Alors que les règles de l’assurance chômage vont être renégociées, L’Expansion démonte, chiffres à l’appui, les préjugés sur ceux qui profiteraient des allocations.
Et voilà l’ »assistanat » de retour dans le débat public. Comme aucun autre, le sujet divise les Français, entre ceux qui bossent et ceux qui vivent des allocations. La dénonciation de notre Etat providence, de sa trop grande générosité mais aussi de ses ratés, de son coût et de ses profiteurs tient du sport national. Il faut dire que le contexte politique s’y prête.
Avec les municipales en mars 2014, les diatribes contre ces aides qui décourageraient le travail sont des arguments de poids. Laurent Wauquiez (UMP), entre autres, parle d’un « poison mortel ». L’ancien ministre a même lancé un pacte avec une vingtaine d’autres candidats : dans les communes qu’ils emporteront, les bénéficiaires d’aides locales devront donner quelques heures de travail en contrepartie des sommes reçues.
A cela s’ajoute le contexte social. Patronat et syndicats doivent renégocier en janvier les règles de l’assurance chômage. Son déficit atteint des records, et il va falloir économiser – d’où ce refrain, lourd de sous-entendus, qui se fait entendre sur la nécessité d’ »inciter les chômeurs à reprendre plus vite un emploi ». Pour sortir des idées reçues et des débats trop passionnés, L’Expansion fait le point, sans présupposé, à partir de statistiques incontestables et d’experts reconnus. Sans oublier les témoignages des principaux intéressés.
1. « Les chômeurs profitent indûment de leurs allocations »
Ce vendredi de novembre, Alain, chef d’une antenne de Pôle emploi en Normandie, fait ses comptes : 50 offres, 3 000 inscrits. « Tous les employeurs ne déposent pas leurs annonces chez nous, mais j’ai rarement vu une situation aussi tendue », dit-il. Difficile, dans ces conditions, d’affirmer que si les chômeurs ne trouvent pas d’emploi, c’est parce qu’ils n’en cherchent pas.
D’ailleurs, cela peut paraître étonnant, mais les demandeurs d’emploi sont de plus en plus nombreux à… travailler. D’après l’Unédic, les deux tiers des chômeurs indemnisés exercent à un moment ou à un autre une « activité réduite », un petit boulot qu’ils cumulent avec leur allocation. « Cela tue le mythe du chômeur paresseux, souligne un dirigeant de l’Unédic. Au contraire, ils cherchent, mais ne trouvent pas de poste stable. » Et pour cause : les CDI ne représentent que 14 % des embauches.
Malgré ce contexte défavorable, les statistiques de l’Unédic montrent aussi que les chômeurs utilisent en moyenne 61 % de leurs droits seulement. La plupart retrouvent donc un emploi bien avant la fin de leur indemnisation. Et les autres ? Abusent-ils du système ? Quand il a été licencié, David, ancien chef de service dans une PME industrielle savoyarde, a d’abord cherché un poste équivalent : « Je n’y ai renoncé que vers la fin de mes droits, pour un job d’opérateur moins payé. » Qui aurait fait autrement, à sa place ?
« Toutes les études mettent en évidence deux phénomènes. Un, quand l’assurance chômage devient plus généreuse, la durée de chômage s’allonge un peu. Et deux, quand il existe un pic de sorties vers l’emploi à l’approche de la fin des droits, celui-ci ne concerne que de 2 % à 3,5 % des chômeurs. Et, surtout, ces résultats ne disent rien sur la durée normale de recherche d’emploi ni sur le fait que certains profiteraient du système », résume Bruno Coquet, auteur de L’Assurance chômage, une politique malmenée (L’Harmattan).
Il est en effet rationnel d’attendre le plus possible pour baisser ses prétentions. Le vrai abus serait d’être sûr de retrouver un job bien payé et de l’accepter le plus tard possible. Cela arrive, en particulier dans les métiers « en tension » ou pour des postes très qualifiés, mais, selon des études allemandes et autrichiennes, c’est rare.
Et en France ? Mystère : jusqu’ici, Pôle emploi ne savait même pas si les personnes sortant de ses listes avaient retrouvé un emploi ! « Il ne faut pas non plus oublier que l’Hexagone est très fractionné, avec des bassins industriels sinistrés, éloignés des métropoles dynamiques. Le retour à l’emploi y est difficile », ajoute Denis Fougère, économiste au Crest. Pascal, bénévole du Mouvement national des chômeurs et des précaires au Creusot, le sait bien. « Ici, au moins, les loyers sont faibles. Vous imaginez des quinquas peu qualifiés risquer de déménager pour un poste précaire ? »
De leur côté, les agents de Pôle emploi sont souvent démunis. « Nous manquons d’outils pour inciter les demandeurs d’emploi à ne pas se laisser enfermer dans le chômage de longue durée en déménageant ou en réduisant leurs prétentions salariales, et pour sanctionner ceux qui refusent des propositions », résume Alain, notre chef d’agence normand. Et de citer l’exemple de cette formation à l’aide à domicile qui démarre bientôt : 80 chômeurs contactés, 8 inscrits. En deçà de 12, le cours sera annulé…
2. « Certains dispositifs découragent la reprise d’un emploi »
Pour Sandrine, 30 ans, l’histoire se termine bien. Cette Vannetaise vient d’avoir son permis : « Je vais enfin pouvoir répondre à des offres à Lorient ou à Rennes », se réjouit-elle. Mais à quel prix ? Pôle emploi avait d’abord refusé de prendre en charge sa préparation à l’examen, car son allocation chômage dépassait de 90 centimes le plafond fixé : « J’ai attendu un an pour arriver en fin de droits et me la faire financer. »
Absurde ? Pas plus que la mauvaise surprise qui attendait Daliah et son époux, tous deux chômeurs, lors de leur visite à la CAF (Caisse d’allocations familiales) : trois mois d’allocations logement à rembourser de juillet à septembre. « Mon mari, sans emploi depuis un an, avait retrouvé un CDD d’un mois en juillet. Du coup, nous avons perdu nos APL pour trois mois », soupire Daliah.
Ces règles un peu aberrantes qui freinent le retour à l’emploi, il en existe malheureusement beaucoup. « Aujourd’hui, des chômeurs hésitent à retravailler de peur d’être moins indemnisés s’ils perdent à nouveau leur emploi », regrette Patricia Ferrand, vice-présidente CFDT de l’Unédic. La simplification de la réglementation et la mise en place de droits rechargeables, qui garantiraient aux allocataires d’être toujours gagnants en reprenant un job, sont donc l’un des enjeux des négociations de janvier.
Mais il y a pis. Le régime des intermittents du spectacle, par exemple, régulièrement dénoncé par la Cour des comptes : les allocations servent souvent de complément de salaire déguisé. Ou le régime de l’intérim, lui aussi épinglé. « Certains intérimaires savent très bien utiliser le système », confirme un agent de Pôle emploi.
Tels ces « cordistes », spécialisés dans les travaux de grande hauteur : « Ils gagnent 20 % de plus qu’en CDI. Comme ils sont sûrs de retrouver du boulot, ils prennent leurs vacances aux frais de l’Unédic », soupire-t-il. Dans le même genre, il y a aussi les préretraites déguisées, facilitées par les trois ans d’indemnisation accordés aux seniors : « Tous les plans sociaux se bouclent ainsi », constate Marie-Françoise Leflon, de la CFE-CGC.
3. « Nos aides sont plus généreuses qu’à l’étranger »
Quatre mois de travail pour pouvoir bénéficier d’une allocation. De deux à trois ans d’indemnisation, dont le montant peut atteindre 6 121 euros par mois… Présentée ainsi, notre assurance chômage semble généreuse : chez la plupart de nos voisins, six mois de cotisations au minimum sont nécessaires, et l’indemnisation dépasse rarement un an.
« Mais, pour faire une comparaison objective, il faut regarder tous les transferts dont bénéficient les chômeurs, pas juste l’assurance chômage. Et là, l’impression de générosité s’estompe », constate Bertrand Martinot, auteur des propositions de l’institut Montaigne sur l’assurance chômage.
L’économiste Bruno Coquet a fait ce calcul : un chômeur français touche en moyenne 65 % de son revenu antérieur. Surprise, c’est aussi le taux moyen constaté ailleurs en Europe lors de la première année de chômage ! En France, les allocations chômage assurent une bonne couverture, mais les autres aides (logement, chauffage…) sont moins élevées que chez nos voisins.
Un constat à nuancer selon les niveaux de revenus. Un ex-smicard bénéficie, en France, d’un taux de remplacement plus élevé qu’ailleurs, supérieur à 80 %. En revanche, une famille où un seul des deux parents travaillait et était payé au salaire moyen (soit 2 130 euros net par mois en 2011) sera moins bien traitée. A l’étranger, les demandeurs d’emploi perdent plus tôt leurs allocations chômage, mais, avec des petits à-côtés sociaux, ils s’en sortent avec un revenu total supérieur à celui de leurs « homologues » français.
De quoi relativiser les critiques autour de notre durée d’indemnisation de vingt-quatre mois… D’autant qu’en réalité moins de la moitié des allocataires ont assez cotisé pour y prétendre et que, en fin de droits, la chute des revenus est plus brutale qu’ailleurs. Nos minima sociaux sont en effet peu généreux : « Même en incluant les aides au logement, ils ne représentent que 39 % du salaire médian. C’est dans la moyenne basse des pays européens », souligne Guillaume Allègre, de l’OFCE.
Les allocations familiales n’y changent rien. Comme le montre ATD Quart Monde dans son livre En finir avec les idées fausses sur les pauvres et la pauvreté (Les Editions de l’Atelier), plus une famille au RSA a d’enfants, plus son revenu s’enfonce sous le seuil de pauvreté, malgré les « allocs ».
Pis, la valeur relative des aides sociales distribuées en France n’a cessé de diminuer ces dernières années. Exemple, le RSA ne représente plus que 38 % du smic, contre 43 % pour le RMI lors de sa création, en 1988. Le ramener à ce niveau coûterait 1,7 milliard d’euros. « L’augmentation décidée par le gouvernement va dans le bon sens, mais elle ne rattrapera pas le décrochage », rappelle ATD Quart Monde.
4. « Le RSA n’incite pas à reprendre un emploi »
Croisée par un matin glacial à la CAF de Mantes-la-Jolie, Isabelle, 32 ans, n’y va pas par quatre chemins : « Reprendre un travail ? Même mon assistante sociale me le déconseille ! » soupire cette mère de trois fillettes, séparée de son compagnon. Elle a fait ses calculs. La CAF lui verse chaque mois environ 1 600 euros, à quoi il faut ajouter la CMU-C, les tarifs réduits pour la cantine, l’électricité et les transports. Si cette ancienne vendeuse en charcuterie reprenait un emploi, elle toucherait plus de 2 000 euros, en tenant compte du RSA activité.
« Mais je devrais payer une mutuelle, les transports et une nounou, car les horaires sont souvent décalés. J’y gagnerais peu et j’aurais moins de temps pour mes filles », dit-elle.
Le RSA activité, grande innovation du précédent gouvernement, devait refermer les « trappes à inactivité », ce piège qui condamnait les RMistes à perdre de l’argent quand ils reprenaient un job mal payé.
Sur le papier, le RSA activité agit comme une invitation au travail. Les travaux de l’économiste Yannick L’Horty effectués lors de la mise en place du dispositif le montrent : le travail paie, même en tenant compte des aides versées par les mairies, les départements et les CAF. « Mais ces gains sont faibles, et on mesure mal leur effet sur les comportements », précise cet expert.
Un chiffre résume le problème : 61 % des bénéficiaires du RSA socle (l’ancien RMI) n’en sortent pas au cours d’une année donnée. « C’est la preuve qu’on ne peut pas réduire les freins au retour à l’emploi à la seule question des incitations financières », plaide Bernard Schricke, directeur du Secours catholique.
Sa collègue Valérie Nunez, responsable de l’antenne emploi de l’association à Rosny-sous-Bois (93), connaît bien ces freins : « L’absence de qualifications, les problèmes de santé, de mobilité ou de garde d’enfants, parfois le découragement ou la dépression », égrène-t-elle. Et d’autres raisons moins avouables, comme le travail au noir. « L’an dernier, 9 % de nos bénéficiaires ont reconnu le pratiquer. Ils semblent moins gênés de le dire. Comme si personne n’était dupe d’un système qui, en n’aidant pas assez les plus fragiles, ouvre la porte à l’économie informelle », regrette Bernard Schricke.
Paradoxe économique. Ce manque à gagner pour l’Etat en raison de l’économie souterraine est en partie compensé par le faible recours au RSA activité. Non seulement les Français n’en abusent pas mais ils n’en usent pas assez. En effet, les deux tiers de ses bénéficiaires potentiels ne le réclament pas : si tous poussaient demain la porte de leur caisse d’allocations familiales, il en coûterait 5 milliards d’euros par an aux finances publiques.
Et sur le front du RSA socle, le revenu de solidarité dans sa version historique, existe-t-il des profiteurs ? Pour répondre à cette délicate question, une méthode consisterait à dénombrer les bénéficiaires du RSA qui n’ont pas signé de contrat d’insertion, a priori peut-être moins disposés à retrouver le chemin du travail.
Par exemple, en Seine-Saint-Denis, sur les 74 000 allocataires, 34 000 n’ont pas de contrat d’insertion. Mais impossible d’en déduire qu’il y a autant de profiteurs. Loin de là. Face à l’explosion des demandes, les départements se désengagent de cette mission d’insertion. Et même là où les budgets sont maintenus, ils sont insuffisants.
Toujours dans le 93, les services du conseil général essaient de contacter les récalcitrants. Mais ils ne peuvent traiter que 1 200 dossiers par an. « Dès qu’ils sont convoqués, la plupart d’entre eux signent un contrat » assure Flora Flamarion, du conseil général de la Seine-Saint-Denis.
5. « Les immigrés profitent particulièrement de notre système »
On l’oublie souvent, mais une condition de résidence sur le territoire français s’applique aux minima sociaux. Il faut un titre de séjour depuis cinq ans pour toucher le RSA. Pour le minimum vieillesse, dix ans de résidence sont nécessaires. Difficile, donc, de dire que les étrangers viennent pour profiter de notre protection sociale.
« Les immigrés veulent améliorer leurs conditions de vie et celles de leur famille. Or, pour y parvenir, l’emploi est plus efficace que les allocations », rappelait encore l’OCDE dans un récent rapport. D’ailleurs, le taux moyen d’activité des immigrés n’est que très légèrement inférieur à celui des Français.
En revanche, il est vrai que les étrangers extra-européens sont en moyenne plus pauvres que le reste de la population, car ils occupent souvent les emplois les plus précaires. De ce fait, ils ont, en proportion, plus souvent recours aux aides sociales que les natifs, notamment au RSA et aux allocations logement, familiales ou chômage.
Pourtant, l’immigration ne coûte pas forcément cher à la France. Les immigrés consomment moins d’assurance vieillesse et de prestations d’assurance maladie et ils contribuent beaucoup en termes de cotisations sociales, de TVA et de CSG. Les économistes Xavier Chojnicki et Lionel Ragot ont fait le compte : avec un coût de 68 milliards et des recettes de 72 milliards, l’immigration rapporte 4 milliards d’euros par an au pays. Bien loin du cliché des « profiteurs », donc.