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vendredi 10 avril 2015

Regard sur le terrorisme ordinaire



Regard sur le terrorisme ordinaire
 Yves-Marie Laulan
 
L’attentat à la kalachnikov qui a entraîné la mort de 21 touristes étrangers le 18 mars dernier au musée du Bardo en Tunisie nous ramène à une triste réalité de notre temps. A cela fait écho l’attentat du 2 avril au Yémen où l’explosion d’une laiterie par des terroristes Houthis (d’obédience chiite) a provoqué la mort de plusieurs dizaines de personnes. Puis, tout récemment, ce sont 147 morts au Kénya dans un campus universitaire massacrés par les islamistes somaliens d’Al-Chebab.

Que ce soit sous le nom d’Al Qu’Aïda, de Daech ou d’un califat fantôme en voie de réanimation, le terrorisme est sans trêve à la manœuvre. Il fait désormais partie de notre quotidien. Il s’est terriblement banalisé. Il n’est guère de mois, de semaine, de jours même que l’on apprenne un attentat quelque part dans le monde ayant entraîné la mort d’un certain nombre de personnes innocentes, des civils dans la plupart des cas.
Certes,le terrorisme est né avec l’homme. Il a toujours existé à l’état latent. Mais il a revêtu des formes très diverses au fil du temps. Il frappait naguère le plus souvent des personnes porteuses de symboles de puissance ou de majesté. Il s’attaque de nos jours à des foules anonymes qui ont simplement eu la mauvaise fortune d’être au mauvais moment au mauvais endroit.

Tous les grand conquérants ont eu à divers moments la tentation de recourir à la terreur pour soumettre leurs adversaires, depuis les Mongols jusqu’à Guillaume le Conquérant (pour « pacifier » le Northumberland obstinément rebelle). Mais c’est la secte des « Assassins » qui porté ce genre de méthode de contrôle des populations d’un genre un peu particulier à un niveau de perfection rarement égalé dans l’histoire.

Rappelons que la secte des « Assassins » , dont la terreur était l’arme principale, a été fondée au Moyen Orient, ce n’est pas un hasard,par Hassan, un ismaélite d’obédience chiite. Enfermé dans sa forteresse d’Alamout, ce dernier, puis ses disciples, ont fait régner la terreur pendant pas moins de 150 ans dans tout le Moyen Orient parmi les dignitaires. Ces derniers vivaient dans la crainte permanente de perdre leur vie aux mains des « fédaviès », les exécuteurs proprement dits prêts à tuer et à mourir. C’était un moyen de domination politique fort efficace. Jusqu’au jour où les Mongols, excédés, ont mis un terme à leurs activités en leur donnant systématiquement la chasse afin de les exterminer jusqu’aux derniers. Mais l’on reconnait déjà les caractéristiques des attentats suicides si fréquents de notre temps.

Ces actes fous sont, certes, commis par des fanatiques ou des illuminés, au nom de leurs principes, ou au nom de Dieu. Mais quelles qu’en soient leurs motivations, les moyens sont toujours les mêmes, semer la terreur et intimider l’adversaire de façon à le détourner de son but ou de l’amener à déguerpir ou tout simplement de le faire disparaître.

Le terrorisme est, par excellence, l’arme des faibles, ceux qui, individus ou groupes, n’estiment n’avoir pas d’autres moyens pour se faire entendre. C’est souvent l’arme du faible au fort, le premier ne reculant devant rien pour faire reculer le second. Son arme principale est l’effet de surprise. Mais ce n’est pas toujours le cas.

Rappelons précisément la « Terreur » pendant la Révolution française qui était bien, n’en déplaise à nos amis socialistes qui se sont complu à la célébrer sous François Mitterrand, un épisode de terrorisme d’Etat symbolisé par la guillotine. Il a été méthodiquement appliqué par ceux qui disposaient de la force armée pour combattre leurs adversaires en situation d’infériorité. Cela été aussi le cas lors de la création d’Israël, comme on l’a vu, bien qu’il soit malséant de rappeler aujourd’hui cet épisode peu glorieux qui a marqué la naissance de l’Etat hébreux.

Comme on vient de le voir, le terrorisme peut donc être un moyen de poursuivre une certaine politique (pour paraphraser Clausewitz qui appliquait ce principe à la guerre). De nos jours, le terrorisme s’est multiplié et modernisé.Il était sélectif. Il est devenu universel. Il était ciblé. Il est devenu aveugle. Il frappe de tous temps, en tous lieux, le plus souvent par surprise, sous les prétextes les plus divers, des plus raffinés au plus stupides. Pourquoi se développe-t-il ainsi?

René Girard nous explique que le désir mimétique, la volonté d’imiter et de rivaliser est le fondement de la violence chez l’homme. Incontestablement, le terrorisme actuel comporte un effet d’imitation très accentué. C’est devenu une véritable mode morbide et mortifère. Sinon comment expliquer les motivations de ces hommes et ces femmes qui, les uns après les autres, entourent leur ceinture d’explosifs pour aller se faire sauter au milieu d’une foule, pour entraîner le plus grand nombre possible de personnes dans la mort ?
Pour simplifier grossièrement, en dehors de l’Afghanistan et du Pakistan, le terrorisme intéresse principalement 4 zones, à savoir l’Europe, les Etats-Unis, l’Afrique et le Moyen Orient. Le terrorisme revêt certes des formes variées selon le lieu, avec, cependant, une constante : c’est toujours l’Islam qui est à la manœuvre, jamais le christianisme, le bouddhisme, le taoïsme ou le confucianisme. Il faut y voir sans doute un hasard de l’histoire religieuse de l’humanité. Quoi qu’il en soit, il semblerait bien qu’aujourd’hui comme autrefois, l’Islam génère la violence et l’intolérance, comme la poule pond des œufs ou le pommier produit des pommes.

En Afrique, l’Islam inspire vaguement le terrorisme local qui y trouve une justification commode.Il relève, en fait, largement du banditisme féroce hérité des guerres civiles et tribales qui ont marqué la post colonisation et le départ des Européens.

Pour l’Europe et les Etats-Unis, le terrorisme, toujours animé par l’Islam, vise moins à déstabiliser des sociétés bien trop enracinées pour se laisser ébranler par quelques tueries occasionnelles vite cantonnées puis sanctionnées, qu’à « punir » les infidèles, les Occidentaux débauchés bien entendu, et notamment , les communautés juives. Celles-ci ont l’immense tort d’être fort bien intégrées. Elles servent opportunément de « boucs émissaires » à des fanatiques qui, précisément, sont incapables de s’intégrer, les malheurs des Palestiniens aux mains d’Israël ne servant que de justificatif commode. C’est l’esprit de vengeance qui domine ici, l’Islam punitif, une variété fort répandue.

Reste le Moyen Orient devenu le « terrain de jeu » par excellence du terrorisme qui y trouve toutes les raisons du monde, conflits entre Etats, entre tribus, entre clans, entre religions, de s’adonner librement à son sport favori. Il consiste à tuer des gens à coup de bombes, de kalachnikovs ou de mines, au nom d’Allah. Tous les moyens sont bons.

Un facteur dominant néanmoins est la rivalité millénaire entre l’Islam chiite, celui de l’Iran, et l’Islam sunnite, représenté par l’Arabie saoudite et une kyrielle de petits Etats secondaires ou satellites. On sait que les musulmans chiites sont fortement minoritaires, 15 % pas plus de la population de la région, contre 85 % pour les Sunnites. Le terrorisme au quotidien, faute de guerres conventionnelles trop lourdes et trop coûteuse, est devenu le moyen normal d’entretenir des relations ordinaires avec le voisin et de régler commodément les différends de frontières qui peuvent surgir.

Les deux acteurs principaux de la région, les deux « poids lourds », sont donc l’Iran et l’Arabie saoudite, l’Egypte ne jouant plus aujourd‘hui qu’un rôle plus effacé. Ce sont eux qui mènent et le jeu directement ou par groupes ou mouvements interposés.

Dans ce cadre régional, le terrain de jeu favori du terrorisme est occupé, au centre, par trois pays structurellement instables et turbulents, le Yémen, l’Irak, la Syrie ( le Liban auparavant), avec, aux extrémités du périmètre ainsi défini, la Somalie des Chébbabs et l’Afghanistan des Talibans. L’objectif de ces mouvements terroristes est de tenter, à coup d’attentats et de massacres, de déstabiliser encore davantage des structures étatiques encore faibles et flageolantes. C’est ainsi que le Moyen Orient, 70 ans après la dernière guerre mondiale, est maintenu dans un état quasi permanent de turbulences et d’instabilité sans trêve ni repos, une espèce de chaudron infernal où peuvent mijoter à loisir tous les conflits possibles et imaginables entre ethnies, races, religions, clans, tribus et Etats.

En conséquence, faute d’Etats solides, stables et structurés capables de mettre en œuvre une bonne gouvernance, le Moyen Orient n’a pas été en mesure depuis 1945 d’instaurer un ordre étatique stable. Dans ce contexte, la religion est devenue un véritable poison culturel qui mobilise toutes les énergies des élites et les détourne de leur véritable tâche. Elle serait bien évidemment de mettre en œuvre des politiques de développement durable au profit des populations qui stagnent dans une pauvreté abjecte. Ici, l’Islam apparaît, une fois de plus, comme un obstacle culturel quasi insurmontable au progrès et à la modernité .

De ce fait, le Moyen Orient accumule au fil des années un déficit culturel qui paraît de plus en plus difficile à combler en termes d’éducation, d’apprentissage des libertés, et d’amélioration de la condition féminine. A cet égard, dans ces régions, la femme apparaît encore comme un être de statut inférieur, destiné à être mis étroitement sous tutelle dans le cadre de la famille ou de la société musulmane. La femme, et sa place dans la société, sont, en effet, considérées comme le facteur déstabilisant majeur susceptible de porter atteinte à l’équilibre des sociétés musulmanes traditionnelles. C’est notamment le cas en Afghanistan, au Pakistan et même en Egypte. Émanciper les femmes, c’est ouvrir la porte au désordre social, au dépérissement des liens familiaux voire d’attenter à l’Islam.
A vrai dire, l’Europe ou le Moyen Orient n’ont pas l’exclusivité du terrorisme. Il est planétaire. Les pays où les touristes occidentaux peuvent se promener en toute sécurité couvrent un espace qui se rétréci d’année en année. Peu de sociétés, peu de nations échappent à ce fléau . Il frappe aussi bien la Chine avec les Ouigours que la Russie avec les Tchétchènes et maintenant l’Afrique avec Boko Haram ou la Somalie avec les Al-Chebabs.

Le terrorisme n’a souvent pas de visage. Ou plutôt, il en a plusieurs. Il en a parfois trop. Car beaucoup de ces mouvements extrémistes qui naissent et disparaissent sans cesse relèvent purement et simplement d’une démarche proche d’une anarchie meurtrière, sans objectifs politiques bien définis si ce n’est le désir morbide de tuer. C’est ce qui rend particulièrement ardue la lutte contre le terrorisme. Il n’a pas non plus toujours de territoire bien défini. C’est bien d’ailleurs l’obstacle auquel les Américains se sont heurtés, en vain, en Afghanistan où le combat opposait une armée régulière à des guérilleros.

Ceci étant, il faut bien reconnaître que le terrorisme moderne présente bien des avantages pour les groupes qui veulent y recourir. Il est commode, bon marché et quasiment à la portée de tous, car remarquablement économe en termes de moyens. Quelques fusils d’assaut démodés,quelques kilos d’explosifs ramassés achetés pour une poignée de dollars dans n’importe quel bazar oriental (ou place Clichy) feront parfaitement l’affaire du terrorisme ordinaire. Reste à trouver les hommes. Ils ne manquent pas. Ils sont aisés à trouver parmi les centaines de milliers, voire les millions de Jeunes désœuvrés, sans emplois, sans formation ni éducation, sans perspectives qui errent dans les rues de tant de cités au Moyen Orient ou même dans les rues de nos cités frappées par le chômage.

En effet, on le rencontre aussi bien chez nous, dans nos quartiers pourtant dotés de toutes les commodités d’un pays moderne. Ici, la recette est différente. Il suffirait, semble-t-il, de motiver les candidats au terrorisme par l’apprentissage de quelques versets sommaires soi-disant tirés du Coran, dans la mosquée du coin , en prison ou sur les réseaux sociaux et l’affaire est faite. On a fabriqué quelques soldats d’Allah supplémentaires prêts à verser le sang de l’infidèle, celui qui habite juste à côté .

A l’inverse, la lutte contre le terrorisme est extraordinairement onéreuse. La guerre en Afghanistan contre les Talibans, guerre au trois quarts déjà perdue, a coûté pendant près de 10 ans, aux USA des sommes fantastiques et, fâcheusement, d’une efficacité douteuse: plusieurs trillons, plusieurs dizaines de milliards de dollars. Aux terroristes, l’opération n’a pratiquement rien coûté : le coût de quelques heures d’entrainement pour apprendre à piloter des avions gros porteurs: une modeste poignée de dollars. Et pour que résultat magnifique! La destruction des deux tours jumelles du World Trade Center et plus de 2000 morts . Comble de satisfaction, c’est l’ennemi lui-même, l’Amérique, qui a fourni les armes pour mener l’opération à bonne fin: les deux avions de l’American Airlines et de l’United Airlines. On ne peut rêver mieux. Et,en France, combien va coûter au budget de la défense nationale le stationnement de quelques 10 000 soldats dans nos rues pendant 6 mois au moins?

Quoi qu’il en soit, il est manifeste que les volontaires de la mort n’ont guère manqué que ce soit au Pakistan, en Irak ou en Libye ou récemment au Yémenou au Kénya. Tous les motifs, mêmes les plus futiles, les plus invraisemblables, les plus incompréhensibles sont bons pour faire périr son voisin. Le terrorisme frappe ainsi sans discrimination les Chrétiens que des Musulmans ne supportent pas (en Egypte, au Pakistan et un peu partout au Moyen Orient), les Chrétiens contre les Musulmans (au Mali), les Musulmans entre eux, Sunnites contre Chiites, bref, tous individus, toutes collectivités qui ne sont pas en concordance parfaite avec la communauté dominante à laquelle appartiennent les terroristes .

Le terrorisme n’existe pratiquement plus en terres chrétiennes, après, reconnaissons-le , des siècles de sauvageries en tous genres. N’oublions pas la Saint Barthélémy et les guerres de religion qui ont ensanglanté le sol de l’Europe tout au long du 16° siècle. Là, il s’agissait, il est vrai de faire peur certes, mais aussi purement et simplement d’éliminer les fidèles de l’autre religion, celle d’en face.

Mais aujourd’hui le terrorisme à caractère religieux est presque exclusivement le privilège des Musulmans, ou plus précisément de cette frange extrémiste désignée sous le vocable d’Islam radical. On tue au nom d’Allah plutôt qu’au nom de Dieu. Piètre satisfaction pour les victimes il est vrai. Il a frappé en France en ce début d’année, aussi en Angleterre en à Madrid précédemment.

Mais nos pays ont été épargnés, pour l’instant, de ces machines à tuer en masse que sont les voitures piégées. Là, les morts se comptent par centaines et les blessés par milliers. En revanche, on sait qu’il en a été fait grand usage ailleurs, en Irak, en Syrie et maintenant au Yémen. Ce sont des procédés d’autant plus terrifiants que la parade est extrêmement difficile à mettre en œuvre, surtout dans des pays où les ressources budgétaires sont limitées, les services de renseignements rudimentaires et l’appareil policier inadéquat.

Mais, pour l’instant tout au moins, sa terre de prédilection demeure le Moyen Orient, cette zone de turbulences perpétuelles que rien ne semble devoir apaiser. Là, le terrorisme contemporain ne recule devant aucune atrocité, décapitations en série ou à « l’ancienne » ou même le bûcher comme pour ce malheureux pilote jordanien brûlé vif dans une cage de fer. C’est qu’il s’agit de « faire atroce » pour alimenter les images d’épouvante qui iront alimenter les écrans de télévision de par le monde. La télévision est devenue un instrument de choix pour le terrorisme à grand spectacle. Sa cible est évidement les téléspectateurs de nos pays qui ne rechignent pas excessivement à se faire peur devant l’écran, pour autant que le coup ne passe pas trop près.
Voilà donc les fruits amers de ce « printemps » de l’islamisme radical dont nul ne concevait qu’il puisse naître si promptement des cendres du « Printemps arabe » célébré avec bonheur voici peu par les médias extasiés du monde entier. Il est vrai qu’en termes de naïveté la presse occidentale n’a pas son pareil au monde, toujours prête à prendre ses désirs pour des réalités. Comme si les pays étrangers dans le Tiers Monde en quête de changement devaient obligatoirement s’aligner sur le modèle occidental et emprunter les mêmes cheminements que lui. Cette illusion a nourri toutes les interventions françaises et américaines en Libye, en Irak, en Afghanistan, bref un peu partout où nous avons cru bon de mettre les pieds. Aujourd’hui la Libye attaquée par Nicolas Sarkozy, inspiré par un soit- disant philosophe , - est en plein chaos. Al Qu’Aïda s’y taille une place de choix par la terreur. A quand le tour de la Syrie ?

Dès lors que faire ?

Une politique étrangère ne se bâtit pas à coups de bons sentiments ni de morale bourgeoise . Un doigt de cynisme teinté d’un soupçon de réalisme ne messied pas. Nous avons voulu combattre le terrorisme en dehors de nos frontières ? Nous l’avons importé chez nous.

Pour être réaliste il faut prendre conscience, comme les présidents occidentaux, américains ou français auraient intérêt à le faire, de la triste leçon des 30 dernières années. C’est que le meilleur rempart contre le fanatisme religieux et le terrorisme qui lui est étroitement associé sont ces tyrans laïques ou non, disparus ou toujours en place : Saddam Hussein en Irak, Kadhafi en Libye, Bachar el-Assad en Syrie . Inspirés par une bonne conscience bourgeoise inepte nourrie de nos chères valeurs et un aveuglement naïf, nous avons cru indispensable de les faire disparaître ou d’envisager de le faire. Pour mieux voir fleurir les pires atrocités sur leurs ruines. Beau travail …

Après tout, Mustapha Kemal, qui n’était pas un tendre, lorsqu’il a voulu faire de la Turquie un pays moderne, n’a rien trouvé de mieux que d’imposer la laïcité de gré ou de force, en employant la manière forte à l’occasion, si nécessaire pour éliminer ou plus précisément, cantonner un Islam à l’époque omniprésent. Et cela a marché. A l’inverse, avec Erdogan, le Premier Ministre turc actuel, l’Islamisme militant, et donc intolérant, est en passe de reconquérir le terrain perdu.

Sur le plan intérieur, la tâche n’est guère facilitée par la présence, bâtie par nous -mêmes, de communautés plus ou moins soumises à l’influence de l’Islam, et donc susceptibles à tout instant de dériver marginalement, pour des raisons circonstancielles, vers un radicalisme dangereux. Mais il est vrai que nos sociétés ne sont pas sans défense ni dépourvues de moyens techniques efficaces susceptibles d’être mis en œuvre pour contenir la menace.

Reste qu’un équilibre toujours délicat est à observer entre sécurité et liberté. Dans des cas extrêmes, il est assuré que l’opinion sera prompte à renoncer à certaines libertés en faveur de la sécurité, tant il est vrai qu’aucune société moderne ne peut vivre en permanence dans la crainte quotidienne d’un attentat. Les Pieds Noirs en Algérie pendant la guerre et les Israéliens de nos jours ont connu et connaissent encore ce genre de situation intolérable et difficile à vivre. Il est aisé de prêcher à autrui la morale et la modération à distance dans l’espace et dans le temps.

L'exemple de la Russie


Sur le plan externe, l’intervention en Afghanistan est l’exemple de ce qu’il ne faut pas faire. Après les Russes, les Américains s’y sont cassés les dents et les Talibans sont déjà de retour. L’exemple à suivre vient peut-être, pour une fois, de la Russie soumise au terrorisme tchétchène. La solution a consisté à mettre en place un gouvernement tchétchène musulman, parfaitement étranger à toutes nos normes habituelles de la démocratie. Il est odieux, bigot, arriéré et féroce. La condition féminine y est détestable. Mais le gouvernement de Ranzan A . Kadyran maintient, d’une poigne de fer, l’ordre interne et la paix avec la Russie. Il n’y a plus d’attentats terroristes. Le pouvoir russe ne lui en demande pas plus.

Faisons-en autant. Cessons de vouloir à tout prix implanter la démocratie et les libertés publiques et privées dans des sociétés où elles ne peuvent manifestement pas germer . Il faut pratiquer le droit de non-ingérence, l’anti- Bernard Kouchner en quelque sorte. Nous ne nous en porterons que mieux.

A cet égard, quelle bourde historique magistrale le fameux Laurence d’Arabie a commise dans les années 20 pour aller fédérer les tribus de la péninsule arabique pour les libérer de la tutelle turque ! Cet agité –le Bernard Henri Levy de l’époque- aurait bien mieux fait de les laisser tranquilles et se débrouiller toutes seules. Nous aurions aujourd’hui un Moyen Orient beaucoup plus serein et paisible.

Car, après tout, quel décret divin, quel ordonnance venue du ciel ont fait de nous les justiciers et les réformateurs de tous les pays du monde ? Devons-nous modifier, formater le monde entier à l’image de nos principes, de notre droit, de nos valeurs, de nos habitudes et de nos coutumes? C’est ici que l’arrogance naïf de l’Occident montre son vrai visage, celui de l’innocence.

Il faut s’y résigner : le monde à l’image de l’Occident, dans ses vertus et ses faiblesses, n’est pas pour demain, n’en déplaise à Francis Fukuyama, dont le livre , « La fin de l’histoire », constitue la plus fabuleuse pitrerie intellectuelle des temps modernes. Il n’est pas étonnant qu’il ait connu un tel succès de libraire. L’esprit de l’homme éclairé est toujours friand de balivernes.
 
Notes:

Yves-Marie Laulan est économiste, démographe et géopoliticien. Il a enseigné dans plusieurs universités, à l'ENA, à l'Institut d'études politiques de Paris, à l'université Paris-Dauphine et Paris 2 ou encore comme conférencier à l'École supérieure de guerre ou à l'École polytechnique.  

Source:

Metamag