Michel Lhomme
Contrairement aux apparences, la question
nucléaire n'était pas centrale dans le dossier iranien. Elle n'était
qu'un simple enjeu de communication, et ceci pour l’ensemble des
protagonistes. A Téhéran, pour le gouvernement iranien, l’aspiration à
l’enrichissement nucléaire permet de stigmatiser l’enrichissement
nucléaire clandestin d’Israël tout en faisant miroiter à la population
l’acquisition d’une bombe nucléaire. Ceci a pour effet immédiat
d’aiguiser la fierté patriotique de la population iranienne. Cela
rassemble.
De manière symétrique, à Jérusalem, l’image de la bombe nucléaire iranienne est utilisée par le gouvernement israélien. En désignant un ennemi extérieur prêt à semer l’apocalypse, la question du nucléaire iranien a pu rassembler lors des dernières élections législatives une population minée par les divisions.
Mais ceci, cet usage et ce détournement médiatique de la question du nucléaire iranien sont également vrais pour les chancelleries européennes pour lesquelles la question nucléaire iranienne a permis de maintenir l’illusion de politiques étrangères autonomes. Or, avec les conséquences des affaires ukrainiennes, syriennes, libyennes, l'Europe n'existe plus diplomatiquement sur la scène internationale. A l'inverse, pour Barack Obama, l'affaire iranienne est du pain béni. L’action de communication sur une victoire diplomatique obtenue en Iran a permis de masquer l’ensemble des désastres militaires américains de ses prédécesseurs - ceux de Georges Bush comme ceux d'Hillary Clinton - dont il doit assumer difficilement l’héritage. Dans les affaires internationales, l’image mentale de l’explosion nucléaire, d'une troisième guerre mondiale à venir qui serait apocalyptique est d’une telle puissance qu’elle est en permanence instrumentalisée par l’ensemble des protagonistes afin de manipuler les émotions des foules et faire pression sur les diplomates les privant de toute analyse rationnelle des conflits de la région.
En fait, disons-le franchement, à pas grand chose ! L'accord se limite à quelques visites des inspecteurs de l’AIEA . En contrôlant à intervalle régulier, les inspecteurs de l’AIEA veulent simplement se faire une idée très précise des avancées technologiques iraniennes dans le domaine nucléaire civil et par là, ils espèrent deviner les intentions militaires de l'Iran s'il y en a de véritables. Plus prosaïquement, c’est l’innovation iranienne ou plus exactement les partenariats iraniens dans le domaine nucléaire qui inquiètent l’Occident, dans la mesure où ce pays est aujourd’hui allié à la Chine. Mais, mis à part le prestige et la fierté patriotique (ce qui compte il est vrai en Iran), la République islamique n’a nullement besoin de fabriquer elle-même la bombe. Il lui suffirait de l’acheter en catimini à ses alliés, qui lui fournissent d’ores et déjà, une aide militaire importante.
Les sanctions américaines sont caduques. Elles n'auront pas servi à grand chose. Il en sera de même des sanctions contre la Russie. Ce sont les Chinois qui ont remplacés les États-Unis à Téhéran. Du coup, à Washington s'est jouée dans les couloirs une gigantesque bataille d’influence entre les tenants de la ligne dure israélienne (pas de concessions à l'Iran) et les partisans d’une réouverture au marché iranien combinée à la possibilité de tisser des liens étroits avec l'Iran. Obama, partisan de la deuxième option contre les clintoniens de la première option, a remporté le premier round. Il n'est pas encore tout à fait certain qu'il remporte le second.
L’Iran accède bien au statut reconnu de puissance régionale de la région en se “nucléarisant” sous contrôle, moyennant un retour en force des Américains dans le pays avec des contrats dépassant les 100 milliards de dollars offerts par les ayatollahs aux multinationales. Bien sûr, l’Iran en échange aidera de tout son poids à sous-traiter ou pérenniser l’occupation américaine de l’Irak et de l’Afghanistan. Quant à la Syrie, un accord américano-iranien de partage de pouvoir entre alaouites et sunnites se profile. De fait, le Financial Time n’a d'ailleurs pas hésité à parler de ” réintégration de l’Iran dans le jeu occidental par Obama à l’image de la réhabilitation de la Chine sous Nixon”.
L’Occident du stratège Zbigniew Brezinski renoue avec la vieille tradition d’alliance chiito-”croisés” contre le monde arabo-sunnite. Les tenants de la dite “résistance chiite à l’Empire” devront donc réviser leur propagande. L'Arabie Saoudite a avoué à demi-mot avoir pris l’initiative de relancer la guerre à l’Iran directement au Liban par des attentats à la voiture piégée (celui récemment contre l'Ambassade iranienne). Or on savait pertinemment qu'il y avait toujours eu la main de Bandar dans les attentats de Beyrouth beaucoup plus anciens. Pire même, on vient de révéler aux Etats-Unis l'implication directe de l'Arabie Saoudite dans les attentats du 11 septembre ce qui nous permet de retrouver du coup toute la cohérence historique de l'événement. L’Arabie Saoudite a compris qu'il y a un revirement américain en faveur de son ennemi perse et elle semble décidée à renouer avec la pratique souterraine de soutien aux insurgés sunnites pour peser sur la diplomatie américaine. Ces pratiques sont d'autant plus menaçantes et préoccupantes qu’un accord caché scelle Riyad à Tel Aviv. Les agents secrets de Bandar disposeront et disposent déjà du professionnalisme réputé du Mossad.
C'est dans un tel contexte que l'on doit aussi replacer et reconsidérer l’alliance saoudo-eurasiatique puisque la Russie et l’Arabie Saoudite viennent de faire savoir qu’elles négociaient un accord militaire d’un montant minimum de 12 milliards de dollars, ce qui est une première pour un pays armé depuis toujours quasi exclusivement en matériel américain. Dans ce contexte très confus, le sénateur américain Edward Markey a demandé au président Obama de suspendre les négociations avec Riyad sur l’accord bilatéral relatif à la coopération dans le domaine nucléaire. Le sénateur croit savoir de sources sûres que le royaume saoudien intensifie la réalisation de son programme nucléaire avec l’aide du Pakistan. Ce même Pakistan actuellement en manque d’argent et en sévère crise économique a aussi effectivement signé un accord de transfert d’ogives nucléaires avec l’Arabie et il appartient aussi à la coalition musulmane qui a envahi le Yémen. Ainsi, Riyad pour faire face à l'Iran pourrait très bien enrichir son parc de missiles longs portés chinois à capacité nucléaire par des ogives pakistanaises !
Des pays en pleine inversion d'alliances
La géostratégie de toute une partie du globe se redessine aujourd’hui devant nos yeux après que les deux principaux ennemis de la région aient laissé tomber leurs cartes et avouer leur alliance de toujours. L’accord d’étape de Lausanne du 2 avril sur le nucléaire iranien a peut-être de multiples mérites mais il ne faut surtout pas se fier aux signatures et aux paraphes des États. Cet accord est le premier accord d’un monde dont la fragmentation conflictuelle a déjà commencé ou le dernier accord d’un monde dont la cohésion se dilue. En attendant, il nous faut attendre la signature de l’accord-cadre fin juin puis surveiller son application ultérieure.
Le monde en fait se réorganise. L'accord consacre le droit imprescriptible de l’Iran à une industrie nucléaire moderne capable d’enrichissement. Ce droit, concédé en fait déjà en novembre 2013, change la donne politique régionale en confirmant la légalité de sa capacité nucléaire scientifique et technologique. Cet accord réintègre l’Iran dans le jeu régional et sauve l’unicité du système-monde en lui offrant une dernière chance de se transformer pacifiquement.
Dans d’autres capitales, Moscou, Pékin, Ankara, Brasília, a commencé un autre mouvement celui qui modifiera la hiérarchie des puissances et des modèles stratégiques de l'avenir en entreprenant des rééquilibrages puissants - monétaires, industriels, militaires, culturels-, qui consacreront la diversité stratégique définitive du monde à venir, en relativisant un peu plus encore la gouvernance occidentale hégémonique. Le préaccord de Lausanne, l’intervention arabe au Yémen, la nouvelle banque asiatique d’investissement en infrastructures sont donc autant d’indices d'un glissement stratégique du monde vers l’Est qui consacre une nouvelle régulation générale des tensions de la planète. Il précède un glissement plus dangereux, celui vers le Pacifique qui devrait marquer la deuxième moitié du vingtième siècle.
De manière symétrique, à Jérusalem, l’image de la bombe nucléaire iranienne est utilisée par le gouvernement israélien. En désignant un ennemi extérieur prêt à semer l’apocalypse, la question du nucléaire iranien a pu rassembler lors des dernières élections législatives une population minée par les divisions.
Mais ceci, cet usage et ce détournement médiatique de la question du nucléaire iranien sont également vrais pour les chancelleries européennes pour lesquelles la question nucléaire iranienne a permis de maintenir l’illusion de politiques étrangères autonomes. Or, avec les conséquences des affaires ukrainiennes, syriennes, libyennes, l'Europe n'existe plus diplomatiquement sur la scène internationale. A l'inverse, pour Barack Obama, l'affaire iranienne est du pain béni. L’action de communication sur une victoire diplomatique obtenue en Iran a permis de masquer l’ensemble des désastres militaires américains de ses prédécesseurs - ceux de Georges Bush comme ceux d'Hillary Clinton - dont il doit assumer difficilement l’héritage. Dans les affaires internationales, l’image mentale de l’explosion nucléaire, d'une troisième guerre mondiale à venir qui serait apocalyptique est d’une telle puissance qu’elle est en permanence instrumentalisée par l’ensemble des protagonistes afin de manipuler les émotions des foules et faire pression sur les diplomates les privant de toute analyse rationnelle des conflits de la région.
A quoi finalement a consisté cet accord
En fait, disons-le franchement, à pas grand chose ! L'accord se limite à quelques visites des inspecteurs de l’AIEA . En contrôlant à intervalle régulier, les inspecteurs de l’AIEA veulent simplement se faire une idée très précise des avancées technologiques iraniennes dans le domaine nucléaire civil et par là, ils espèrent deviner les intentions militaires de l'Iran s'il y en a de véritables. Plus prosaïquement, c’est l’innovation iranienne ou plus exactement les partenariats iraniens dans le domaine nucléaire qui inquiètent l’Occident, dans la mesure où ce pays est aujourd’hui allié à la Chine. Mais, mis à part le prestige et la fierté patriotique (ce qui compte il est vrai en Iran), la République islamique n’a nullement besoin de fabriquer elle-même la bombe. Il lui suffirait de l’acheter en catimini à ses alliés, qui lui fournissent d’ores et déjà, une aide militaire importante.
Les sanctions américaines sont caduques. Elles n'auront pas servi à grand chose. Il en sera de même des sanctions contre la Russie. Ce sont les Chinois qui ont remplacés les États-Unis à Téhéran. Du coup, à Washington s'est jouée dans les couloirs une gigantesque bataille d’influence entre les tenants de la ligne dure israélienne (pas de concessions à l'Iran) et les partisans d’une réouverture au marché iranien combinée à la possibilité de tisser des liens étroits avec l'Iran. Obama, partisan de la deuxième option contre les clintoniens de la première option, a remporté le premier round. Il n'est pas encore tout à fait certain qu'il remporte le second.
Le retour de l'Iran dans le concert des nations
L’Iran accède bien au statut reconnu de puissance régionale de la région en se “nucléarisant” sous contrôle, moyennant un retour en force des Américains dans le pays avec des contrats dépassant les 100 milliards de dollars offerts par les ayatollahs aux multinationales. Bien sûr, l’Iran en échange aidera de tout son poids à sous-traiter ou pérenniser l’occupation américaine de l’Irak et de l’Afghanistan. Quant à la Syrie, un accord américano-iranien de partage de pouvoir entre alaouites et sunnites se profile. De fait, le Financial Time n’a d'ailleurs pas hésité à parler de ” réintégration de l’Iran dans le jeu occidental par Obama à l’image de la réhabilitation de la Chine sous Nixon”.
L’Occident du stratège Zbigniew Brezinski renoue avec la vieille tradition d’alliance chiito-”croisés” contre le monde arabo-sunnite. Les tenants de la dite “résistance chiite à l’Empire” devront donc réviser leur propagande. L'Arabie Saoudite a avoué à demi-mot avoir pris l’initiative de relancer la guerre à l’Iran directement au Liban par des attentats à la voiture piégée (celui récemment contre l'Ambassade iranienne). Or on savait pertinemment qu'il y avait toujours eu la main de Bandar dans les attentats de Beyrouth beaucoup plus anciens. Pire même, on vient de révéler aux Etats-Unis l'implication directe de l'Arabie Saoudite dans les attentats du 11 septembre ce qui nous permet de retrouver du coup toute la cohérence historique de l'événement. L’Arabie Saoudite a compris qu'il y a un revirement américain en faveur de son ennemi perse et elle semble décidée à renouer avec la pratique souterraine de soutien aux insurgés sunnites pour peser sur la diplomatie américaine. Ces pratiques sont d'autant plus menaçantes et préoccupantes qu’un accord caché scelle Riyad à Tel Aviv. Les agents secrets de Bandar disposeront et disposent déjà du professionnalisme réputé du Mossad.
C'est dans un tel contexte que l'on doit aussi replacer et reconsidérer l’alliance saoudo-eurasiatique puisque la Russie et l’Arabie Saoudite viennent de faire savoir qu’elles négociaient un accord militaire d’un montant minimum de 12 milliards de dollars, ce qui est une première pour un pays armé depuis toujours quasi exclusivement en matériel américain. Dans ce contexte très confus, le sénateur américain Edward Markey a demandé au président Obama de suspendre les négociations avec Riyad sur l’accord bilatéral relatif à la coopération dans le domaine nucléaire. Le sénateur croit savoir de sources sûres que le royaume saoudien intensifie la réalisation de son programme nucléaire avec l’aide du Pakistan. Ce même Pakistan actuellement en manque d’argent et en sévère crise économique a aussi effectivement signé un accord de transfert d’ogives nucléaires avec l’Arabie et il appartient aussi à la coalition musulmane qui a envahi le Yémen. Ainsi, Riyad pour faire face à l'Iran pourrait très bien enrichir son parc de missiles longs portés chinois à capacité nucléaire par des ogives pakistanaises !
Des pays en pleine inversion d'alliances
La géostratégie de toute une partie du globe se redessine aujourd’hui devant nos yeux après que les deux principaux ennemis de la région aient laissé tomber leurs cartes et avouer leur alliance de toujours. L’accord d’étape de Lausanne du 2 avril sur le nucléaire iranien a peut-être de multiples mérites mais il ne faut surtout pas se fier aux signatures et aux paraphes des États. Cet accord est le premier accord d’un monde dont la fragmentation conflictuelle a déjà commencé ou le dernier accord d’un monde dont la cohésion se dilue. En attendant, il nous faut attendre la signature de l’accord-cadre fin juin puis surveiller son application ultérieure.
Le monde en fait se réorganise. L'accord consacre le droit imprescriptible de l’Iran à une industrie nucléaire moderne capable d’enrichissement. Ce droit, concédé en fait déjà en novembre 2013, change la donne politique régionale en confirmant la légalité de sa capacité nucléaire scientifique et technologique. Cet accord réintègre l’Iran dans le jeu régional et sauve l’unicité du système-monde en lui offrant une dernière chance de se transformer pacifiquement.
Dans d’autres capitales, Moscou, Pékin, Ankara, Brasília, a commencé un autre mouvement celui qui modifiera la hiérarchie des puissances et des modèles stratégiques de l'avenir en entreprenant des rééquilibrages puissants - monétaires, industriels, militaires, culturels-, qui consacreront la diversité stratégique définitive du monde à venir, en relativisant un peu plus encore la gouvernance occidentale hégémonique. Le préaccord de Lausanne, l’intervention arabe au Yémen, la nouvelle banque asiatique d’investissement en infrastructures sont donc autant d’indices d'un glissement stratégique du monde vers l’Est qui consacre une nouvelle régulation générale des tensions de la planète. Il précède un glissement plus dangereux, celui vers le Pacifique qui devrait marquer la deuxième moitié du vingtième siècle.
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