Les opinions en matière de droits de l'homme de Bernard-Henri Lévy sont marquées par le deux poids deux mesures, ne manquant jamais d'épouser les lignes de la politique internationale menée par le gouvernement fédéral des États-Unis et par l'Union européenne. N'est-il pas étonnant de constater le silence absolu de cet écrivain à propos de la situation en Libye, qu'il a pourtant contribué à créer ?
Bernard-Henri Lévy a très bonne presse en Espagne. Il occupe plus souvent qu'à son tour les colonnes de El País
pour prêcher la moralité des causes qu'il défend et qui pourtant
impliquent très souvent des interventions militaires, ce qui lui vaut
d'avoir été baptisé par certains intellectuels de la gauche américaine
le moralisateur des guerres – généralement contre l'islam (1). Présenté
dans les médias espagnols comme "le philosophe de France", il ne fait
qu'articuler des postures soutenues par l'establishment politique
français en exploitant les grandes caisses de résonances pour s'assurer
une bonne visibilité médiatique.
Le dernier exploit de BHL a été son rôle de chef de file (qualifié de moral par El País)
pour la promotion d'une intervention de l'OTAN en Libye ayant pour but
de renverser le colonel Kadhafi (sur la base d'une interprétation
biaisée et tendancieuse de la Résolution 1973 des Nations Unies du 17
mars 2011, qui ne permettait pas une telle intervention). L'intervention
a consisté dans l'aide militaire supposée fournie par les États interventionnistes (dont
des transferts d'armes ou des bombardements qui ont atteint des
populations civiles) pour renverser un dictateur et le remplacer par des
forces démocratiques souhaitant instaurer une démocratie. Compte tenu
du soutien évident apporté par ces États (y compris les États-Unis et la
France) à des dictatures quasi-moyenâgeuses de la même région, cette
justification n'était pas crédible. Or, loin de se rétracter, le
"philosophe de France" l'a répété encore et encore avec le plus grand
sérieux et la plus grande conviction, invoquant la moralité
démocratique, qui doit caractériser le comportement de tout pays
civilisé qui se respecte. BHL recourt à une rhétorique pleine d'images
grandiloquentes et pompeuses, comme il sied à l'un des intellectuels
français les plus décorés. Le pouvoir est toujours très affectueux et
très reconnaissant envers ses serviteurs. Pour sa cause, BHL s'est
déplacé en Libye entouré de tout l'appareil médiatique et de toute la
pompe théâtrale "pour la défense des forces démocratiques".
L'intervention militaire a effectivement mis à bas Kadhafi.
Et
depuis ? Que s'est-il passé en Libye ? Kadhafi était un dictateur comme
on en trouve beaucoup aujourd'hui dans cette région où la démocratie
n'existe même pas sous forme d'ébauche. Il n'était en définitive pas
pire que les gangsters qui dirigent l'Arabie saoudite ou le Qatar, pour
ne citer qu'eux, mais contrairement à ces régimes féodaux, il n'était
pas à la botte des États-Unis et de l'UE. Inutile de dire que le grand
philosophe moralisateur n'accordait pas la moindre attention à ce genre
de détails insignifiants pour la lutte entre le bien (qu'il incarnait en
personne) et le mal (représenté par tous les autres).
N'importe
quel observateur un tant soit peu objectif admet que la Libye n'a rien
d'une démocratie et que la situation a tourné au désastre. Des conflits
font rage entre différentes factions, dont les forces d'Al-Qaïda, un
mouvement qui est devenu l'une des forces déterminantes dans les
activités de ce pays. Des bandes armées affranchies de tout contrôle
démocratique gouvernent les divers territoires et commettent des
assassinats politiques doublés d'une répression brutale à l'encontre des
voix et des manifestations hostiles à la dictature qu'elles exercent. À
la seule date du 15 novembre, 31 personnes ont été assassinées et 235
blessées à Tripoli dans les manœuvres répressives contre une
manifestation de protestation contre ce régime de taifas dirigé par des
bandes armées qui terrorisent la population dans le but de défendre
leurs propres intérêts.
Et pendant ce temps, le grand philosophe de France (et de El País)
ne pipe mot. En vérité, comme le remarque Ramzy Baroud, BHL ressemble
grandement aux intellectuels néo-conservateurs américains qui
préconisent et exigent sans relâche des interventions militaires "pour
défendre la démocratie", un noble projet qui cache des intérêts
financiers et énergétiques des plus concrets, lesquels apparaissent
soudain au grand jour pour se faire voir tels qu'ils sont. Ces
intellectuels ne cessent pour autant de faire la morale à propos du
devoir des pays démocratiques de venir en aide aux forces démocratiques
dans le monde entier, alors que les faits les désavouent.
Historiquement, les bien mal nommés "gouvernements démocratiques" ont
été et restent les principaux supports des régimes les plus
dictatoriaux.
L'incohérence
de ces intellectuels saute aux yeux non seulement dans le cas de la
Libye, mais également dans celui d'Israël. En grand admirateur des
forces armées de ce pays, qu'il a déclaré être les plus morales et les
plus démocratiques du monde, BHL soutient inconditionnellement toutes
leurs interventions. A noter que ses déclarations ont été faites au
lendemain d'une des interventions les plus sanglantes et immorales
menées dans la bande de Gaza en 2008, 2009 et 2012 – et elles ont été
nombreuses. La cécité morale et la confusion intellectuelle de
Bernard-Henri Lévy n'ont pas de limites, ce qui ne l'empêchera nullement
de continuer à noircir les colonnes de El País de ses sermons
moralisateurs sur l'urgence d'une intervention militaire quelque part
dans le monde arabe pour "défendre la démocratie".
Note : voir Ramzy Baroud "France’s Sham Philosopher" à CounterPunch, 20.11.13
Traduction : Collectif Investig'Action
Source : http://www.vnavarro.org/?p=10239