Filpac cgt
EUROPE - LA RÉGLEMENTATION SUR LES MARCHÉS PUBLICS CONCERNE LES SERVICES DE PROTECTION SOCIALE
L’adoption
par le Parlement européen, le 15 janvier, de la nouvelle législation
européenne sur les marchés publics et les contrats de concession a été
suivie de communiqués enthousiastes.
Les sociaux-démocrates
européens estiment avoir obtenu gain de cause pour des législations
« cruciales pour la croissance et l’emploi », en particulier sur le
choix de l’offre, qui devra tenir compte de critères sociaux et
environnementaux. Pour le Parlement européen, il s’agit « d’encourager une concurrence équitable et de permettre un meilleur rapport qualité prix ».
ces
communiqués sont cependant trompeurs. Les nouvelles directives, avec
pour ambition de consolider la législation ouvrant les marchés publics
au secteur privé, concernent, entre autres, l’ouverture à la concurrence
des services de sécurité sociale obligatoire (1).
Certes amendés
par le Parlement européen pour en relativiser la portée, les textes
n’excluent pas ces services de la nouvelle réglementation. La
Confédération européenne des syndicats a relevé de nouvelles règles
« complexes » par lesquelles les États membres peuvent, s’ils le
souhaitent, organiser les services de santé, les services sociaux et
culturels à travers un marché public. Au point qu’elle estime que « des garanties sont nécessaires afin d’éviter que des entreprises privées ne puissent s’emparer de ce type de contrat ».
Les
parlementaires ont aussi ajouté l’introduction d’un mécanisme de
responsabilité conjointe et solidaire pour les sous-traitants, mais
celuici n’est que facultatif pour les États membres.
Privatiser la sécurité sociale : un vieux rêve de la Commission européenne
La
Commission européenne cherche à minimiser le contenu très controversé
de directives sur la passation de marchés publics et sur les contrats de
concession. Ces deux directives, présentées en décembre 2011, ont pour
ambition de réglementer la privatisation de services de sécurité sociale
obligatoire. La Commission ne fait que récidiver après le coup, raté,
de la libéralisation des services de santé dans la directive Bolkestein.
« Erroné et infondé », indique un droit de réponse à un article de Mediapart, publié le 10 octobre, et intitulé : « Bruxelles veut ouvrir la Sécurité sociale au privé ».
Il émane de Stefaan De Rynck, porte-parole de Michel Barnier,
commissaire européen chargé du marché intérieur et des services. Ce sont
des « fantasmes », dit-on aussi à Bruxelles. Certains « s’inquiètent pour rien, il faut lire les textes »
, dédramatise Pierre Bauby, spécialiste des services publics en Europe
et professeur à Sciences Po, peut-on lire dans un article d’Euractiv.fr.
Même les assureurs privés se veulent... rassurant.
N’en jetez plus !
Car,
justement, lisons les textes, pour rappeler que les services de la
Commission n’en sont pas à leur première tentative de privatisation des
services de santé et de sécurité sociale obligatoire. Cette controverse a
en effet le mérite de montrer que les « textes » des traités invoqués
pour jurer que la sécurité sociale est intouchable peuvent être
contournés, à tout moment.
Pris la main dans le pot de confiture,
les chantres du marché cherchent à minimiser la portée de deux
propositions de la Commission qui concernent la révision des directives
sur la « passation des marchés publics » et les « contrats de concession ».
Directive passation des marchés publics
Présentées
en décembre 2011, les deux directives en cours d’examen par les
commissions du Parlement européen, avant un vote en plénière prévu en
novembre, ont un but, clairement décrit dans l’exposé des motifs de la
proposition de directive « sur l’attribution de contrats de concession » :
« Un cadre juridique approprié pour l’attribution des contrats de concession favoriserait les investissements publics et privés dans les infrastructures et les services stratégiques, avec une utilisation optimale des fonds » La proposition de directive vise ainsi « à réduire l’incertitude qui entoure l’attribution des contrats de concession, pour le plus grand avantage des autorités publiques et des opérateurs économiques », en particulier dans les « services sociaux et autres services spécifiques », dont les services « de sécurité sociale obligatoire ».
Autrement dit, ces deux directives « visent
principalement à assurer aux opérateurs économiques la pleine
jouissance des libertés fondamentales dans la concurrence pour les
marchés publics ».
Mais pour Stefaan De Rynck « la
proposition de la Commission européenne en matière des règles des
marchés publics ne met en aucun cas en cause l’organisation nationale
des services de sécurité sociale, et ne veut pas ouvrir la sécurité
sociale au privé ». Or, la directive sur la passation des marchés
publics ne fait pas mystère des intentions d’ouvrir à la concurrence les
services de sécurité sociale obligatoire dans son article 74
(Attribution de marchés pour des services sociaux et d’autres services
spécifiques) et son annexe XVI.
La directive permet, comme le résume le porte-parole de Michel Barnier, à un « Etat
de l’Union européenne [qui le] souhaiterait – dans le cadre de son
autonomie en la matière – [d’] organiser certains services de sécurité
sociale à travers un contractant. Si jamais un Etat souhaite organiser
sa sécurité sociale à travers un marché public (…), il faudra dans ce
cas précis avoir les outils juridiques pour faire respecter des règles
de bonne gouvernance, de transparence et d’équité dans le choix du
contractant privé ». Ainsi un Etat membre pourra construire son
marché des services de sécurité sociale en respectant les règles de la
concurrence libre et non faussée en matière de services de sécurité
sociale obligatoire.
Et pour ceux qui ne l’aurait pas compris, la proposition de directive sur l’attribution de contrats de concession, « va
de pair avec la révision des directives sur les marchés publics. Elle
donnera lieu à l’adoption d’un instrument juridique distinct,
réglementant l’attribution des concessions. Avec les deux propositions
de révision des directives en vigueur sur les marchés publics, elle vise
à créer un cadre législatif moderne sur les marchés publics ».
Le
cadre législatif « moderne » de libéralisation des services, dont les
services de santé et de Sécurité sociale, présenté par la Commission est
en fait ancien. Il rappelle la controverse née de la volonté de
celle-ci d’intégrer les règles de la concurrence aux services de santé
lors de la présentation, en 2004, de la première mouture de la directive
Bolkestein de libéralisation des services.
La proposition de directive « relative aux services dans le marché intérieur »,
présentée par Frits Bolkestein le 13 janvier 2004 était fondée sur
certains éléments de la jurisprudence de la Cour européenne de justice.
Ainsi, dans une note explicative des services de la Commission « sur
les dispositions de la proposition de directive relative aux services
dans le marché intérieur concernant la prise en charge des frais de
santé encourus dans un autre État membre », datée du 16 juillet
2004, un arrêt de la Cour définit ce qui relève de « prestations de
services » et qui serait donc susceptible d’entrer dans le champ de la
directive services :
« Les services de santé sont des services au sens du traité, indépendamment de la manière dont les Etats membres organisent et financent leurs systèmes de sécurité sociale : « (…) une prestation médicale ne perd pas sa qualification de prestation de services au motif qu’elle serait prise en charge par un service national de santé ou par un régime de prestations en nature. (…) il n’y a pas lieu, sous l’angle de la libre prestation des services, d’établir une distinction selon que le patient acquitte le montant des frais exposés et sollicite par la suite le remboursement de ceux-ci ou que la caisse d’assurance maladie ou le budget national paie directement le prestataire ». (arrêt Müller-Fauré/van Riet, point 103)
Un
autre arrêt indique que « l’exigence d’une autorisation pour le
remboursement des frais médicaux encourus dans un autre État membre
constitue, tant pour les patients que pour les prestataires de services
médicaux, un obstacle à la libre prestation des services : « Par
conséquent, une telle réglementation décourage les assurés sociaux de
s’adresser aux prestataires de services médicaux établis dans un autre
État membre et constitue, tant pour ces derniers que pour leurs
patients, une entrave à la libre prestation des services. » (arrêt Kohll, points 34 et 35)
Les
débats très tendus sur cette directive services, et surtout la victoire
du "non" lors du référendum de 2005 sur le Traité constitutionnel
européen ont abouti en 2006 à une révision de son contenu, entraînant
l’exclusion des services dits « non économiques d’intérêt général » du
champ du texte, dont les services de sécurité sociale. C’est oublier que
cette directive a été transposée dans les législations nationales et
quelle a prévu une évaluation annuelle de son application, pour
éventuellement lever ou non des exemptions.
C’est pourquoi le
« Pacte pour la croissance et l’emploi » adopté par le conseil européen
des 28 et 29 juin, qui a satisfait François Hollande, rappelle que « l’approfondissement
du marché unique, par l’élimination des obstacles qui subsistent,
contribuera dans une très large mesure à promouvoir la croissance et
l’emploi ».
De quelle manière ? « La communication de la
Commission relative à la mise en œuvre de la directive sur les services
est également accueillie favorablement et devrait être mise en œuvre
immédiatement, y compris au moyen d’un examen rigoureux par les pairs
des restrictions nationales et d’une action rapide pour supprimer les
obstacles injustifiés. Des avantages économiques supplémentaires pouvant
aller jusqu’à 330 milliards d’euros pourraient être réalisés dans le
cadre de cette directive. Le Conseil européen évaluera les progrès
réalisés d’ici la fin de l’année 2012 ». Traduction : la Commission
entend par « restrictions nationales » les dernières exemptions à lever,
notamment celles concernant les services de santé.
La sécurité sociale obligatoire intégrée depuis 2007
Un règlement européen du 28 novembre 2007 a établi le vocabulaire commun pour les marchés publics (CPV). Il s’agit d’un "système de classification unique applicable aux marchés publics"
dans le cadre du marché unique européen. Ce règlement (voir le Journal
officiel de l’Union européenne daté du 15 mars 2008) a intégré les
régimes de sécurité sociale obligatoire dans cette classification, sans
que personne ne proteste.
Est-ce une surprise ? Sans doute pour
quelques députés européens mal informés. Marc Tarabella, eurodéputé
belge (parti socialiste), rapporteur de la directive sur la passation
des marchés publics indique : « Mais quelle ne fut pas ma surprise en découvrant l’annexe XVI !
La
Commission y explique que la sécurité sociale obligatoire devrait faire
annuellement l’objet d’un « avis de marché » au terme duquel les
pouvoirs publics choisiraient le meilleur des candidats. En d’autres
termes, n’importe quel opérateur privé pourrait potentiellement mettre
la main sur le marché de la sécurité sociale. C’est dangereux,
inacceptable et illégal ».
Pourtant des pans de la sécurité
sociale sont déjà soumis à la concurrence, comme la complémentaire
santé, la dépendance, la petite enfance, les services sociaux et
médico-sociaux qui relèvent de prestations de services.
Les services de la Commission s’inspirent de la stratégie Europe 2020, validé par les chefs d’Etat et de gouvernement, qui « confère un rôle essentiel aux marchés publics ». Ils sont considérés comme l’un des instruments de marché à employer pour atteindre les objectifs de la stratégie. « On
peut en effet les utiliser pour améliorer l’environnement des
entreprises et les conditions dans lesquelles elles innovent et
encourager la passation d’un plus grand nombre de marchés ».
Avec de telles intentions, le marché des services de sécurité sociale obligatoire reviendra très vite au premier plan.
Filpac cgt