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dimanche 1 juillet 2018

Ernani de Verdi à l’Opéra de Marseille : un triomphe longuement ovationné

Christian Jarniat ♦

La saison 2017-2018 de l’Opéra de Marseille s’est terminée en apothéose avec « Ernani ». La production de « Lohengrin » de Wagner, qui avait précédé l’œuvre de Verdi, était déjà en tous points remarquable mais ici un sommet a été incontestablement atteint d’autant que, lors de la dernière représentation à laquelle nous avons assisté, les techniciens avaient cessé leur grève et que nous avons pu voir ce soir-là l’ouvrage magnifiquement mis en scène par Jean Louis Grinda (décors d’Isabelle Partiot avec astucieux miroir incliné qui dédouble les personnages, costumes somptueux de Teresa Acone et éclairages suggestifs de Laurent Castaingt) avec l’intégralité des lumières et des accessoires.

©Christian Dresse

On rappellera que l’opéra de Verdi repose sur le drame « Hernani » de Victor Hugo créé le 25 février 1830 à la Comédie Française et qui marqua une date dans l’histoire du théâtre dramatique liée à l’énorme polémique qui s’éleva entre l’ancienne génération des classiques et la nouvelle génération des romantiques. La première fut partagée entre chahut et acclamations. Dans les représentations suivantes, le public en vint aux mains et la police dut intervenir. Le terme de « Bataille d’Hernani » est passé dans le langage courant.

Cinquième opus des œuvres du maître de Busetto, « Ernani » fut créé au Théâtre de la Fenice à Venise 14 ans plus tard le 9 mars 1844. Lors des représentations à Paris au Théâtre des Italiens en 1846 Victor Hugo fit savoir qu’il était en désaccord avec cette adaptation musicale de sa pièce et exigea que le livret de Francesco Maria Piave fût remanié de manière que toute référence « hugolienne » disparaisse et que le titre soit aussi modifié. « Ernani » devint donc « Le Proscrit ».

Parmi les œuvres de jeunesse de l’illustre compositeur italien « Ernani » est sans doute l’une des plus brillantes sur le plan musical et l’invention mélodique y est irrésistible. La tension dramatique est parfaitement traduite par un discours musical toujours en situation où les pulsations rythmiques ne retombent jamais avec nombre d’airs qui sont confiés aux protagonistes et qui sont chacun de purs joyaux belcantistes dans la lignée de «Guillaume Tell » ou « Lucia di Lammermoor ».

©Christian Dresse

La distribution réunie sur le plateau de l’Opéra de Marseille est exemplaire et peut faire pâlir beaucoup de théâtres internationaux dont les affiches n’atteignent pas toujours ce niveau. On sait que Francesco Meli est un spécialiste du rôle-titre qu’il a notamment chanté au Metropolitan Opera de New York. Aujourd’hui ce ténor est devenu l’un des plus célèbres de sa génération. Nous nous souvenons de ses quasi-débuts aux Arènes de Vérone où il interprétait le Comte Almaviva du « Barbier de Séville » aux côtés de Leo Nucci. L’assise du répertoire rossinien et d’œuvres mozartiennes (« Don Giovanni »/« Cosi Fan Tutte ») et belcantistes (« Maria Stuarda »/« La Sonnambula ») lui permet, dans une œuvre telle que « Ernani » ou encore « Il Trovatore » (à l’Opéra de Monte-Carlo la saison dernière) de démonter qu’il faut chanter de tels emplois avec souplesse en utilisant des contrastes piano/forte et en conservant d’un bout à l’autre de l’œuvre un legato exemplaire. Par ailleurs, la fougue du tempérament, comme une articulation souveraine, nous ramènent à cette période dorée où les ténors s’appelaient Gianni Raimondi, José Carreras ou encore Giacomo Aragall. 

©Christian Dresse

Cinq ans après « La Straniera » Ludovic Tézier revient dans sa ville natale auréolé de la plus électrisante carrière internationale dont un baryton français puisse se prévaloir ces vingt dernières années. Sans rival dans le répertoire français, comme italien, lui aussi délivre un art du chant porté à un haut niveau de perfection. Son Don Carlo est vocalement admirable d’intelligence comme d’élégance et ses airs sont des modèles d’interprétation. Hui Hé incarne Elvira dans la lignée des grandes sopranos dramatiques comme Anita Cerquetti (Florence 1957) ou Zinka Milanov (New York 1957) qui, toutes deux, chantaient des emplois « larges » comme « Le Bal masqué » ou « Aïda ». A noter que pourvue d’une grande voix, la soprano chinoise se tire néanmoins très adroitement des vocalises de son air et de sa cabalette du premier acte (« Ernani involami » / « Tutto sprezzo che d’Ernani »). Enfin, la voix de la basse russe Alexander Vinogradov (qui débuta au théâtre du Bolchoï à Moscou à seulement 21 ans) est impressionnante dans le rôle de Silva, faisant montre d’une largeur du médium et du grave ainsi que d’aigus insolents. Ce quatuor est fort bien complété par des artistes de talent (Christophe Berry en Don Riccardo, Antoine Garcin en Jago et Anne-Marguerite Werster en Giovanna). 

L’implication du chœur (direction Emmanuel Trenque) et de l’Orchestre de l’Opéra de Marseille, sous la baguette expérimentée de Lawrence Foster, achève de faire de ce spectacle un triomphe longuement ovationné par le public debout.