Geoffroy Clavel
Pour prolonger le formidable élan de la
marche républicaine du 11 janvier, François Hollande avait confié aux
présidents des deux assemblées la mission de réfléchir à "l'engagement
citoyen" et le sentiment "d'appartenance républicaine". Le président de
l'Assemblée nationale, Claude Bartolone, a dévoilé ce mercredi 15 avril
devant la presse ses 61 préconisations pour, dit-il, "redonner de la
chair au pacte républicain".
L'une d'entre elles met les pieds dans le plat d'un vieux débat institutionnel qui revient avec insistance depuis le début des 2000: l'instauration du vote obligatoire comme principal remède à l'abstention galopante qui mine la quasi-totalité des élections françaises.
S'il reconnaît qu'il n'existe "aucune solution miracle à la crise politique et sociale" qui secoue le pays depuis 30 ans, Claude Bartolone rappelle que les députés socialistes avaient déposé dès 2003 une proposition de loi pour le vote obligatoire. "Je soutiendrai comme il y a 12 ans cette proposition: la citoyenneté, c’est un droit mais c’est aussi un devoir". Et de marteler: "personne ne doit être exclu de la table de la République".
L'argument massue contre l'abstention
L'élu de Seine-Saint-Denis sait de quoi il parle. Son département, l'un des plus pauvres de France, est aussi celui où l'on se déplace le moins pour aller voter (65,85% d'abstention au second tour des départementales) "Je suis fermement convaincu que l’expression de l’appartenance républicaine, c’est en premier le vote. Nous ne pouvons plus fragiliser nos élus et nos décisions par une participation intermittente", assure-t-il.
Un pronostique partagé par Gilles Finchelstein, le patron de la fondation Jean-Jaurès (proche du PS), qui a participé aux discussions ayant précédé la rédaction du rapport Bartolone. Après avoir longtemps été opposé au principe du vote obligatoire, ce dernier estime désormais que toutes les conditions politiques sont désormais réunies pour avancer sur cette question. "Spectaculaire progression de l'abstention, reconnaissance récente du vote blanc, volonté de réaffirmation des valeurs républicaines; pris ensemble, ces trois éléments ont indéniablement créé un contexte nouveau", plaide-t-il dans une note publiée notamment sur Le HuffPost.
Une enquête conduite par l'institut Harris Interactive confirme la maturation de cette proposition dans l'opinion publique. 56% des personnes interrogées se déclarent favorable au vote obligatoire, consensus qui transcende les clivages partisans habituels. Le rapport rappelle que la Belgique a instauré le vote contraint dès 1893, l'Australie en 1924 pour les seules élections nationales.
Traiter le symptôme et pas les maux
Pour autant, le vote obligatoire est loin de faire l'unanimité chez les intellectuels comme dans la classe politique. "Je ne suis pas favorable au vote blanc. Car la première de ses ambiguïtés est de faire peser la charge de l'abstention sur les seuls électeurs", insiste le politologue Dominique Reynié, président de la Fondation pour l'innovation politique (proche de l'UMP) qui a également participé à la réflexion. Autrement dit, en réduisant de manière autoritaire l'abstention, on combat le symptôme mais pas les maux démocratiques qu'elle sous-tend.
Ces réserves s'expriment aussi au Parlement et au sein même de la majorité socialiste. "Le retrait de la vie démocratique n'est pas une bonne solution pour notre société", plaide le secrétaire d'Etat aux Relations avec le Parlement Jean-Marie Le Guen, plutôt pour le vote obligatoire. "C'est bien, mais ce n'est pas la seule solution aux maux que connaissent ces quartiers [où] vous avez des gens totalement désintéressés par ce qui se passe d'un point de vue politique parce qu'ils pensent que la politique ne s'intéresse pas à eux", prévient le sénateur-maire de Lyon, Gérard Collomb.
Notons au passage que ne seraient obligés à voter que ceux qui sont effectivement inscrits sur les listes électorales. En 2013, près de trois millions de Français ne l'étaient pas, soit près de 7% du corps électoral. Une faille démocratique dont la responsabilité tient au système d'inscription, considéré par la fondation Terra Nova (proche du PS) comme "l'un des systèmes les plus lourds et contraignants du monde".
Au-delà de son efficacité, le débat sur le vote contraint n'échappe pas à un véritable dilemme philosophique. La première des libertés en démocratie n'est-elle pas justement de pouvoir choisir de prendre part ou pas à l'expression du suffrage?
La question clé de la reconnaissance du vote blanc
La position affichée par Claude Bartolone ne clôt donc en rien le "débat passionné" autour de la question. D'autant que le président de l'Assemblée nationale a choisi diplomatiquement d'esquiver les questions qui fâchent. Car si le vote obligatoire devait être mis en place, il resterait à déterminer la nature des sanctions visant les abstentionnistes et surtout les mesures mises en place pour offrir aux citoyens la possibilité d'exprimer leur refus de l'offre électorale.
C'est tout l'enjeu d'une reconnaissance complète du vote blanc. Depuis l'adoption d'une loi centriste en février 2014, le vote blanc (enveloppe vide ou bulletin blanc déposés dans l'urne) est partiellement reconnu par la République. Jadis noyé dans les votes nuls, le vote blanc est désormais comptabilisé à part, ce qui permet de mesurer l'ampleur du rejet de l'offre politique. Aux élections européennes de mai 2014, plus de 540.000 personnes, soit près de 3% des votants, ont ainsi déposé un bulletin vierge dans l'urne. Mais ces voix ne sont toujours pas comptabilisées parmi les votes exprimés. Autrement dit, ils ne servent à rien et ne peuvent remettre en cause la représentativité du scrutin.
Or, nombreux sont les responsables politiques et les universitaires à exiger que le vote blanc soit pris en compte dans le décompte des voix exprimées comme contrepartie au vote contraint. "Une fois le vote rendu obligatoire, il faut mettre sur tout bulletin de vote une case 'vote contre tous': et s'il fait 50% plus 1 voix, on doit revoter le mois suivant", plaide le politologue Thomas Guénolé sur Le Figaro.
A défaut d'offrir la possibilité d'exprimer son rejet vis-à-vis des partis politiques, le risque est fort que le législateur ne fasse qu'encourager un report des abstentionnistes sur un vote contestataire favorable aux extrêmes. Un vote blanc parfaitement reconnu "serait l'expression d'un contre-pouvoir démocratique ainsi qu'un moyen de pression constructif puisqu'obligeant les gouvernants à entendre les citoyens", assure ainsi Magali Delamour, porte-parole des Citoyens du Vote Blanc.
Un argument partagé par une grande partie des Français interrogés par Harris Interactive. Si 54% se prononcent en faveur du vote obligatoire, une majorité encore plus nette (67%) soutient la mesure si elle est assortie d'une reconnaissance totale du vote blanc.
L'une d'entre elles met les pieds dans le plat d'un vieux débat institutionnel qui revient avec insistance depuis le début des 2000: l'instauration du vote obligatoire comme principal remède à l'abstention galopante qui mine la quasi-totalité des élections françaises.
S'il reconnaît qu'il n'existe "aucune solution miracle à la crise politique et sociale" qui secoue le pays depuis 30 ans, Claude Bartolone rappelle que les députés socialistes avaient déposé dès 2003 une proposition de loi pour le vote obligatoire. "Je soutiendrai comme il y a 12 ans cette proposition: la citoyenneté, c’est un droit mais c’est aussi un devoir". Et de marteler: "personne ne doit être exclu de la table de la République".
L'argument massue contre l'abstention
L'élu de Seine-Saint-Denis sait de quoi il parle. Son département, l'un des plus pauvres de France, est aussi celui où l'on se déplace le moins pour aller voter (65,85% d'abstention au second tour des départementales) "Je suis fermement convaincu que l’expression de l’appartenance républicaine, c’est en premier le vote. Nous ne pouvons plus fragiliser nos élus et nos décisions par une participation intermittente", assure-t-il.
Un pronostique partagé par Gilles Finchelstein, le patron de la fondation Jean-Jaurès (proche du PS), qui a participé aux discussions ayant précédé la rédaction du rapport Bartolone. Après avoir longtemps été opposé au principe du vote obligatoire, ce dernier estime désormais que toutes les conditions politiques sont désormais réunies pour avancer sur cette question. "Spectaculaire progression de l'abstention, reconnaissance récente du vote blanc, volonté de réaffirmation des valeurs républicaines; pris ensemble, ces trois éléments ont indéniablement créé un contexte nouveau", plaide-t-il dans une note publiée notamment sur Le HuffPost.
Une enquête conduite par l'institut Harris Interactive confirme la maturation de cette proposition dans l'opinion publique. 56% des personnes interrogées se déclarent favorable au vote obligatoire, consensus qui transcende les clivages partisans habituels. Le rapport rappelle que la Belgique a instauré le vote contraint dès 1893, l'Australie en 1924 pour les seules élections nationales.
Traiter le symptôme et pas les maux
Pour autant, le vote obligatoire est loin de faire l'unanimité chez les intellectuels comme dans la classe politique. "Je ne suis pas favorable au vote blanc. Car la première de ses ambiguïtés est de faire peser la charge de l'abstention sur les seuls électeurs", insiste le politologue Dominique Reynié, président de la Fondation pour l'innovation politique (proche de l'UMP) qui a également participé à la réflexion. Autrement dit, en réduisant de manière autoritaire l'abstention, on combat le symptôme mais pas les maux démocratiques qu'elle sous-tend.
Ces réserves s'expriment aussi au Parlement et au sein même de la majorité socialiste. "Le retrait de la vie démocratique n'est pas une bonne solution pour notre société", plaide le secrétaire d'Etat aux Relations avec le Parlement Jean-Marie Le Guen, plutôt pour le vote obligatoire. "C'est bien, mais ce n'est pas la seule solution aux maux que connaissent ces quartiers [où] vous avez des gens totalement désintéressés par ce qui se passe d'un point de vue politique parce qu'ils pensent que la politique ne s'intéresse pas à eux", prévient le sénateur-maire de Lyon, Gérard Collomb.
Notons au passage que ne seraient obligés à voter que ceux qui sont effectivement inscrits sur les listes électorales. En 2013, près de trois millions de Français ne l'étaient pas, soit près de 7% du corps électoral. Une faille démocratique dont la responsabilité tient au système d'inscription, considéré par la fondation Terra Nova (proche du PS) comme "l'un des systèmes les plus lourds et contraignants du monde".
Au-delà de son efficacité, le débat sur le vote contraint n'échappe pas à un véritable dilemme philosophique. La première des libertés en démocratie n'est-elle pas justement de pouvoir choisir de prendre part ou pas à l'expression du suffrage?
La question clé de la reconnaissance du vote blanc
La position affichée par Claude Bartolone ne clôt donc en rien le "débat passionné" autour de la question. D'autant que le président de l'Assemblée nationale a choisi diplomatiquement d'esquiver les questions qui fâchent. Car si le vote obligatoire devait être mis en place, il resterait à déterminer la nature des sanctions visant les abstentionnistes et surtout les mesures mises en place pour offrir aux citoyens la possibilité d'exprimer leur refus de l'offre électorale.
C'est tout l'enjeu d'une reconnaissance complète du vote blanc. Depuis l'adoption d'une loi centriste en février 2014, le vote blanc (enveloppe vide ou bulletin blanc déposés dans l'urne) est partiellement reconnu par la République. Jadis noyé dans les votes nuls, le vote blanc est désormais comptabilisé à part, ce qui permet de mesurer l'ampleur du rejet de l'offre politique. Aux élections européennes de mai 2014, plus de 540.000 personnes, soit près de 3% des votants, ont ainsi déposé un bulletin vierge dans l'urne. Mais ces voix ne sont toujours pas comptabilisées parmi les votes exprimés. Autrement dit, ils ne servent à rien et ne peuvent remettre en cause la représentativité du scrutin.
Or, nombreux sont les responsables politiques et les universitaires à exiger que le vote blanc soit pris en compte dans le décompte des voix exprimées comme contrepartie au vote contraint. "Une fois le vote rendu obligatoire, il faut mettre sur tout bulletin de vote une case 'vote contre tous': et s'il fait 50% plus 1 voix, on doit revoter le mois suivant", plaide le politologue Thomas Guénolé sur Le Figaro.
A défaut d'offrir la possibilité d'exprimer son rejet vis-à-vis des partis politiques, le risque est fort que le législateur ne fasse qu'encourager un report des abstentionnistes sur un vote contestataire favorable aux extrêmes. Un vote blanc parfaitement reconnu "serait l'expression d'un contre-pouvoir démocratique ainsi qu'un moyen de pression constructif puisqu'obligeant les gouvernants à entendre les citoyens", assure ainsi Magali Delamour, porte-parole des Citoyens du Vote Blanc.
Un argument partagé par une grande partie des Français interrogés par Harris Interactive. Si 54% se prononcent en faveur du vote obligatoire, une majorité encore plus nette (67%) soutient la mesure si elle est assortie d'une reconnaissance totale du vote blanc.
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