Entretien avec Alain de Benoist
Manuel Valls vient d’annoncer la mise en
place d’un nouveau programme de « lutte contre le racisme ». Plus qu’une
mode, l’« antiracisme » semble en passe de devenir une nouvelle
religion. Laquelle, assez logiquement, pratique aussi une nouvelle
Inquisition. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
L’idéologie dominante est une idéologie universaliste qui exècre toute forme d’enracinement. Ce qu’elle aime, c’est la mobilité, la flexibilité, le déracinement, le nomadisme, bref le programme de Jacques Attali : « L’acceptation du neuf comme une bonne nouvelle, de la précarité comme une valeur, de l’instabilité comme une urgence et du métissage comme une richesse »» (Le Monde, 7 mars 1996). Dans cette optique, l’accusation de « racisme » n’est rien d’autre que le procédé commode qu’elle a trouvé pour délégitimer les particularités concrètes, obstacles à faire disparaître pour mettre en œuvre la fusion rédemptrice, le salut par l’hybridité.
« L’antiracisme » ne vise plus ceux qui défendent le racisme, mais ceux qu’on accuse de le professer en leur for intérieur même lorsqu’ils disent explicitement le contraire. Le « racisme » lui-même ne désigne plus tant la croyance en l’inégalité des races, qui a de nos jours (fort heureusement) presque disparu, ni même l’hostilité de principe envers une catégorie d’hommes, mais toute forme d’attachement à un mode de vie spécifique, à un paysage natal, à une identité particulière. Tout cela relèverait d’un mauvais penchant révélant une nature corrompue. Comme l’écrit Chantal Delsol dans son dernier livre, « quand des gens simples annoncent qu’ils préféreraient conserver leurs traditions plutôt que de se voir imposer celles d’une culture étrangère »», on en déduit « qu’ils sont égoïstes et xénophobes ». « Est-ce raciste, demandait récemment Jean Raspail, que de vouloir conserver ses traditions et sa manière de vivre, et ne pas les laisser dénaturer ? »
Pour Lionel Jospin, la « menace fasciste » incarnée naguère par Jean-Marie Le Pen n’était finalement, à l’en croire, que du « théâtre ». Le « racisme » qu’on dénonce aujourd’hui ne serait-il pas aussi une comédie ?
C’est surtout une imposture. Heidegger a maintes fois expliqué que se définir comme « anti »-quelque chose (antiraciste, anticommuniste, antifasciste) revient paradoxalement à ériger en norme, c’est-à-dire en critère de validité, ce à quoi l’on prétend s’opposer, ce qui amène finalement à penser comme lui. L’antiracisme contemporain n’échappe pas à la règle. Le culte actuel du « métissage » n’est en effet que le renversement du culte nazi de la « pureté ». Le « métis » est le modèle idéal comme l’était « l’Aryen » sous le IIIe Reich. Vanter la race blanche au nom de sa prétendue « supériorité » ou la fustiger comme faisant obstacle au « métissage » relève d’une même obsession de la race, d’une même surestimation de l’importance du facteur ethnique dans l’évolution des sociétés humaines. Xénophobie systématique et xénophilie systématique, c’est tout un. L’injonction au mélange a seulement succédé à l’appel à la pureté. Pour paraphraser ce que Joseph de Maistre disait de la Révolution, on pourrait dire que le contraire du « racisme », c’est un racisme en sens contraire.
L’exaltation de l’Autre jusqu’à la négation de soi ayant succédé à l’exaltation de soi jusqu’à la négation de l’Autre, celui qui pense que le refus de soi n’est pas la meilleure façon de s’ouvrir aux autres peut ainsi être assimilé aux hallucinés de la « guerre raciale ». « Qu’untel se plaigne d’une trop forte proportion de Juifs, Noirs, Arabes ou Asiatiques, c’est du racisme ; mais que le même critique une trop forte proportion de Blancs – ainsi que l’a récemment fait Libération à propos des cabinets ministériels –, cela devient de l’antiracisme. Si un entrepreneur utilise l’origine des candidats comme critère de sélection au détriment des personnes d’origine étrangère, c’est une discrimination inacceptable ; mais s’il décide de faire jouer ce critère au détriment des “Français de souche”, c’est une louable action de lutte contre les discriminations », écrivait voici peu Stéphane Perrier dans la revue Le Débat.
Viennent ensuite les inévitables contradictions. Comment nier l’existence des races tout en prônant le métissage ? Pour que le second survienne, il faut bien que les premières existent !
Ceux qui veulent instaurer la parité partout sauf dans le mariage n’ont, en effet, pas encore compris que le « mariage forcé » (Pierre-André Taguieff) de la diversité et du métissage les condamne l’un et l’autre au divorce. La même schizophrénie se retrouve quand on veut l’égale représentation de groupes ethniques dont on nie par ailleurs l’existence, quand on se réclame à la fois de l’idéal normatif du pluralisme et de celui du « mélangisme », ou quand on déclare prendre acte du caractère « multi-ethnique » des sociétés contemporaines tout en réagissant toujours plus durement à toute manifestation d’altérité.
Autrefois, on admirait la diversité des cultures mais on trouvait assez normal que les gens se ressemblent à l’intérieur de chacune d’elles. Aujourd’hui, c’est l’inverse : il faut à la fois toujours plus de « diversité » dans chaque pays et toujours plus de conformité à l’échelle planétaire. Toutes les différences sont admises à l’intérieur, mais à l’extérieur tous les États doivent communier dans l’idéologie des droits de l’homme et le culte de la marchandise. On espère ainsi faire naître un monde homogène de l’addition de sociétés toujours plus hétérogènes, unifier la planète et programmer l’hybridation généralisée. C’est la quadrature du cercle.
L’idéologie dominante est une idéologie universaliste qui exècre toute forme d’enracinement. Ce qu’elle aime, c’est la mobilité, la flexibilité, le déracinement, le nomadisme, bref le programme de Jacques Attali : « L’acceptation du neuf comme une bonne nouvelle, de la précarité comme une valeur, de l’instabilité comme une urgence et du métissage comme une richesse »» (Le Monde, 7 mars 1996). Dans cette optique, l’accusation de « racisme » n’est rien d’autre que le procédé commode qu’elle a trouvé pour délégitimer les particularités concrètes, obstacles à faire disparaître pour mettre en œuvre la fusion rédemptrice, le salut par l’hybridité.
« L’antiracisme » ne vise plus ceux qui défendent le racisme, mais ceux qu’on accuse de le professer en leur for intérieur même lorsqu’ils disent explicitement le contraire. Le « racisme » lui-même ne désigne plus tant la croyance en l’inégalité des races, qui a de nos jours (fort heureusement) presque disparu, ni même l’hostilité de principe envers une catégorie d’hommes, mais toute forme d’attachement à un mode de vie spécifique, à un paysage natal, à une identité particulière. Tout cela relèverait d’un mauvais penchant révélant une nature corrompue. Comme l’écrit Chantal Delsol dans son dernier livre, « quand des gens simples annoncent qu’ils préféreraient conserver leurs traditions plutôt que de se voir imposer celles d’une culture étrangère »», on en déduit « qu’ils sont égoïstes et xénophobes ». « Est-ce raciste, demandait récemment Jean Raspail, que de vouloir conserver ses traditions et sa manière de vivre, et ne pas les laisser dénaturer ? »
Pour Lionel Jospin, la « menace fasciste » incarnée naguère par Jean-Marie Le Pen n’était finalement, à l’en croire, que du « théâtre ». Le « racisme » qu’on dénonce aujourd’hui ne serait-il pas aussi une comédie ?
C’est surtout une imposture. Heidegger a maintes fois expliqué que se définir comme « anti »-quelque chose (antiraciste, anticommuniste, antifasciste) revient paradoxalement à ériger en norme, c’est-à-dire en critère de validité, ce à quoi l’on prétend s’opposer, ce qui amène finalement à penser comme lui. L’antiracisme contemporain n’échappe pas à la règle. Le culte actuel du « métissage » n’est en effet que le renversement du culte nazi de la « pureté ». Le « métis » est le modèle idéal comme l’était « l’Aryen » sous le IIIe Reich. Vanter la race blanche au nom de sa prétendue « supériorité » ou la fustiger comme faisant obstacle au « métissage » relève d’une même obsession de la race, d’une même surestimation de l’importance du facteur ethnique dans l’évolution des sociétés humaines. Xénophobie systématique et xénophilie systématique, c’est tout un. L’injonction au mélange a seulement succédé à l’appel à la pureté. Pour paraphraser ce que Joseph de Maistre disait de la Révolution, on pourrait dire que le contraire du « racisme », c’est un racisme en sens contraire.
L’exaltation de l’Autre jusqu’à la négation de soi ayant succédé à l’exaltation de soi jusqu’à la négation de l’Autre, celui qui pense que le refus de soi n’est pas la meilleure façon de s’ouvrir aux autres peut ainsi être assimilé aux hallucinés de la « guerre raciale ». « Qu’untel se plaigne d’une trop forte proportion de Juifs, Noirs, Arabes ou Asiatiques, c’est du racisme ; mais que le même critique une trop forte proportion de Blancs – ainsi que l’a récemment fait Libération à propos des cabinets ministériels –, cela devient de l’antiracisme. Si un entrepreneur utilise l’origine des candidats comme critère de sélection au détriment des personnes d’origine étrangère, c’est une discrimination inacceptable ; mais s’il décide de faire jouer ce critère au détriment des “Français de souche”, c’est une louable action de lutte contre les discriminations », écrivait voici peu Stéphane Perrier dans la revue Le Débat.
Viennent ensuite les inévitables contradictions. Comment nier l’existence des races tout en prônant le métissage ? Pour que le second survienne, il faut bien que les premières existent !
Ceux qui veulent instaurer la parité partout sauf dans le mariage n’ont, en effet, pas encore compris que le « mariage forcé » (Pierre-André Taguieff) de la diversité et du métissage les condamne l’un et l’autre au divorce. La même schizophrénie se retrouve quand on veut l’égale représentation de groupes ethniques dont on nie par ailleurs l’existence, quand on se réclame à la fois de l’idéal normatif du pluralisme et de celui du « mélangisme », ou quand on déclare prendre acte du caractère « multi-ethnique » des sociétés contemporaines tout en réagissant toujours plus durement à toute manifestation d’altérité.
Autrefois, on admirait la diversité des cultures mais on trouvait assez normal que les gens se ressemblent à l’intérieur de chacune d’elles. Aujourd’hui, c’est l’inverse : il faut à la fois toujours plus de « diversité » dans chaque pays et toujours plus de conformité à l’échelle planétaire. Toutes les différences sont admises à l’intérieur, mais à l’extérieur tous les États doivent communier dans l’idéologie des droits de l’homme et le culte de la marchandise. On espère ainsi faire naître un monde homogène de l’addition de sociétés toujours plus hétérogènes, unifier la planète et programmer l’hybridation généralisée. C’est la quadrature du cercle.
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