Propos recueillis par Robert Jules
Le Premier ministre, Manuel Valls, a
récemment présenté un projet de loi sur le renseignement qui va étendre
les pouvoirs de surveillance des autorités sur la population. Il l'a
justifié par la nécessité de lutter contre le terrorisme. Or, les «
lanceurs d'alerte », qui font l'objet de votre dernier livre, ont montré
que le risque de dérive est avéré. Que pensez-vous de ce projet ?
C'est un dispositif éthiquement indéfendable et stratégiquement inefficace. Quatorze ans après les attentats du 11 Septembre aux Etats-Unis et la mise en place du Patriot Act, M. Valls aurait pu saisir une occasion historique : ne pas répéter les erreurs faites par les Etats-Unis. Il était possible, ce qui est rare dans l'histoire, de sauter une étape, d'aller directement vers l'adoption de mesures plus rationnelles de lutte contre le terrorisme.
Car nous savons, grâce aux révélations des lanceurs d'alerte, en particulier celles de WikiLeaks de Julian Assange ou d'Edward Snowden sur l'espionnage généralisé par le NSA, qu'augmenter le pouvoir de l'administratif, de la police et des services secrets au détriment du judiciaire, est une erreur. C'est inefficace : vous noyez les services sous des masses de données qui les rendent moins capables pour mener leurs missions, en particulier la surveillance ciblée. C'est dangereux : vous démantelez les protections constitutionnelles et vous affaiblissez les garanties juridiques des citoyens.
Finalement, vous répondez au terrorisme par moins de démocratie, par plus de violence et d'arbitraire.
Que pensez-vous des réactions des associations de défense des droits de l'homme ?
Les réactions sont nombreuses, vives, et il faut s'en réjouir en espérant qu'elles portent leur fruit. Personnellement, je doute un peu de l'axe choisi. Je ne suis pas convaincu par l'insistance sur la défense de la vie privée. L'argument principal est la crainte d'une surveillance généralisée qui préparerait une société « orwellienne » : « Tous surveillés », « tous pistés », etc.
Pour moi, le véritable enjeu me semble porter sur le démantèlement des conquêtes du libéralisme politique, qui imposent à l'Etat certaines contraintes et limitations à l'exercice de son pouvoir.
Aujourd'hui, l'Etat fait proliférer les mesures qui échappent au contrôle du juge. Ce qui débouche sur une précarité juridique croissante pour les individus. L'Etat développe sa case noire, les zones grises où règne l'arbitraire... ce qui est une régression et accroît notre vulnérabilité.
Pour en venir au sujet de votre livre, en quoi les lanceurs d'alerte représentent-ils une nouvelle forme de contestation des pouvoirs de l'Etat ?
Généralement, on leur assigne un rôle de diffuseurs d'informations. Julian Assange dirige l'organisation WikiLeaks qui récupère des documents secrets et les publie ; Edward Snowden a révélé l'espionnage généralisé qu'opèrent les Etats-Unis, et Chelsea Manning a dénoncé, notamment, des bavures meurtrières de l'armée américaine.
Mais si l'on s'en tient à cette activité de publication, on ne comprend pas l'ampleur de la répression qu'ils subissent. Edward Snowden est passible de la peine de mort, sinon de la prison à vie ; l'association Wikileaks est classée dans la même catégorie que le réseau terroriste Al Qaida en tant qu'ennemie des Etats-Unis ; et Chelsea Manning a été condamnée à trente-cinq ans de prison.
Pour moi, il y a là un mystère à éclaircir : ces individus agissent dans des pays démocratiques - les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, etc. Leurs actions sont démocratiques : ils révèlent des dysfonctionnements des Etats, voire des crimes. Et pourtant, ils subissent une répression féroce. C'est ce paradoxe que je m'attache à comprendre.
Selon moi, cela s'explique par le fait que les lanceurs d'alerte mettent en crise la scène politique telle que nous la connaissons et l'emprise que les Etats exercent sur chacun de nous.
Il n'y a rien de plus codifié que l'espace démocratique et de la dissidence. Pour qu'une opinion se transforme en opinion politique, elle doit s'inscrire dans des cadres imposés, ce que les sociologues appellent des répertoires de l'action collective : l'individu doit s'exprimer publiquement, en assumant la responsabilité de ses actes et en reconnaissant son appartenance à la communauté juridique et politique instituée par l'Etat.
Depuis les Lumières, nous pensons la politique avec un certain nombre de notions : communauté, espace public, Nous, citoyenneté, collectif, etc.
Or avec Snowden Assange et Manning, nous avons affaire à des nouveaux acteurs : ils agissent individuellement et solitairement, ils se cachent (à travers le recours à l'anonymat), ils refusent la citoyenneté (ils fuient, demandent l'asile). Nos catégories traditionnelles vacillent devant ces figures. C'est de ces nouvelles vies que j'ai voulu rendre compte.
Précisément, vous êtes amené à faire l'éloge de catégories que le sens commun tend à stigmatiser : la dénonciation, l'anonymat, la fuite, la trahison, le vol. C'est paradoxal ?
Dans le cas des lanceurs d'alerte, deux nouvelles catégories d'actions émergent : celle qui consiste à agir anonymement, comme l'encourage WikiLeaks et comme l'a fait Chelsea Manning; l'autre qui recourt à la fuite, en refusant d'endosser la responsabilité de ses actes. Ainsi Snowden part à Hong Kong, pour faire ses révélations, Assange se réfugie à l'ambassade de l'Equateur à Londres.
On a l'habitude de critiquer ces pratiques, en assimilant l'anonymat à la lâcheté, la fuite au refus d'assumer les conséquences de ses actes, etc. Pour ma part, je préfère renverser la perspective. J'utilise l'anonymat pour questionner la catégorie d'espace public. Après tout, pourquoi notre action politique devrait-elle impliquer notre apparition, notre engagement ? Que cache cette injonction à la publicité ? De même, la catégorie de fuite me permet de questionner nos appartenances : pourquoi devrions-nous considérer comme évidente notre appartenance à un pays, pourquoi devrions nous reconnaître l'Etat comme ayant le droit de nous juger ?
Vous vous livrez à une double critique de l'Etat nation. D'une part, vous dénoncez un Etat qui régulièrement enfreint la loi pour contrôler ou réprimer alors qu'il est le garant de la légalité et de la protection des individus. D'autre part, et plus philosophiquement, vous allez jusqu'à contester la nature même de l'Etat-nation ?
Il y a deux temps dans ma réflexion. Le premier consiste à s'en prendre à la façon dont les Etats, petit à petit, démantèlent les protections des constitutions libérales. Depuis les 11 septembre, l'invocation d'une « guerre contre le terrorisme » est utilisée pour faire proliférer les mesures d'exceptions, les zones de non-droit, etc. La critique contemporaine, par exemple chez Noam Chomsky, se donne pour but de rappeler les Etats à l'ordre de la Loi. La première partie de mon livre est consacrée à cette question.
Mais je propose d'aller plus loin. La réflexion politique est aujourd'hui bloquée : elle se limite à vouloir ramener l'Etat au respect des principes des constitutions libérales, pris comme références. Mais ceux-ci ne sont donc plus critiqués. Mon livre entend débloquer notre imaginaire politique en mettant en question les dimensions non démocratiques à l'œuvre dans ce qu'on considère traditionnellement comme les valeurs de la démocratie.
Si l'on regarde les démarches de Snowden, Assange et Manning, on voit qu'ils interrogent la manière dont nous sommes constitués comme sujet politique, les dispositifs de la citoyenneté, de l'Etat, de l'espace public, etc. Des vies comme celles de Snowden et Assange, et dans un certain sens Manning, échappent à la catégorie de citoyenneté. Ils inventent un nouveau statut, ni citoyen ni désobéissant civil, nous obligeant à repenser la subjectivité de l'individu telle que nous la concevons habituellement, notamment l'évidence de son appartenance à l'Etat.
Au fond, on pourrait se demander si Snowden et Assange n'inventent pas une nouvelle catégorie d'individus, qui ne se définissent pas par leur appartenance à une Nation ou à un Etat mais à une communauté de valeurs. Ce sont des citoyens de la démocratie. Et quand ils constatent un écart entre leurs valeurs et le pays qui leur a été assigné à la naissance ils s'en vont, ils divorcent de celui-ci.
Cela pourrait sembler déboucher sur une position anarchiste mais, en fait, il s'agirait plutôt de réfléchir à inventer un nouveau statut juridique pour leur donner une protection légale.
L'un des enjeux de mon livre est aussi de rompre avec une conception sacrificielle de la politique : les dispositifs de la politique font peser le coût de l'action sur l'individu démocratique et non sur les institutions défaillantes.
Qu'il s'agisse du dispositif de l'apparition publique, de celui de la désobéissance civile, tous ses dispositifs disent : « Vous devez être courageux, vous devez apparaître publiquement, vous devez accepter la sanction de l'Etat ». La conséquence est que les individus démocratiques s'exposent à la punition, ce qui décourage l'action. Or précisément la fuite et l'anonymat rompent avec cette conception en considérant que l'individu démocratique n'a pas à subir les coûts de son action.
Paradoxalement, ce que nous appelons la démocratie exerce des effets de censure en créant une scène qui empêche l'action en la rendant trop compliquée, trop coûteuse ou trop risquée : prison, amende, perte d'emploi, répression.
C'était déjà le cas auparavant...
Oui, mais la démarche des lanceurs d'alerte montre qu'il est possible d'échapper à cette dramatisation du politique en concevant une action sans coût pour le dissident. Elle rend la politique plus démocratique et moins coûteuse, en faisant apparaître de nouveaux sujets politiques.
Chelsea Manning a fait fuiter des informations sur WikiLeaks parce qu'elle pensait qu'elle ne serait jamais découverte, et c'est grâce à cette action que l'on a eu connaissance de certains agissements de l'armée américaine. Si elle avait dû manifester publiquement pour exprimer son opinion, elle aurait été certaine d'être lourdement sanctionnée. Elle ne l'aurait donc jamais fait, et cela aurait fait régresser la démocratie.
Les lanceurs d'alerte permettent de repenser l'accès à l'espace de la contestation et de mettre en cause les dispositifs traditionnels.
L'un de vos précédents livres analysait un cours professé par Michel Foucault (1978-1979) au Collège de France, qui portait sur le néolibéralisme. Vous y montriez que Foucault voyait dans cette théorie politique une critique de l'Etat riche de potentialités. En quoi ?
Mon intérêt pour le néolibéralisme est né d'un étonnement devant la manière dont la théorie contemporaine aborde ce phénomène. La critique du néolibéralisme code les transformations actuelles en termes de déréglementation, d'atomisation, de matérialisme, d'individualisme, de repli sur soi, etc. Ce cadre est inquiétant. Il fait comme si le problème était qu'il n'y a pas assez de régulation, pas assez d'ordre, pas assez d'Etat, pas assez de cadre, trop d'individualité, etc.
Il s'agit d'une rhétorique étrange, puisque la tradition critique, pour moi, est associée à une pensée libertaire, du désordre, de l'émancipation.
Dès lors, je me suis rendu compte que le néolibéralisme pouvait permettre de révéler et d'interroger les pulsions d'ordre et les effets de pouvoir inscrits dans les pensées qui se présentent traditionnellement comme critiques : le marxisme, la psychologie, la psychanalyse, la théorie du droit comme celle de Hans Kelsen ou la théorie politique de Rousseau à John Rawls.
En commençant mon livre, j'ai été frappé par le fait que Michel Foucault se posait la même question dès 1978-1979. Son enthousiasme, davantage théorique que politique, venait de sa fascination pour un univers de pensée totalement singulier, autour des notions de pluralisme, de marché, d'homo œconomicus.
Par exemple, Foucault montre que les grandes traditions théoriques occidentales ont toujours construit l'homme comme un être à assujettir : le sujet de droit qui doit obéir à la loi, l'homme psychologique de la psychanalyse qui doit être normalisé...
Or, pour la première fois, une théorie construit un être qui refuse d'obéir, qui affirme son intérêt. Non seulement il ne veut pas être gouverné, mais il remet en cause l'idée même de gouvernement. C'est l'homo œconomicus.
De même, la notion de marché interrompt le cycle des théories du contrat social et de la philosophie politique. Celles-ci supposent toujours que la société n'est possible qu'à condition de trouver un cadre supérieur qui ordonne la pluralité. Or le marché est conçu à l'inverse comme une technique de coordination immanente, sans transcendance, et qui remet donc en cause les concepts de souveraineté, de totalisation, etc.
Tout théoricien critique devrait être sensible à une telle approche. Car elle impose de prendre au sérieux des questions comme: qu'est-ce qu'être du côté des points de vue minoritaires ? Quels effets de pouvoir exercent le droit, la souveraineté, l'Etat, le gouvernement ? Comment défaire les processus de normalisation à l'œuvre dans la psychologie ? etc.
Bien sûr, il y a des impensés de la théorie néolibérale : son incapacité à penser en termes de pouvoir, de domination et d'exploitation. Elle n'est pas non plus une pensée de la démocratie.
Par conséquent, il faut conserver les apports libertaires du néolibéralisme, sa critique de l'obéissance, des effets de coercition, mais voir que dans le même temps comment il consolide d'autres systèmes d'ordre : l'ordre social, l'ordre des pouvoirs, l'ordre des classes.
C'est à cette condition que l'on pourra bâtir une critique non réactionnaire du néolibéralisme.
Snowden, Assange, et Manning auraient-ils pu exister sans Internet? En quoi cette technologie change-t-elle notre rapport aux pouvoirs, aux individus, à nos propres vies?
C'est une question importante et difficile. Si je trouve souvent naïfs les livres qui défendent la thèse d'un basculement dans un nouveau paradigme depuis Internet, je suis en revanche d'accord pour dire que le Web recèle des potentialités inédites.
Les biographies de Snowden et d'Assange montrent qu'ils sont nés dans Internet, qui fut leur lieu de formation, de pensée. IIs y ont forgé leur vision du monde.
Pour moi, la rupture provoquée par Internet est de mettre en lumière la violence des appartenances obligatoires, l'emprise des structures nationales sur nos vies. Nous sous-estimons à quel point le lieu et le moment de notre naissance déterminent notre socialisation à travers notre famille, notre travail, notre quartier, notre nation. Tout ce qui va déterminer notre actualité, de qui on se sent proche, de qui on se sent lointain. Bref, tout ce qui va définir notre horizon mental.
Je me demande si Internet ne favoriserait pas une dénationalisation des esprits en redéfinissant notre rapport à la proximité, aux distances, aux rapports humains: les forums, les lieux d'échanges, offrent la possibilité de choisir de qui je me sens proche, de qui je me sens étranger.
Je peux avoir ainsi des liens avec quelqu'un qui est à Hong Kong, au Japon ou en Afrique parce que nous avons les mêmes intérêts musicaux, sexuels, politiques plutôt qu'avec mon voisin, ma famille, ou mon concitoyen. Internet favorise la production de nouvelles subjectivités politiques et pratiques qui mettent en question les mécanismes de la socialisation traditionnelle et de l'appartenance.
Vous avez une formation initiale d'économiste (ENS Cachan, agrégation sciences économiques et sociales), pourtant vous ne mettez pas l'organisation économique au centre de vos réflexions, mais au contraire les passions, les désirs individuels, les affinités. C'est cela qui prime selon vous ?
Depuis une dizaine d'années, la question économique est revenue au centre du champ intellectuel à travers l'analyse de l'évolution du capitalisme, du libéralisme, du néolibéralisme... J'y vois le retour d'un certain monisme explicatif, où la question économique semble envelopper l'ensemble des autres questions. Mon travail s'affronte aux autres types de pouvoir qui s'exercent à travers le droit, l'Etat, la politique, la psychologie, ou, dans mon prochain ouvrage, le crime, le jugement, la pénalité. Ce sont à mes yeux des questions essentielles qui peuvent donner lieu à des luttes sociales qui ne sont pas indexées à l'économique.
Je retiens notamment des analyses de Michel Foucault et de Pierre Bourdieu, que les luttes singulières méritent toutes d'être menées. Pour avoir une conscience de l'état réel de la société, il faut favoriser une certaine prolifération des analyses portant sur des sujets différents plutôt que de se concentrer sur un seul enjeu. Le rôle spécifique de l'intellectuel est d'apporter de nouvelles analyses de la réalité pour changer le point de vue que l'on a sur elle.
Vous vous revendiquez d'une pensée critique ? Qu'entendez-vous par là ?
La question centrale, pour moi c'est celle de l'ordre, et donc du désordre. C'est un critère qui permet, assez rapidement, de classer les intellectuels ou les politiques.
Problématiser le monde en pensant qu'il y a trop de désordre, qu'il est déréglé et qu'il faudrait donc plus d'ordre, constitue l'attitude conservatrice. A l'inverse, l'attitude critique consiste à partir du fait que le problème ce sont les ordres, les hiérarchies, les pouvoirs qui s'exercent. Dès lors, l'enjeu pratique sera de rendre possible plus de désordre, de sédition, un peu plus d'hétérogénéité.
C'est la raison pour laquelle je considère que le néolibéralisme a une dimension critique en défendant la valeur de la « pluralité » ou en utilisant le marché comme instrument critique de l'ordre légal tel qu'il est institué par l'Etat. A cet égard, le passage, au sein de la gauche, de la référence à Karl Marx à la référence à Karl Polanyi dans la critique du néolibéralisme est un basculement conservateur : on se met à penser que le problème du marché est qu'il défait des liens et non qu'il consolide un ordre de classes et d'exploitation.
Assange, Snowden et Manning déstabilisent les Etats en créant du désordre là où les Etats voudraient ordonner. De même, dans un précédent livre, qui portait sur l'université, je voyais dans la professionnalisation de la recherche et sa volonté d'autonomisation une façon de renforcer l'ordre universitaire où les disciplines sont strictement définies. Or adopter un point de vue critique, c'est penser que déstabiliser ces frontières est nécessaire pour ouvrir de nouvelles perspectives pour la pensée.
C'est la raison pour laquelle mon travail s'intéresse moins aux contenus qu'aux dispositifs. Je réfléchis sur la forme Université, la forme marché, la forme citoyenneté ou la forme Etat, et, bientôt, la forme procès. Selon moi, il est plus subversif d'interroger ces cadres qui régulent la vie sociale, la production et l'expression des idées et des existences. Cela permet de voir qu'il y a souvent des désordres très ordonnés comme, par exemple, la façon dont s'expriment les opinions, ou comment sont réparties les disciplines à l'université. Des cadres régulent la dissidence elle-même, et donc les attaquer me semble être une tâche centrale pour la pensée critique.
C'est un dispositif éthiquement indéfendable et stratégiquement inefficace. Quatorze ans après les attentats du 11 Septembre aux Etats-Unis et la mise en place du Patriot Act, M. Valls aurait pu saisir une occasion historique : ne pas répéter les erreurs faites par les Etats-Unis. Il était possible, ce qui est rare dans l'histoire, de sauter une étape, d'aller directement vers l'adoption de mesures plus rationnelles de lutte contre le terrorisme.
Car nous savons, grâce aux révélations des lanceurs d'alerte, en particulier celles de WikiLeaks de Julian Assange ou d'Edward Snowden sur l'espionnage généralisé par le NSA, qu'augmenter le pouvoir de l'administratif, de la police et des services secrets au détriment du judiciaire, est une erreur. C'est inefficace : vous noyez les services sous des masses de données qui les rendent moins capables pour mener leurs missions, en particulier la surveillance ciblée. C'est dangereux : vous démantelez les protections constitutionnelles et vous affaiblissez les garanties juridiques des citoyens.
Finalement, vous répondez au terrorisme par moins de démocratie, par plus de violence et d'arbitraire.
Que pensez-vous des réactions des associations de défense des droits de l'homme ?
Les réactions sont nombreuses, vives, et il faut s'en réjouir en espérant qu'elles portent leur fruit. Personnellement, je doute un peu de l'axe choisi. Je ne suis pas convaincu par l'insistance sur la défense de la vie privée. L'argument principal est la crainte d'une surveillance généralisée qui préparerait une société « orwellienne » : « Tous surveillés », « tous pistés », etc.
Pour moi, le véritable enjeu me semble porter sur le démantèlement des conquêtes du libéralisme politique, qui imposent à l'Etat certaines contraintes et limitations à l'exercice de son pouvoir.
Aujourd'hui, l'Etat fait proliférer les mesures qui échappent au contrôle du juge. Ce qui débouche sur une précarité juridique croissante pour les individus. L'Etat développe sa case noire, les zones grises où règne l'arbitraire... ce qui est une régression et accroît notre vulnérabilité.
Pour en venir au sujet de votre livre, en quoi les lanceurs d'alerte représentent-ils une nouvelle forme de contestation des pouvoirs de l'Etat ?
Généralement, on leur assigne un rôle de diffuseurs d'informations. Julian Assange dirige l'organisation WikiLeaks qui récupère des documents secrets et les publie ; Edward Snowden a révélé l'espionnage généralisé qu'opèrent les Etats-Unis, et Chelsea Manning a dénoncé, notamment, des bavures meurtrières de l'armée américaine.
Mais si l'on s'en tient à cette activité de publication, on ne comprend pas l'ampleur de la répression qu'ils subissent. Edward Snowden est passible de la peine de mort, sinon de la prison à vie ; l'association Wikileaks est classée dans la même catégorie que le réseau terroriste Al Qaida en tant qu'ennemie des Etats-Unis ; et Chelsea Manning a été condamnée à trente-cinq ans de prison.
Pour moi, il y a là un mystère à éclaircir : ces individus agissent dans des pays démocratiques - les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, etc. Leurs actions sont démocratiques : ils révèlent des dysfonctionnements des Etats, voire des crimes. Et pourtant, ils subissent une répression féroce. C'est ce paradoxe que je m'attache à comprendre.
Selon moi, cela s'explique par le fait que les lanceurs d'alerte mettent en crise la scène politique telle que nous la connaissons et l'emprise que les Etats exercent sur chacun de nous.
Il n'y a rien de plus codifié que l'espace démocratique et de la dissidence. Pour qu'une opinion se transforme en opinion politique, elle doit s'inscrire dans des cadres imposés, ce que les sociologues appellent des répertoires de l'action collective : l'individu doit s'exprimer publiquement, en assumant la responsabilité de ses actes et en reconnaissant son appartenance à la communauté juridique et politique instituée par l'Etat.
Depuis les Lumières, nous pensons la politique avec un certain nombre de notions : communauté, espace public, Nous, citoyenneté, collectif, etc.
Or avec Snowden Assange et Manning, nous avons affaire à des nouveaux acteurs : ils agissent individuellement et solitairement, ils se cachent (à travers le recours à l'anonymat), ils refusent la citoyenneté (ils fuient, demandent l'asile). Nos catégories traditionnelles vacillent devant ces figures. C'est de ces nouvelles vies que j'ai voulu rendre compte.
Précisément, vous êtes amené à faire l'éloge de catégories que le sens commun tend à stigmatiser : la dénonciation, l'anonymat, la fuite, la trahison, le vol. C'est paradoxal ?
Dans le cas des lanceurs d'alerte, deux nouvelles catégories d'actions émergent : celle qui consiste à agir anonymement, comme l'encourage WikiLeaks et comme l'a fait Chelsea Manning; l'autre qui recourt à la fuite, en refusant d'endosser la responsabilité de ses actes. Ainsi Snowden part à Hong Kong, pour faire ses révélations, Assange se réfugie à l'ambassade de l'Equateur à Londres.
On a l'habitude de critiquer ces pratiques, en assimilant l'anonymat à la lâcheté, la fuite au refus d'assumer les conséquences de ses actes, etc. Pour ma part, je préfère renverser la perspective. J'utilise l'anonymat pour questionner la catégorie d'espace public. Après tout, pourquoi notre action politique devrait-elle impliquer notre apparition, notre engagement ? Que cache cette injonction à la publicité ? De même, la catégorie de fuite me permet de questionner nos appartenances : pourquoi devrions-nous considérer comme évidente notre appartenance à un pays, pourquoi devrions nous reconnaître l'Etat comme ayant le droit de nous juger ?
Vous vous livrez à une double critique de l'Etat nation. D'une part, vous dénoncez un Etat qui régulièrement enfreint la loi pour contrôler ou réprimer alors qu'il est le garant de la légalité et de la protection des individus. D'autre part, et plus philosophiquement, vous allez jusqu'à contester la nature même de l'Etat-nation ?
Il y a deux temps dans ma réflexion. Le premier consiste à s'en prendre à la façon dont les Etats, petit à petit, démantèlent les protections des constitutions libérales. Depuis les 11 septembre, l'invocation d'une « guerre contre le terrorisme » est utilisée pour faire proliférer les mesures d'exceptions, les zones de non-droit, etc. La critique contemporaine, par exemple chez Noam Chomsky, se donne pour but de rappeler les Etats à l'ordre de la Loi. La première partie de mon livre est consacrée à cette question.
Mais je propose d'aller plus loin. La réflexion politique est aujourd'hui bloquée : elle se limite à vouloir ramener l'Etat au respect des principes des constitutions libérales, pris comme références. Mais ceux-ci ne sont donc plus critiqués. Mon livre entend débloquer notre imaginaire politique en mettant en question les dimensions non démocratiques à l'œuvre dans ce qu'on considère traditionnellement comme les valeurs de la démocratie.
Si l'on regarde les démarches de Snowden, Assange et Manning, on voit qu'ils interrogent la manière dont nous sommes constitués comme sujet politique, les dispositifs de la citoyenneté, de l'Etat, de l'espace public, etc. Des vies comme celles de Snowden et Assange, et dans un certain sens Manning, échappent à la catégorie de citoyenneté. Ils inventent un nouveau statut, ni citoyen ni désobéissant civil, nous obligeant à repenser la subjectivité de l'individu telle que nous la concevons habituellement, notamment l'évidence de son appartenance à l'Etat.
Au fond, on pourrait se demander si Snowden et Assange n'inventent pas une nouvelle catégorie d'individus, qui ne se définissent pas par leur appartenance à une Nation ou à un Etat mais à une communauté de valeurs. Ce sont des citoyens de la démocratie. Et quand ils constatent un écart entre leurs valeurs et le pays qui leur a été assigné à la naissance ils s'en vont, ils divorcent de celui-ci.
Cela pourrait sembler déboucher sur une position anarchiste mais, en fait, il s'agirait plutôt de réfléchir à inventer un nouveau statut juridique pour leur donner une protection légale.
L'un des enjeux de mon livre est aussi de rompre avec une conception sacrificielle de la politique : les dispositifs de la politique font peser le coût de l'action sur l'individu démocratique et non sur les institutions défaillantes.
Qu'il s'agisse du dispositif de l'apparition publique, de celui de la désobéissance civile, tous ses dispositifs disent : « Vous devez être courageux, vous devez apparaître publiquement, vous devez accepter la sanction de l'Etat ». La conséquence est que les individus démocratiques s'exposent à la punition, ce qui décourage l'action. Or précisément la fuite et l'anonymat rompent avec cette conception en considérant que l'individu démocratique n'a pas à subir les coûts de son action.
Paradoxalement, ce que nous appelons la démocratie exerce des effets de censure en créant une scène qui empêche l'action en la rendant trop compliquée, trop coûteuse ou trop risquée : prison, amende, perte d'emploi, répression.
C'était déjà le cas auparavant...
Oui, mais la démarche des lanceurs d'alerte montre qu'il est possible d'échapper à cette dramatisation du politique en concevant une action sans coût pour le dissident. Elle rend la politique plus démocratique et moins coûteuse, en faisant apparaître de nouveaux sujets politiques.
Chelsea Manning a fait fuiter des informations sur WikiLeaks parce qu'elle pensait qu'elle ne serait jamais découverte, et c'est grâce à cette action que l'on a eu connaissance de certains agissements de l'armée américaine. Si elle avait dû manifester publiquement pour exprimer son opinion, elle aurait été certaine d'être lourdement sanctionnée. Elle ne l'aurait donc jamais fait, et cela aurait fait régresser la démocratie.
Les lanceurs d'alerte permettent de repenser l'accès à l'espace de la contestation et de mettre en cause les dispositifs traditionnels.
L'un de vos précédents livres analysait un cours professé par Michel Foucault (1978-1979) au Collège de France, qui portait sur le néolibéralisme. Vous y montriez que Foucault voyait dans cette théorie politique une critique de l'Etat riche de potentialités. En quoi ?
Mon intérêt pour le néolibéralisme est né d'un étonnement devant la manière dont la théorie contemporaine aborde ce phénomène. La critique du néolibéralisme code les transformations actuelles en termes de déréglementation, d'atomisation, de matérialisme, d'individualisme, de repli sur soi, etc. Ce cadre est inquiétant. Il fait comme si le problème était qu'il n'y a pas assez de régulation, pas assez d'ordre, pas assez d'Etat, pas assez de cadre, trop d'individualité, etc.
Il s'agit d'une rhétorique étrange, puisque la tradition critique, pour moi, est associée à une pensée libertaire, du désordre, de l'émancipation.
Dès lors, je me suis rendu compte que le néolibéralisme pouvait permettre de révéler et d'interroger les pulsions d'ordre et les effets de pouvoir inscrits dans les pensées qui se présentent traditionnellement comme critiques : le marxisme, la psychologie, la psychanalyse, la théorie du droit comme celle de Hans Kelsen ou la théorie politique de Rousseau à John Rawls.
En commençant mon livre, j'ai été frappé par le fait que Michel Foucault se posait la même question dès 1978-1979. Son enthousiasme, davantage théorique que politique, venait de sa fascination pour un univers de pensée totalement singulier, autour des notions de pluralisme, de marché, d'homo œconomicus.
Par exemple, Foucault montre que les grandes traditions théoriques occidentales ont toujours construit l'homme comme un être à assujettir : le sujet de droit qui doit obéir à la loi, l'homme psychologique de la psychanalyse qui doit être normalisé...
Or, pour la première fois, une théorie construit un être qui refuse d'obéir, qui affirme son intérêt. Non seulement il ne veut pas être gouverné, mais il remet en cause l'idée même de gouvernement. C'est l'homo œconomicus.
De même, la notion de marché interrompt le cycle des théories du contrat social et de la philosophie politique. Celles-ci supposent toujours que la société n'est possible qu'à condition de trouver un cadre supérieur qui ordonne la pluralité. Or le marché est conçu à l'inverse comme une technique de coordination immanente, sans transcendance, et qui remet donc en cause les concepts de souveraineté, de totalisation, etc.
Tout théoricien critique devrait être sensible à une telle approche. Car elle impose de prendre au sérieux des questions comme: qu'est-ce qu'être du côté des points de vue minoritaires ? Quels effets de pouvoir exercent le droit, la souveraineté, l'Etat, le gouvernement ? Comment défaire les processus de normalisation à l'œuvre dans la psychologie ? etc.
Bien sûr, il y a des impensés de la théorie néolibérale : son incapacité à penser en termes de pouvoir, de domination et d'exploitation. Elle n'est pas non plus une pensée de la démocratie.
Par conséquent, il faut conserver les apports libertaires du néolibéralisme, sa critique de l'obéissance, des effets de coercition, mais voir que dans le même temps comment il consolide d'autres systèmes d'ordre : l'ordre social, l'ordre des pouvoirs, l'ordre des classes.
C'est à cette condition que l'on pourra bâtir une critique non réactionnaire du néolibéralisme.
Snowden, Assange, et Manning auraient-ils pu exister sans Internet? En quoi cette technologie change-t-elle notre rapport aux pouvoirs, aux individus, à nos propres vies?
C'est une question importante et difficile. Si je trouve souvent naïfs les livres qui défendent la thèse d'un basculement dans un nouveau paradigme depuis Internet, je suis en revanche d'accord pour dire que le Web recèle des potentialités inédites.
Les biographies de Snowden et d'Assange montrent qu'ils sont nés dans Internet, qui fut leur lieu de formation, de pensée. IIs y ont forgé leur vision du monde.
Pour moi, la rupture provoquée par Internet est de mettre en lumière la violence des appartenances obligatoires, l'emprise des structures nationales sur nos vies. Nous sous-estimons à quel point le lieu et le moment de notre naissance déterminent notre socialisation à travers notre famille, notre travail, notre quartier, notre nation. Tout ce qui va déterminer notre actualité, de qui on se sent proche, de qui on se sent lointain. Bref, tout ce qui va définir notre horizon mental.
Je me demande si Internet ne favoriserait pas une dénationalisation des esprits en redéfinissant notre rapport à la proximité, aux distances, aux rapports humains: les forums, les lieux d'échanges, offrent la possibilité de choisir de qui je me sens proche, de qui je me sens étranger.
Je peux avoir ainsi des liens avec quelqu'un qui est à Hong Kong, au Japon ou en Afrique parce que nous avons les mêmes intérêts musicaux, sexuels, politiques plutôt qu'avec mon voisin, ma famille, ou mon concitoyen. Internet favorise la production de nouvelles subjectivités politiques et pratiques qui mettent en question les mécanismes de la socialisation traditionnelle et de l'appartenance.
Vous avez une formation initiale d'économiste (ENS Cachan, agrégation sciences économiques et sociales), pourtant vous ne mettez pas l'organisation économique au centre de vos réflexions, mais au contraire les passions, les désirs individuels, les affinités. C'est cela qui prime selon vous ?
Depuis une dizaine d'années, la question économique est revenue au centre du champ intellectuel à travers l'analyse de l'évolution du capitalisme, du libéralisme, du néolibéralisme... J'y vois le retour d'un certain monisme explicatif, où la question économique semble envelopper l'ensemble des autres questions. Mon travail s'affronte aux autres types de pouvoir qui s'exercent à travers le droit, l'Etat, la politique, la psychologie, ou, dans mon prochain ouvrage, le crime, le jugement, la pénalité. Ce sont à mes yeux des questions essentielles qui peuvent donner lieu à des luttes sociales qui ne sont pas indexées à l'économique.
Je retiens notamment des analyses de Michel Foucault et de Pierre Bourdieu, que les luttes singulières méritent toutes d'être menées. Pour avoir une conscience de l'état réel de la société, il faut favoriser une certaine prolifération des analyses portant sur des sujets différents plutôt que de se concentrer sur un seul enjeu. Le rôle spécifique de l'intellectuel est d'apporter de nouvelles analyses de la réalité pour changer le point de vue que l'on a sur elle.
Vous vous revendiquez d'une pensée critique ? Qu'entendez-vous par là ?
La question centrale, pour moi c'est celle de l'ordre, et donc du désordre. C'est un critère qui permet, assez rapidement, de classer les intellectuels ou les politiques.
Problématiser le monde en pensant qu'il y a trop de désordre, qu'il est déréglé et qu'il faudrait donc plus d'ordre, constitue l'attitude conservatrice. A l'inverse, l'attitude critique consiste à partir du fait que le problème ce sont les ordres, les hiérarchies, les pouvoirs qui s'exercent. Dès lors, l'enjeu pratique sera de rendre possible plus de désordre, de sédition, un peu plus d'hétérogénéité.
C'est la raison pour laquelle je considère que le néolibéralisme a une dimension critique en défendant la valeur de la « pluralité » ou en utilisant le marché comme instrument critique de l'ordre légal tel qu'il est institué par l'Etat. A cet égard, le passage, au sein de la gauche, de la référence à Karl Marx à la référence à Karl Polanyi dans la critique du néolibéralisme est un basculement conservateur : on se met à penser que le problème du marché est qu'il défait des liens et non qu'il consolide un ordre de classes et d'exploitation.
Assange, Snowden et Manning déstabilisent les Etats en créant du désordre là où les Etats voudraient ordonner. De même, dans un précédent livre, qui portait sur l'université, je voyais dans la professionnalisation de la recherche et sa volonté d'autonomisation une façon de renforcer l'ordre universitaire où les disciplines sont strictement définies. Or adopter un point de vue critique, c'est penser que déstabiliser ces frontières est nécessaire pour ouvrir de nouvelles perspectives pour la pensée.
C'est la raison pour laquelle mon travail s'intéresse moins aux contenus qu'aux dispositifs. Je réfléchis sur la forme Université, la forme marché, la forme citoyenneté ou la forme Etat, et, bientôt, la forme procès. Selon moi, il est plus subversif d'interroger ces cadres qui régulent la vie sociale, la production et l'expression des idées et des existences. Cela permet de voir qu'il y a souvent des désordres très ordonnés comme, par exemple, la façon dont s'expriment les opinions, ou comment sont réparties les disciplines à l'université. Des cadres régulent la dissidence elle-même, et donc les attaquer me semble être une tâche centrale pour la pensée critique.
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Geoffroy de Lagasnerie, philosophe et sociologue, est professeur à l'École nationale supérieure d'arts de Paris-Cergy. Auteur de plusieurs livres, dont "La Dernière Leçon de Michel Foucault" (Fayard, 2012) et "Logique de la création" (Fayard, 2011), il vient de publier "L'art de la révolte. Snowden Assange, Manning" (Fayard), qui est une réflexion sur le rôle disruptif joué par ce que l'on nomme désormais les lanceurs d'alerte. Occasion de lui demander ce qu'il pense du projet de loi gouvernemental sur le renseignement, de la citoyenneté et de son rapport avec les Etats, des potentialités libératrices du net, ou encore de la place que doit occuper un intellectuel aujourd'hui. |
Source |
La Tribune