Christian Jarniat ♦
La saison 2017-2018 de l’Opéra de Marseille s’est terminée en apothéose avec « Ernani ». La production de « Lohengrin »
de Wagner, qui avait précédé l’œuvre de Verdi, était déjà en tous
points remarquable mais ici un sommet a été incontestablement atteint
d’autant que, lors de la dernière représentation à laquelle nous avons
assisté, les techniciens avaient cessé leur grève et que nous avons pu
voir ce soir-là l’ouvrage magnifiquement mis en scène par Jean Louis
Grinda (décors d’Isabelle Partiot avec astucieux miroir incliné qui
dédouble les personnages, costumes somptueux de Teresa Acone et
éclairages suggestifs de Laurent Castaingt) avec l’intégralité des
lumières et des accessoires.
On rappellera que l’opéra de Verdi repose sur le drame « Hernani » de
Victor Hugo créé le 25 février 1830 à la Comédie Française et qui
marqua une date dans l’histoire du théâtre dramatique liée à l’énorme
polémique qui s’éleva entre l’ancienne génération des classiques et la
nouvelle génération des romantiques. La première fut partagée entre
chahut et acclamations. Dans les représentations suivantes, le public en
vint aux mains et la police dut intervenir. Le terme de « Bataille
d’Hernani » est passé dans le langage courant.
Cinquième opus des œuvres du maître de Busetto, « Ernani »
fut créé au Théâtre de la Fenice à Venise 14 ans plus tard le 9 mars
1844. Lors des représentations à Paris au Théâtre des Italiens en 1846
Victor Hugo fit savoir qu’il était en désaccord avec cette adaptation
musicale de sa pièce et exigea que le livret de Francesco Maria Piave
fût remanié de manière que toute référence « hugolienne » disparaisse et
que le titre soit aussi modifié. « Ernani » devint donc « Le Proscrit ».
Parmi les œuvres de jeunesse de l’illustre compositeur italien « Ernani »
est sans doute l’une des plus brillantes sur le plan musical et
l’invention mélodique y est irrésistible. La tension dramatique est
parfaitement traduite par un discours musical toujours en situation où
les pulsations rythmiques ne retombent jamais avec nombre d’airs qui
sont confiés aux protagonistes et qui sont chacun de purs joyaux
belcantistes dans la lignée de «Guillaume Tell » ou « Lucia di Lammermoor ».
La
distribution réunie sur le plateau de l’Opéra de Marseille est
exemplaire et peut faire pâlir beaucoup de théâtres internationaux dont
les affiches n’atteignent pas toujours ce niveau. On sait que Francesco
Meli est un spécialiste du rôle-titre qu’il a notamment chanté au
Metropolitan Opera de New York. Aujourd’hui ce ténor est devenu l’un des
plus célèbres de sa génération. Nous nous souvenons de ses quasi-débuts
aux Arènes de Vérone où il interprétait le Comte Almaviva du « Barbier de Séville » aux côtés de Leo Nucci. L’assise du répertoire rossinien et d’œuvres mozartiennes (« Don Giovanni »/« Cosi Fan Tutte ») et belcantistes (« Maria Stuarda »/« La Sonnambula ») lui permet, dans une œuvre telle que « Ernani » ou encore « Il Trovatore »
(à l’Opéra de Monte-Carlo la saison dernière) de démonter qu’il faut
chanter de tels emplois avec souplesse en utilisant des contrastes
piano/forte et en conservant d’un bout à l’autre de l’œuvre un legato
exemplaire. Par ailleurs, la fougue du tempérament, comme une
articulation souveraine, nous ramènent à cette période dorée où les
ténors s’appelaient Gianni Raimondi, José Carreras ou encore Giacomo
Aragall.
Cinq ans après « La Straniera »
Ludovic Tézier revient dans sa ville natale auréolé de la plus
électrisante carrière internationale dont un baryton français puisse se
prévaloir ces vingt dernières années. Sans rival dans le répertoire
français, comme italien, lui aussi délivre un art du chant porté à un
haut niveau de perfection. Son Don Carlo est vocalement admirable
d’intelligence comme d’élégance et ses airs sont des modèles
d’interprétation. Hui Hé incarne Elvira dans la lignée des grandes
sopranos dramatiques comme Anita Cerquetti (Florence 1957) ou Zinka
Milanov (New York 1957) qui, toutes deux, chantaient des emplois
« larges » comme « Le Bal masqué » ou « Aïda ».
A noter que pourvue d’une grande voix, la soprano chinoise se tire
néanmoins très adroitement des vocalises de son air et de sa cabalette
du premier acte (« Ernani involami » / « Tutto sprezzo che d’Ernani »).
Enfin, la voix de la basse russe Alexander Vinogradov (qui débuta au
théâtre du Bolchoï à Moscou à seulement 21 ans) est impressionnante dans
le rôle de Silva, faisant montre d’une largeur du médium et du grave
ainsi que d’aigus insolents. Ce quatuor est fort bien complété par des
artistes de talent (Christophe Berry en Don Riccardo, Antoine Garcin en
Jago et Anne-Marguerite Werster en Giovanna).
L’implication
du chœur (direction Emmanuel Trenque) et de l’Orchestre de l’Opéra de
Marseille, sous la baguette expérimentée de Lawrence Foster, achève de
faire de ce spectacle un triomphe longuement ovationné par le public
debout.