Actuellement,
la zone euro fonctionne d’une manière qui est plus avantageuse pour les
créanciers et les détenteurs de capitaux des pays forts, et cette
situation n’est pas viable, car elle risque de susciter des conflits
entre ces gagnants et les autres agents qui sont les perdants de ce
système.
Si l'UE n’abandonne pas rapidement cette vision
idéologique de l’ «Orthodoxie de Maastricht», l’union est vouée à
s'écrouler, prévient le commissaire européen à l'Emploi et aux Affaires
sociales, László Andor, sur le site Vox UE.
Il rappelle que 2013 a été une année
de stagnation, avec un nombre de chômeurs dans l'UE qui s'est stabilisé
autour de 26,6 millions de personnes, une prévision de croissance nulle
pour cette année, et une inflation inférieure à 1%. Mais derrière ces
chiffres, on trouve de profondes divergences entre les pays du «cœur»,
situés au Nord de l’Europe et ceux de la «périphérie» du Sud. Et l’écart
ne cesse de grandir entre les situations de ces deux groupes de pays.
Des années de récession et de chômage
ont sapé le potentiel de croissance de la périphérie, mais en dépit de
cela, au sein de l’UE, le débat semble s’être enlisé dans un vague
«consensus Bruxellois » élitiste, qui mine l'avenir de l'Union.
Cependant, ce débat a tout de même
produit certaines évolutions depuis 2012, telles que l’intervention
réussie de la Banque Centrale Européenne sur les marchés financiers.
Mais en général, l'approche de la politique semble erratique ou
improvisée, écrit Andor. Cette politique est le résultat de
l’«Orthodoxie de Maastricht», que d’autres appellent également
« Consensus de Berlin ». Andor répertorie les six principales hypothèses
de ce consensus, en expliquant pourquoi ils sont inappropriés dans le
contexte politique et économique actuel :
✔ L'union
monétaire peut être viable sans politique fiscale commune ou des
mécanismes instituant une solidarité entre les États membres.
Même si l’on a de plus en plus recours
à des mesures non orthodoxes en matière de politique monétaire,
beaucoup de législateurs répugnent encore à envisager les stimuli
fiscaux ou des mesures de réduction de l’endettement par transferts
entre pays. Pour le moment, seul le pacte fiscal a été introduit, les
rares étapes vers la création d’un budget véritablement commun restent
trop modestes.
✔ La dévaluation interne est le meilleur moyen de restaurer la compétitivité, si ce n’est l’unique.
Selon l’Orthodoxie de Maastricht, la
dévaluation interne est la solution à adopter en cas de crise, car elle a
permis de faire rebondir le PIB lors des crises économiques dans les
pays baltes. Mais même si la dévaluation interne permet d’augmenter les
bénéfices des entreprises, elle ne stimule pas forcément
l’investissement en cas de récession et le prix des actifs tend à ne pas
chuter aussi rapidement que les salaires et les pensions. En outre,
elle est bien plus mal vécue au plan social qu’elle ne l’était par le
passé. Enfin, l’appréciation de l’euro a contrebalancé son effet, et
neutralisé les gains de compétitivité qu’elle avait permis de générer
dans les pays de la périphérie.
✔,Chaque État membre devrait présenter un excédent de compte courant, et le plus, le mieux
La solidarité reste encore très
limitée au sein de la zone euro : les prêts d'urgence qui ont été
consentis ont été assortis de contraintes pour imposer la consolidation
fiscale et la dévaluation interne, qui ont érigé l’excédent budgétaire
primaire en nouvelle priorité de la politique économique, reléguant de
ce fait au second plan les autres priorités de croissance et d’emploi.
En conséquence, des excédents budgétaires sont apparus, mais la demande
s'est effondrée en Europe, tandis que dans les pays en excédent de
compte courant, on a assisté à une fuite des capitaux hors de l’Europe.
✔ Le taux de chômage dépend uniquement de l'offre
L'orthodoxie de Maastricht se
concentre uniquement sur les réformes structurelles du marché du travail
plutôt que sur une meilleure politique de l'emploi. Elle ne prend pas
en compte le fait que le chômage peut être causé par des facteurs
cycliques (une demande insuffisante de main d’œuvre) et se centre sur
les réformes pour augmenter la flexibilité du marché du travail.
Cependant, même si des investissements sont nécessaires en Europe pour
augmenter les compétences sur le marché du travail et permettre aux gens
d’exercer leur liberté de circulation, les autres réformes destinées à
soutenir l’offre risquent d’être inefficaces, voire contre-productives
dans ce contexte de demande déprimée.
✔ La BCE doit seulement veiller à la stabilité des prix (des pays cotés AAA)
L'objectif principal de la BCE est la
stabilité des prix, la croissance et l'emploi n’étant jugés que d'une
importance secondaire. Cela se traduit par un objectif d'inflation
nominale inférieure à 2% (actuellement, certains pays se trouvent même
en dessous de ce seuil). Cette faiblesse de l’inflation, couplée à des
taux de croissance faibles ou négatifs, signifie que les pays les plus
faibles de la zone euro sombrent dans un endettement toujours croissant
et de plus en plus incontrôlable en l’absence de politique monétaire ou
fiscale expansionniste.
✔ L'aléa moral présente plus de risque qu’une récession prolongée dans les pays de la périphérie de la zone euro
Le tabou de l’orthodoxie de Maastricht
concernant les transferts fiscaux entre Etats membres de la zone euro
et la réticence à envisager d'autres solutions comme l’émission de
titres représentatifs d’une dette jointe au sein de la zone euro est
basé sur le principe de l'aléa moral. D’un côté, les pays forts de la
zone euro redoutent d’avoir à expliquer à leurs électeurs qu’ils payent
des sommes pour d’autres gouvernements, tandis que ceux qui connaissent
de fortes récessions doivent expliquer à leurs électeurs pourquoi ils ne
parviennent pas à redresser l’économie, à créer des emplois, et à
réduire l’endettement public.
Même si les politiques d’emploi,
d’éducation, et d’avantages sociaux relèvent du niveau national, les
gouvernements nationaux sont de plus en plus privés de la capacité
d’agir sur les données macroéconomiques, et de ce fait, ils ont perdu la
confiance des électeurs. L’adhésion à l’orthodoxie de Maastricht mène à
un affaiblissement de l’adhésion à l’Europe, et nous pourrions assister
à l’arrivée au pouvoir de partis qui pourraient menacer la
compatibilité de l’adhésion à la zone euro avec la démocratie.
Conclusion: l’orthodoxie de Maastricht
est avantageuse pour les créanciers et les détenteurs de capitaux, mais
désastreuse pour les travailleurs, les chefs d’entreprise, les
débiteurs et les usagers des services publics. Deux scénarios sont
possibles pour cette zone euro polarisée: soit cette dynamique est
modifiée grâce à une réforme de la zone euro, ou celle-ci risque d’être
détruite par le conflit politique entre les gagnants et les perdants.
Le fait que la zone euro favorise les
créanciers et les détenteurs de capitaux contribue à la mise en place de
politiques économiques qui provoquent la stagnation, plutôt que le
progrès. Les divergences de situations économiques alimentent aussi une
polarisation politique, alors que les acteurs qui pourraient surmonter
ces divergences sont trop peu nombreux.
Comment peut-on s’écarter de cette
orthodoxie ? Le projet d’une Europe unie, solidaire et juste dépend des
agendas politiques des membres du Conseil européen et des dirigeants
qui chercheront bientôt à obtenir le vote des électeurs pour avoir un
mandat au Parlement européen, rappelle Andor.