"C'est moins le clivage droite-gauche qui est épuisé que ce qui en était le support - autrement dit les anciennes formes partisanes - qui se trouve aujourd'hui démonétisé. Mais, si ce clivage n'est plus la summa divisio de la topographie politique, il reste cependant indépassable tant ses racines sont anthropologiques et religieuses. C'était le débat, au Ve siècle déjà, entre l'optimisme de Pélage et le pessimisme radical de Saint Augustin sur le degré de corruption de la nature humaine à la suite du péché originel. Aujourd'hui le vieux clivage droite-gauche est en grande partie recouvert non pas par le clivage entre souverainistes et mondialistes - la souveraineté ne sera jamais qu'un outil et non une fin en soi - mais par un clivage civilisationnel: la ligne de démarcation qui sépare les identitaires et les diversitaires, les partisans d'une continuité culturelle et les adeptes du multiculturalisme. C'est ce qu'on trouve partout en Europe, à l'Est comme à l'Ouest. [...]
La tendance lourde, partout en Europe, même si cela revêt des formes différentes , est à la remise en cause de l'économisme ; c'est-à-dire de cette religion séculière qui fait des facteurs économiques à la fois le principe de causalité et la solution de tous les problèmes. L'affrontement que décrit Viktor Orban, c'est en fait un retour à l'antinomie radicale entre le libéralisme et le conservatisme sous l'effet combiné de la globalisation et de la crise financière. C'est le choc désormais inéluctable entre le sacré et le marché, l'enracinement et le nomadisme, le localisme et le cosmopolitisme. En France, le phénomène Macron qui opère la réunification des libéraux des deux rives est en passe de dissiper un long malentendu historique. Depuis plus d'un siècle, l'orléanisme, autrement dit le libéralisme domine la droite française. C'est un centre qui a été classé à droite sans jamais pour autant être ontologiquement à droite. Le macronisme rend à la fois visible et irréversible la fracture entre ce qui n'est qu'une droite situationnelle et une droite originelle, une droite qui est en train de renaître en faisant retour à ses origines en renouant avec la tradition de l'anti-chrématistique chrétienne et sa condamnation de l'argent-roi. La plupart des observateurs se sont trompés sur la vraie nature de «La Manif pour tous «. Cela n'avait rien à voir avec l'expression d'un quelconque intégrisme. Au-delà de l'enjeu apparent, ce fut une révolte contre l'horreur économique d'une société de marché visant à imposer par la loi le principe de l'illimitatio, véritable moteur métaphysique du libéralisme. Au fond la «démocratie illibérale» d'Orban est très proche de ce que j'ai appelé à l'époque le populisme chrétien. [...]
Toutes les conditions devraient être réunies en 2019 pour que les élections européennes amplifient et accélèrent le processus de décomposition-recomposition du champ politique. Et d'abord, ce qui fait la spécificité même de ce scrutin: faible participation et abstention massive des classes populaires, absence d'enjeux majeurs et donc de vote utile, attrait du vote-sanction et du vote d'humeur sans risque. D'où l'émergence des outsiders dans ce type d'élection: Le Pen en 1984, Villiers et Tapie en 1994, Pasqua en 1999, Cohn-Bendit en 2009. En l'absence probable de Laurent Wauquiez et de Marine Le Pen comme têtes de liste, la tentation sera grande pour une partie des électeurs républicains et frontistes de porter leurs suffrages sur une liste alternative. Ce pourrait être l'heure de la «droite hors- les- murs»
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