Depuis
2015, et malgré la création par la mairie d’un camp humanitaire,
détruit accidentellement, le problème de l’accueil des migrants non géré
par l’État, reste entier.
Un étudiant de Sciences-Po Lille, lors d’un débat il y a peu, me demandait naïvement : « Comment êtes-vous entré dans l’humanitaire ? » Ma réponse fut aussi claire et limpide que possible : « C’est l’humanitaire qui nous est tombé dessus ! » Ce
fut un choc. Brutal. Sans retour. Ce 17 août 2015, mon téléphone sonne
beaucoup. Je rentre de vacances. En forme, prêt pour la rentrée
politique. Le nombre de migrants a fortement augmenté pendant mes
semaines de congés. Ils seraient, ce 17 août, 170. Ils seront plus de 2
800 fin décembre, dont une majorité de Syriens.
Cela
conduira à la décision de Damien Carême de construire, avec Médecins
sans frontières (MSF), un camp humanitaire, contre l’avis du
gouvernement de l’époque. Ni Manuel Valls ni Bernard Cazeneuve n’ont
apprécié. Ce dernier aura pourtant quelques mois plus tard
l’intelligence de changer de pied et de proposer au maire de financer le
fonctionnement du camp humanitaire. Ce camp, Damien ne l’a pas bâti
pour lui. Ni pour se faire plaisir, ni pour se faire connaître. Il l’a
souhaité pour toutes celles et ceux qui survivaient dans le camp de la
honte, dans la «jungle» du Basroch.
J’ai
encore dans ma tête le poids des images et, faut-il le dire, des odeurs
mêlées. Celles du bois brûlé et des conditions sanitaires
catastrophiques. Personne n’est mort malgré les risques immenses de cet
hiver neigeux. Petit miracle. Qui aurait été responsable ? Le camp a
ouvert ses portes le 7 mars 2016. Il est parti en fumée dans la terrible
nuit du 10 avril 2017. Je suis averti de l’incendie et m’y rends pour
rejoindre le préfet de région, Michel Lalande. Au loin, sur l’autoroute,
je devine les lueurs du feu sans m’imaginer le chaos du brasier. En
entrant sur le camp en feu, j’entends d’abord les bruits de ceux qui
continuent à se battre, Afghans contre Kurdes, et des forces de l’ordre
qui se mobilisent pour rétablir le calme. En m’enfonçant dans le camp,
au téléphone avec Damien, l’émotion m’étreint je l’avoue. Tous nos
efforts sont réduits à néant. Il nous faudra plusieurs semaines pour
l’accepter. Au petit matin, le camp est parti en fumée. Paysage lunaire.
Depuis cette date et malgré nos efforts collectifs, avec l’Etat, les
associations, les services municipaux, notre actualité, tous les jours,
reste celle des exilés. Les filières sont là, bien installées. Les
exilés continuent d’arriver via l’Espagne, l’Italie, l’Allemagne, la
Belgique ou encore Paris. La question de l’accueil nous taraude.
Beaucoup moins le ministre de l’Intérieur, qui nous reçoit ce 18
septembre 2017. L’accueil est glacial. Le ministre s’emporte, avec
déraison. Militant politique depuis plus de vingt ans et élu local, j’ai
souvent croisé la route de ministres ou de personnalités. Gérard
Collomb est à côté du sujet et fait des amalgames insoutenables.
Inadmissibles. Nous sommes abasourdis. Alors qu’il refuse à Damien
Carême toute solution locale, je finis par lui demander s’il veut créer
une ligne de démarcation pour le littoral. La réponse sera claire et
franche : « Oui ! » A la sortie de l’entretien, nous convenons avec
Damien Carême de ne rien dire à la presse. Qui nous aurait crus ?
J’apprendrai quelques semaines plus tard par le sous-préfet de
Dunkerque que le nouveau traité de Sandhurst interdit toute implantation
de centres d’accueil et d’orientation (CAO) de Calais à Dunkerque,
condition pour que l’Angleterre finance les dispositifs de sécurisation,
côté français !
Le
19 septembre, je rejoins le préfet de région à Grande-Synthe pour une
nouvelle mise à l’abri. Ce jour-là, le préfet avait plus de 450 places à
sa disposition. Il dut arrêter les opérations avant son terme, victime
de «son succès» auprès des exilés, dont plus de 600 étaient présents ce
jour sur le site du Puythouck. Les mois qui suivirent furent difficiles.
Pour nous. Pour les associations. Pour l’Etat. Pour les exilés en
premier lieu. Au jeu du chat et de la souris, les personnes qui arrivent
à Grande-Synthe n’ont qu’une idée : passer en Angleterre. Elles n’ont
que faire de rejoindre des CAO, des centres d’accueil et d’examen des
situations (CAES), des accueils temporaires, service de l’asile (AT-SA),
des program- mes d’accueil et d’hébergement des demandeurs d’asile
(Prahda), des centres d’hébergement d’urgence migrants (CHUM) et autres
dispositifs. Qui s’y retrouve d’ailleurs ? Malgré l’augmentation du
nombre de places, celles-ci sont insuffisantes. Il est vrai que la loi
asile et immigration a, entre-temps, été votée. Que réglera-t-elle ? Une
seule constante pour nous. Nous empêchant d’offrir localement à Calais
ou à Grande-Synthe une première réponse d’urgence, l’Etat se condamne à
des campements sauvages et à des « jungles ». Le responsable du Haut
Commissariat aux réfugiés en France me le dit un jour, visitant avec moi
le camp de la Linière. « Chez nous [en Allemagne], ceci serait impossible, et encore moins des “jungles” ! » Nous
sommes aujourd’hui le 24 juillet 2018. A ce jour et à cette heure, près
de 500 personnes survivent dans des sous-bois, à deux pas de l’ancien
camp humanitaire que nous avions construit.
(*) Olivier
Caremelle est le directeur de cabinet du maire de Grande-Synthe depuis
près de trois ans, il est en première ligne pour « suivre » l’actualité
migratoire.
(Source, Libération 31/07/2018)