les droits et libertés de l’homme et du citoyen consacrés par la Déclaration des droits de 1789 et les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République ». www.conseil-constitutionnel.fr/ [3] Voir Sapir J., « Le tragique et l’obscène », note publiée sur le carnet RussEurope le 25 septembre 2014, russeurope.hypotheses.org

 
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