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dimanche 5 avril 2015

Départementales 2015 : «une dénationalisation de la présence du PS est à l'oeuvre»


 
Départementales 2015 : «une dénationalisation de la présence du PS est à l'oeuvre»
 Propos de Fabien Escalona recueillis par Alexandre Devecchio
 
 
Avec sa défaite aux élections départementales, le PS vient de perdre de nombreux territoires. Fabien Escalona décrypte les facteurs qui aliment la crise traversée par la gauche.

Après les municipales, les européennes et les sénatoriales, le PS connaît un nouveau cinglant revers électoral, ne conservant que 34 départements. Des bastions historiques comme le Nord, les Bouches-du-Rhône ou les Côtes-d'Armor ont été perdus. Comment qualifier ce résultat ?

Sur la base des européennes, des résultats encore plus médiocres étaient certes envisageable, mais il ne faut pas se raconter d'histoires: il s'agit d'une défaite très lourde. Pour la gauche, ce sont 17 ans de conquêtes au niveau départemental qui sont effacées en un seul scrutin.

Avec ces pertes d'exécutifs départementaux, il faut aussi prendre en compte les pertes en sièges, qui pourraient s'élever à la moitié des élus de gauche. Comme vous le soulignez, celles-ci interviennent deux ans après un premier recul important d'élus et de collaborateurs d'élus à l'échelon municipal. Il s'agit d'un deuxième choc sur l'appareil socialiste, dont certaines fédérations voient s'échapper le contrôle de départements acquis depuis au moins 1998. Avec le troisième choc des régionales à venir en fin d'année, c'est toute une implantation territoriale et un ensemble de ressources (politiques, financières, relais sociétaux) qui sont singulièrement entamés.

Le PS se concentre désormais essentiellement dans ses terres historiques du Sud-Ouest. Est-il toujours un parti national ?

C'est un autre aspect important de la défaite en cours, qui nous ramène au début des années 1990, où déjà cette rétractation s'était observée. Au fond, comme cela était déjà visible aux municipales et aux européennes, la gauche résiste en effet dans ses terres du Sud-Ouest, mais aussi dans les villes-centres de certaines métropoles. Ainsi, les seuls élus socialistes dans le Bas-Rhin proviennent des cantons de Strasbourg, tandis que le PS fait un grand chelem à Nantes, de même que la gauche au sens large à Montpellier et Grenoble.

Au-delà de la situation géographique des départements contrôlés par la gauche, il est frappant de constater que celle-ci sera absente ou quasi-absente de plusieurs assemblées. Il n'y aura aucun élu de gauche dans le Var et la Haute-Savoie, et un seul canton a été sauvé dans plusieurs cas: le Haut-Rhin, l'Aube, l'Eure-et-Loire (par des divers gauche), la Haute-Marne, la Vendée (par le PS)…

Il y a donc une dénationalisation de la présence du PS qui est clairement à l'œuvre, à l'intérieur d'un paysage politique assez fragmenté selon les territoires. Si ce processus doit être souligné, il concerne un parti qui reste cependant «national» dans ses objectifs politiques et son offre électorale, et qui contrôle tout de même la Présidence de la République et l'Assemblée nationale.

Peu après 20 h dimanche, les frondeurs ont réclamé à François Hollande et Manuel Valls un changement de cap. La gauche apparaît plus dispersée que jamais. Constitue-t-elle toujours une famille politique cohérente ?

Au niveau des partis, la gauche n'est pas une famille politique homogène. A côté du PS héritier de la famille sociale-démocrate au sens large du terme, vous avez EE-LV issue d'une famille écologiste née dans les années 70/80 en Europe de l'Ouest, et un Front de Gauche qui témoigne de l'émergence d'une famille de gauche radicale, là encore à échelle européenne, sur les décombres de la famille communiste. Les rapports différenciés au productivisme, à la mondialisation capitaliste et à l'intégration européenne, constituent des lignes de démarcation profondes. Contrairement à ce que dit Bruno Leroux, il ne s'agit pas de «divisions factices». Croire que la défaite serait évitable en mettant toute la gauche au pas serait une grave erreur.

Ces lignes de démarcation sont en tout cas aiguisées par la pratique gouvernementale de l'exécutif socialiste, qui heurte aussi une fraction de son propre parti. Les frondeurs constatent en effet l'échec du «socialisme de l'offre» et se scandalisent d'atteintes à ce qu'on pourrait appeler des «interdits culturels», comme l'assouplissement du travail le dimanche et la nuit. Ils ne disposent pas pour autant d'une offre idéologique capable d'unifier la gauche en répondant à ses impensés. Je ne suis pas sûr, par exemple, que se proclamer les meilleurs défenseurs du programme original de François Hollande soit la meilleure option possible: celui-ci était fondé sur des hypothèses de croissance hasardeuses et n'était guère disert sur les moyens à employer pour «réorienter» l'Union européenne.

Parce que le PS reste dominant à gauche et que la débâcle est contenue, l'exécutif ne lâchera sans doute pas grand-chose aux frondeurs, d'autant qu'il obéit justement à une contrainte supranationale, supra-électorale, qui est celle de ses engagements au sein de la zone euro. Depuis l'absence inaugurale de confrontation à ce niveau, il y a ainsi une conformation croissante de la politique française à la structure profonde d'une union monétaire dominée par les conceptions allemandes, qui conduisent à s'attaquer à la fois aux dépenses publiques et au coût du travail. La critique de ce résultat peut unir temporairement la gauche frondeuse ou non gouvernementale, mais celle-ci reste divisée sur le diagnostic (à quel point désobéir à l'UE) et les perspectives (relance, «objection de croissance»…).

Comment expliquez-vous l'échec de la gauche de la gauche alors que celle-ci triomphe dans une partie de l'Europe du Sud ?

Comme je l'ai déjà développé à l'occasion de la partielle du Doubs, il y a des facteurs externes à cette gauche non gouvernementale, qui jouent contre elle: la magnitude de la crise qui reste inférieure à celle observée à la périphérie Sud de l'Europe; l'absence de mouvement social autonome des partis; un type de scrutin et de mode de scrutin défavorables… Et puis il y a des facteurs internes évidents: sa fragmentation (son offre électorale n'était pas uniforme sur le territoire); la dissociation entre d'un côté le parti qui dispose de la force militante et de l'implantation les plus importantes (le PCF), et de l'autre les formations plus petites (PG, Ensemble) qui produisent les innovations doctrinales et les leaders les plus visibles; une difficulté à imposer des enjeux de campagne alternatifs à ceux des droites.

Le FN est désormais devant le PS au Premier tour de chaque élection. Peut-il remplacer la gauche ?

Il n'y a pas de lien entre les deux, l'UMP et l'UDI aussi sont devant le PS! Je veux bien que la définition de la «gauche» soit problématique et puisse nourrir des milliers d'heures et de pages de discussions, mais il ne faut pas exagérer. Avec son projet anti-universaliste et unitariste, le FN est aux antipodes des valeurs de gauche, y compris sur le terrain social. D'ailleurs, son hétérodoxie économique, si elle fait partie de sa palette de parti oppositionnel, reste relative: le FN s'accommoderait bien d'un capitalisme industriel «à la papa», moyennant une monnaie nationale et davantage de protectionnisme. Quant à son socle sociologique, il intègre une grande partie des milieux populaires en comparaison des autres partis, mais pas tous ces milieux, qui de toute façon ne sont pas de gauche «par nature»!

Pour reprendre les termes de votre question, je dirais que le FN est devant le PS, ce qui traduit son rôle dans le déplacement à droite du centre de gravité politique du pays. Un déplacement vers une droite radicale et ou/radicalisée. C'est du moins ce dont témoignent les élections intermédiaires depuis l'élection de François Hollande.
 
Notes:

Fabien Escalona est enseignant à Sciences Po Grenoble et collaborateur scientifique au Cevipol (ULB).   

Source:

Le Figaro