Entretien avec Alain de Benoist
On n’a jamais autant parlé de la
confrontation entre Occident et Orient. Le premier monde semble avoir
évacué Dieu de son logiciel. Mais le second, tendant à réduire l’islam à
de simples prescriptions vestimentaires et alimentaires, ne serait-il
pas, lui aussi, en train de chasser Dieu de la religion ?
Pris globalement, les mots « Orient » et « Occident » ne veulent plus rien dire : « l’Orient », c’est aussi bien « les Arabes » que « les Chinois » ! N’oubliez pas non plus qu’il y a un islam européen, et aussi des chrétiens d’Orient. Concernant « l’évacuation de Dieu », tout ce que l’on peut dire, c’est que la déchristianisation de la France se poursuit régulièrement depuis des décennies. En 2003, 62 % des Français se déclaraient encore catholiques (contre 81 % en 1952), mais le nombre des pratiquants « messalisants » (qui vont à la messe toutes les semaines) n’est plus aujourd’hui que de 4,5 % (contre 25 % en 1961), ce qui fait de la France le pays catholique où la pratique dominicale est la plus basse. Le catholicisme conserve un pouvoir de mobilisation important (voir la Manif pour tous), mais 47 % des 18-24 ans se disent « sans religion », tandis que 46 % des pratiquants sont des retraités (contre 25 % dans la population générale). Quant à la moyenne d’âge des prêtres (on n’en compte plus que 13.000, contre 50.000 en 1970), elle a maintenant dépassé 70 ans. De toute évidence, les gros bataillons de la chrétienté sont aujourd’hui dans le tiers monde.
La comparaison avec l’islam est difficile parce que la notion de « pratique » n’a pas le même sens dans les deux religions : la fréquentation d’une mosquée n’est pas un devoir obligatoire du culte, la prière quotidienne pouvant être faite n’importe où. En 2011, l’institut Hudson (New York) avait publié une étude selon laquelle il y aurait en France 2,5 millions de musulmans pratiquants contre 1,9 million de catholiques « messalisants », mais ces conclusions ont été critiquées. On sait en revanche qu’à l’heure actuelle, sur six millions de musulmans présents en France, 4,2 millions déclarent jeûner pendant le ramadan.
Autre point commun, le christianisme de marché avec les évangélistes à l’ouest, et à l’est l’islam à son tour marchandisé ; soit la charia, les centres commerciaux plus la Wi-Fi. Il y a de quoi devenir païen, non ?
Rassurez-vous, les païens ne sont pas prosélytes ! La vérité est que la marchandisation touche tous les milieux parce que l’idéologie dominante est une idéologie utilitariste fondée sur l’axiomatique de l’intérêt. Dans un tel climat, toutes les valeurs tendent à se résorber dans la valeur d’échange et de marché. Plus que de l’athéisme, les religions sont victimes de l’indifférentisme et de ce que Jean-Paul II appelait très justement le matérialisme pratique. La religion d’habitude se borne alors à l’orthopraxie. C’est le phénomène que les sociologues décrivent comme une pratique sans croyance (belonging without believing), auquel répond une croyance sans pratique (believing without belonging).
Mais ce qui frappe le plus, c’est l’idée que nos contemporains se font de la religion. La plupart d’entre eux déclarent y chercher ce qu’ils pourraient aussi bien trouver dans une thérapie comportementale ou dans la pratique du yoga : un confort, une façon d’être « mieux dans sa peau ». L’aspect disciplinaire de la foi leur échappe complètement, ce qui revient à dire qu’ils se composent une religion à la carte, en prenant ce qui leur plaît et en rejetant ce qui leur déplaît (la « morale sexuelle » de l’Église, par exemple). Plus significative encore est leur ignorance de leur propre religion : 13 % seulement de ceux qui se disent catholiques déclarent croire à la résurrection des morts, et seuls 42 % s’affirment sûrs de l’existence de Dieu ! Ne parlons même pas de l’histoire des dogmes, de la patristique ou de la théologie…
À force d’invoquer le choc des civilisations, certains ne seraient-ils pas en train de le faire advenir ? Et avec Caroline Fourest et les Femen, nos sociétés sont-elles bien armées pour y faire face ?
Laissons de côté la dame Fourest et les Femen (« comme on connaît ses seins, on les honore »). Pour parler de « choc des civilisations », il faudrait déjà qu’il y ait encore des civilisations et que celles-ci soient capables d’être des acteurs du jeu politique, ce qui n’est pas démontré. Disons plutôt qu’un trop-plein rencontre aujourd’hui un trop-vide, et que les « fous de Dieu » n’ont pas de mal à s’imposer à ceux qui ne croient plus à rien. Une culture européenne vidée de son énergie, qui ne consent à se souvenir de son passé que pour s’en repentir et de son identité pour s’en « désoriginer », une Europe qui se veut « ouverte à l’ouverture » parce qu’elle croit que l’« universel » est synonyme de vacuité substantielle, n’est plus qu’une pâte molle où tout ce qui demeure de puissance dans le monde peut imprimer son empreinte. Éternelle dialectique de la matière et de la forme…
Pris globalement, les mots « Orient » et « Occident » ne veulent plus rien dire : « l’Orient », c’est aussi bien « les Arabes » que « les Chinois » ! N’oubliez pas non plus qu’il y a un islam européen, et aussi des chrétiens d’Orient. Concernant « l’évacuation de Dieu », tout ce que l’on peut dire, c’est que la déchristianisation de la France se poursuit régulièrement depuis des décennies. En 2003, 62 % des Français se déclaraient encore catholiques (contre 81 % en 1952), mais le nombre des pratiquants « messalisants » (qui vont à la messe toutes les semaines) n’est plus aujourd’hui que de 4,5 % (contre 25 % en 1961), ce qui fait de la France le pays catholique où la pratique dominicale est la plus basse. Le catholicisme conserve un pouvoir de mobilisation important (voir la Manif pour tous), mais 47 % des 18-24 ans se disent « sans religion », tandis que 46 % des pratiquants sont des retraités (contre 25 % dans la population générale). Quant à la moyenne d’âge des prêtres (on n’en compte plus que 13.000, contre 50.000 en 1970), elle a maintenant dépassé 70 ans. De toute évidence, les gros bataillons de la chrétienté sont aujourd’hui dans le tiers monde.
La comparaison avec l’islam est difficile parce que la notion de « pratique » n’a pas le même sens dans les deux religions : la fréquentation d’une mosquée n’est pas un devoir obligatoire du culte, la prière quotidienne pouvant être faite n’importe où. En 2011, l’institut Hudson (New York) avait publié une étude selon laquelle il y aurait en France 2,5 millions de musulmans pratiquants contre 1,9 million de catholiques « messalisants », mais ces conclusions ont été critiquées. On sait en revanche qu’à l’heure actuelle, sur six millions de musulmans présents en France, 4,2 millions déclarent jeûner pendant le ramadan.
Autre point commun, le christianisme de marché avec les évangélistes à l’ouest, et à l’est l’islam à son tour marchandisé ; soit la charia, les centres commerciaux plus la Wi-Fi. Il y a de quoi devenir païen, non ?
Rassurez-vous, les païens ne sont pas prosélytes ! La vérité est que la marchandisation touche tous les milieux parce que l’idéologie dominante est une idéologie utilitariste fondée sur l’axiomatique de l’intérêt. Dans un tel climat, toutes les valeurs tendent à se résorber dans la valeur d’échange et de marché. Plus que de l’athéisme, les religions sont victimes de l’indifférentisme et de ce que Jean-Paul II appelait très justement le matérialisme pratique. La religion d’habitude se borne alors à l’orthopraxie. C’est le phénomène que les sociologues décrivent comme une pratique sans croyance (belonging without believing), auquel répond une croyance sans pratique (believing without belonging).
Mais ce qui frappe le plus, c’est l’idée que nos contemporains se font de la religion. La plupart d’entre eux déclarent y chercher ce qu’ils pourraient aussi bien trouver dans une thérapie comportementale ou dans la pratique du yoga : un confort, une façon d’être « mieux dans sa peau ». L’aspect disciplinaire de la foi leur échappe complètement, ce qui revient à dire qu’ils se composent une religion à la carte, en prenant ce qui leur plaît et en rejetant ce qui leur déplaît (la « morale sexuelle » de l’Église, par exemple). Plus significative encore est leur ignorance de leur propre religion : 13 % seulement de ceux qui se disent catholiques déclarent croire à la résurrection des morts, et seuls 42 % s’affirment sûrs de l’existence de Dieu ! Ne parlons même pas de l’histoire des dogmes, de la patristique ou de la théologie…
À force d’invoquer le choc des civilisations, certains ne seraient-ils pas en train de le faire advenir ? Et avec Caroline Fourest et les Femen, nos sociétés sont-elles bien armées pour y faire face ?
Laissons de côté la dame Fourest et les Femen (« comme on connaît ses seins, on les honore »). Pour parler de « choc des civilisations », il faudrait déjà qu’il y ait encore des civilisations et que celles-ci soient capables d’être des acteurs du jeu politique, ce qui n’est pas démontré. Disons plutôt qu’un trop-plein rencontre aujourd’hui un trop-vide, et que les « fous de Dieu » n’ont pas de mal à s’imposer à ceux qui ne croient plus à rien. Une culture européenne vidée de son énergie, qui ne consent à se souvenir de son passé que pour s’en repentir et de son identité pour s’en « désoriginer », une Europe qui se veut « ouverte à l’ouverture » parce qu’elle croit que l’« universel » est synonyme de vacuité substantielle, n’est plus qu’une pâte molle où tout ce qui demeure de puissance dans le monde peut imprimer son empreinte. Éternelle dialectique de la matière et de la forme…
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Boulevard Voltaire