Par Matthieu Vasseur.
Au
commencement était Gayssot. Non, attendez : au commencement était
l’« Holocauste ». Par le choix, popularisé dans les années 70, d’un
terme issu de l’Ancien Testament pour désigner l’extermination des Juifs
pendant la Seconde Guerre Mondiale, ce génocide était investi d’une
signification religieuse. Fait historique, oui, mais aussi Sacré de
substitution dans un Occident déchristianisé. Toute l’ambigüité réside
dans cette double dimension. La loi Gayssot , en 1990, interdit la
négation de l’Holocauste. Consciente que cette innovation juridique
entre en conflit avec la Déclaration des Droits de l’Homme et du
Citoyen, qui consacre la liberté d’expression, et avec la devise même de
la République, la classe politique (députés et sénateurs
quasi-unanimes, Président de la République, Président de l’Assemblée
Nationale, Président du Sénat) décide de ne pas transmettre cette loi au
Conseil Constitutionnel, de crainte qu’il ne soit contraint de la
censurer. En 2010, la Cour de Cassation, saisie au titre de la nouvelle
procédure de la « Question Prioritaire de Constitutionnalité », entérine
ce déni de droit en refusant à son tour de transmettre la loi au
Conseil Constitutionnel, au motif qu’elle n’aurait pas de « caractère
sérieux ». On peut reprocher beaucoup de choses à la loi Gayssot, mais
certainement pas de ne pas avoir de « caractère sérieux ».
Cependant, le crime de déni de réalité historique n’est pas la seule
nouveauté de la loi Gayssot. Très rapidement, la jurisprudence
réintroduit également dans le droit français le délit de blasphème, qui
avait été supprimé en 1791 par la Révolution : ce n’est pas le seul déni
de l’Holocauste qui est sanctionné, c’est aussi désormais l’irrévérence
à son égard. Jean-Marie Le Pen en fait les frais avec son calembour
scabreux sur « Durafour crématoire ». Vérité et sacré, Histoire et
blasphème se retrouvent donc inextricablement mêlés, cocktail explosif
dans un pays laïc. Ce n’était d’ailleurs pas la passion de la vérité
historique qui animait M. Gayssot : apparatchik de longue date du Parti
Communiste, il en avait fidèlement épousé toutes les justifications
alambiquées des crimes de l’URSS (le Goulag ? Quel Goulag ?).
Mais une société qui élève l’irrévérence en absolu, « ni Dieu ni
Maître », où un animateur de télévision est applaudi pour avoir demandé à
un ancien Premier ministre si « sucer, c‘est tromper », où un crucifix
noyé dans l’urine de l’ « artiste » (« Piss Christ ») est présenté dans
les musées publics s’accommode mal du retour du délit de blasphème. Le
20 décembre dernier, les Femen ont mimé « l’avortement de Jésus » puis
uriné sur l’autel de la Madeleine. Le gouvernement, qui a choisi il y a
quelques mois une leader Femen ukrainienne comme nouvelle Marianne (ce
dont elle s’est réjouie par un tweet – en anglais, puisque Marianne ne
parle pas français – par lequel elle se félicitait de ce que « les
homophobes, les extrémistes et les fascistes devront désormais lui
lécher le cul lorsqu’ils enverront une lettre »), le gouvernement donc
n’a pas jugé utile d’exprimer la moindre réprobation. On ne peut pas
approuver le sacrilège ici et le réprimer là sans mettre en jeu sa
crédibilité.
Immanquablement se développe, surtout parmi les « exclus », les
« rejetés du système », la tentation de bafouer ce qu’un gouvernement et
des institutions délégitimés érigent comme dogme impératif. Ces
provocations que l’on tolère avec indulgence de la part des artistes et
des Femen, pourquoi les interdire aux jeunes des banlieues ? Parce que
l’Holocauste est « plus sacré » que le christianisme ? Parce que la
« quenelle » est « pire » que pisser sur l’autel d’une église ? Pire que
des caricatures de Mahomet ? Qui en décide, au nom de quoi ?
S’enclenche la spirale infernale de la révolte d’un côté, nourrie par le
sentiment d’injustice, et d’une répression toujours plus folle de
l’autre. Deux lycéens se font exclure de leur lycée, un animateur social
« des quartiers » perd son emploi, tout cela pour avoir fait la fameuse
« quenelle ». Le gouvernement, avec la complicité servile du Conseil
d’État, rétablit la censure préalable, faisant ainsi un grand bond vers
la démocratie à la russe. Plus rien, ni le Droit, ni même le simple bon
sens, ne semble pouvoir freiner cette hystérie de Vertu répressive.
Otage de cette course à l’abîme, la communauté juive de France,
devenue, complice ou à son corps défendant, le symbole de cette
oppression d’État. En la désignant comme caste sacrée, la loi Gayssot en
a fait une cible. En lui attribuant un statut « à part », elle en fait
un bouc émissaire de toutes les frustrations de la France « d’en bas ».
La répression qu’elle instaure suscite l’anti-sémitisme, qui à son tour
justifie un nouveau tour de vis répressif, qui à son tour…
Comment sortir de cette course folle ? Alors que nous nous apprêtons à
commémorer le centenaire de la Première Guerre Mondiale, que
l’intervention décisive des États-Unis nous permit de gagner, tournons
nous une fois de plus vers l’Amérique :
Premier Amendement de la Constitution : « Le Congrès ne fera
aucune loi pour conférer un statut institutionnel à une religion,
(aucune loi) qui interdise le libre exercice d’une religion, (aucune
loi) qui restreigne la liberté d’expression, ni la liberté de la presse
(…) ».