L’Europe
serait-elle en train de renoncer à sa souveraineté législative au
profit du secteur privé? La question se pose à la suite de l’émergence
d’un mécanisme de règlement des différends dans le mandat donné à la
Commission européenne pour l’accord de partenariat transatlantique
(APT).
Dans quelle mesure ce nouveau tribunal
arbitral risque-t-il de fragiliser la stabilité juridique et la
souveraineté des Etats signataires ?
L’UE relance les négociations dans le
but de conclure un accord sans précédent de libre échange dit de «
dernière génération ». Le traité prévoit un renforcement de la
coopération commerciale par l’abaissement des barrières douanières (déjà
très faibles puisqu’elles s’élèvent entre les Etats-Unis et l’UE à
environ de 4% dans le cadre de l’OMC), mais plus ambitieux il vise
également l’harmonisation normative, juridique et technique.
Le but est de faciliter la circulation
des biens et des services entre l’UE et les USA intra/inter entreprises.
Le problème est que ce type de traité vise explicitement le fond du
droit (et ne sanctionne pas son application formelle comme au sein de
l’OMC). L’autre singularité réside dans la qualité des parties à agir,
désormais les multinationales peuvent engager la responsabilité des
Etats (contournant l’OMC où seuls les Etats s’affrontent). Le projet
APT prévoit donc que toute entreprise ayant subit un préjudice
(notamment financier et qui sera à déterminer) pourra à la suite d’un
durcissement des règles juridiques saisir le tribunal arbitral pour
demander réparation. De nombreux exemples viennent immédiatement à
l’esprit tel que la suppression des permis d’exploration pour
l’extraction du gaz de schiste par fracturation hydraulique. Les grandes
entreprises gazo-pétrolières pourront-elles demander réparation à
l’Etat Français? Par extension, les législations plus protectrices en
matière environnementale ou touchant au droit du travail pourraient être
remises en cause, a priori dans l’action législative mais aussi a
posteriori en contraignant l’Etat à en réparer les conséquences. L’APT
Europe-Etats Unis, selon le Corporate Europe Observatory, « va
ouvrir les vannes à des poursuites de plusieurs millions d’euros par de
grandes entreprises qui contestent des politiques démocratiques visant à
protéger l’environnement et la santé publique ».
Quoi qu’il en soit, cet arbitrage
commercial pourrait être un important outil d’influence aux pouvoirs
bien plus étendus que les mécanismes classiques. Il évite facilement le
mécanisme onéreux et parfois incertain du lobbysme auprès des organes
législatifs nationaux et communautaires. D’autre part, si l’accord est
signé, seul l’Etat fédéral américain s’engage à le respecter : Quid des
Etats fédérés alors qu’ils bénéficient d’une large liberté de légiférer
dans de nombreux domaines ?
Il est incontournable d’encadrer la
réalité transnationale des acteurs privés mais il reste plus que
discutable de donner la compétence exclusive (et donc dessaisir les
tribunaux nationaux) du règlement des conflits issus du traité, à un
organe, par les décisions duquel, Etats comme investisseurs seront
contraints. L’impact de cette justice supranationale sur la souveraineté
des Etats signataires constitue aujourd’hui un réel sujet de
préoccupation.
Il permettra peut-être de redonner
confiance aux investisseurs qui pourront récupérer les pertes à la suite
d’une nouvelle législation, mais à quel prix ? Celui d’accepter
d’engager directement la responsabilité de l’Etat sur le fondement de sa
compétence la fondamentale : celle de légiférer démocratiquement et
librement.
