Maximilien MALIROIS
Dans la première moitié des années 2000, l’auteur de ses lignes défendait régulièrement dans la revue semestrielle L’Esprit européen
la nécessité salutaire de fonder une union franque, une entente
néo-carolingienne autour d’un moteur pré-civilisationnel nommé la «
Françallemagne ». Suivant d’autres plumes d’opinions très variées comme
le centriste Christian Saint-Étienne dans son ouvrage L’Europe fédérale ou la mort, Guillaume Faye dans L’archéofuturisme,
voire Dominique Venner dans certains de ses articles les moins
historiques, il pensait qu’une telle symbiose permettrait à la
construction européenne d’acquérir enfin une dimension politique
satisfaisante. Dans cette perspective idéale (idéaliste ?), le lancement
de la monnaie unique et la constitution d’une zone euro, préalable
indispensable à l’édification d’un noyau dur évoqué dès 1994 par les
conservateurs chrétiens-démocrates allemands Wolfgang Schaüble et Karl
Lammers, s’envisageaient comme des étapes indispensables pour favoriser
une conscience européenne déterminante et affirmée. Il faut aujourd’hui
reconnaître l’échec complet de cette voie.
Le Regnum Francorum
tant désiré demeurera une vue (supérieure) de l’esprit du fait de la
profonde servilité du personnel politique européen envers son maître
étatsunien et les puissances financières mondialistes. Le refus répété
de la Grande-Bretagne de réaliser l’ébauche d’une « Europe de la défense
», l’ignorance des petits États membres de l’Union envers toute Grande
Politique, les enjeux géopolitiques et la haute-diplomatie, les
négociations ultra-discrètes (quasi-secrètes) autour du Grand Marché
transatlantique et le rejet allemand de financer en partie les
interventions françaises en Afrique confirment le manque de volonté
politique, la conception purement utilitariste de la structure
eurocratique et l’absence de toutes considérations autres que marchandes
ou humanitaires. Certes, contrairement à ce que pronostiquait Jacques
Attali, il y a deux ans, l’euro a survécu au Noël 2012 puisqu’il a même
passé celui de 2013. Depuis le 1er
janvier 2014, l’Eurolande accueille un dix-huitième membre avec la
Lettonie, mais le fait que la présidence semestrielle tournante revienne
jusqu’au 30 juin prochain à la Grèce démontre le tempérament impolitique, apolitique même de la machinerie euro-bruxelloise.
Une
étroite association germano-française aurait pu orienter dans une autre
direction le destin de l’Union européenne. Il n’en est rien. La
responsabilité n’en revient pas à Angela Merkel et à ses gouvernements
successifs. La construction européenne est viciée depuis l’échec des
plans Fouchet en 1961 – 1962 et, surtout, par la trahison du Bundestag,
lors de la ratification du traité de l’Élysée en 1963. Signé par Conrad
Adenauer et Charles De Gaulle, ce traité jetait les bases d’une libre
collaboration entre la France et l’Allemagne de l’Ouest. Sa réussite
aurait peut-être permis la réalisation à terme d’une organisation
néo-carolingienne. Or, le 15 juin 1963, jour de sa ratification, les
députés allemand, en particulier la majorité chrétienne-démocrate aidée
par les ineffables libéraux, y ajoutèrent un déplorable préambule. Ce
texte réaffirmait l’alignement atlantiste de Bonn, approuvait l’adhésion
possible de la Grande-Bretagne et réclamait la disparition des taxes
douanières dans le cadre du G.A.T.T. (future O.M.C.) avec une finalité
sous-jacente transatlantique (le projet délirant étant relativement
ancien dans certains cénacles anglo-saxons). De Gaulle avait-il pensé
détourner pour le compte de la France et d’une Europe européenne la
souveraineté limitée de la R.F.A. ? Il se trompa gravement : ce vote
confirma à ses yeux la nature atlantiste et yankee de la Communauté européenne.
Outre
la soumission de la classe politique allemande à l’occupant étatsunien,
l’impossibilité d’œuvrer en faveur d’une « Françallemagne » est aussi
due au contexte éminemment totalitaire de l’actuel régime teuton. Paru
en 2005, un opuscule très éclairant de Germar Rudolf avertit que Les pensées ne sont pas libres en Allemagne
(1). En effet, il y règne de plus en plus une impitoyable chasse aux
dissidents identitaires. Dans son excellente lettre d’informations
confidentielles Faits et Documents, Emmanuel Ratier annonce la mise en service d’« un logiciel, appelé Digital Audio Fingerprint,
[…] dans la police allemande afin d’identifier automatiquement les
musiques dites “ néo-nazies ” (musique et paroles). Ce procédé sera
utilisé lors des manifestations et concerts mais aussi pour la
surveillance d’Internet et lors de la saisie d’ordinateurs de militants
nationalistes (2) ».
On
s’agace à bon droit en France de la répression policière et judiciaire
des idées. Celle-ci a franchi récemment un palier supplémentaire avec
les pitoyables accusations et les menaces honteuse d’un ministricule
envers un humoriste talentueux parce qu’il concurrence durement un
certain « M. Petites-Blagues », amuseur public raté. La liberté de
penser en Allemagne est toutefois bien pire que dans l’Hexagone. La Gestapo et la Stasi ont en effet un redoutable héritier : l’Office fédéral de protection de la Constitution
(B.f.V.). Même si son étude s’arrête à 1994, Germar Rudolf observe que
dans ce climat quasi-inquisitorial de suspicion généralisée, « on
serait tenté de croire qu’une sanction ne peut s’abattre sur un auteur,
un imprimeur, un commerce de gros ou de détail ou un client quand la
vente a lieu avant l’interdiction de saisie du tribunal. La
jurisprudence allègue que l’illégalité du média ne prend pas effet à la
date de la décision de justice mais qu’elle est inhérente à son contenu.
Par voie de conséquence, le délit commence avec la fabrication du
livre, même si, à ce stade, les autorités n’ont pas encore connaissance
de son existence. De sorte que l’auteur, le traducteur, l’éditeur, le
responsable de publication, l’imprimeur, le propriétaire de grand
magasin, le grossiste et le détaillant ainsi que les clients qui ont
commandé plus d’un exemplaire de l’ouvrage (ce qui “ prouve ” leur
volonté de diffusion) sont passibles de poursuites, même si les faits se
sont produits avant toute décision judiciaire (3) ». C’est Minority Report (Rapport minoritaire) appliqué à la réalité !
Sur
son remarquable blogue, le journaliste Lionel Baland relate les
mésaventures survenues en 2013 aux responsables et militants du
mouvement bavarois anti-islam Die Freiheit. Ils organisent une
collecte de signatures afin de convoquer un référendum contre la
construction de mosquées, ce qui déplaît aux autorités locales. Ainsi,
son nouveau président, Michael Stürzenberger, vient-il d’être « privé de
son compte en banque de soutien dans son action politique à la Postbank. Il a déjà vu, en un an, son compte en banque de soutien à la Deutsche Kreditbank, à la Stadtsparkasse München et à la Münchner Bank
être fermés par ces institutions. Un élément supplémentaire, poursuit
Lionel Baland, s’ajoute à ces persécutions. Cette fois, c’est aussi son
compte en banque privé qui est fermé par la Postbank à partir
du 17 janvier 2014 alors que Michael Stürzenberger est client de cette
banque depuis 28 ans. […] La décision vient de la direction de la Postbank
à Cologne (4) ». Quelques mois auparavant, Christian Holz, un militant –
handicapé – de ce parti a vu son compte en banque lui aussi bloqué
parce que « le site Internet anti-islamisation PI-News, qui
compte 90 000 visiteurs par jour, a lancé une campagne de soutien à
Christian Holz suite à la condamnation à une amende de 1 800 euros qui
l’a frappé pour avoir mal manœuvré sa chaise roulante lors d’un
rassemblement organisé par Die Freiheit et d’avoir ainsi heurté
la jambe d’un contre-manifestant social-démocrate (5) ». Passons sur le
fait que dirigeants et militants de cette formation patriotique se
voient interdits d’assister et, a fortiori, de participer aux
réunions – débats qui leur sont expressément consacrées. En outre, acmé
orwellien, ce mouvement « s’est vu spécifier par une juridiction de
Munich de ne pouvoir prendre la parole que durant des périodes de dix
minutes maximum séparées de pauses de dix minutes minimum. La police
criminelle a constaté, lors d’un rassemblement qui s’est déroulé le 27
juillet 2013 durant plusieurs heures, que par deux fois Die Freiheit
a dépassé le temps de parole et que par deux fois la pause a été trop
courte. Les mêmes faits ont été constatés lors d’un rassemblement le 1er
août 2013 (le temps de parole a été aussi dépassé ce jour-là à deux
reprises et deux pauses ont été trop courtes). Pour avoir enfreint la
règle édictée par le tribunal, les responsables de Die Freiheit à Munich se voient condamnés à payer une amende de 3 900 euros. Ils font appel de cette décision judiciaire (6) ».
Soixante-dix
ans de rééducation mentale intensive expliquent ces persécutions
scandaleuses. Il est évident que l’expression est maintenant plus libre à
Moscou qu’à Berlin. L’absence de liberté intellectuelle véritable en
Allemagne, l’affairisme permanent de son médiocre personnel politicard,
l’alignement exclusif de Berlin sur un axe Washington – Londres –
Bruxelles – Ankara – Tel Aviv – Ryad et une volonté farouche de
maintenir coûte que coûte la monnaie unique qui lui assure une
confortable hégémonie économique continentale écartent pour longtemps
toute alternative néo-carolingienne durable. Notre Europe souveraine des
peuples libérés et des identités enracinées ne correspondra jamais à
cette Allemagne élargie, nantie et spirituellement avilie. Elle se fera
plus sûrement contre cette nouvelle République de Berlin et le « Bloc
américaniste-occidentaliste »(B.A.O.) (7) dans lequel elle est
pleinement intégrée. Charlemagne est inutile. Place donc à Richelieu !
Maximilien Malirois
Notes
1 : Germar Rudolf, Les pensées ne sont pas libres en Allemagne, Éditions Akribeia, Saint-Genis – Laval, 2005, 63 p.
2 : Faits et Documents, n° 368, du 15 décembre 2013 au 15 janvier 2014, p. 8.
3 : Germar Rudolf, op. cit., p. 31, souligné par l’auteur.
4
: Lionel Baland, « Privé de ses comptes en banque parce que patriote »,
sur http://lionelbaland.hautetfort.com, le 22 décembre 2013.
5 : Lionel Baland, « La Münchner Bank barre l’accès au compte en banque d’un handicapé nationaliste », site déjà mentionné, le 27 septembre 2013.
6
: Lionel Baland, « Condamnés à 3900 euros pour avoir dépassé le temps
de parole », site déjà mentionné, le 2 décembre 2013. Rappelons aussi
que le N.P.D., le parti ultra-nationaliste allemand souvent qualifié de «
néo-nazi », risque d’être interdit par la Cour constitutionnelle parce
que ses campagnes dérangent alors qu’il est infesté d’indicateurs et
d’agents provocateurs stipendiés par le B.f.V.
7 : Belle expression de Philippe Grasset, cf. son excellent site de defensa et en particulier, « Glossaire.dde : Bloc B.A.O. », le 10 décembre 2012.