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mardi 28 avril 2015

Combien vaut la survie d’un trafiquant ?



Combien vaut la survie d’un trafiquant ?
 
 Les nouvelles chroniques hebdomadaires de Philippe Randa
 
En 2007, le français Serge Atlaoui a été condamné à mort en Indonésie pour avoir travaillé à la construction d’un laboratoire clandestin d’ecstasy. Depuis huit ans, il hantait les couloirs de la mort, mais son ultime recours en révision vient d’être rejeté.

Le secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon lui-même a demandé aux autorités locales de ne plus avoir recours à la peine capitale. Une dizaine de condamnés sont ainsi dans l’attente de leur exécution. Partisans et adversaires de la peine de mort s’affrontent donc à nouveau. Mais si le gouvernement indonésien devait commuer en détention perpétuelle les peines de tous les condamnés ou d’une partie seulement d’entre eux, cette clémence ne serait-elle pas perçue comme un signe de faiblesse, voire de soumission à des puissances étrangères ? Prendra-t-il le risque ?

En février dernier, Laurent Fabius, ministre français des Affaires étrangères, avait plaidé sa cause… sans succès ! Depuis, c’est François Hollande lui-même qui intervient pour sauver sa tête, brandissant des menaces de « conséquences diplomatiques » (sic !).

Et si les Indonésiens avaient tout simplement négocié depuis huit ans la survie de Serge Atlaoui dans leurs geôles pour répondre à des marchandages bassement politiciens de nos élus, soucieux de grapiller le moment venu quelques points de popularité dans les sondages ? Cela n’avait pas trop mal réussi au précédent locataire de l’Élysée lorsqu’il s’était agi d’infirmières bulgares incarcérées en Libye…

Sur l'oeuvre de Benedetto Croce



Sur l'oeuvre de Benedetto Croce
 
 Robert Steuckers
 
20 novembre 1952: Mort du grand philosophe italien Benedetto Croce. Né dans une vieille famille napolitaine le 25 février 1866, il perd ses parents et sa sœur lors d’un tremblement de terre en 1883. Il s’inscrit intellectuellement dans la tradition de Labriola, qui l’initiera à Hegel, au néo-idéalisme et au marxisme. En 1903, il fonde la revue « La Critica », qui sera ensuite reprise par l’éditeur Laterza. Sénateur en 1919, il sera par la suite ministre de l’instruction publique dans le cinquième et dernier gouvernement Giolitti, en 1920-21, avant la Marche sur Rome des fascistes.

Croce n’acceptera jamais ce coup de force d’octobre 1922. Il rompra avec le régime après l’assassinat de Matteotti en 1924. De même, il coupera les ponts avec son disciple le plus brillant, Giovanni Gentile, qui, lui, adhèrera entièrement au régime nouveau. Cette rupture a dû être particulièrement douloureuse, car Gentile fut l’un des tout premiers collaborateurs de « La Critica ». En 1925, Gentile publie un « manifeste des intellectuels fascistes » auquel Croce répond immédiatement par un « manifeste des intellectuels anti-fascistes ». Après la publication de cette déclaration de principes, Croce disparaît complètement de la vie politique italienne, pour revenir en 1944, dans le gouvernement Badoglio, où il sert de « monsieur-bons-offices » pour tenter de réconcilier l’ensemble très disparate des formations politiques se proclamant, sur fond de défaite allemande, « anti-fascistes ».

Tâche qui fut manifestement ingrate, car il donne sa démission dès le 27 juillet. Il dirige ensuite le nouveau « Parti Libéral » italien, mais, déçu, s’en retire dès 1946. Que retenir aujourd’hui de la philosophie de Benedetto Croce ? Elle est essentiellement un prolongement, mais un prolongement critique, de la philosophie de Hegel. Croce, comme Hegel, voit en l’ « esprit » la force motrice de l’univers et de l’histoire. L’esprit produit des idées, qui mûrissent, qui génèrent des projets pratiques ; ceux-ci modifient le cours de l’histoire. Pour Hegel, la dialectique est duale : la thèse règne, l’anti-thèse émerge ; le choc entre les deux produit une synthèse. Cette synthèse devient nouvelle thèse, qui, à terme, sera challengée par une nouvelle anti-thèse ; conflit qui débouchera sur une nouvelle synthèse, et ainsi de suite. Croce estime cette dialectique hégélienne trop réductrice. Il affine la notion de dialectique en évoquant les « distinctions » ou « différences » qui innervent la réalité, s’entrechoquent, mais non de manière binaire et générale, mais d’innombrables façons à d’innombrables niveaux dans la complexité infinie du réel. Croce doit ce correctif qu’il apporte à la dialectique de Hegel, en ultime instance, au philosophe italien du 18ième siècle, Gianbattista Vico. Seule une bonne connaissance de l’histoire, de l’histoire d’une discipline ou d’une activité humaine, comme le droit ou l’économie, permet de saisir les chocs, conflits et différences qui forment le mouvement dialectique du monde.

L’histoire éclaire donc la genèse des faits. Elle est indispensable à la connaissance de l’homme politique. C’est pourquoi Croce critique le libéralisme issu de la philosophie des Lumières, car celui-ci ne table que sur des idées générales, dépouillées de toute profondeur historique, ce qui les rend inopérantes pour saisir l’infinie prolixité du réel. Giovanni Gentile, partant des mêmes postulats philosophiques, entendait épouser cette prolixité par des actes volontaires précis, interventionnistes, directs et rapides. Pour lui, le fascisme représentait un mode de ce volontarisme. Benedetto Croce estimait que seule la notion libérale de liberté pouvait harmoniser conflits et différences et amortir les chocs entre ces dernières. Tous deux estimaient toutefois que l’histoire est à la fois pensée et action. Giovanni Gentile sera assassiné en 1943. Benedetto Croce meurt à Naples le 20 novembre 1952
 
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Euro-synergies

Ludwig Klages: métaphysicien du paganisme



Ludwig Klages: métaphysicien du paganisme
 
 Baal Müller
 
“Dans le tourbillon des innombrables tonalités, perceptibles sur notre planète, les consonances et les dissonances sont l’aridité sublime des déserts, la majesté des hautes montagnes, la mélancolie que nous apportent les vastes landes, les entrelacs mystérieux des forêts profondes, le bouillonement des côtes baignées par la lumière des océans. C’est en eux que le travail originel de l’homme s’est incrusté ou s’est immiscé sous l’impulsion du rêve”.

C’est par des mots flamboyants et pathétiques, comme ceux que nous citons ici en exergue, et qui sont tirés de son essai le plus connu, “Mensch und Erde” (1913; “L’Homme et la Terre”), que Ludwig Klages n’a jamais cessé de louer le lien à la Terre et la piété naturelle de l’humanité primoridale, dont les oeuvres et les constructions “respirent” ou “révèlent” encore “l’âme du paysage dont ils ont jailli”. Cette unité a été détruite par l’irruption de “l’esprit” aux temps protohistoriques des “Pélasges”, événement qui équivaut à une chute dans le péché cosmique.

Le principe que représente “l’esprit” est, pour Klages, le mal fondamental et l’origine d’un processus de déliquescence qui a dominé toute l’histoire. Dans ce sens, “l’esprit” (“Geist”) n’est pas à l’origine une propriété de l’homme ni même une propriété consubstantielle à la réalité mais serait, tout simplement, pour l’homme comme pour le réel, le “Tout autre”, le “totalement étranger”. Pour Klages, seul est “réel” le monde du temps et de l’espace, qu’il comprend comme un continuum d’images-phénomènes, qui n’ont pas encore été dénaturées ou chosifiées par la projection, sur elles, de “l’esprit” ou de la “conscience égotique”, qui en est le vecteur sur le plan anthropologique. La mesure et le nombre, le point et la limite sont, dans la doctrine klagesienne de la connaissance et de l’Etre, les catégories de “l’esprit”, par la force desquelles il divise et subdivise en séquences disparates les phénomènes qui, au départ, sont vécus ontologiquement ou se manifestent par eux-mêmes via la puissance du destin; cette division en séquences disparates rend tout calculable et gérable.

Cette distinction, opérée par le truchement de “l’esprit”, permet toutefois à l’homme de connaître: parce qu’il pose ce constat, Klages, en dépit de son radicalisme verbal occasionnel et de ses innombrables critiques, ne peut être perçu comme un “irrationaliste”. Mais si “l’esprit” permet la connaissance, il est, simultanément et matriciellement, la cause première du gigantesque processus d’aveuglement et de destruction qui transformera très bientôt, selon la conviction de Klages, le monde en un vaste paysage lunaire.

Ce penseur, né en 1872 à Hanovre et mort en 1956 à Kilchberg,a dénoncé très tôt, avec une clairvoyance étonnante, les conséquences concrètes de la civilisation moderne comme l’éradication définitive d’innombrables espèces d’animaux et de plantes ou le nivellement mondial de toutes les cultures (que l’on nomme aujourd’hui la “globalisation”); cette clairvoyance se lit dès ses premiers écrits, rédigés à la charnière des 19ème et 20ème siècles, repris en 1944 sous le titre de “Rhythmen und Runen” (= “Rythmes et runes”); ils ont été publiés comme “écrits posthumes” alors que l’auteur était encore vivant! Klages est un philosophe fascinant —et cette fascination qu’il exerce est simultanément sa faiblesse selon bon nombre d’interprètes de son oeuvre— parce qu’il a cherché puis réussi à forger des concepts philosophiques fondamentaux aptes à nous faire saisir ce déplorable état de choses, surtout dans son oeuvre principale, “Der Geist als Widersacher des Lebens” (1929-1932).

Contrairement à beaucoup de ses contemporains qui, comme lui, avaient adhéré au vaste mouvement dit de “Lebensreform” (= “Réforme de la Vie”), qui traversait alors toute l’Allemagne wilhelminienne, Klages ne s’est pas contenté de recommander des cures dites “modernes” à l’époque, comme le végétarisme, le nudisme ou l’eurythmie; il n’a pas davantage prêché une révolution mondiale qui aurait séduit les pubères et ne s’est pas borné à déplorer les symptômes négatifs du “progrès”; il a tenté, en revanche, comme tout métaphysicien traditionnel ou tout philosophe allemand bâtisseur de systèmes, de saisir par la théorie, une fois pour toutes, la racine du mal. Le problème fondamental, qu’il a mis en exergue, c’est-à-dire celui de l’opposition entre esprit et âme, il l’a étudié et traqué, d’une part, en menant des polémiques passionnelles, qui lui sont propres, et, d’autre part, en l’analysant par des arabesques philosophiques des plus subtiles dans chacun de ses nombreux et volumineux ouvrages. Ceux-ci sont parfois consacrés à des figures historiques comme, par exemple, “Die psychologischen Errungenschaften Nietzsches” (1926; “Les acquis philosophiques de Nietzsche”) mais, dans la plupart des cas, ses ouvrages explorent des domaines que je qualifierais de “systématiques”. Ces domaines relèvent de disciplines comme les sciences de l’expression et du caractère (“Ausdrucks- und Charakterkunde”), qu’il a grandement contribué à faire éclore. Il s’agit surtout de la graphologie, pratique que Klages a hissée au rang de science.

En 1895, il fonde, avec Hans H. Busse, “l’Institut de Graphologie Scientifique” à Munich, après des études de chimie entreprises à contre-coeur. Klages consacrera plusieurs ouvrages théoriques à la graphologie, dont il faut mentionner “Handschrift und Charakter” (“Ecriture et caractère”), publié une première fois en 1917. Ce travail a connu de très nombreuses rééditions et permis à son auteur de conquérir un très vaste public. Parmi les autres succès de librairie de Klages, citons un ouvrage très particulier, “Vom kosmogonichen Eros” (1922; “De l’Eros cosmogonique”). Ce livre évoque un “pan-érotisme” et, avec une indéniable passion, les cultes païens des morts. Tout cela rappelle évidemment les idées de son ami Alfred Schuler qui, comme Klages, avait fréquenté, vers 1900, la Bohème littéraire et artistique du quartier munichois de Schwabing.

Cet ouvrage sur l’Eros cosmogonique a suscité les plus hautes louanges de Hermann Hesse et de Walter Benjamin. Ce livre parvient parfaitement à maintenir le juste milieu entre philosophie et science, d’une part, entre discours prophétique et poésie, d’autre part: c’est effectivement entre ces pôles qu’oscille l’oeuvre complète de Klages. Cette oscillation permanente permet à Klages, et à son style si typique, de passer avec bonheur de Charybde en Scylla, passages hasardeux faits d’une philosophie élaborée, fort difficle à appréhender pour le lecteur d’aujourd’hui: malgré une très grande maîtrise de la langue allemande, Klages nous livre une syntaxe parfaite mais composée de phrases beaucoup trop longues, explicitant une masse énorme de matière philosophique, surtout dans son “Widersacher”, brique de 1500 pages. Enfin, le pathos archaïsant du visionnaire et de l’annonciateur, que Klages partageait avec bon nombre de représentants de sa génération, rend la lecture malaisée pour nos contemporains.

Mais si le lecteur d’aujourd’hui surmonte les difficultés initiales, il découvrira une oeuvre d’une grande densité philosophique, exprimée en une langue qui se situe à des années-lumière du jargon médiatique contemporain. Cette langue nous explique ses observations sur la perception “atmosphérique” et “donatrice de forme”, sur la conscience éveillée et sur la conscience onirique ou encore sur les structures de la langue et de la pensée: elle nous interdit d’en rester au simplisme du dualisme âme/esprit qui sous-tend son idée première (qui n’est pas défendable en tous ses détails et que ressortent en permanence ses critiques superficiels). Face à son programme d’animer un paganisme nouveau, que l’on peut déduire de son projet philosophique général, il convient de ne pas s’en effrayer de prime abord ni de l’applaudir trop vite.

Le néo-paganisme de Klages, qui n’a rien à voir avec l’astrologie, la runologie ou autres dérivés similaires, doit surtout se comprendre comme une “métaphysique du paganisme”, c’est-à-dire comme une explication philosophique a posteriori d’une saisie du monde païenne et pré-rationnelle. Il ne s’agit donc pas de “croire” à des dieux personnalisés ou à des dieux ayant une fonction déterminée mais d’adopter une façon de voir qui, selon la reconstruction qu’opère Klages, fait apparaître le cosmos comme “animé”, “doté d’âme”, et vivant. Tandis que l’homme moderne, par ses efforts pour connaître le monde, finit par chosifier celui-ci, le païen, lui, estime que c’est impiété et sacrilège d’oser lever le voile d’Isis.
 
Notes

(article paru dans “Junge Freiheit”, Berlin, n°27/1999; http://www.jungefreiheit.de/ ). 

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Euro-synergies

Education : parlez-vous le nouveau programme ?



Virginie Ballet et Gurvan Kristanadjaja
 

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Libération

Quelle nécessité d’un « vivre ensemble » si tout le monde respecte la loi ?



Quelle nécessité d’un « vivre ensemble » si tout le monde respecte la loi ?
 
 Pierre Duriot
 
Comme cet art contemporain conceptuel, échappant massivement au peuple et devant lequel se pâment les élites gauchisantes, l’idéologie politique du même bord a suivi depuis l’élection de François Hollande en 2012 le chemin de l’incompréhension, avec, au fil des dossiers, une déconnexion irréversible entre le pouvoir et les administrés.

Cela a commencé avec le mariage des homosexuels. Même s’il fallait officialiser ces unions, devait-on ringardiser les Français moyens opposés à ce mariage, ou simplement réticents et les assimiler à d’affreux réacs fascistes ? Comme si la structure sociale classique, la valeur familiale, qui a depuis toujours les faveurs du peuple, renvoyait à un esprit homophobe et sclérosé.

S’en sont suivies les affaires de voile islamique, de menus halal et de jours fériés musulmans, où une quelconque forme d’opposition est proscrite. Alors qu’on est encouragé à lutter contre les signes extérieurs du christianisme, sous le vocable d’anticléricalisme, la lutte contre l’avancée des signes extérieurs de l’islam n’a d’autre mot pour la désigner qu’« islamophobie ». Comme si le Français moyen était encouragé à lutter contre sa propre histoire et la construction de sa société civile, tout en étant culpabilisé de résister à une religion exogène, dans laquelle non seulement il ne se reconnaît pas, mais qui consiste à se priver, tout ou en partie, de ce qui a été conçu comme les plaisirs attenants à nos civilisations occidentales anciennes ou modernes. Quel interdit idéologique y aurait-il à vouloir préserver sa culture et ses traditions terrestres ?

A suivi le « vivre ensemble », concept fumeux tout aussi déconnecté puisque de fait inexistant. Le respect de la loi suffit amplement. Si tout le monde adopte les mêmes lois au quotidien, où est la nécessité d’invoquer le « vivre ensemble » ? Basé sur la transgression permise des uns et la tolérance obligatoire des autres, il institue une inégalité de fait entre ceux envers qui on doit être tolérant et les autres, qui doivent tolérer, sans que personne n’ait vraiment défini ceux qui doivent être tolérés… Mais nos concitoyens ne l’ont que trop bien compris.

En découle le multiculturalisme, culpabilisant les individus de la populace de vouloir vivre avec les gens avec qui ils se sentent en harmonie, selon un processus en cours partout dans le monde. Déconnecté des réalités humaines, ce nouveau concept est promu dans nos sociétés occidentales, alors même que le contraire est à l’œuvre dans de nombreux autres pays, d’où on vire sans ménagement ceux qui ne correspondent pas à la religion dominante, quand on ne les passe pas purement et simplement par les armes à des fins de purification ethnique.

Déconnecté encore quand on sait que dans de multiples endroits du pays, le Français « standard », que le Président lui-même a appelé « Français de souche », est mis en minorité. En pratique, c’est l’énoncé même de la réalité qui est interdit, brisant par là tout espoir de solution et conduisant à une unique possibilité de détestations croisées : le résultat est là.

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Boulevard Voltaire

Le retour de l'Iran [2] Une nouvelle phase de reconstruction mondiale du monde multipolaire


Le retour de l'Iran [2] Une nouvelle phase de reconstruction mondiale du monde multipolaire
 
 Michel Lhomme
 
Dans la négociation sur le nucléaire iranien, la France avait été jusqu'ici en pointe comme gardienne des tables de la loi, celle de la lutte contre la prolifération des armes nucléaires et comme pays phare du concept de dissuasion nucléaire.

Au Proche-Orient, la France était le garant d'une stratégie de l'équilibre, accueillant pour la première fois dans les années 80 sous François Mitterrand, une représentation diplomatique palestinienne. Aujourd'hui, la politique arabe et proche-orientale de la France est en porte à faux avec toute cette tradition diplomatique alors qu'elle devrait participer activement à l’instauration d’un ordre géostratégique dans la région dont la défiance ne devrait plus être le moteur.

Au contraire, la France devrait favoriser une coopération régionale avec l'Iran indispensable pour éliminer rapidement Daech et sauver enfin la Syrie. Elle devrait revenir sur toutes ses positions idéologiques passées (l'internationalisme démocratique stupide), rompre avec la volonté d'éliminer Bachar el Assad, élimination qui fut carrément souhaitée de ''physique'' par l'actuel Ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius prenant comme modèle criminel l'assassinat par Nicolas Sarkozy du colonel Kadhafi. De fait, on peut sérieusement se demander comment la France peut encore garder la tête haute au Proche-Orient ?

On a donc la fâcheuse impression que notre pays paraît incapable d'anticiper le nouveau système du monde que l’accord de Lausanne permet de préparer. Or, cet accord implique au plus vite un repositionnement stratégique de la France, non pas une France toute seule mais une France dans l’Europe, une France moteur de la politique arabe de l'Europe.

Elle suppose aussi la réouverture d'un dialogue avec Moscou. Or, le rapprochement irano-américain vient de forcer l’Arabie Saoudite à démasquer ses batteries et à se lancer violemment sur le Yémen. En agissant ainsi militairement, l’Arabie Saoudite prenait un très grand risque. Pays de mécréant pour tous les fondamentalistes musulmans, le royaume des Saoud dévoile au grand jour et à tous les fanatiques islamistes de la terre, son pacte secret avec Israël. Les Etats-Unis tôt ou tard devront lâcher l'Arabie Saoudite et le Qatar pour rééquilibrer leur politique dans la région, y compris au détriment d’Israël. La politique américaine de confinement de l’Iran a eu ce résultat paradoxal de structurer une solide alliance continentale eurasiatique, une sorte de nouvel empire mongol constitué par l’Iran, la Chine et la Russie, et auquel Poutine vient de raccrocher très habilement la Turquie. Aujourd’hui, les Etats-Unis tentent d’introduire en dernier recours une brèche dans ce dispositif. C'est peut-être trop tard. L’Iran est appelé tôt ou tard à exercer le leadership régional.

n réalité, la conclusion de l'accord américano-iranien a entraîné une conséquence directe et de taille : la bataille économique entre la Chine et les Etats-Unis est ouverte et appelée à s'intensifier. Nous sommes passés sans trop le remarquer dans une nouvelle phase de reconstruction mondiale du monde multipolaire. L’Iran retrouve, avec l'accord sur le nucléaire et de facto avec l'invasion du Yémen par son ennemi juré, sa place géopolitique centrale dans les affaires proche-orientales du monde. L'Iran a compris qu'elle n’a aucun intérêt à intervenir ou à mettre de l'huile sur le feu au Yémen. L’essentiel pour Téhéran est de se positionner au centre comme un arbitre silencieux mais par là imprévisible.

L'extrême qualité de ses diplomates nous assure que la République islamique saura dans les jours à venir tenir ce rôle historique de pays phare de la théologico-politique musulmane, du retour annoncé du Mahdi comme ''roi du monde ''.
 
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Metamag

« L’idéologie dominante est une idéologie universaliste qui exècre toute forme d’enracinement. »



« L’idéologie dominante est une idéologie universaliste qui exècre toute forme d’enracinement. »
 
 Entretien avec Alain de Benoist
 
Manuel Valls vient d’annoncer la mise en place d’un nouveau programme de « lutte contre le racisme ». Plus qu’une mode, l’« antiracisme » semble en passe de devenir une nouvelle religion. Laquelle, assez logiquement, pratique aussi une nouvelle Inquisition. Qu’est-ce que cela vous inspire ?


L’idéologie dominante est une idéologie universaliste qui exècre toute forme d’enracinement. Ce qu’elle aime, c’est la mobilité, la flexibilité, le déracinement, le nomadisme, bref le programme de Jacques Attali : « L’acceptation du neuf comme une bonne nouvelle, de la précarité comme une valeur, de l’instabilité comme une urgence et du métissage comme une richesse »» (Le Monde, 7 mars 1996). Dans cette optique, l’accusation de « racisme » n’est rien d’autre que le procédé commode qu’elle a trouvé pour délégitimer les particularités concrètes, obstacles à faire disparaître pour mettre en œuvre la fusion rédemptrice, le salut par l’hybridité.

« L’antiracisme » ne vise plus ceux qui défendent le racisme, mais ceux qu’on accuse de le professer en leur for intérieur même lorsqu’ils disent explicitement le contraire. Le « racisme » lui-même ne désigne plus tant la croyance en l’inégalité des races, qui a de nos jours (fort heureusement) presque disparu, ni même l’hostilité de principe envers une catégorie d’hommes, mais toute forme d’attachement à un mode de vie spécifique, à un paysage natal, à une identité particulière. Tout cela relèverait d’un mauvais penchant révélant une nature corrompue. Comme l’écrit Chantal Delsol dans son dernier livre, « quand des gens simples annoncent qu’ils préféreraient conserver leurs traditions plutôt que de se voir imposer celles d’une culture étrangère »», on en déduit « qu’ils sont égoïstes et xénophobes ». « Est-ce raciste, demandait récemment Jean Raspail, que de vouloir conserver ses traditions et sa manière de vivre, et ne pas les laisser dénaturer ? »


Pour Lionel Jospin, la « menace fasciste » incarnée naguère par Jean-Marie Le Pen n’était finalement, à l’en croire, que du « théâtre ». Le « racisme » qu’on dénonce aujourd’hui ne serait-il pas aussi une comédie ?



C’est surtout une imposture. Heidegger a maintes fois expliqué que se définir comme « anti »-quelque chose (antiraciste, anticommuniste, antifasciste) revient paradoxalement à ériger en norme, c’est-à-dire en critère de validité, ce à quoi l’on prétend s’opposer, ce qui amène finalement à penser comme lui. L’antiracisme contemporain n’échappe pas à la règle. Le culte actuel du « métissage » n’est en effet que le renversement du culte nazi de la « pureté ». Le « métis » est le modèle idéal comme l’était « l’Aryen » sous le IIIe Reich. Vanter la race blanche au nom de sa prétendue « supériorité » ou la fustiger comme faisant obstacle au « métissage » relève d’une même obsession de la race, d’une même surestimation de l’importance du facteur ethnique dans l’évolution des sociétés humaines. Xénophobie systématique et xénophilie systématique, c’est tout un. L’injonction au mélange a seulement succédé à l’appel à la pureté. Pour paraphraser ce que Joseph de Maistre disait de la Révolution, on pourrait dire que le contraire du « racisme », c’est un racisme en sens contraire.


L’exaltation de l’Autre jusqu’à la négation de soi ayant succédé à l’exaltation de soi jusqu’à la négation de l’Autre, celui qui pense que le refus de soi n’est pas la meilleure façon de s’ouvrir aux autres peut ainsi être assimilé aux hallucinés de la « guerre raciale ». « Qu’untel se plaigne d’une trop forte proportion de Juifs, Noirs, Arabes ou Asiatiques, c’est du racisme ; mais que le même critique une trop forte proportion de Blancs – ainsi que l’a récemment fait Libération à propos des cabinets ministériels –, cela devient de l’antiracisme. Si un entrepreneur utilise l’origine des candidats comme critère de sélection au détriment des personnes d’origine étrangère, c’est une discrimination inacceptable ; mais s’il décide de faire jouer ce critère au détriment des “Français de souche”, c’est une louable action de lutte contre les discriminations », écrivait voici peu Stéphane Perrier dans la revue Le Débat.


Viennent ensuite les inévitables contradictions. Comment nier l’existence des races tout en prônant le métissage ? Pour que le second survienne, il faut bien que les premières existent !


Ceux qui veulent instaurer la parité partout sauf dans le mariage n’ont, en effet, pas encore compris que le « mariage forcé » (Pierre-André Taguieff) de la diversité et du métissage les condamne l’un et l’autre au divorce. La même schizophrénie se retrouve quand on veut l’égale représentation de groupes ethniques dont on nie par ailleurs l’existence, quand on se réclame à la fois de l’idéal normatif du pluralisme et de celui du « mélangisme », ou quand on déclare prendre acte du caractère « multi-ethnique » des sociétés contemporaines tout en réagissant toujours plus durement à toute manifestation d’altérité.


Autrefois, on admirait la diversité des cultures mais on trouvait assez normal que les gens se ressemblent à l’intérieur de chacune d’elles. Aujourd’hui, c’est l’inverse : il faut à la fois toujours plus de « diversité » dans chaque pays et toujours plus de conformité à l’échelle planétaire. Toutes les différences sont admises à l’intérieur, mais à l’extérieur tous les États doivent communier dans l’idéologie des droits de l’homme et le culte de la marchandise. On espère ainsi faire naître un monde homogène de l’addition de sociétés toujours plus hétérogènes, unifier la planète et programmer l’hybridation généralisée. C’est la quadrature du cercle.
 
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Boulevard Voltaire

lundi 27 avril 2015

Analyse - Géopolitique du djihadisme



Analyse - Géopolitique du djihadisme
Le Général Wesley Clark, ancien Commandant suprême des alliés en Europe (SACEUR), de 1997 à 2001, déclarait récemment sur CNN que « l’État islamique avait été créé grâce au financement de nos amis et de nos alliés … dans le but de se battre jusqu’à la mort contre le Hezbollah » 1. Autrement dit, la raison d’être et de prospérer de Daech est de « contourner » les positions du Hezbollah, aujourd’hui ennemi principal, au Liban et en Syrie. Accessoirement Wesley Clark confirme indirectement que la CIA – laquelle supervise les menées des « alliés et amis » des É-U – est à ce titre associé à la création de l’ÉI… Par ailleurs, et ce n’est plus un secret pour quiconque, fortement adossé à l’Otan par le truchement à la Turquie qui en est son « Pilier oriental ».

Cependant, à l’heure où d’horrifiques exécutions hollywoodiennes d’otages et de prisonniers se multiplient et en l’absence de tout repère élémentaire, historique, géographique et théologique, il est illusoire d’espérer saisir la portée réelle et le sens des événements en cours. Parce que parler de l’islam radical, takfiriste n’a pas de valeur explicative si l’on ne définit pas ce qu’est ou serait ce radicalisme et plus tard sa place dans le projet géopolitique global de l’imperium judéo-protestant.
Brève histoire du wahhabisme

Au cours de son histoire, l’islam a connu plusieurs fois la tentation du puritanisme. À commencer par la secte rigoriste des Séparés, les Kharidjites, aux tout premiers âges de l’expansion musulmane. Ce qui nous intéresse ici ce sont les formes modernes et plus précisément contemporaines qui font de la prédication, si besoin est par la force, une obligation cachée de la révélation coranique. Cet inédit VIe Pilier de la foi s’accomplit dans le djihad, lequel n’est plus compris dans son acception traditionnelle, à savoir comme un effort de perfectionnement intérieur, mais désormais en tant que Guerre sainte. C’est là l’expression d’un islam hétérodoxe, structurellement violent, très différent par exemple de l’École malékite dominant au Maghreb, celle-ci appliquant à la lettre Verset 256 de la Sourate II : « Point de contrainte en religion, le droit chemin se distingue de l’égarement… » !

Aujourd’hui tous les mouvements qui se réclament de cet islam très singulier, et que la plupart des docteurs de la foi n’hésitent pas à qualifier de schismatique, sortent de la matrice du wahhabisme, religion d’État en Arabie et Qatar. Or l’histoire nous montre que loin de connaître une expansion inédite à la fin du XXe siècle, ce mouvement tout autant idéologique que religieux, né au XVIIIe siècle avec l’alliance – sans doute en 1744 et que d’aucuns nomment le Pacte du Nejd – passée entre le prédicateur Abdelwahhab et ibn Séoud, maître de Diriyya. De là va naître un composé particulièrement détonnant dont nous voyons à présent la descendance hier en Tchétchènie, aujourd’hui en Irak et en Syrie, au Turkestan chinois, le Xinjiang, mais aussi au Yémen, en Somalie, en Libye, en Tunisie et en Algérie, au Mali et au Nigeria, et maintenant dans les périphéries urbaines de l’Union européenne. Une liste évidemment non exhaustive.

Pourquoi une telle diffusion explosive en ce début de XXIe siècle ? Nous ne nous arrêterons pas sur les facteurs historiques qui ont favorisé au siècle dernier l’expansion du fondamentalisme wahhabite, circonstances aux rangs desquelles s’inscrit au premier rang la protection de la Grande Bretagne au cours de la Grande Guerre, puis celle des États-Unis en 1945. Alliance avec la modernité énergétique qui va engendrer des océans de pétrodollars. Ceux-ci vont irriguer des décennies durant les champs fertiles de la prédication salafo-wahhabite avec la bénédiction de Londres et de Washington.

Au demeurant à question complexe réponse simple. Le wahhabisme, comme toute idéologie, est un vecteur qui avance par la force de sa propre inertie. Le wahhabisme et ses avatars takfiristes – Al Qaïda, Al-Nosra, Daech, Chebab, Boko Haram, etc. – recèlent en effet, par la seule logique de leur concept fondateur, une puissance expansive dont il est difficile de voir les limites temporelles. D’autant que le salafo-wahhabisme tend à s’imposer comme la nouvelle orthodoxie de l’islam, en Orient comme en Occident, en négation des formes et des quatre grandes Écoles antérieures de l’islam sunnite, que l’on désignera par facilité par les termes de classiques, traditionnelles et populaires. Concluons ici en disant qu’en soi le schisme wahhabite à vocation, en son principe même, à la conquête universelle.
Premiers antécédents historiques

Rappelons pour commencer quelques faits marquant qui ne sont pas sans rapport avec l’actualité… Dès le XIXe siècle, précisément en 1802, les tribus wahhabites ravagent Kerbela, ville sainte du Chiisme, s’emparent de Nadjaf, menacent Bagdad et Damas. En 1803 les Séoud suppriment le pèlerinage à La Mecque et en 1805, bafouant l’autorité du Sultan « Protecteur et Serviteur » des lieux saints. Ils profanent et mettent à sac Médine. L’année suivante ce sera au tour de La Mecque, sous la conduite de Séoud ben Abdelaziz ben Mohammed petit-fils du fondateur de la dynastie.

La Porte [Constantinople] ordonne au pacha d’Égypte, Mehmet Ali, de ramener l’ordre en Arabie. Une première campagne est lancée en 1811 et aboutit à la reprise de La Mecque deux ans plus tard. Une seconde expédition commence en 1812 au cours de laquelle Abdelaziz ibn Séoud est éliminé en décembre 1814. Mais l’imam Tourki ben Abdallah Al Séoud réussit a créer en 1824 un deuxième État wahhabite avec Riyad pour capitale, lequel se maintiendra jusqu’en en 1892. À partir de là, les britanniques en lutte contre l’Empire ottoman n’auront de cesse de soutenir le wahhabisme à des fins géopolitiques : pour s’assurer de la Route des Indes, puis, plus tard, pour contrer les ambitions allemandes. En 1902, Abdelaziz ben Abderrahman Al Séoud reconquiert Riyad et le Nedjd entre 1902 et 1912 avec l’aide britannique, avant d’arracher le Hedjaz et de prendre possession de La Mecque le 14 octobre 1924, de Médine et de Djeddah le troisième royaume wahhabite est proclamé en septembre 1932.

L’essaimage au sein du dar al-islam

Mais l’arbre séoudien ne doit pas cacher la forêt. En fait́ l’essaimage du wahhabisme hors du monde arabe a commencé très tôt, dès le début du XIXe siècle. Relevons ainsi, à titre d’exemple, la prédication wahhabite d’un certain Sayyed Ahmed au Pendjab à la suite d’un pèlerinage à La Mecque, entre 1821 et 1824, où l’auraient accompagné quelque 700 compagnons et disciples.

Celui-ci entend, comme tous les wahhabites, rendre force et vigueur à « l’obligation absente » que serait la guerre sainte, le djihâd. Ayant rassemblé une armée à Peshawar, il appelle en 1826 à la guerre sainte contre les Sikhs et l’année suivante se proclame « Commandeur des croyants », Amir al-Mu’minin. Un titre qui sera également celui en Afghanistan de Mollah Omar, protecteur d’Oussama Ben Laden, jusqu’à la chute du régime Taleb à l’automne 2001. De la même façon que ce dernier, Sayyed Ahmed s’allie aux Pachtounes Yûsufzai maîtres sur la rive occidentale de l’Indus. En 1830 il prend finalement Peshawar mais trouve la mort quelques mois plus tard dans un affrontement avec des partisans Sikhs. Il faudra attendre 1870, après un demi-siècle de troubles, pour que les oulémas chiites et sunnites indiens s’entendent et condamnent le fanatisme wahhabiste. Néanmoins leur influence perdure et, en 1927, dans la province de Mewat est fondée la « Société pour la prédication », la Taglibhi Jamaat dont l’actif prosélytisme est aujourd’hui aussi vigoureux.

En Égypte le réformateur libanais Rachid Rida éprouvé par l’abolition du Califat en 1924 par l’athéiste Ataturk, se tourne vers le wahhabisme en espérant pouvoir reconstituer grâce à lui l’institution disparue. Sous son influence et dans cette perspective, son disciple Hassan el-Banna reprenant à son compte le nom des Ikhwan, fer de lance de la conquête séoudienne, fonde la même année l’Association de Frères musulmans [al Ikhwan al muslimin]. Suivra en 1931 la création en Algérie à l’initiative de ben Badis, d’un mouvement islamiste-salafiste, l’Association des Oulémas Musulmans. 1936, fondation en Bosnie sur le modèle de Frères Musulmans, de l’Association la « Voie Droite » [Al Hidaje] prônant un islam rigoriste inspirée de la Salafiya. Notons par souci de rigueur que la Salafiya, l’imitation de la vie du Prophète, n’est évidemment pas identifiable ou réductible au wahhabisme.
Dernier rappel

Nos avons donné ces quelques exemples pour bien montrer que le prédication conquérante est une dimension inhérente au wahhabisme et non pas un phénomène récent, nouveau lié à une conjoncture historique particulière. Ayant établi cela voyons maintenant comment ce mouvement supposé de retour aux sources, de refondation de l’islam sur les bases posées par l’idéologie wahhabite, fait aujourd’hui tâche d’huile avec l’aide et grâce au double langage d’un camp occidentaliste qui dit la combattre tout en l’armant et en dirigeant ses coups.

L’idéologie wahhabite largement diffusée par l’Arabie et le Qatar, par la grâce des pétrodollars, va peu à peu dans la seconde moitié du XXe siècle, influer profondément sur la nature et la forme de l’islam dans de nombreux États, tels l’Afghanistan, le Pakistan, le Soudan, et cætera… À ce titre le wahhabisme jouera un rôle non négligeable sur divers champs de bataille euro-méditerranéens, par exemple au cours des guerres balkaniques – Bosnie et Kosovo – qui suivent immédiatement la signature en février 1992 du Traité sur l’Union européenne, dit de Maastricht. Des conflits qui s’achèveront au printemps 1999 avec le démantèlement de la Fédération yougoslave. Puis ce sera au tour de l’Algérie avec « l’interruption du processus démocratique » fin décembre 1991 entre les deux tours des élections législatives, lesquelles devaient donner la majorité au Front Islamique du Salut. Suivront les « années de sang » avec son cortège de massacres de civils et de terreur dus au Groupe islamiste armé [GIA] et auquel succédera en 1998 le « Groupe salafiste pour la prédication et le combat » [GSPC].

Qu’en est-il aujourd’hui ?

Aujourd’hui le paysage de l’islam wahhabite se décompose en deux grandes factions et tendances, d’un côté les tenants de l’État islamique qui a su créer un embryon d’État et fascine par ses succès et sa cruauté, une jeunesse déracinée et désorientée issue de l’immigration. De l’autre la « vieille garde » d’Al-Qaïda apparue en Afghanistan dès 1987 sous l’égide de la CIA et le relais de l’ISI pakistanaise.

D’un côté l’État islamique solidement implanté sur un territoire couvrant une surface grande comme la moitié de l’Hexagone habité par une dizaine de millions d’âmes, un État doté d’une armée redoutable forte de plusieurs dizaine de milliers de combattants et ayant opéré une efficace jonction entre barbarie et techniques de communication parmi les plus avancées. Un État nanti des millions de dollars trouvés dans les banques de Mossoul, alimenté par la manne tirée de la vente de pétrole en contrebande via la Turquie et le fruit des impôts et des taxes versés parfois volontairement par les populations, État puissamment armé grâce aux équipements militaires américains abandonnés par l’armée irakienne ou ceux directement donnés par les É-U en dotation aux combattants de l’Armée syrienne libre… bref un pseudo État qui a cependant su instaurer sa propre monnaie. D’autre part, Al-Qaïda qui poursuit une guerre subversive décentralisée sur le modèle des « focos » chers à Che Guevara. L’avenir dira laquelle des ces deux voies l’emportera, sachant qu’à travers le monde toutes les guérillas des trente ou quarante dernières années ont disparues les unes après les autres.
Une menace globale – Cartographie succincte

Envisageons maintenant l’actuel partage du dar al arb, le territoire de la guerre et du djihad entre ces fraternités rivales, après prise de Mossoul et la proclamation le 29 juin 2014 de la restauration califale. Un acte qui prenait de court Al-Qaïda.

Fin décembre 2014, au Daghestan, la faction islamiste d’Ali Abu Mukhammad, dissidente au sein de l’Émirat du Caucase, diffuse une vidéo dans laquelle elle fait publiquement allégeance à Abu Bakr al-Baghdadi et à l’État Islamique. De nombreux djihadistes venus du Nord du Caucase combattent d’ailleurs en ce moment même au sein des troupes de l’État Islamique en Syrie. Plus à l’est, au Waziristân, au nord-ouest du Penjab, dans le sanctuaire même d’al-Qaïda, certains groupe de taliban, se ralliaient à l’EI, notamment le fameux Hezb-e-Islami.

Libye, novembre 2014 le groupe djihadiste Majlis Shura Shabab al-Islam qui contrôle la ville de Derna, dans l’est du pays, et qui affirme sa présence dans les trois provinces de Derna, du Fezzan et en Tripolitaine, prête allégeance à l’État islamique. RFI nous apprend que cette milice est composée d’anciens de la brigade al-Battar, une unité ayant combattu pour l’ÉI en Irak et en Syrie et qui a revendiqué des attentats à Benghazi… Il s’agit de la troisième filiale de l’ÉI en Afrique du nord, après Ansar Bayt al-Maqdiss en Égypte et Djound Al-Khilafa, les Soldats du califat, en Algérie. C’est ce dernier groupe qui a revendiqué le 24 septembre, la décapitation du Français Hervé Gourdel. En Afrique du Nord, pour l’heure la référence reste cependant AQMI, Al-Qaïda au Maghreb islamique. Idem pour le groupe Ansar al Charia en Tunisie, lequel n’a jamais déclaré reconnaître officiellement la suzeraineté d’al-Baghdadi. De la même manière al-Qaïda continue à dominer dans la Péninsule arabique avec AQPA dont les bases se trouvent au Yémen. Les Chebab somaliens affichent également jusqu’ici la même constance.

Même attitude pour Boko Haram, au Nigéria, dont l’attitude est et demeure ambiguë : début juillet, la secte nigériane apportait son soutien nominal à Al-Baghdadi tout en proclamant son propre califat. Situation identique en Indonésie où le mouvement djihadiste Jamaah Ansharut Tauhid doit faire face à la montée en puissance des affidés de l’EI. Abou Bakar Baachir, chef de file des islamistes radicaux condamné en juin 2011 à 15 ans d’emprisonnement, a en effet prêté allégeance avec des codétenus, en août 2014, à l’EI dans la salle de prière de la maison d’arrêt de haute sécurité sur l’île de Sumatra.

La Thaïlande n’est pas non plus épargnée où sévit depuis 2004, au sud, une guérilla séparatiste musulmane. Même topo à Singapour ou aux Philippines où les filières de recrutement et de collecte de fonds de l’EI sont actives dans le sud-ouest des l’Archipel. Fin septembre, aux Philippines, l’État mobilisait d’importants effectifs armés pour retrouver un couple de touristes allemands détenus par le groupe Abou Sayyaf, Porteur de l’épée, fondé au début des années 1990 grâce à des financements d’Al-Qaida, le groupe ayant annoncé en juillet faire allégeance à l’EI. En Malaisie les thèses l’EI rencontre un écho tout spécifique : le chiisme étant banni du pays et parce qu’il est l’une des cibles prioritaires de Daech en lutte contre la majorité chiite dirigeant l’Irak. Face au danger de voir se reproduire un autre « Bali », Indonésiens et Australiens ont décidé, le 28 août 2014, de resserrer de liens diplomatiques très distendus en signant un « accord de bonne conduite » en matière de coopération antiterroriste car selon les Services de renseignement plus de 10% des étrangers combattant dans les rangs de l’EI seraient originaires d’Asie du Sud-Est.

Notons enfin, last but not least, la présence de ressortissants chinois combattant en Irak et en Syrie comme le confirmerait de récentes exécutions par l’ÉI de cadres ouïgours, des musulmans turcophones. Des djihadistes qui appartiendraient auMouvement islamique du Turkestan oriental, MITO, auquel Pékin impute les attentats et attaques commis au Xinjiang.
Ultime question : y a-t-il un ou plusieurs djihadismes différents

Certains spécialistes remarquent que l’ÉI n’a pas « développé sa propre idéologie ». Mais il n’y a nul besoin d’idéologie propre : la référence commune étant fondamentalement le wahhabisme, c’est à tort que l’on chercherait entre ces groupes rivaux autre chose que des divergences de stratégie ou peut-être de groupes cibles.

Première remarque : si l’EI ne rallie pas tous ceux qui aspirent à un renouveau conquérant face à un Occident invasif, il semble être un peu partout dans le monde musulman une source d’inspiration. En particulier en Europe où se lève une vague d’apprentis djihadistes internationalistes subjugués par la scénarisation de la violence, le lyrisme des chants de guerre et des prêches enflammés. Comme le dit un commentateur averti « l’État islamique écrit une geste victorieuse. De Faloudja aux banlieues européennes, cela suffit à fasciner ceux qui végètent dans le camp des vaincus ou des désorientés ». Ajoutons, de ceux aussi qui aspirent à une restauration valorisante ou glorieuse de l’islam.

Actuellement des chiffres crédibles fixent à 125 000 le nombre de sympathisants de l’État islamique dans les banlieues hexagonales au sein des 2 500 quartiers prioritaires recensés par l’État français

Autre exemple européen : la Bosnie où prospèrent quelques communautés wahhabites dans le village de Gornja Maoča [nord-est de la Bosnie] d’où les jeunes partent pour la Syrie et l’Irak « le sourire aux lèvres, comme s’ils partaient à Disneyland ». L’annonce de la mort d’Emrah Fojnica, tué en Irak en août 2014 lors d’un attentat suicide, a conduit son père à mettre en ligne la vidéo de son « martyr », ceci afin « d’inciter les jeunes à rejoindre le djihad pour le califat » 2. En Bosnie comme dans certaines de nos banlieues, les combattants de l’État islamique deviennent les idoles des jeunes. Tel est le résultat des guerre israélo-américaine contre les régimes de Bagdad, de Tripoli et de Damas, combats bénéficiant de la complicité des européistes… mais aussi de la politique anti souverainiste conduite par Washington : n’oublions pas que la CIA avait « importé » dans les Balkans des moudjahidines afghans, jusqu’au propre frère d’Ayman al-Zawahiri, le chef actuel d’Al-Qaïda, qui a été au Kosovo le chef des Services de renseignement de l’UCK… Parti mafieux d’un État mafieux que fuient par dizaines de milliers ses propres ressortissants.
Ne pas conclure

Il est loisible de supposer que deux écoles salafo-wahhabites s’affrontent. La première école voudrait consolider un pouvoir califal sur un territoire déterminé. La seconde, internationaliste, d’Al-Qaïda prônant l’exportation de la guerre sainte, le djihad universel. Distinctions dont la pertinence n’est pas totalement assurée puisque l’ÉI menacerait à présent de submerger l’Union européenne sous le flot de « cinq cent mille immigrants » envoyé depuis les côtes libyennes. Au demeurant, Ayman al-Zawahiri, tout désignant le Front al-Nosra comme le seul représentant d’al-Qaïda en Syrie, avait publiquement désavoué en février 2014 l’État islamique en Irak et au Levant pour son inconduite en Syrie depuis 2013. Déjà en 2005 al-Zawahiri, alors encore numéro deux d’al-Qaïda, adressait une missive à Abou Moussab al-Zarqaoui, chef de la branche d’al-Qaïda en Irak, missive dans laquelle se faisait jour des désaccords stratégiques… mais surtout en matière de « communication », ce qui ne constitue pas a priori des divergences idéologiques, mais de méthodes.

De ce point de vue Al-Qaida aurait développé dit-on « des stratégies de conciliation et d’alliance, pour entrer dans un schéma de conquêtes populaires » parce que nous dit al-Zawahiri « Nous livrons une bataille, et plus de la moitié de cette bataille se déroule sur la scène médiatique, nous sommes engagés dans une bataille médiatique pour gagner les cœurs et les esprits de notre communauté ».

24 février 2015
 
Notes

(1) Wesley Clark : « Our friends and allies funded ISIS to destroy Hezbollah » CNN17fév15 –https://www.youtube.com/watch?v=QHL…

(2) Snjezana Pavic – 28 août 2014 « Jutarnji list » Zagreb
 

Source

news360x.fr

Poutine et le choc exogène ukrainien


  
Poutine et le choc exogène ukrainien
 
Françoise Compoint
 
Côté Ukraine, le noeud se resserre.


Côté Ukraine, le noeud se resserre. Nous assistons à l'alliance tragi-comique des Folamours néo-conservateurs et d'une poignée d'oligarques ukrainiens vendus qui n'arrivent pas à se partager le butin sur le corps sanguinolent d'un pays au bord de la faillite.

Iatseniouk, n'a-t-il pas proposé de récupérer les clandestins de Lampedusa pour les nicher dans des camps de travail donabassiens? Ces pauvres bougres devront extraire le schiste de la région en échange d'une maigre pitance. L'oligarchie kiévienne se verrait octroyer en retour un soutien plus important encore de la part de l'UE.

Tous les moyens sont bons pour séduire la vache à lait occidentale qui elle a sa petite idée en tête: coloniser l'Ukraine et faire du Donbass une zone grise avec bases militaires et camps de détention otaniens. Le scénario est tellement vieux et rabattu qu'il semble inutile de revenir sur ses détails. Personnellement, l'accueil qu'a réservé Poroshenko aux 300 militaires américains de la 173e Brigade aéroportée m'a rappelée la main tendue de Pétain au maréchal Keitel en 1940. Même air de soumission, même détermination à trouver de nouveaux maîtres à son pays. A une nuance près! Il semble que Pétain croyait à l'idéologie qu'il soutenait. Poroshenko croit à celui qui remplira ses poches avec plus de générosité et alimente, sournoisement, la désinformation ambiante des médias atlantistes en prétendant combattre des armées russes supposées et non pas les armées républicaines du Donbass qui sont une émanation du peuple.

M. Géronimo est un géopoliticien de premier plan. Universitaire, auteur du livre « La pensée stratégique russe: Guerre tiède sur l'échiquier eurasien », il nous a livré une analyse de fond pluridimensionnelle du dossier ukrainien dans sa dynamique.

Radio Sputnik. Le chef du renseignement français, Mr Christophe Gomart, avait déclaré il y a peu qu'il n'y avait pas de troupes russes dans le Donbass et que le renseignement français avait été constamment leurré par la CIA. Comment se fait-il selon vous que l'Assemblée Nationale se soit décidée à reprendre cette déclaration? La France serait-elle en passe de réviser sa position par rapport au rôle supposé de la Russie en Ukraine?

Jean Géronimo. Oui, depuis quelques temps on observe une inflexion du discours de la diplomatie française en faveur de la Russie. Ce revirement peut s'expliquer par trois raisons. D'abord, c'est une vérité incontournable qui a été relayée par les membres de l'OSCE et de l'ONU, voire par certains responsables américains. On sait à l'heure actuelle, qu'officiellement, il n'y a pas d'intervention russe en Ukraine. On ne pouvait pas faire autrement que de revenir vers la vérité.

Deuxièmement, il y a une volonté française de s'écarter de la ligne américaine, d'affirmer sa voix sur la scène internationale, l'éveil d'un réflexe gaullien qui pousse à défendre ses intérêts nationaux. Il s'agit aussi d'atténuer la politique de sanctions contre la Russie qui est inefficace sur le plan économique. On a finalement vu que les plus embêtés, sur un plan géopolitique, c'était les Européens, les sanctions favorisant le renforcement de l'axe sino-russe au détriment de l'Europe. Par exemple, sur un plan économique, on peut remarquer qu'en 2014, alors que les échanges entre Européens et Russes ont baissé de 15%, les échanges entre Américains et Russes ont augmenté de 7%. Troisièmement, l'objectif consiste à accélérer l'issue d'une solution politique au conflit ukrainien parce qu'on reconnait aujourd'hui le rôle incontournable de la Russie dans les accords de Minsk. D'autre part, il y a une méfiance accrue des Européens et de la France par rapport à Porochenko. Cet aveu de Monsieur Gomart pourrait renforcer la légitimité russe et sa contribution positive à la sortie de la crise ukrainienne.

Radio Sputnik. On constate que le Donbass est de nouveau secoué par des tirs d'artillerie, qui d'ailleurs vont crescendo, la situation s'envenime. Est-ce qu'on devrait y voir un échec déjà avéré de Minsk-2 qui n'a en fait que gelé le conflit? Si la Russie continue à ne pas intervenir, même après l'envoi de 300 instructeurs américains de l'OTAN à Kiev et Lvov, pourrait-on s'attendre à la longue à un apaisement des tensions suivi d'une solution diplomatique?

Jean Géronimo. Tout d'abord, Minsk-2 n'est pas un échec mais plutôt un succès relatif.Jje vais revenir sur trois éléments. Cet accord a permis une évolution positive. Il y a, d'une part, un retour aux négociations, à une forme de dialogue, et d'autre part, ça a permis de stabiliser la situation, d'avoir un cessez-le-feu qui est plus ou moins respecté. Deuxième élément: Il y a certes une montée des tensions mais qui est canalisée grâce à l'accord. Il y a certes des accrochages depuis le début et l'intensité de ces accrochages tend à augmenter depuis peu, mais ça reste à un niveau tolérable.

D'autre part, on observe une ingérence américaine qui est en quelque sorte officialisée mais qui est aujourd'hui cadrée par cet accord de Minsk. On sait que des instructeurs américains ont débarqué mais bien avant il y avait déjà des conseillers américains! Ce processus est aujourd'hui officialisé et l'accord permet de réguler cette ingérence américaine, de la contenir à un niveau plus supportable.

Troisième élément: le danger, c'est le renforcement des capacités militaires de Kiev qui pourrait profiter de la trêve, qui en profite d'ailleurs aujourd'hui, pour construire les bases d'une nouvelle offensive, entre autres réarmemer. Il y a aussi un reformatage de la Garde Nationale qui est catalysé par l'aide américaine. Or, la Garde Nationale a une énorme composante ultra-nationaliste à tendance quasiment néo-nazie. C'est un jeu dangereux qu'ont lancé les Américains, mais ce n'est pas la première fois qu'ils jouent ce jeu pour déstabiliser la Russie. Ils l'ont fait bien avant, en 79, en Afghanistan, depuis il y a une ligne structurelle de déstabilisation de la Russie. Je dirais que tous les coups sont bons sur le Grand Echiquier.

Conclusion: l'apaisement des tensions dépend des deux parties à respecter Minsk-II sous la supervision russe qui ne doit absolument pas intervenir. D'ailleurs, si la Russie n'intervient pas, c'est parce que elle joue pour l'instant un rôle de superviseur et qu'elle défend ainsi mieux ses intérêts nationaux. Or, trois problèmes viennent se greffer là-dessus. D'une part, il y a un mouvement de dissidence de la part des groupes ultra-nationalistes et des groupes paramilitaires, le plus célèbre étant bien sûr le Pravy Sektor qui refuse de désarmer et qui considère les accords de Minsk comme illégitimes. Deuxième problème: il y a un recul de Porochenko sur le statut des régions séparatistes. Troisième problème: il y a une montée en puissance des oligarques qui verrouillent le conflit. Nous sommes également en présence d'une guerre entre les oligarques de l'Est contre les oligarques de l'Ouest.

Radio Sputnik. Dans l'interview que vous avez assez récemment accordée à RFI, il était question de volonté de puissance de la Russie qui serait désireuse de construire une grande Europe. Est-ce que vous croyez que la stratégie de Poutine, y compris à travers l'Ukraine, y contribue?

Jean Géronimo. La stratégie de Poutine, contrairement à ce que croient certains experts occidentaux, est centrée sur le long terme. Il y a une stratégie russe sur le long terme qui est de reconstruire la puissance russe dans le cadre d'une grande Europe. C'est un peu la ligne gaullienne qui avait été reprise par le projet de Gorbatchev, la Maison Commune. Cette stratégie s'appuie sur un ancrage régional, eurasien et sur le renforcement d'une structure sécuritaire eurasienne qui comprendrait l'Europe, l'ex-URSS et la Chine. On constate donc qu'il y a là, implicitement, une reprise du concept d'interdépendance sécuritaire de Gorbatchev et de la pérestroïka qui inspire modérément Vladimir Poutine. On est tous dans une Maison Commune, tant dans un sens économique que sécuritaire, et cela suppose de régler d'abord le problème ukrainien qui mine le projet sécuritaire de Poutine. Le problème ukrainien, je le considère comme un choc exogène de court terme qui ne remet pas en cause la stratégie de long terme de Poutine.
Conclusion: on peut dire que Poutine préserve l'avenir européen de la Russie en excluant toute intervention militaire. Trois éléments en témoignent.

D'abord, la reprise de la Crimée s'inscrit dans le fait que c'était un territoire historiquement russe, elle vise surtout à bloquer l'avancée de l'axe USA-OTAN. Deuxième élément: il y a une stratégie défensive de Poutine qui cherche à défendre les intérêts nationaux de la Russie. Cette stratégie est également réactive, c'est-à-dire qu'elle réagit aux provocations de l'OTAN en Ukraine, provocations aussi des oligarques de l'Ouest ukrainien. Troisième élément: Poutine maintient son projet d'une Europe de l'Atlantique à l'Oural qui est repris de la Maison Commune de Gorbatchev.

Radio Sputnik. « Faut-il avoir peur de Poutine? » vous a-t-on demandé lors de l'émission. Cette peur, est-elle partagée par l'Européen moyen ou s'agit-il d'une question rhétorique?

Jean Géronimo. C'est un discours alarmiste, même convenu, qui est plus ou moins hérité d'une autre époque, celle de la Guerre Froide. Un discours qui vise à faire de Poutine et donc de la Russie la menace numéro un. C'est attesté aussi par l'inflexion de la doctrine militaire américaine, ukrainienne et otanienne. Les objectifs sous-jacents de ce discours concourrent à réactiver l'idéologie antirusse et donc de légaliser le putsch qui a permis le contrôle du pivot géopolitique ukrainien pour reprendre la terminologie de Brezinski.

Cette stratégie se traduit notamment par la réémergence de ce que j'appelle l'ennemi systémique. L'ennemi systémique c'est celui de la Guerre Froide mais qui est nécessaire à réguler l'équilibre entre la Russie et les Etats-Unis. On a tous besoin d'un ennemi systémique qui va réguler nos rapports de force ce qui va justifier, d'une part, l'extension et le réarmement de l'OTAN, un marché très juteux pour le complexe militaro-industriel américain, d'autre part, légitimer le leadership américain sur l'OTAN tout en marginalisant la Russie et en justifiant l'installation du futur bouclier anti-missile américain.
C'est un discours qui s'inscrit dans une stratégie globalement antirusse et qui vise à accélérer le reflux de la puissance russe, à bloquer le projet d'union eurasiatique qui est perçu par les Américains comme un projet à visée géopolitique. Il y a enfin une volonté de déstabilisation du régime de Vladimir Poutine, un peu dans la logique des révolutions de couleur qui sont sans cesse conduites sur l'espace post-soviétique. La vraie question à se poser n'est pas de savoir s'il faut avoir peur de Poutine mais plutôt s'il faut peur des dirigeants américains et des dégâts collatéraux de leur gouvernance post-guerre froide des crises internationales. On l'a vu en ex-Yougoslavie en 1999, au Kosovo et en Afghanistan en 2001, en Irak en 2003, et désormais au Moyen-Orient ainsi qu'en Ukraine. Poutine n'a pas fait de tels dégâts. Ce sont plutôt les Américains qui sont responsables de cette déstabilisation ».

Source

Sputniknews.com

Le retour de l'Iran : Les dessous de l'accord sur le nucléaire [1] Le double jeu de l'Arabie saoudite



Le retour de l'Iran : Les dessous de l'accord sur le nucléaire [1] Le double jeu de l'Arabie saoudite
 Michel Lhomme
 
Contrairement aux apparences, la question nucléaire n'était pas centrale dans le dossier iranien. Elle n'était qu'un simple enjeu de communication, et ceci pour l’ensemble des protagonistes. A Téhéran, pour le gouvernement iranien, l’aspiration à l’enrichissement nucléaire permet de stigmatiser l’enrichissement nucléaire clandestin d’Israël tout en faisant miroiter à la population l’acquisition d’une bombe nucléaire. Ceci a pour effet immédiat d’aiguiser la fierté patriotique de la population iranienne. Cela rassemble.

De manière symétrique, à Jérusalem, l’image de la bombe nucléaire iranienne est utilisée par le gouvernement israélien. En désignant un ennemi extérieur prêt à semer l’apocalypse, la question du nucléaire iranien a pu rassembler lors des dernières élections législatives une population minée par les divisions.

Mais ceci, cet usage et ce détournement médiatique de la question du nucléaire iranien sont également vrais pour les chancelleries européennes pour lesquelles la question nucléaire iranienne a permis de maintenir l’illusion de politiques étrangères autonomes. Or, avec les conséquences des affaires ukrainiennes, syriennes, libyennes, l'Europe n'existe plus diplomatiquement sur la scène internationale. A l'inverse, pour Barack Obama, l'affaire iranienne est du pain béni. L’action de communication sur une victoire diplomatique obtenue en Iran a permis de masquer l’ensemble des désastres militaires américains de ses prédécesseurs - ceux de Georges Bush comme ceux d'Hillary Clinton - dont il doit assumer difficilement l’héritage. Dans les affaires internationales, l’image mentale de l’explosion nucléaire, d'une troisième guerre mondiale à venir qui serait apocalyptique est d’une telle puissance qu’elle est en permanence instrumentalisée par l’ensemble des protagonistes afin de manipuler les émotions des foules et faire pression sur les diplomates les privant de toute analyse rationnelle des conflits de la région.
A quoi finalement a consisté cet accord

En fait, disons-le franchement, à pas grand chose ! L'accord se limite à quelques visites des inspecteurs de l’AIEA . En contrôlant à intervalle régulier, les inspecteurs de l’AIEA veulent simplement se faire une idée très précise des avancées technologiques iraniennes dans le domaine nucléaire civil et par là, ils espèrent deviner les intentions militaires de l'Iran s'il y en a de véritables. Plus prosaïquement, c’est l’innovation iranienne ou plus exactement les partenariats iraniens dans le domaine nucléaire qui inquiètent l’Occident, dans la mesure où ce pays est aujourd’hui allié à la Chine. Mais, mis à part le prestige et la fierté patriotique (ce qui compte il est vrai en Iran), la République islamique n’a nullement besoin de fabriquer elle-même la bombe. Il lui suffirait de l’acheter en catimini à ses alliés, qui lui fournissent d’ores et déjà, une aide militaire importante.

Les sanctions américaines sont caduques. Elles n'auront pas servi à grand chose. Il en sera de même des sanctions contre la Russie. Ce sont les Chinois qui ont remplacés les États-Unis à Téhéran. Du coup, à Washington s'est jouée dans les couloirs une gigantesque bataille d’influence entre les tenants de la ligne dure israélienne (pas de concessions à l'Iran) et les partisans d’une réouverture au marché iranien combinée à la possibilité de tisser des liens étroits avec l'Iran. Obama, partisan de la deuxième option contre les clintoniens de la première option, a remporté le premier round. Il n'est pas encore tout à fait certain qu'il remporte le second.

Le retour de l'Iran dans le concert des nations

L’Iran accède bien au statut reconnu de puissance régionale de la région en se “nucléarisant” sous contrôle, moyennant un retour en force des Américains dans le pays avec des contrats dépassant les 100 milliards de dollars offerts par les ayatollahs aux multinationales. Bien sûr, l’Iran en échange aidera de tout son poids à sous-traiter ou pérenniser l’occupation américaine de l’Irak et de l’Afghanistan. Quant à la Syrie, un accord américano-iranien de partage de pouvoir entre alaouites et sunnites se profile. De fait, le Financial Time n’a d'ailleurs pas hésité à parler de ” réintégration de l’Iran dans le jeu occidental par Obama à l’image de la réhabilitation de la Chine sous Nixon”.

L’Occident du stratège Zbigniew Brezinski renoue avec la vieille tradition d’alliance chiito-”croisés” contre le monde arabo-sunnite. Les tenants de la dite “résistance chiite à l’Empire” devront donc réviser leur propagande. L'Arabie Saoudite a avoué à demi-mot avoir pris l’initiative de relancer la guerre à l’Iran directement au Liban par des attentats à la voiture piégée (celui récemment contre l'Ambassade iranienne). Or on savait pertinemment qu'il y avait toujours eu la main de Bandar dans les attentats de Beyrouth beaucoup plus anciens. Pire même, on vient de révéler aux Etats-Unis l'implication directe de l'Arabie Saoudite dans les attentats du 11 septembre ce qui nous permet de retrouver du coup toute la cohérence historique de l'événement. L’Arabie Saoudite a compris qu'il y a un revirement américain en faveur de son ennemi perse et elle semble décidée à renouer avec la pratique souterraine de soutien aux insurgés sunnites pour peser sur la diplomatie américaine. Ces pratiques sont d'autant plus menaçantes et préoccupantes qu’un accord caché scelle Riyad à Tel Aviv. Les agents secrets de Bandar disposeront et disposent déjà du professionnalisme réputé du Mossad.

C'est dans un tel contexte que l'on doit aussi replacer et reconsidérer l’alliance saoudo-eurasiatique puisque la Russie et l’Arabie Saoudite viennent de faire savoir qu’elles négociaient un accord militaire d’un montant minimum de 12 milliards de dollars, ce qui est une première pour un pays armé depuis toujours quasi exclusivement en matériel américain. Dans ce contexte très confus, le sénateur américain Edward Markey a demandé au président Obama de suspendre les négociations avec Riyad sur l’accord bilatéral relatif à la coopération dans le domaine nucléaire. Le sénateur croit savoir de sources sûres que le royaume saoudien intensifie la réalisation de son programme nucléaire avec l’aide du Pakistan. Ce même Pakistan actuellement en manque d’argent et en sévère crise économique a aussi effectivement signé un accord de transfert d’ogives nucléaires avec l’Arabie et il appartient aussi à la coalition musulmane qui a envahi le Yémen. Ainsi, Riyad pour faire face à l'Iran pourrait très bien enrichir son parc de missiles longs portés chinois à capacité nucléaire par des ogives pakistanaises !

Des pays en pleine inversion d'alliances

La géostratégie de toute une partie du globe se redessine aujourd’hui devant nos yeux après que les deux principaux ennemis de la région aient laissé tomber leurs cartes et avouer leur alliance de toujours. L’accord d’étape de Lausanne du 2 avril sur le nucléaire iranien a peut-être de multiples mérites mais il ne faut surtout pas se fier aux signatures et aux paraphes des États. Cet accord est le premier accord d’un monde dont la fragmentation conflictuelle a déjà commencé ou le dernier accord d’un monde dont la cohésion se dilue. En attendant, il nous faut attendre la signature de l’accord-cadre fin juin puis surveiller son application ultérieure.

Le monde en fait se réorganise. L'accord consacre le droit imprescriptible de l’Iran à une industrie nucléaire moderne capable d’enrichissement. Ce droit, concédé en fait déjà en novembre 2013, change la donne politique régionale en confirmant la légalité de sa capacité nucléaire scientifique et technologique. Cet accord réintègre l’Iran dans le jeu régional et sauve l’unicité du système-monde en lui offrant une dernière chance de se transformer pacifiquement.

Dans d’autres capitales, Moscou, Pékin, Ankara, Brasília, a commencé un autre mouvement celui qui modifiera la hiérarchie des puissances et des modèles stratégiques de l'avenir en entreprenant des rééquilibrages puissants - monétaires, industriels, militaires, culturels-, qui consacreront la diversité stratégique définitive du monde à venir, en relativisant un peu plus encore la gouvernance occidentale hégémonique. Le préaccord de Lausanne, l’intervention arabe au Yémen, la nouvelle banque asiatique d’investissement en infrastructures sont donc autant d’indices d'un glissement stratégique du monde vers l’Est qui consacre une nouvelle régulation générale des tensions de la planète. Il précède un glissement plus dangereux, celui vers le Pacifique qui devrait marquer la deuxième moitié du vingtième siècle. 
 
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Livre : L'homme dévasté : De la déconstruction de la culture à la dévastation de l’homme



Livre : L'homme dévasté : De la déconstruction de la culture à la dévastation de l’homme
 
 Kalli Giannelos
 
Autant par sa parution posthume que par la portée du projet qui en scelle l’unité, L’homme dévasté de Jean-François Mattéi s’apparente à une œuvre testamentaire. De Platon aux penseurs contemporains, Mattéi déploie une réflexion qui traverse les époques, les échelles (du monde à l’homme) et les disciplines, en quête des origines et des avatars de la figure de la dévastation de l’homme. La préface très nourrie qui introduit l’essai, réalisée par Raphaël Enthoven, situe le contexte, les enjeux, autant que la lignée dans laquelle la pensée de Mattéi s’inscrit (Platon, Heidegger, Camus...). Dans cet essai, Mattéi dénonce les effets dévastateurs de l’entreprise de déconstruction, tout en montrant que la déconstruction se déconstruit elle-même. À travers une analyse foisonnant d’exemples divers et une démarche limpide, Mattéi expose le processus de « destruction » de l’homme : son obsolescence, sa réification, sa désorientation, sa disparition. On y trouve, en creux, un humanisme redéfini à mi-chemin entre l’antihumanisme et un humanisme naïf. Les pérégrinations philosophiques de cet essai s’établissent par le biais de références multiples, puisant autant dans les ressources philosophiques que dans celles propres à la littérature, aux arts ou aux sciences. Aussi, la typologie des références de l’ouvrage, établie par Raphaël Enthoven, indique que cet essai séduira autant les « plus savants », que les « indignés », les « cinéphiles », les « snobs », les « amateurs de jargon » ou les « gamers » .

La condition de l’homme moderne : le constat de la dévastation

L’homme dévasté, qui est le dernier homme, est bien celui qui a effacé l’horizon avant de disparaître dans un ultime clignement d’œil.

Le constat de la dévastation de l’homme moderne porte en creux le dépérissement de ce qui fut : une construction de la culture européenne, humaniste, remontant à la Grèce antique. Mattéi retrace les rouages et la cible de la déconstruction, cet anti-humanisme théorique qui a désolidarisé le XXe siècle des fondements de la culture occidentale, annihilant non seulement une certaine pensée « architectonique » mais aussi du même coup les conditions d’accès à un monde doué de sens, lui-même garant de l’humanité . Cible des déconstructeurs, l’idée architectonique qui a longtemps porté la culture européenne connaît effectivement un déclin : un déclin de l’architectonique de la cité induisant celui de l’architectonique de la pensée . Contre la déconstruction et la « barbarie » qu’il y décèle, Mattéi dénonce la stérilité de celle-ci autant que son « mouvement ravageur » qui dénote une tentative « de suppression de la condition humaine dans son imbrication avec le monde » .

Empruntant à Nietzsche la figure de l’« ensablement » et au sociologue Zygmunt Bauman celle de la « liquéfaction », Mattéi situe la dévastation comme « l’action d’un homme qui se déserte de lui-même et du monde. » . Le corollaire de cette renonciation à l’humain est pour Mattéi que « l’homme a perdu le sens de l’orientation » , sous le coup d’une dissolution des fondements théologiques et moraux mais aussi logiques et ontologiques : « tout ce qui relevait, dans les discours de la tradition, d’un principe, d’une fondation ou d’un centre, c’est-à-dire d’une source de sens, a été répudié comme une illusion » . Aussi, selon Mattéi, « on ne peut que constater, avec la destruction de l’homme, la dévastation radicale de l’âme et du monde » . Au sein du constat de la dévastation de l’homme, on retrouve, par ailleurs, une filiation camusienne notable, soulignée par Raphaël Enthoven dans la préface. En écho à L’homme révolté de Camus, qui est « un homme qui dit non à ce qui transgresse les frontières de l’humain et qui dit oui à la part précieuse de lui-même » , Mattéi trace les contours de cette figure de l’homme « dévasté », qui est « le négatif » de l’homme révolté et « une rupture dans la chaîne de l’humanité » .

La déconstruction du langage, du monde et de l’art

La rupture avec la construction de l’homme est poursuivie par une entreprise de déconstruction généralisée, s’étendant du langage au corps en passant par le monde et l’art. La fascination pour le vide au sein de la pensée française du second XXe siècle inaugure une ère marquée par la volonté de rompre avec les récits fondateurs. Mattéi identifie, à cet égard, une « tragédie de la déconstruction [qui] se joue en quatre actes sur la scène du langage » : partant de la neutralisation de l’écriture et de l’existence qui instaurent une voie impersonnelle, cette tragédie se dénoue en une reconnaissance commune pour tous les déconstructeurs qui révèlent ainsi leur objectif partagé, celui d’« en finir avec l’astre qui commandait la raison édificatrice pour laisser le champ libre à l’épuisement du désastre » . Se référant à Deleuze, Guattari et Derrida, Mattéi trace les sillons de ce mouvement déconstructeur en en soulignant les étapes, les enjeux et les effets en présence. Pour Mattéi, le corollaire de cette déconstruction est le suivant :

Il n’y a plus dans le livre, dans l’homme ou dans les choses ni profondeur ni hauteur, seulement des lignes indécises de segmentation, des tiges superficielles ou des plateaux connectés, puis déconnectés, sans qu’aucun horizon vienne éclairer un monde dévasté.

Prolongeant la déconstruction du langage, la déconstruction du monde brouille les frontières du réel en substituant le modèle par le simulacre. Mattéi décrypte cette nouvelle échelle de la déconstruction en faisant dialoguer, entre autres, Platon, Günther Anders, Jean Baudrillard et Guy Debord, au croisement d’œuvres cinématographiques. Ces dernières sont invoquées d’une part, comme illustration du règne des simulacres et, d’autre part, comme partie prenante à leur création. La première dimension consiste en une mise en abyme de ce monde déconstruit : Mattéi dresse ainsi une brillante analyse de la trilogie Matrix qui « décline de façon originale le thème de la dévastation de l’homme par la technique, ou du moins celui de sa soumission aux simulacres. » . Par ailleurs, Mattéi décrit l’emprise du virtuel sur le réel, résultant de la prévalence des nouvelles technologies, faisant que l’« existence de l’homme se réduit à un fourmillement de pixels » . Des films mettant en scène une réalité virtuelle ou un monde de simulacres jusqu’aux jeux vidéo créant des univers virtuels, l’analyse de Mattéi met en évidence la question ontologique qui les relie. Le règne de la simulation et la préférence de l’image à la chose conduisent à une désertion du monde : « sous des regards dévastés, le monde est devenu un codage numérique » .

L’état des lieux de la déconstruction se poursuit avec l’art où le processus établit une « dévastation revendiquée des formes artistiques » . Mattéi en montre les effets dans cinq domaines artistiques : le langage poétique, les arts plastiques, la musique, le cinéma et l’architecture. Aussi, la modernité artistique se traduit-elle éminemment par des modifications fondamentales : « en littérature, la neutralité de l’écriture, en peinture, la vacuité de la toile, en musique, le silence de l’instrument, auront été les limites ultimes d’un art devenu étranger à lui-même » . La subordination du geste créateur au discours, la substitution de la représentation par la simulation, ou la substitution des structures en temps continu par les processus, figurent ainsi parmi les effets de cette transfiguration de l’art au contact de la déconstruction. La singularité de ce positionnement de l’art contemporain va de pair avec son aporie qui, pour Mattéi, « tient à sa dérive vers la conceptualisation et à sa confusion avec le processus » .

Face au spectre de la liquéfaction de l’humain, l’espoir en sa pérennité


Après avoir effacé le visage de l’homme dans la peinture et la sculpture, démantelé la parole dans la poésie, l’intrigue dans le roman et le cinéma, la déconstruction contraint l’homme à s’absenter d’un corps dont il tient pourtant son existence.

Cible ultime de la déconstruction généralisée, le corps humain parachève ce mouvement de déconstruction, incarnant la figure extrême de la dévastation. Mattéi identifie ce nouveau rapport à la corporéité dans un double mouvement, de régression et de confusion de l’homme avec d’autres formes de vie et, d’autre part, une transgression vers une fusion de l’homme avec les machines : une « défiguration » ou « dénaturation » de l’homme qui conduit à sa destruction ou dévastation . La neutralisation du corps est aussi un des effets de cette déconstruction du corps, que l’on retrouve dans les gender studies : « le corps de l’homme [est] dissous par le discours qui le remplace. » . De la transgression du sexe vers le genre, Mattéi passe à la transgression de l’humain vers le surhumain : ce posthumanisme - qui a tendance à se sublimer en « transhumanisme » - procède à la construction d’un être artificiel, simulant l’homme naturel. Notre monde contemporain est pour Mattéi celui du « dernier homme » que Nietzsche avait annoncé, et le paradoxe de cette évolution en cours est qu’il s’agit bien d’un « projet humain d’en finir paradoxalement avec l’être humain » . La déconstruction théorique de l’humanité se dédouble ainsi en une déconstruction physique de l’homme.

Face au constat de la déliquescence de l’homme, le tableau dressé par Mattéi atteint son terme sur une note alarmante : « la déconstruction a fêté un bal des adieux […] L’adieu à ce qui faisait la substance de l’humanité […] l’adieu à la condition humaine » . Pourtant, dans ce sombre tableau, l’idée « a le premier et le dernier mot » et sa primauté vient sauver l’homme de son enlisement dans les simulacres . De plus, Mattéi identifie au sein d’une triple équation la liberté, l’humanité et l’acte comme « faculté de commencer », dans la lignée de Camus et Arendt . En cela, la trame de l’humanité peut être pérenne, et la dévastation dont il a esquissé la généalogie, les avatars, les contours et les enjeux, est appelée à être « passagère, vouée à disparaître » . Le cri d’espoir qui clôt cet essai est ainsi une foi en la liberté humaine, et consiste à affirmer que quoi qu’on fasse, « on ne pourra jamais effiler l’humain » .

Que l’on adhère pleinement, peu ou pas à la pensée de Jean-François Mattéi, cet essai séduit dans tous les cas par la vivacité de la pensée philosophique qui s’y déploie, et par ses miroitements diaprés qui invitent l’extra-philosophique dans une réflexion dénuée de toute prétention. Cela tempère d’ailleurs les critiques éventuelles qui pourraient être adressées à certains de ses postulats, à l’instar des objections que lui adresse Raphaël Enthoven dans sa préface, visant à nuancer certaines thèses de l’ouvrage. Le regard humain sur le monde que porte Mattéi, aussi bien que cet espoir qui l’anime et qui renaît de ses cendres in extremis, ne peut qu’émouvoir. Car y a-t-il un cri d’espoir en l’humain plus éloquent que celui d’un homme dont seule son écriture demeure ?

Notes

Jean-François Mattei, L'homme dévasté, Éditeur Grasset, Collection Essais, 288 pages, 19€   

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Livre : Parution : L’islamisation de la France. Fantasme ou réalité…


 
Livre : Parution : L’islamisation de la France. Fantasme ou réalité…
Entretien avec Philippe Randa
 
« Choc des civilisations…
ou choc des cultures ? »


Entretien avec Philippe Randa qui présente le livre collectif L’islamisation de la France. Fantasme ou réalité… qui vient de paraître aux éditions de L’Æncre.

(Propos recueillis par Aliéonor Marquet)

Qui sont les contributeurs de ces trois volumes ?

J’ai tenu à réunir écrivains, journalistes, philosophes, chercheurs, acteurs du débat politique et religieux pour qu’ils confrontent ensemble leurs points de vue. Ces points de vues, tous différents, peuvent être contradictoires, ils n’en sont pas moins complémentaires. Certains de ces contributeurs sont très connus de la plupart des lecteurs, d’autres moins : Robert Albarèdes, Alexis Arette, Nicolas Bonnal, Marc Brzustowski, Pierre Cassen, Philippe Delbauvre, Alain Dubos, Gilles Falavigna, Camille Galic, Nicolas Gauthier, Me Nicolas Gardères, Gérard Gelé, Patrick Gofman, Arnaud Guyot-Jeannin, Roland Hélie, Philippe Joutier, Pieter Kerstens, Joseph Lavanant, Yves-Marie Laulan, Jean-Yves le Gallou, Pierre Lance, Paul Le Poulpe, Aristide Leucate, Pierre le Vigan, Michel Lhomme, Magnus Martel, Anne Merlin-Chazelas, Guy Millière, Patrick Parment, Dr Bernard Plouvier, Philippe Randa, Jean Robin, Jean-Claude Rolinat, Scipion de Salm, Nicolas Tandler, Christine Tasin, Marc Rousset, Guillaume de Thieulloy, Pierre Vial, Luc Voy… et les dessinateurs Ignace et Pinatel…

Et vous publiez également quatre entretiens avec des acteurs majeurs de ce débat…

Tareq Oubrou, imam et recteur de la mosquée de Bordeaux ; Alain de Benoist, philosophe ; le père Michel Lelong, prêtre de sensibilité traditionaliste et Camel Bechikh, président de l’association « Fils de France »…



Pourquoi trois volumes ?

Les contributions réunies permettent une compréhension sérieuse des enjeux majeurs du sujet, mais j’ai tenu offrir cette possibilité au lecteur curieux d’acquérir un ou deux volumes seulement selon ses intérêts pour les thèmes abordés, mais bien évidemment, la lecture des trois volumes apporte une meilleur connaissance. Ainsi le 1er volume aborde les thèmes : États musulmans… Laïcité… Athéïsme… Liberté d’expression… Coutumes… Mœurs… ; le 2e volume : Théologie… Politique… et le 3e volume : Djihad… Histoire… Entretiens…



Pourquoi des avis contradictoires ? N’aurait-il pas mieux valu unifier les contributions pour faciliter la diffusion d’un message unique ?

Peut-il y avoir de débat si on agit ainsi ? Je ne voulais pas de livres militants, partiaux, forcément « langue de bois »… Leur intérêt en aurait été limité. C’est d’ailleurs en réaction au manque de débats dans notre pays, et précisément sur ce sujet difficile, que l’idée m’est venue de tels ouvrages qui manquaient au débat… et c’est d’ailleurs dans cette optique que tous les contributeurs ont accepté d’y participer. Chaque contribution apporte ainsi un angle de vue qui permettra, je l’espère, de répondre sans à priori et sans œillères aux interrogations des uns, aux inquiétudes des autres, à une meilleure compréhension de tous à ce débat qui déchire notre société…

L’islamisation de la France. Fantasme ou réalité…, Philippe Randa (présente), 3 volumes, Éditions L’Æncre, collection « À nouveau siècle, nouveaux enjeux »

Chaque volume : 146 pages, 18 euros.

Prix spécial pour les 3 volumes (45 euros - au lieu de 54 euros)

à commander à : Francephi diffusion - Boite 37 - 16 bis rue d’Odessa - 75014 Paris - Tél. 09 52 95 13 34 - Fax. 09 57 95 13 34 – Mél. diffusion@francephi.com