Par Chloé Woitier
Le
quotidien américain estime que la politique de dialogue entre la
municipalité et la communauté musulmane est un modèle à suivre en
France. Sur place, les réactions sont plus contrastées.
«Portant voiles et jupes longues, des femmes marchent tranquillement dans les rues de cette ville française défavorisée, pour se rendre à la prière du soir de leur mosquée. Comme leurs époux, frères, pères et fils, elles se sentent ici comme chez elles.» Ainsi débute un reportage paru cette semaine dans le New York Times, faisant un portrait laudatif de Roubaix. La ville la plus pauvre de France y est définie comme un modèle de tolérance envers la communauté musulmane, «faisant fi de l'interprétation rigide de la laïcité à la française qui prévaut ailleurs». «Dans deux ou trois générations, la France entière ressemblera à Roubaix. Le melting-pot sera partout, et Roubaix en est le laboratoire», affirme dans l'article américain le directeur de la communication du maire PS de la ville.
Rapidement traduit par La Voix du Nord, le reportage du New York
Times a suscité de nombreuses réactions, surprises ou choquées. Si la municipalité se félicite que la ville soit présentée dans un quotidien international de référence sous un angle positif, d'autres acteurs locaux soulignent les faiblesses de l'article. «Le New York Times a une vision très naïve, voire Bisounours, de la réalité. C'est vrai, il n'y a pas de problème de cohabitation entre les religions à Roubaix. Mais ça ne veut pas dire qu'il n'y a pas de problème entre les communautés», souligne Grégory Wanlin, blogueur roubaisien et militant UDI, qui estime que l'article «ne fait aucune distinction entre religion, culture et immigration».
«La municipalité met à mal la laïcité»
Le principal reproche fait au reportage vient de la définition très différente de la laïcité qu'ont la France et les États-Unis. Si, de l'autre côté de l'Atlantique, il est vu comme normal que les communautés religieuses pratiquent leur culte et affichent leurs coutumes dans l'espace public, la France estime que la religion doit restée confinée à la sphère privée. «Le New York Times parle de l'Épeule comme d'un “quartier musulman”. On ne peut pas dire ça, ce n'est pas dans la tradition laïque française», affirme Guillaume Delbar, leader de l'opposition municipale. L'élu UMP s'étonne également que l'article évoque l'intégration, «alors que l'immense majorité des musulmans de la ville sont nés à Roubaix, et sont donc Français. L'intégration n'a rien à faire là».Avec son chômage endémique - 30% de la population est sans-emploi -, «les grands enjeux de la ville ne sont pas religieux», poursuit l'élu. «Les problèmes de Roubaix sont la pauvreté et la criminalité. Dans le quartier de l'Épeule, il y a de la délinquance, des incivilités, du tapage nocturne. Et pour acheter la paix sociale, la municipalité met à mal la laïcité et les lois de la République», dénonce Grégory Wanlin.
Les mosquées de la ville regroupées en collectif
L'organisation de cette prière en accord avec la municipalité est l'œuvre du Collectif des institutions musulmanes de Roubaix (CIMR). Créée en 2010 après la polémique du Quick halal, elle fédère cinq des six mosquées de la ville, et est devenue l'interlocuteur privilégié de cette ville qui compte 20% de musulmans pratiquants. «L'équipe municipale a eu la finesse de se dire en 2002: “On va mettre en place un schéma directeur d'intervention sur les lieux de cultes.” C'est un facteur d'intégration», explique Sliman Taleb-Ahmed, président du CIMR. Ce schéma permet notamment à la ville d'accorder un bail pour qu'une association construise un lieu de prière. En février dernier, le maire PS Pierre Dubois a invité à la mairie les représentants de toutes les religions afin d'étudier les besoins de chaque communauté.En trois ans, le CIMR a obtenu l'extension des carrés musulmans dans le cimetière de la ville, et la création d'un poste d'aumônier musulman à l'hôpital public. Ses prochains chantiers sont l'apparition de menus diversifiés dans les cantines - œufs ou poisson à la place de la viande pour les enfants qui le souhaitent -, et la lutte contre les abattages illégaux à domicile lors de l'Aïd-el-Kébir. «Pour l'instant, la ville place des bennes pour recueillir les carcasses. Nous travaillons à l'installation d'un abattoir mobile pour mettre fin à ces abattages sauvages. Il faut des règles et des principes sanitaires», affirme Sliman Taleb-Ahmed. Ce dernier se défend de tout communautarisme. «Nous sommes avant tout des citoyens français. Nous prévoyons d'ailleurs des ateliers sur la laïcité, une question qui nous tient à cœur.» Le CIMR estime que son rôle est double. En travaillant main dans la main avec la municipalité, il lutte contre la radicalisation d'une partie de la communauté musulmane. Et en faisant mieux connaître la religion musulmane, «pour mieux la comprendre», il estime lutter contre l'islamophobie.
Le président du CIMR regrette que l'équipe du New York Times, qui est restée deux jours en ville, ait éludé toutes ces thématiques. «Ils se sont arrêtés sur le port de la tunique ou du voile. C'est anecdotique. Les mosquées se sont fédérées, les religions s'investissent dans les projets de la ville, un schéma directeur incluant tous les cultes a été créé, ce n'est pas rien.»
VOS TÉMOIGNAGES -
Habitant ou travaillant à Roubaix, comment recevez-vous la description
de la ville par le «New York Times»? Comment vivez-vous la cohabitation
entre Roubaisiens musulmans et non-musulmans? Faites-nous part de vos
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