Voilà qu’Alexandre Benalla, un aide-de-camp présidentiel, se retrouve filmé en train de dépoussiérer vigoureusement quelques manifestants frénétiques de la bouteille pacifiquement jetée sur les forces de l’ordre. Relayée par des médias pas encore remis de la stupéfaction footballistique, la vidéo aura largement servi à alimenter la chronique pendant les dernières semaines sur l’air du « Le premier qui ment s’enfonce ».
Depuis lors, ministres, fifres et sous-fifres se relaient pour savoir qui a le plus menti et s’enfoncent donc dans la nullité la plus crasse avec cet acharnement qui pourrait passer pour du masochisme si l’incompétence et une certaine forme d’opacité mentale n’expliquaient pas mieux ce qu’on observe.
Du côté de l’électorat, une partie de ceux qui bruyamment se réjouissaient il y a un an de l’affaire Fillon se retrouve à présent à grincer des dents de l’affaire Benalla ; alors que la première affaire fusillait durablement un concurrent gênant et emportait son assentiment, cette dernière affaire fait apparaître un douloureux sentiment de cocufiage concernant son poulain : fini la crédibilité des beaux discours enflammés du Louvre où il était question d’une République propre, sans copinage et sans passe-droits. Le retour à la banale réalité des petits arrangements institutionnels est rude pour les amoureux du jeune président.
Eh oui, finalement, le mandat de Macron ne pourra pas non plus se démarquer des autres à ce sujet. Déjà médiocrement différent des précédents de Hollande ou Sarkozy sur le plan économique avec une croissance franchement mollassonne, tout indique que l’indispensable probité vantée en début de quinquennat ne sera qu’une énième baudruche que l’affaire actuelle dégonfle déjà gentiment.
Caramba, encore raté.
Du reste, peut-être ceux qui goûtent maintenant l’amère potion qu’ils étaient fort heureux de voir distribuée à leurs concurrents d’il y a un an comprennent mieux à présent ce que certains pointaient alors du doigt : les risques d’une République de l’hystérie médiatique. On peine en effet à expliquer le délire médiatique assourdissant qui s’est déclenché pour ce qui illustre simplement, une nouvelle fois, l’abus permanent de pouvoir dont usent les élites et leur personnel attaché.
Peut-être la puissance d’internet et des réseaux sociaux, les chaînes d’information en continu ou la mode du moment expliquent-ils l’emballement observé, et celui qu’on observa concernant Fillon ; encore faudrait-il comparer avec des affaires plus anciennes, lorsque les actuelles technologies de l’information n’existaient pas, pour pouvoir estimer leur importance dans le gonflement médiatique observé. Autrement dit, l’affaire Benalla est-elle comparable, politiquement et médiatiquement, avec les affaires du SAC, du Rainbow Warrior, d’Urba, des Irlandais de Vincennes, j’en passe et des meilleures ? En quoi serait-elle plus ou moins grave que ces dernières, ou simplement la continuité d’une véritable tradition républicaine ? Et dans ce cas, ne devrait-on pas d’abord s’offusquer de cette énième occurrence de dérapage, de cette habitude lamentable de la distribution de privilèges qui sévit une fois encore, du fait que, malgré les « promis juré craché » de Macron, le petit monde politique continue, vaille que vaille et coûte que coûte, à reproduire les mêmes schémas, les mêmes erreurs, à distribuer les mêmes privilèges, les mêmes prébendes, à tenter d’étouffer les mêmes écarts et à le faire avec la même communication désastreuse que d’habitude ?
Par ailleurs, on peut voir se dessiner une bien funeste tendance : Macron ne semble pas meilleur que Hollande (qui, bien qu’ayant placé la barre fort bas, avait réussi à faire du limbo encore plus bas avec l’affaire Leonarda, par exemple) et il pourrait bien, au bilan de son quinquennat, être pire – ce qui à ce point relèvera d’une performance plus surhumaine qu’olympique.
De lois « sécurisantes » en discours enflammés pour camoufler un interventionnisme débridé, on risque de plus en plus d’obtenir un pays encore plus taxé, encore plus fliqué, encore plus régulé, avec, au final, un État encore plus enflé, obèse et omniprésent. Qu’on ne s’y trompe pas : on peut garantir que la loi fake news, récemment repoussée par le Sénat à la faveur de cette « providentielle » affaire Benalla, repassera sous un autre nom, à un autre moment, plus tard, quand les regards seront tournés ailleurs.
Et dans une France sans aucune fake news, aux médias policés (et puissamment régulés à coups de lois bien étroites et de subventions intelligemment distribuées), on est en droit de se demander ce qui aurait effectivement pu fuiter d’une telle affaire. Certes, on aurait été épargnés des demi-douzaines de rumeurs plus ou moins glauques que l’affaire aura déclenchées à sa suite, mais on peut aussi raisonnablement penser qu’elle n’aurait pas existé en premier lieu, complètement étouffée dans l’œuf.
Or, peut-on réellement se réjouir d’un pays sans aucun scandale, non parce qu’il est propre et dont l’élite est honnête mais parce que la presse est muselée et les médias sont aux ordres ? Voulez-vous vraiment d’une espèce de ministère de la Vérité dirigé par des macronistes, c’est-à-dire de gens le petit doigt sur la couture du pantalon devant un exécutif qui profite du flou de la loi pour se protéger, voire se soustraire de la loi commune ?